Rechercher sur ce blogue

Aucun message portant le libellé Preuve pénale / Procédure pénale. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Preuve pénale / Procédure pénale. Afficher tous les messages

mardi 17 juin 2025

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557

Lien vers la décision


[16]        Plus récemment, dans l’affaire Hunt, il a été réitéré que les délais préinculpatoires peuvent être considérés sous l’article 7 de la Charte, mais pas sous l’article 11b)[4].

[17]        Il existe des exceptions à cette règle. Dans la décision R. v. Milani, la Cour d’appel de l’Ontario revient sur plusieurs jugements où la question des délais préinculpatoires et l’application de l’article 11b) est au cœur du débat[5]. La Cour conclut que les délais préinculpatoires ne doivent pas faire partie de l’analyse sous cet article de la Charte, mais elle ajoute[6] :

[48]      There is a caveat however. There are circumstances in which unilateral state action may control whether or not charges are withdrawn or relaid. In such circumstances, where the formal charge has been withdrawn with the intention of laying a new charge, or an information has been quashed with a new information laid, it makes sense to consider the entire period from when the first charges were laid as part of the s. 11(b) analysis. In such circumstances, the person, although not formally charged during the “gap” period, remains subject to the judicial process, and his s. 11(b) interests will continue to be affected by the knowledge or expectation that further charges are imminent. It is reasonable to conclude that he remains subject to the process of the court. That is precisely what occurred in R. v. Antoine.

[49]      For all of these reasons, I would interpret s. 11(b) as being engaged during any period that an accused person is in fact subject to charges, or when a person no longer actively charged remains subject to the very real prospect of new charges.

[18]        Ainsi, dans de rares cas, il est possible que le délai calculé selon 11b) de la Charte commence à courir à partir de la première dénonciation comme, par exemple, dans l’affaire R. v. Antoine où une seconde dénonciation a été déposée six jours après la première puisque celle-ci comportait une erreur de nature technique[7]. Dans les cas où la deuxième dénonciation pourrait être assimilée à la première, cependant, il faut que même si l’accusé ait été libéré, il sache qu’il est toujours sous enquête et sujet à ce qu’une nouvelle dénonciation soit déposée. Ce n’était pas le cas ici, et les délais entre les deux dénonciations ne sauraient être considérés comme des délais imputables à la poursuite.

L'implication générale d'un individu avec la criminalité organisée n'est pas une assise permettant aux policiers de le détenir à des fins d'enquête, vu qu'il n'est soupçonné d'un crime précis

R v Sabiston, 2023 SKCA 105

Lien vers la décision


[39]           Here, the officers testified only to a general involvement of Mr. Sabiston with gang criminality. They did not articulate any other suspected offence or criminal behaviour, upon which to particularize their suspicion. The only offence tethered to Cst. Ethier’s subjective belief was possession of stolen property. While I acknowledge that the standard of reasonable suspicion deals with possibilities, rather than probabilities of a crime being committed (Chehil at para 27), a sufficient nexus is still required between a reasonable suspicion and a “particular crime” (Mann at paras 34 and 45). There is no such nexus here. The fact that Mr. Sabiston was on a weapons prohibition and a gang member does not reasonably tie Cst. Ethier’s subjective belief to a stolen property offence. The officers did not testify to having knowledge of Mr. Sabiston’s criminal record, beyond an awareness that he was on a weapons prohibition. They did not give evidence that Mr. Sabiston had a history of property or theft related criminality. There was no report on the date in question that he was involved in such criminality.

La mise en œuvre du droit à l’avocat & la renonciation au droit à une conversation confidentielle avec un avocat en échange du droit d’utiliser un cellulaire sur les lieux mêmes de l’arrestation

Freddi c. R., 2021 QCCA 249

Lien vers la décision


[40]      Je réitère la règle plus amplement décrite dans Tremblay, arrêt auquel il faut se référer : les policiers ne sont pas obligés de laisser la personne détenue appeler son avocat, sur place, à l’aide d’un cellulaire. Ils doivent néanmoins tenir compte de cette possibilité en déterminant quand sera la première occasion raisonnable pour permettre au détenu d’avoir accès à un avocat. Leur devoir consiste à considérer l’ensemble des circonstances pour prendre leur décision, et des motifs purement théoriques, sans lien avec l’affaire, ne peuvent suffire. Or, c’est manifestement ce que la juge de la Cour du Québec a conclu.

[41]      Dans Tremblay, j’écrivais, pour résumer la situation :

[78]      J’insiste : le problème ici n'est pas d'avoir refusé de laisser l’intimée téléphoner à son avocat avec son cellulaire. Le problème consiste à ne pas avoir même considéré cette possibilité alors que cela était la responsabilité des deux policiers. Et pourquoi n’ont-ils pas considéré cette possibilité? En raison de l'absence de directive le leur permettant. Voilà où entre en jeu la responsabilité du système, qui induit une conduite systémique, évidemment susceptible de se répéter, ce qui aggrave la situation. Tout cela, vingt ans après les arrêts Clarkson [1986 CanLII 61 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 383] et Manninem [1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233], cinq ans après Archambault [2012 QCCA 20] qui exige des circonstances exceptionnelles pour retarder l’accès à l’avocat, cinq ans après le premier d’une série de jugements de la Cour du Québec qui reprochent aux policiers de ne pas avoir laissé la personne détenue utiliser son cellulaire et trois ans après Taylor qui rappelle que le devoir de faciliter l’accès à un avocat prend naissance immédiatement après que le détenu a demandé à lui parler, ce qui signifie à la première occasion raisonnable. Autrement dit, les policiers n’ont pas rempli leur devoir, bien connu, et ce, non pas en respectant une directive, mais en refusant de le faire en raison de l'absence de directive. Cette situation ne peut être tolérée.

[42]      Ces mots s’appliquent, avec les adaptations de circonstances quant aux années, si ce n’est le fait qu’ici, il y a non pas absence de directive, mais bien, selon le policier, une directive selon laquelle c’est au poste de police que l’appel téléphonique doit être fait. Cela démontre l’existence d’une conduite systémique qui consiste à ne pas tenir compte de l’ensemble des circonstances, contrairement aux obligations des policiers et contrairement à R. c. Taylor, précité, paragr. 31 à 33. Il faut des circonstances importantes ou exceptionnelles pour retarder l’accès à l’avocat : R. c. Archambault, précité, paragr. 36, et R. v. La2018 ONCA 830, paragr. 39. Par ailleurs, c’est le fardeau de la poursuite, non celui de l’accusé, de démontrer que le délai était raisonnable. Ce caractère raisonnable du délai constitue une question de fait : Taylor, paragr. 24.

[43]      Ce fardeau de la poursuite exige une démonstration factuelle, au cas par cas, comme en convient l’intimée, et non des hypothèses ou une règle immuable de la nature d’une directive.

[44]      La juge de la Cour du Québec a conclu, selon les circonstances, que la première occasion raisonnable s’est matérialisée sur les lieux mêmes de l’interception, après l’arrestation qui a suivi le résultat du prélèvement à l’aide de l’ADA. Or, on sait qu’il a fallu 1 h 17 min pour que l’appelante ait finalement accès à un avocat au poste de police. Il ne s’agissait donc pas de la première occasion raisonnable, puisque les explications des policiers pour attendre l’arrivée au poste de police ont été écartées par la juge.

[45]      Pour me répéter, je conviens que la présence d’un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l’utilisation. Cette technologie ne répond pas dans tous les cas à la question de savoir quand survient la « première occasion raisonnable ». Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question.

[46]      En ce qui a trait à l’arrêt R. c. Piazza, précité, dont fait état la juge de la Cour supérieure et sur lequel insiste l’intimée, voici ce que j’écrivais dans Tremblay pour expliquer pourquoi cet arrêt ne nous est pas utile en pareilles circonstances :

[57]      L’appelante renvoie à R. c. Piazza2018 QCCA 948, pour soutenir son argument sur les difficultés, sinon l’impossibilité, de permettre l’utilisation d’un cellulaire « au bord de la route ». Deux remarques s’imposent.

[58]      D’une part, cet arrêt porte sur la période précédant l’utilisation de l’ADA, de sorte que le droit à l’assistance d’un avocat est alors suspendu en raison d’une règle de droit (l’article 254(2) C.cr. de l’époque), qui précise que l’échantillon d’haleine doit être fourni « immédiatement ». L’alinéa 10 b) de la Charte ne s’appliquait donc pas. Comme l’écrivait d’ailleurs mon collègue le juge Vauclair, au paragr. 112 de Piazza, à propos de l’accès à un avocat : « J’estime qu’il s’agit d’un faux problème, car le droit est suspendu […] » dans de telles circonstances. L’on ne peut donc prétendre que cet arrêt peut nous être utile ici lorsque mon collègue fait état des difficultés d’utilisation d’un cellulaire au moment d’une arrestation.

[59]      D’autre part, si mon collègue y énonce, aux paragr. 113 et 114, une série de difficultés qui sont susceptibles de rendre illusoire la possibilité de consulter un avocat sur les lieux à l’aide d’un cellulaire, il le fait dans le cadre du délai d’attente précédant l’utilisation de l’ADA et pour répondre à la proposition voulant que cette consultation devienne nécessaire pour autoriser cette utilisation. Il ne se prononce pas sur la période qui suit la prise de l’échantillon avec l’ADA, puisque ce n’était pas l’objet de cet arrêt.

[47]      L’intimée concède qu’il faut « évaluer au cas par cas une multitude d’enjeux ou de difficultés pouvant survenir en lien avec la mise en œuvre du droit à l’assistance d’un avocat en bordure de route […] ». Ainsi, écrit-elle, la conclusion pourrait être différente « d’un prévenu à l’autre en fonction de la possession d’un téléphone cellulaire fonctionnel, de leur comportement, leurs antécédents judiciaires, des conditions météorologiques, de l’état des routes, de la présence ou non d’une cloison séparatrice dans le véhicule patrouille, du fait qu’ils peuvent avoir rapidement accès ou non à un avocat, etc. ». Je suis d’accord.

[48]      Pourtant, l’essence de son argumentation démontre qu’elle refuse de tenir compte de l’ensemble des circonstances. Ainsi, au paragr. 23 de son exposé, elle rejette l’idée de considérer le comportement de l’appelante; au paragr. 63, elle conteste la possibilité que les conditions météorologiques puissent être prises en compte; et, au paragr. 25, elle plaide que le policier ne peut jamais s’éloigner du véhicule de police. Ce faisant, elle se refuse à tenir compte de l’ensemble des circonstances, contrairement à la règle.

[49]      En ce qui a trait à la renonciation au droit à une conversation confidentielle avec un avocat en échange du droit d’utiliser un cellulaire sur les lieux mêmes de l’arrestation, l’intimée estime qu’elle ne peut se réaliser légalement vu « l’importance fondamentale de la confidentialité de l’appel à l’avocat », en tenant compte de l’état d’une personne arrêtée pour conduite avec capacité affaiblie. Je ne retiens pas cet argument. Un détenu peut légalement renoncer à son droit à l’avocat. Pourquoi ne pourrait-il pas y renoncer partiellement? L’absence de confidentialité ne justifie pas nécessairement un refus : R. v. Fan2017 BCCA 99, paragr. 55. De toute façon, les conclusions factuelles de la juge de la Cour du Québec l’ont amenée à rejeter la prétention des policiers selon laquelle l’appel ne pouvait être confidentiel.

[50]      L’intimée est également d’avis que la juge de la Cour du Québec a erré en retenant que les mots « sans délai » de l’al. 10 b) signifient « immédiatement ». Ce n’est pas le cas, comme on l’a vu précédemment. La juge a évalué l’ensemble des circonstances en cherchant à répondre à la question de savoir si la preuve de la poursuite démontrait que l’accès à l’avocat avait été accordé à la première occasion raisonnable, ce qui signifie dès que cela est possible en pratique. En réalité, ce que lui reproche l’intimée, c’est d’avoir rejeté le témoignage du policier sur les raisons du délai. Il s’agit pourtant de questions de fait, domaine du juge du procès, à l’égard desquelles l’intimée ne fait pas de démonstration d’erreur.

[51]      Je suis d’avis, dans ces circonstances, que la juge de la Cour supérieure a erré en droit en intervenant comme elle l’a fait.

[52]      Il faut souligner que la juge de la Cour du Québec énonce parfaitement le droit, particulièrement lorsqu’elle rappelle que c’est à la poursuite de démontrer que « le délai entre le moment où un détenu exprime son intention d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat et le moment où ce droit prend effet » est raisonnable. Il en est de même lorsqu’elle précise que les policiers doivent « lui donner accès à un téléphone dès que cela est possible en pratique ». Elle mentionne aussi, à bon droit, que l’al. 10 b) « ne crée pas le droit d’utiliser un téléphone précis ». Bref, c’est une question de circonstances et c’est ce que la juge a fait : évaluer l’ensemble des circonstances pour déterminer si la poursuite avait démontré que le délai était raisonnable.

[53]      La juge de la Cour supérieure lui reproche d’avoir créé l’obligation de s’enquérir auprès du détenu sur la possession d’un cellulaire. Ce n’est pas le cas. Elle ne crée pas une telle obligation. Elle constate que la demande n’a pas été faite, c’est tout. Or, cela fait partie de circonstances à examiner, d’autant que, de nos jours, la possession d’un cellulaire est si commune que l’on se pose de moins en moins la question. C’est d’ailleurs ce que dit, en d’autres mots, la juge de la Cour du Québec au paragr. 75 de son jugement.

[54]      En fait, le jugement de la juge de la Cour supérieure démontre qu’elle commet elle-même l’erreur qu’elle reproche à la juge de la Cour du Québec soit : ne pas tenir compte de toutes les circonstances. Lorsqu’elle écrit, par exemple, que « [u]n appel fait à un avocat au bord de la route comporte, sans équivoque, plusieurs problèmes […] » ou encore que « [i]l est peu probable qu’un policier puisse assumer ou deviner quel sera le comportement d’un détenu sous l’effet de l’alcool », elle s’éloigne de la preuve et se fonde sur des hypothèses : la conduite attendue d’un policier. Or, ce n’est pas ce qui importe. La juge de la Cour du Québec a tiré des inférences factuelles qui méritaient déférence, en l’absence d’erreur révisable, et c’est sur la base de ces inférences qu’il fallait décider si le droit avait été enfreint.

[55]      La juge de la Cour supérieure renverse également le fardeau en écrivant ce qui suit : « Nulle part, il n’est en preuve qu’il n’y aurait eu aucun incident ou problème si l’Intimée était restée seule dans le véhicule auto-patrouille ». Je me répète : c’est à la poursuite de démontrer que le délai est raisonnable, pas à l’accusé de s’assurer que la preuve démontre que ce n’est pas le cas.

[56]      L’enseignement à tirer du jugement de la Cour supérieure est limpide : l’appel téléphonique en bordure de la route ne sera jamais une avenue raisonnable parce qu’il ne peut être confidentiel et mettra toujours en danger la sécurité du policier et celle des autres. Or, ce n’est pas l’état du droit.

[57]      Je reviens à Tremblay :

[41]      L’appelante écrit dans son exposé « que l’avènement et la multiplication des téléphones cellulaires n’amènent pas une nouvelle ère constitutionnelle qui ferait en sorte qu’un individu pourrait consulter l’avocat de son choix sur le bord de la route en attendant l’arrivée de la remorqueuse ». Si cela signifie que l’on ne peut décréter, dans tous les cas, que la personne doit être autorisée à ce faire, je suis d’accord. En revanche, si cela signifie qu’on ne peut jamais le faire, je suis en total désaccord. Tout est question de circonstances et je ne partage pas l’avis de l’appelante lorsqu’elle ajoute : « C’est ici l’essence du débat ». L’essence du débat ne consiste pas à décider si l’avènement du cellulaire modifie le droit et permet son utilisation. À mon avis, l’essence du débat consiste plutôt à déterminer ce dont les policiers doivent tenir compte pour décider s’ils autorisent ou pas son utilisation aux fins de consultation d’un avocat.

[…]

[53]      En somme, les hypothèses, les suppositions, telles celles évoquées par l’appelante (comme en a conclu le juge de la Cour du Québec), ne suffisent pas pour qu’elle se décharge de son fardeau qui consiste à prouver l’existence de véritables obstacles, comme une urgence, un danger, une règle de droit : R. c. Suberu2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460; R. c. Strachan1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980. Encore récemment, dans R. v. La2018 ONCA 830, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait qu’il faut une preuve factuelle de circonstances particulières pour justifier un délai, de simples suppositions ne pouvant suffire […]

[58]      En somme, vu les conclusions de fait de la juge de la Cour du Québec, la juge de la Cour supérieure ne pouvait infirmer sa décision comme elle l’a fait.

Lorsque la présence d’un délai pour la facilitation du droit à l’avocat est observée, il revient au ministère public de démontrer que tout retard dans l’octroi de la possibilité d’avoir recours à l’avocat par l’accusé, une fois son droit invoqué, était raisonnable dans les circonstances

R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24

Lien vers la décision


[39]      Notons d’entrée de jeu que l’importance de ce droit n’est plus à démontrer. Le droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’alinéa 10 b) de la Charte vise à assurer un processus décisionnel et judiciaire équitable aux personnes arrêtées ou détenues en leur donnant la possibilité d'être informées des droits et des obligations que la loi leur reconnaît et, surtout, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits et de remplir ces obligations : Clarkson c. La Reine1986 CanLII 61 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394; R. c. Manninen1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243; R. c. Bartle1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 173.

[40]      Détenue par les représentants de l'État, cette personne est désavantagée dans ses rapports avec celui-ci; privée de sa liberté, elle risque de s'incriminer. Le droit à l’assistance d’un avocat est donc primordial et permet aussi aux personnes ainsi détenues de ne pas se sentir totalement subordonnées au bon plaisir de la police. Comme l’écrit le juge Doherty dans R. v. Rover2018 ONCA 745 :

[45] The right to counsel is a lifeline for detained persons. Through that lifeline, detained persons obtain, not only legal advice and guidance, […] but also the sense that they are not entirely at the mercy of the police while detained. The psychological value of access to counsel without delay should not be underestimated.

[41]      L’appelante écrit dans son exposé « que l’avènement et la multiplication des téléphones cellulaires n’amènent pas une nouvelle ère constitutionnelle qui ferait en sorte qu’un individu pourrait consulter l’avocat de son choix sur le bord de la route en attendant l’arrivée de la remorqueuse ». Si cela signifie que l’on ne peut décréter, dans tous les cas, que la personne doit être autorisée à ce faire, je suis d’accord. En revanche, si cela signifie qu’on ne peut jamais le faire, je suis en total désaccord. Tout est question de circonstances et je ne partage pas l’avis de l’appelante lorsqu’elle ajoute : « C’est ici l’essence du débat ». L’essence du débat ne consiste pas à décider si l’avènement du cellulaire modifie le droit et permet son utilisation. À mon avis, l’essence du débat consiste plutôt à déterminer ce dont les policiers doivent tenir compte pour décider s’ils autorisent ou pas son utilisation aux fins de consultation d’un avocat.

[42]      Dès 2004, dans R. v. George2004 CanLII 6210, 187 C.C.C. (3d) 289, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait, au paragr. 33, dans un cas où l’accusé avait un cellulaire en sa possession, que « On the record, contact with counsel could have been accommodated either through the cellular telephone » puis, « […] the ready availability of a telephone is a relevant factor for the court to consider in determining whether a detainee had a reasonable opportunity to consult counsel […] ». Cet extrait a été cité à plusieurs reprises dont dans R. c. Lauzier, précité, et dans R. v. Quansah2012 ONCA 123. Je suis conscient que cet arrêt traite de la période précédant un prélèvement à l’aide d’un ADA. Je n’y réfère donc pas sans cette mise en garde. En revanche, ces commentaires demeurent pertinents pour démontrer l’importance du cellulaire lorsqu’il est question de l’accès à un avocat.

[43]      Or, l’appelante voudrait exclure à tout coup l’usage du cellulaire, sur place, pour faciliter l’accès à un avocat. J’en veux pour preuve cet extrait de son exposé :

[…] il est difficile d’imaginer une situation où un individu pourrait avoir une conversation privée et sécuritaire avec son avocat sur le bord de la route ou encore dans le véhicule de patrouille. Cela n’est pas raisonnablement possible en pratique. Par opposition, la solution que nous proposons, soit que l’exercice du droit à l’avocat se fasse au poste de police, conjugue tous les éléments mentionnés antérieurement […] ».

[44]      Il faut noter d’abord que les arguments de l’appelante quant à l’impossibilité de permettre à l’intimée de téléphoner à son avocat « sur le bord de la route » heurtent de plein fouet les conclusions factuelles du juge de la Cour du Québec dans le présent dossier, et le juge de la Cour supérieure a eu raison de se montrer déférent à son égard.

[45]      Par ailleurs, l’appelante me semble renverser le fardeau.

[46]      Dans R. c. Taylor2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495, la juge Abella écrit :

[24]      L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention (Suberu, par. 41-42), et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat. Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé. Il incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances (R. c. Luong (2000), 2000 ABCA 301 (CanLII), 271 A.R. 368, par. 12 (C.A.)). La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.

[47]      Par conséquent, non seulement la question de savoir si le délai peut être qualifié de raisonnable est une question de fait, mais en plus, c’est la poursuite qui a le fardeau de le démontrer. Elle doit donc le faire en se fondant sur la preuve, et non en fonction d’une règle immuable voulant que cela ne soit jamais « raisonnablement possible en pratique ».

[48]      Une question de fait s’analyse au regard de la preuve et non en se fondant sur des hypothèses que l’on voudrait étendre à tous les cas. La poursuite ne sera donc en mesure de se décharger de son fardeau qu’en démontrant que l’accès a été facilité à la première occasion raisonnable, selon les circonstances de l’affaire.

[49]      Dans le cas qui nous occupe, l’on comprend que le juge de la Cour du Québec a conclu, dans les circonstances, que la première occasion raisonnable d’avoir accès à un avocat s’est matérialisée sur les lieux mêmes de l’interception, après l’arrestation qui a suivi le résultat du prélèvement à l’aide de l’ADA. Or, il a fallu 54 minutes supplémentaires pour que l’intimée ait accès à son avocat au poste de police. Il ne s’agissait donc pas de la première occasion raisonnable, puisque les explications des policiers pour attendre l’arrivée au poste de police ont été écartées par le juge. Le juge de la Cour supérieure était, par conséquent, fondé à rejeter l’appel sur ce point.

[50]      Je conviens que la présence d’un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l’utilisation pour communiquer avec un avocat. Cette technologie ne répond pas dans tous les cas à la question de savoir quand survient la « première occasion raisonnable ». Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question. Comme le rappelle la juge Abella dans Taylor, précité :

[28]      Toutefois, les policiers ont néanmoins l’obligation de donner à une telle personne accès à un téléphone dès que cela est possible en pratique, afin de réduire le risque d’auto incrimination accidentelle, ainsi que l’obligation de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve tant qu’ils ne lui ont pas facilité l’accès à un avocat. L’alinéa 10b) ne crée pas le « droit » d’utiliser un téléphone précis, mais garantit effectivement à l’intéressé l’accès à un téléphone pour qu’il puisse exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable.

[51]      Dans ce même arrêt, qui porte lui aussi sur une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies, la juge Abella rappelle l’importance de considérer l’ensemble des circonstances pour savoir si l’accès a été donné dans un délai raisonnable, certains cas pouvant justifier une attente plus longue :

[31]      […] Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Bartle, les obligations qu’ont les policiers de donner effet aux droits garantis par l’al. 10b) sont nécessairement limitées lors de situations urgentes ou dangereuses. Mais nous ne sommes pas en présence de telles circonstances restrictives en l’espèce. […]

[32]      Les policiers ont l’obligation de permettre l’accès à un avocat dès que la chose est possible en pratique. Le fait de présumer, comme le suggère le juge du procès, qu’il est raisonnable de tarder à donner effet au droit à l’assistance d’un avocat pendant toute la période où l’accusé attend de recevoir un traitement médical à l’urgence d’un hôpital ainsi que pendant toute la durée de ce traitement, et ce, en l’absence de toute preuve des circonstances particulières en cause, compromettrait le respect de l’obligation constitutionnelle relative à l’accès « sans délai » à l’assistance d’un avocat.

[33]      Les cas traités en salle d’urgence ne constituent pas nécessairement tous des urgences médicales telles que les communications entre un avocat et un accusé ne sont pas raisonnablement possibles. Des droits constitutionnels ne sauraient être écartés sur la base de suppositions d’impossibilité pratique. L’existence d’obstacles à l’accès doit être prouvée — et non pas supposée —, et des mesures proactives sont requises pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat.

[52]      De la même manière qu’un passage à l’hôpital n’autorise pas les policiers, dans tous les cas, à attendre la fin des traitements, l’attente, sur le côté de la route, n’autorise pas les policiers, dans tous les cas, à reporter au poste de police l’accès à l’avocat. Il en est de même du cellulaire : la loi n’oblige pas les policiers à en permettre l’utilisation. Elle les oblige plutôt à en tenir compte, comme de toutes les autres circonstances, au moment de prendre leur décision.

[53]      En somme, les hypothèses, les suppositions, telles celles évoquées par l’appelante (comme en a conclu le juge de la Cour du Québec), ne suffisent pas pour qu’elle se décharge de son fardeau qui consiste à prouver l’existence de véritables obstacles, comme une urgence, un danger, une règle de droit : R. c. Suberu2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460; R. c. Strachan1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980. Encore récemment, dans R. v. La2018 ONCA 830, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait qu’il faut une preuve factuelle de circonstances particulières pour justifier un délai, de simples suppositions ne pouvant suffire :

[39] Those concerns must be circumstantially concrete. General or theoretical concern for officer safety and destruction of evidence will not justify a suspension of the right to counsel: R. v. Wu2017 ONSC 1003, 35 C.R. (7th) 101, at para. 78R. v. Patterson2006 BCCA 24, 206 C.C.C. (3d) 70, at paras. 41-42, and R. v. Proulx2016 ONCJ 352, at para. 47. Rather, the assessment of whether a delay or suspension of the right to counsel is justified involves a fact specific contextual determination: Wu, at para. 78.

[54]      Cela faisait d’ailleurs écho aux motifs de la juge Abella aux paragraphes 32 et 33 de Taylor, précités.

[55]      Notre cour a aussi rappelé la nécessité de circonstances « exceptionnelles » pour justifier un délai avant l’accès à un avocat dans R. c. Archambault2012 QCCA 20, paragr. 36, dont une menace à la sécurité des policiers ou du public, ou encore un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou encore qu'une autre opération policière en cours puisse être compromise.

[56]      L’appelante fait grand cas de l’utilisation du terme « sans délai » par le juge de première instance. Je ne comprends pas l’argument. C’est le texte même de l’alinéa 10 b) qui le prévoit : « […] avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat […] / […] to retain and instruct counsel without delay […] ». Évidemment, comme on l’a vu, selon la jurisprudence, « sans délai » signifie « à la première occasion raisonnable », mais je ne vois aucune indication dans le jugement de la Cour du Québec selon laquelle le juge n’aurait pas tenu compte de cette qualification.

[57]      L’appelante renvoie à R. c. Piazza2018 QCCA 948, pour soutenir son argument sur les difficultés, sinon l’impossibilité, de permettre l’utilisation d’un cellulaire « au bord de la route ». Deux remarques s’imposent.

[58]      D’une part, cet arrêt porte sur la période précédant l’utilisation de l’ADA, de sorte que le droit à l’assistance d’un avocat est alors suspendu en raison d’une règle de droit (l’article 254(2) C.cr. de l’époque), qui précise que l’échantillon d’haleine doit être fourni « immédiatement ». L’alinéa 10 b) de la Charte ne s’appliquait donc pas. Comme l’écrivait d’ailleurs mon collègue le juge Vauclair, au paragr. 112 de Piazza, à propos de l’accès à un avocat : « J’estime qu’il s’agit d’un faux problème, car le droit est suspendu […] » dans de telles circonstances. L’on ne peut donc prétendre que cet arrêt peut nous être utile ici lorsque mon collègue fait état des difficultés d’utilisation d’un cellulaire au moment d’une arrestation.

[59]      D’autre part, si mon collègue y énonce, aux paragr. 113 et 114, une série de difficultés qui sont susceptibles de rendre illusoire la possibilité de consulter un avocat sur les lieux à l’aide d’un cellulaire, il le fait dans le cadre du délai d’attente précédant l’utilisation de l’ADA et pour répondre à la proposition voulant que cette consultation devienne nécessaire pour autoriser cette utilisation. Il ne se prononce pas sur la période qui suit la prise de l’échantillon avec l’ADA, puisque ce n’était pas l’objet de cet arrêt.

[60]      Enfin, l’appelante estime que de permettre l’utilisation du cellulaire serait inéquitable pour ceux et celle qui n’en possèdent pas. À mon avis, cet argument ne tient pas. Fermer les yeux sur une occasion raisonnable de communiquer avec un avocat par souci d’équité pour d’autres personnes, placées dans des circonstances différentes, me paraît incompatible avec l’économie de la Charte qui doit être interprétée de manière libérale et généreuse.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557 Lien vers la décision [ 16 ]          Plus récemment, dans l’affaire  Hunt , il a été réitéré que les délais p...