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samedi 20 septembre 2025

Il n’existe aucune règle générale obligeant le tribunal à tenir un voir-dire chaque fois qu’une partie soulève une question exigeant que le juge du droit examine des faits préliminaires en l’absence du juge des faits afin de trancher une question de procédure ou de preuve se rapportant aux faits en litige

Carignan c. R., 2024 QCCA 86 

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[9]         Il n’existe aucune règle générale obligeant le tribunal à tenir un voir-dire chaque fois qu’une partie soulève une question exigeant que le juge du droit examine des faits préliminaires en l’absence du juge des faits[4] afin de trancher une question de procédure ou de preuve se rapportant aux faits en litige[5]. Les objections et questions concernant l’exercice des pouvoirs policiers, l’admissibilité de la preuve, l’habileté d’un témoin ou l’application du secret professionnel en sont des exemples. La décision de tenir ou non un voir-dire relève en définitive du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et sera régie par la prudence et le souci d’éviter aux parties de subir un préjudice[6]. Pour certaines questions, notamment l’admissibilité des confessions, la tenue d’un voir-dire sera considérée à juste titre comme une règle de pratique, mais celle-ci n’est pas absolue[7]. La possibilité pour une partie de demander la tenue d’un voir-dire peut être assortie de certaines exigences procédurales, comme celle de transmettre un avis, mais le pouvoir de déterminer si une question préliminaire sera tranchée en l’absence du juge des faits appartient au juge. Ce pouvoir comprend le pouvoir discrétionnaire de rejeter une requête manifestement frivole[8]. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire relève souvent de la gestion de l’instance et s’applique à toute question préliminaire, d’ordre constitutionnel ou autre, sauf si celle-ci doit être entendue en l’absence du juge des faits[9]. Le refus de tenir un voir-dire correspond en fait à une conclusion portant que l’essence de la question préliminaire est sans fondement.

Le fardeau qui incombe à un accusé qui se pourvoit en appel en alléguant l’assistance inadéquate de l’avocat qui le représentait en première instance

Lajoie c. R., 2021 QCCA 1631 

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[11]      Dans André c. R.[5], la Cour décrit le fardeau qui incombe à un accusé qui se pourvoit en appel en alléguant l’assistance inadéquate de l’avocat qui le représentait en première instance. La partie qui invoque un tel moyen doit faire la preuve prépondérante des gestes qu’elle reproche à son avocat. Il lui faut ensuite établir que ces gestes se situent à l’extérieur du vaste éventail de la représentation adéquate. Enfin, il est nécessaire de démontrer que cette assistance inadéquate a été source d’une erreur judiciaire, soit parce qu’elle a eu pour effet de compromettre l’équité du procès ou soit parce que, sans cette assistance inadéquate, il existe une possibilité raisonnable[6] que le verdict aurait été différent.

[12]      L’erreur judiciaire peut résulter de l’omission de l’avocat de consulter son client à propos de la stratégie de défense et la manière de la mettre en œuvre. L’avocat doit se préparer adéquatement pour le procès et étudier le dossier de l’accusé avec ce dernier afin de déterminer les défenses qui peuvent être soulevées. Le défaut de faire cet exercice peut entacher la fiabilité du verdict[7] ou l’équité du procès[8]. Il est certes préférable que l’avocat rencontre son client autrement que brièvement au palais de justice avant l’audience[9], mais l’essentiel demeure que l’avocat se prépare adéquatement au procès et qu’il s’assure de recueillir les instructions et la version des faits de son client.

[23]      Les commentaires suivants du juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. Archer[12] peuvent trouver application en l’espèce, avec les adaptations qui s’imposent :

[138]  The appellant claims that he wanted to testify all along and believed that he would testify until trial counsel told him part way through the defence that he would not testify. The appellant blames any shortcomings in his testimony during the pre-trial motion and the mock cross-examination on trial counsel’s failure to adequately prepare him.

[139]  While counsel owes an obligation to advise his client as to whether he or she should testify, the ultimate determination must be made by the clientG.B.D.supra, at p. 300; M. Proulx & D. Layton, Ethics and Canadian Criminal Law (Toronto: Irwin Law, 2001) at pp. 114-30. If the appellant can show that it was trial counsel and not the appellant who decided that the appellant would not testify, and that the appellant would have testified had he understood that it was his decision, it seems to me that it must be accepted that his testimony could have affected the result, thereby establishing that a miscarriage of justice occurred: see R. v. Moore (2002), 2002 SKCA 30 (CanLII), 163 C.C.C. (3d) 343 at 371 (Sask. C.A.). The crucial question becomes – who made the decision?

[140]  The appellant bears the onus of demonstrating that trial counsel and not the appellant decided that the appellant would not testify. In determining whether the appellant has met that onus, I bear in mind the strong presumption of competence in favour of counsel. Counsel was an experienced criminal lawyer with over twenty years in practice.

[141  The appellant also has a very strong motive to fabricate the claim that he was denied the right to decide whether to testify. The appellant is no longer presumed innocent. He makes his allegation against trial counsel as a convicted felon facing a lengthy penitentiary term. No doubt, the appellant understands that if he can convince the court that his own lawyer denied him the opportunity to testify, he will receive a new trial. Common sense dictates a cautious approach to allegations against trial lawyers made by convicted persons who are seeking to avoid lengthy jail terms. It must also be recognized that the confidential nature of the relationship between a lawyer and his client can make it easy for the client to make all kinds of unfounded allegations against his former lawyer.

[142]  Furthermore, and apart entirely from the possibility that the appellant has fabricated these allegations, it is not uncommon that a person who has been convicted after having received strong advice from his counsel that he should not testify comes to believe, while awaiting his appeal, that counsel’s strong advice was in fact a decision by counsel that the client should not testify. Looking backwards through the bars of a jail cell is not the most reliable of vantage points from which to see events that culminated in the conviction.[13]

[Soulignements ajoutés]

[24]      Lorsque l’on conjugue ces éléments au fait que l’appelant n’a jamais manifesté son désaccord quant au choix de ne pas présenter de défense et qu’il a même, en plus, mandaté le mis en cause afin d’interjeter appel du jugement et recommandé ses services à un tiers après la conclusion du procès, on ne peut pas conclure que l’appelant a établi qu’il a été empêché, contre son gré, de témoigner ou qu’il était autrement en désaccord avec le déroulement de sa défense.

[25]      À l’inverse, la version des faits du mis en cause concernant l’établissement de la stratégie de défense et, plus particulièrement, la possibilité que l’appelant témoigne est vraisemblable. Même si la déclaration du mis en cause comporte des lacunes qui affectent sa crédibilité sur certains points, l’essentiel de sa déclaration au sujet de la conduite de la défense de l’appelant est crédible. On peut concevoir que le mis en cause ait conseillé à l’appelant de ne pas témoigner et que ce dernier se soit rallié à ses conseils. En effet, comme le note le mis en cause, l’appelant admettait l’essentiel des faits ayant justifié le dépôt des accusations le visant, de sorte que son témoignage aurait pu le présenter sous un jour peu favorable et pouvait ne pas constituer une défense valable face aux accusations. Il a donc paru préférable de se limiter au contre-interrogatoire des témoins du ministère public, et ce, dans le but de tenter de soulever un doute raisonnable quant aux raisons pour lesquelles l’appelant a cherché des informations dans le CRPQ et quant à la nature de la substance qu’il avait offerte à deux personnes.

[26]      L’appel soulève donc surtout des enjeux de crédibilité. Le fait que la jurisprudence place le fardeau de démontrer l’assistance inadéquate sur les épaules de celui qui l’allègue prend alors toute son importance. Comme l’écrit le juge Doyon, « il est facile de prétendre qu'il y avait mésentente avec l'avocat, qu'il était fermé aux désirs de l'accusée, et que le lien de confiance était rompu. Il est plus difficile de le démontrer […] »[14].

[27]      La lecture de la preuve soumise par les parties n’établit pas le nombre exact de rencontres qui ont eu lieu entre l’appelant et le mis en cause ni la teneur précise de leurs discussions. Il en ressort cependant que le mis en cause s’est préparé afin de défendre l’appelant et qu’il l’a rencontré au moins à quelques reprises, de sorte que l’on ne peut pas conclure que l’appelant a fait la démonstration prépondérante que le mis en cause n’a jamais discuté du dossier avec lui et ne l’a pas conseillé de manière raisonnablement diligente dans sa défense, y compris en ce qui a trait à l’opportunité de témoigner.

[28]      Les autres aspects sur lesquels l’appelant s’appuie pour tenter de démontrer que le mis en cause n’était pas suffisamment préparé à le représenter ne permettent pas de conclure que l’équité du procès a été compromise. À cet égard, les quelques maladresses soulignées par l’appelant dans les contre-interrogatoires des témoins du ministère public ou la plaidoirie du mis en cause sont nettement insuffisantes pour conclure que la préparation de ce dernier était lacunaire au point de résulter en une assistance ou représentation inadéquate. Quant aux admissions faites en début de procès, elles étaient bien fondées et conformes à la version des faits de l’appelant. Enfin, vu la réaction de ce dernier devant une offre de règlement du ministère public, il n’est pas possible de conclure à une négligence dommageable de la part du mis en cause. La seule lecture des messages échangés par le mis en cause et l’appelant permet de comprendre que ce dernier n’envisageait pas de plaider coupable aux accusations, de crainte de compromettre irrémédiablement la poursuite de sa carrière dans les forces policières.

[32]      En conclusion, l’appelant n’a pas établi, selon la norme de la prépondérance, que le mis en cause a fait défaut de le consulter, de le conseiller quant à la conduite de sa défense et de se préparer adéquatement en vue du procès de manière que l’équité de ce dernier a été compromise. La crédibilité de l’appelant sur cet aspect précis du dossier est affaiblie par la lecture conjointe des notes sténographiques du procès et de l’interrogatoire du mis en cause, qui révèlent que celui-ci avait rencontré l’appelant, pris connaissance de sa version des faits et élaboré une stratégie de défense.

Les principes qui doivent guider une Cour d'appel dans son évaluation des principes qui doivent guider cette évaluation

Bossé c. R., 2021 QCCA 1829

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[16]      Il est bien établi qu’une cour d’appel évalue le verdict d’un juge siégeant seul à la lumière des motifs de son jugemles principes qui doivent guider cette évaluationent[2]. Dans l’arrêt Richard[3], la Cour rappelle les principes qui doivent guider cette évaluation :

[25]        Il y a lieu de retenir des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. SinclairR. c. R. (P.) et R. c. W. (H.), les enseignements suivants :

1.         Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;

2.         Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;

3.         Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;

4.         Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;

5.         La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier. Il doit plutôt examiner et analyser la preuve et se demander, à la lumière de son expérience, si l’appréciation judiciaire des faits exclut la déclaration de culpabilité.

[26]        Dans l’arrêt unanime Pardi c. R., notre collègue, Yves-Marie Morissette, écrivait relativement aux paramètres d’intervention d’une cour d’appel lorsque le moyen d’appel est celui du verdict déraisonnable :

[28]      À cette étape, je résume ce qui précède afin de bien situer dans leur cadre les questions à résoudre. Un verdict déraisonnable ou qui ne peut s’appuyer sur la preuve est réformable en appel, et la question de savoir s’il peut être qualifié de tel en est une de droit. Il sera ainsi qualifié s’il s’agit d’un verdict qu’un jury qui aurait reçu les directives appropriées et aurait agi de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement rendre. Dans le cas d’un verdict prononcé par un juge seul, une cour d’appel peut tenir compte des motifs exprimés par le juge pour statuer sur le caractère raisonnable de son verdict, ce qui accroît quelque peu la portée de l’examen à effectuer. Ainsi, une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict, mais qui est clairement contredite par la preuve à son appui, ou dont on démontre l’incompatibilité avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge, autorise une cour d’appel à casser le verdict qu’elle sous-tend au motif qu’il est déraisonnable. Cela ne va pas jusqu’à permettre aux juges d’une cour d’appel de considérer qu’ils ont « le droit d’avoir une perception subjective de la preuve et [le droit] de se demander s’ils sont convaincus du caractère inattaquable du verdict ». Un doute persistant peut justifier un examen plus approfondi de la preuve pour déterminer si, en effet, le verdict est déraisonnable selon la norme que je viens de rappeler. Cela vaut pour le verdict d’un jury comme pour celui d’un juge siégeant seul mais examiné dans ce second cas à la lumière des motifs prononcés par le juge. En tout état de cause, cependant, une cour d’appel n’apporte rien de particulier à l’évaluation de la preuve lorsque le juge expose des motifs de jugement détaillés.

[Références omises]

[17]      En ce qui concerne le fardeau de preuve, seuls les éléments constitutifs de l’infraction doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable[4]. Il n’y a pas lieu d’appliquer un fardeau hors de tout doute raisonnable à chaque élément de preuve et créer par ce fait « un processus en deux étapes »[5]. Le juge des faits peut tirer des inférences factuelles non constitutives de l’infraction, sur la balance des probabilités[6]. La Cour d’appel n’interviendra que si ces inférences « ne [peuvent] pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve »[7].

[18]      Par la suite, le juge doit être convaincu que l’ensemble des éléments de preuve mène à une conviction hors de tout doute raisonnable. Dans le cas d’une preuve circonstancielle, dans Villaroman[8], la Cour suprême précise que le juge doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la seule conclusion rationnelle ou « raisonnable » pouvant être tirée de l’ensemble de la preuve circonstancielle est la culpabilité de l’accusé.

[19]      Dans ce contexte, le ministère public n’a pas à « réfuter toutes les hypothèses, si irrationnelles et fantaisistes qu’elles soient, qui pourraient être compatibles avec  l’innocence de l’accusé »[9]. Les auteurs Vauclair et Desjardins qualifient l’hypothèse pouvant amener à un doute raisonnable sur l’innocence de l’accusé en ces termes[10] :

34.48. […] Les autres inférences susceptibles d’être envisagées doivent être raisonnables, non pas seulement possibles. Une « autre thèse plausible » ou une « autre possibilité raisonnable » doit être basée sur l’application de la logique et de l’expérience à la preuve ou à l’absence de preuve, et non sur des conjectures. Ceci rejoint du même souffle la norme du doute raisonnable. […]

[Références omises; soulignement ajouté]

La motivation de la décision du juge d'instance (ou l'insuffisance des motifs, selon le cas) quant à l'évaluation de la crédibilité, vu de la perspective d'un Tribunal d'appel

R. c. Comtois, 2024 QCCA 300

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[19]      Il convient tout d’abord de souligner que c’est uniquement sur une question de droit que la poursuite peut porter en appel un verdict d’acquittement[3]. Précisément dans le contexte de la motivation suffisante pour soutenir un acquittement, la Cour suprême le rappelle sous la plume du juge Binnie dans R. c. Walker[4] :

[21] Le ministère public soutient en l’espèce que les lacunes apparentes des motifs du juge du procès compromettent l’exercice du droit d’appel que lui confère la loi. Or, cet argument doit être apprécié en fonction de son droit limité d’interjeter appel d’un acquittement (« une question de droit seulement » (al. 676(1)aC. cr.)) par opposition au droit d’appel général accordé par le législateur à l’accusé qui a été reconnu coupable. En particulier, le ministère public n’a aucun droit d’interjeter appel de ce qu’il estime être « acquittement déraisonnable » : R. c. Kent1994 CanLII 62 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 133; R. c. Morin1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, et R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, par. 33.

[20]      C’est donc à l’intérieur de ce corridor très étroit que les deux moyens d’appel proposés devront être analysés.

[21]      Par ailleurs, les motifs doivent faire l’objet d’une analyse fonctionnelle et contextuelle[5]. Ils doivent permettre de comprendre le « résultat » et le « pourquoi »[6]. En somme, la partie « qui n’a pas gain de cause [doit] savoir pourquoi elle a perdu »[7]L’omission de donner des motifs constitue une erreur de droit[8]. Elle peut être soulevée tant par l’accusé que par le poursuivant[9].

[22]      La suffisance des motifs répond à un « critère très peu exigeant »[10]. Pour reprendre les mots de la juge Karakatsanis dans R. c. Chung[11], « [o]n ne peut s’attendre à ce que des juges de première instance occupés rédigent des motifs parfaits ». On dira que l’obligation de motiver est satisfaite « lorsque, compte tenu des circonstances de l’espèce [l]a décision [du juge] est raisonnablement intelligible pour les parties et fournit matière à un examen valable en appel de la justesse de la décision de première instance »[12].

[23]      La juridiction d’appel ne doit pas « décortiquer avec finesse les motifs du juge du procès à la recherche d’une erreur »[13]. Il lui faut plutôt « les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès, en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs »[14]. Si le « résultat » et le « pourquoi » ressortent du dossier, il n’y aura pas d’erreur bien que les motifs n’expliquent ni l’un ni l’autre[15].

[24]      Une motivation lacunaire n’est pas, en elle-même, un moyen d’appel indépendant[16]. Encore faut-il que les lacunes dont souffrent les motifs « [aient] causé [à l’appelant] un préjudice dans l’exercice [de son] droit d’appel »[17]. Autrement dit, « [u]n appel fondé sur l’insuffisance des motifs ne sera accueilli que si les lacunes des motifs exprimés par le juge du procès font obstacle à un examen valable en appel »[18].

[25]      L’argument de l’insuffisance des motifs ne saurait non plus « servir de moyen d’appel fourretout utilisé pour masquer ce qui constitue en fait un désaccord entre le juge du procès et les juges […] de la Cour d’appel sur une question que le droit confie à l’appréciation du tribunal de première instance »[19].

[26]      L’évaluation de la crédibilité revient au juge du procès et non à un tribunal d’appel[20]. Elle mérite une grande déférence, sauf erreur manifeste et déterminante[21]. Une juridiction d’appel « ne peut intervenir simplement parce qu’elle diffère d’opinion »[22]. Dans R. c. Dinardo[23], la Cour suprême écrit, sous la plume de la juge Charron :

Dans un litige dont l’issue est en grande partie liée à la crédibilité, on tiendra compte de la déférence due aux conclusions sur la crédibilité tirées par le juge de première instance pour déterminer s’il a suffisamment motivé sa décision. Les lacunes dans l’analyse de la crédibilité effectuée par le juge du procès, tel qu’il l’expose dans ses motifs, ne justifieront que rarement l’intervention de la cour d’appel. Néanmoins, le défaut d’expliquer adéquatement comment il a résolu les questions de crédibilité peut constituer une erreur justifiant l’annulation de la décision (voir R. c. Braich, [2002] 1 R.C.S. 903, 2002 CSC 27, par. 23).

[27]      Par ailleurs, pour démontrer que la décision du juge d’instance de retenir une version plutôt qu’une autre est déraisonnable, l’appelant doit démontrer qu’il a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’analyse des faits[24].

Il est accepté depuis longtemps que des gestes accomplis par l’accusé après un crime — par exemple la fuite, la destruction d’éléments de preuve ou l’invention de mensonges — peuvent, dans certaines circonstances, constituer une preuve circonstancielle de sa culpabilité

R. c. White, 2011 CSC 13

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[17]                          Il est accepté depuis longtemps que des gestes accomplis par l’accusé après un crime — par exemple la fuite, la destruction d’éléments de preuve ou l’invention de mensonges — peuvent, dans certaines circonstances, constituer une preuve circonstancielle de sa culpabilité.  Au cours des dernières années, cependant, la terminologie employée pour désigner ce type de preuve s’est quelque peu modifiée.

[18]                          Cette preuve a déjà été décrite comme la preuve de la « conscience de culpabilité ».  La juge Weiler a ainsi expliqué quelle en était la valeur probante, dans R. c. Peavoy (1997), 1997 CanLII 3028 (ON CA)34 O.R. (3d) 620 (C.A.), à la p. 629 :

                                    [traduction] La preuve relative au comportement après le fait est admise d’ordinaire pour établir que l’accusé a agi d’une manière jugée compatible, selon l’expérience humaine et la logique, avec le comportement d’une personne coupable et non avec celle d’une personne innocente.

On a employé l’expression « conscience de culpabilité » pour décrire un tel comportement parce qu’il servait d’appui à l’inférence que l’intéressé se croyait coupable du crime dont il était accusé.  Il peut arriver que la culpabilité de l’accusé soit l’explication la plus plausible de certains aspects de son comportement après le fait.  Par exemple, lorsqu’une personne avoue avoir commis un acte ayant causé la mort, la preuve qu’elle a caché l’arme ou qu’elle s’est enfuie peut fonder (mais ne fonde pas nécessairement) la conclusion qu’il y a eu homicide coupable (par opposition à l’homicide non coupable) (Peavoy, p. 630).  Un tel comportement « après le fait » est donc admissible à titre de preuve circonstancielle.

[19]                          Dans White (1998), toutefois, notre Cour a cessé d’avoir recours à l’expression « conscience de culpabilité » pour décrire la preuve d’un comportement après le fait, estimant qu’elle était trop étroite et quelque peu trompeuse.  Le comportement après le fait peut en réalité avoir de multiples usages et son utilité ne se limite pas à étayer la conclusion que l’accusé avait une « intention coupable ».  Voici ce qu’a affirmé le juge Major au nom de notre Cour, au par. 20 :

                    La « conscience de culpabilité » est simplement une conclusion qui peut être tirée à partir de la preuve relative au comportement de l’accusé; il ne s’agit pas en soi d’une catégorie de preuve particulière.  En outre, les termes « conscience de culpabilité » évoquent, à l’égard du comportement en cause, une conclusion qui va à l’encontre de la présomption d’innocence et qui peut nuire à l’accusé dans l’esprit des jurés.

Le juge Major a en outre proposé un terme plus neutre, comme « comportement postérieur à l’infraction », pour désigner cette catégorie générale de preuve.  On éviterait ainsi deux écueils, soit le confinement de la pertinence de ce type de comportement à l’état d’esprit de l’accusé et l’affaiblissement de la présomption d’innocence.

[20]                          Comme l’a souligné la juge Ryan, ce changement terminologique a peut-être engendré des difficultés conceptuelles jusque-là inconnues, car la preuve de la « conscience de culpabilité » renvoie à une catégorie relativement étroite d’actes, consistant habituellement à tenter de ne pas être découvert ou poursuivi, qui peuvent fonder, à eux seuls, une conclusion de culpabilité (motifs de la C.A., par. 128-129).  Autrement dit, la preuve qu’une personne se considère coupable d’un crime peut étayer la conclusion qu’elle est coupable de ce crime.  Une jurisprudence s’est développée quant aux avertissements et aux directives restrictives qui doivent être donnés au jury à l’égard de cette catégorie de preuve relativement étroite.

[21]                          La catégorie de la preuve du « comportement postérieur à l’infraction » est beaucoup plus large puisqu’elle se rapporte à tout ce qu’a fait l’accusé après l’infraction.  Ce changement de terminologie a donc pu amener des juges du procès à croire que toute preuve relative aux faits et gestes de l’accusé après l’infraction nécessite une mise en garde particulière ou des directives restrictives (voir motifs de la C.A., par. 129, la juge Ryan).  Or, ce n’est pas le cas.

[22]                          Le principe selon lequel le comportement après le fait peut constituer une preuve circonstancielle de culpabilité est toujours valable.  Fondamentalement, l’admissibilité d’une telle preuve est simplement fonction de sa pertinence (White (1998), par. 23).  Pour reprendre les propos du juge Major dans White (1998), « [l]a preuve relative au comportement postérieur à l’infraction ne diffère pas fondamentalement des autres types de preuve circonstancielle.  Dans certains cas, elle peut être très incriminante, et dans d’autres, elle peut ne jouer qu’un rôle secondaire de corroboration » (par. 21).  Comme pour tous les autres éléments de preuve, la pertinence et la valeur probante du comportement postérieur à l’infraction s’apprécient au cas par cas (par. 26).  Par conséquent, la formulation de directives restrictives concernant la catégorie générale du comportement postérieur à l’infraction obéit aux mêmes principes que dans le cas de tout autre élément de preuve circonstancielle.  Ainsi, bien que l’expression « conscience de culpabilité » ne soit plus usitée, la poursuite peut encore présenter une preuve de comportement après le fait pour étayer la conclusion que l’accusé a agi comme une personne qui serait coupable de l’infraction reprochée — pourvu qu’il puisse être démontré que cette preuve, comme tout élément de preuve circonstancielle, est pertinente à l’égard de cette conclusion.

[23]                          Cela dit, bien que la jurisprudence en matière criminelle atteste depuis longtemps l’utilisation de la preuve du comportement postérieur à l’infraction, elle reconnaît aussi depuis longtemps que la production de cette preuve aux fins d’établir la « conscience de culpabilité » de l’accusé comporte un important risque d’erreur de la part du jury (Gudmondson c. The King (1933), 1933 CanLII 415 (SCC)60 C.C.C. 332 (C.S.C.)).  Les jurés peuvent être tentés de « conclu[re] trop rapidement, à partir de la preuve relative au comportement postérieur à l’infraction, que l’accusé est coupable » (White (1998), par. 57), sans se demander, comme il se doit, si le comportement en question n’a pas d’autres explications.

[24]                          Dans la plupart des cas,

                    le meilleur moyen dont dispose le juge du procès pour écarter ce danger est tout simplement de s’assurer que le jury sait que d’autres raisons sont susceptibles d’expliquer les actes de l’accusé et qu’il ne doit tirer sa conclusion finale quant à la signification du comportement de l’accusé qu’après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve dans le cadre du déroulement normal de ses délibérations.  Sous réserve de telles directives de prudence, il appartient aux membres du jury de tirer, en dernière analyse, les conclusions de leur choix à partir de la preuve présentée.  [Je souligne; White (1998), par. 57.]

[25]                          Le risque d’erreur de la part du jury est particulièrement élevé lorsque l’accusé a avoué une conduite criminelle connexe au crime dont il est accusé.  La preuve du comportement postérieur à l’infraction visant à étayer une conclusion de « conscience de culpabilité » peut alors n’être que peu, sinon aucunement utile pour établir le degré de culpabilité de l’accusé.

[26]                          C’est ce qui s’est produit dans Arcangioli.  M. Arcangioli était accusé d’avoir poignardé quelqu’un au cours d’une bagarre où plusieurs personnes avaient agressé une seule victime.  M. Arcangioli avait été vu en train de fuir les lieux après que la victime eut été poignardée, et le ministère public a voulu utiliser cette fuite comme preuve circonstancielle de la « conscience de culpabilité » de l’accusé.  Le juge du procès avait indiqué au jury qu’une telle inférence était effectivement possible et le jury a déclaré M. Arcangioli coupable.  La Cour d’appel de l’Ontario, à la majorité, a confirmé le verdict de culpabilité.

[27]                          Notre Cour a toutefois estimé que le jury avait reçu des directives incorrectes et elle a ordonné un nouveau procès.  L’accusé avait reconnu avoir été du nombre des assaillants et avoir asséné plusieurs coups de poing à la victime, ce qui le rendait coupable de voies de fait simples.  Il avait également déclaré s’être enfui après avoir vu une autre personne poignarder la victime, sous le coup de la panique qui s’est emparée de lui parce qu’il avait déjà commis un crime.  La Cour a jugé que, même si la fuite de M. Arcangioli établissait sa « conscience de culpabilité », il pouvait tout autant s’agir de sa culpabilité pour voies de faits simples que de sa culpabilité pour voies de fait graves (c.-à-d. le coup de couteau).  La preuve de sa fuite n’avait donc aucune valeur probante pour ce qui était d’établir quelle infraction il avait commise, et la juge du procès aurait dû indiquer au jury que cette preuve ne pouvait fonder aucune conclusion quant à son degré de culpabilité.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il n’existe aucune règle générale obligeant le tribunal à tenir un voir-dire chaque fois qu’une partie soulève une question exigeant que le juge du droit examine des faits préliminaires en l’absence du juge des faits afin de trancher une question de procédure ou de preuve se rapportant aux faits en litige

Carignan c. R., 2024 QCCA 86  Lien vers la décision [ 9 ]           Il n’existe aucune règle générale obligeant le tribunal à tenir un voir-...