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vendredi 10 janvier 2025

Ordre donné, refus de l’appelant et perpétration de l’infraction de refus avant la possibilité de consulter un avocat

Drolet c. R., 2021 QCCA 1421

Lien vers la décision


[53]      Les policiers doivent, en principe, « “surseoir” à toute mesure ayant pour objet de […] soutirer des éléments de preuve de nature incriminante »[29] à une personne détenue ou arrêtée tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat[30].

[54]      Dans le présent dossier, alors que l’appelant a été informé de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’il a clairement exprimé son intention de s’en prévaloir, les policiers poursuivent leurs démarches. L’agent Morneau lui lit l’ordre suivant en vertu de l’ancien paragraphe 254(3) du Code criminel (maintenant article 320.28 C.cr.) à deux reprises :

J’ai des motifs raisonnables de croire que vous conduisiez un véhicule à moteur (ou que vous en aviez la garde ou le contrôle) au cours des trois heures précédentes alors que votre capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool ou que le taux d’alcool dans votre sang dépassait la limite prescrite par la loi.

Par conséquent, je vous ordonne de me suivre immédiatement afin de fournir les échantillons d’haleine qui, de l’avis d’un technicien qualifié, sont nécessaires à une analyse convenable pour déterminer votre alcoolémie.

Un refus ou un défaut de vous soumettre à cet ordre constitue une infraction et vous rend passible de poursuites criminelles et entraine la suspension immédiate de votre permis de conduire et la saisie du véhicule routier.  

[55]      L’agent Morneau explique dans son témoignage qu’il procède avec cet ordre avant que l’appelant ait eu l’occasion de consulter un avocat, puisque l’ordre de fournir un échantillon d’haleine devait être donné « immédiatement » afin d’éviter une détention arbitraire. Une fois qu’il donne l’ordre et face au refus éclairé que l’appelant lui oppose, il dit qu’il ne peut détenir l’appelant dans l’unique but de l’amener au poste de police afin de lui permettre de communiquer avec un avocat. De toute façon, une fois que l’appelant refuse d’obtempérer à l’ordre, il est trop tard pour consulter un avocat – l’infraction est commise.

[56]      L’appelant ne plaide pas que le fait pour l’agent Morneau de lui donner l’ordre de le suivre au poste brime son droit à l’assistance d’un avocat. Toutefois, l’appelant soutient qu’il n’était pas nécessaire, au sens de l’al. 254(3)bC.cr., de donner un tel ordre puisque l’agent pouvait simplement l’y amener. Dans l’alternative, l’appelant allègue que s’il lui donnait l’ordre, l’agent Morneau devait, tout au moins, ne pas exiger que l’appelant y réponde ou ne pas enregistrer son refus avant qu’il n’ait eu l’occasion de consulter son avocat.

[57]      Le juge de première instance ne traite pas de ces arguments. Le juge d’appel aborde brièvement le premier :

[22] Que faire de plus? Certes pas comme le soumet l’appelant en argumentation, dans le contexte d’une infraction criminelle de nature sommaire, de l’amener contre son gré au poste de police, menotté.

[58]      Je doute que l’agent Morneau pouvait, dans le contexte où l’appelant avait demandé de consulter un avocat et qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de le faire, lui donner l’ordre de le suivre au poste afin de fournir un échantillon d’haleine. L’ordre place l’appelant dans une situation très délicate : il doit soit se rendre au poste afin de fournir un élément de preuve susceptible de l’incriminer, soit refuser d’obtempérer, ce qui peut constituer une infraction criminelle et en plus fournit une preuve admissible dont le tribunal peut, dans le cas d’une accusation impliquant la capacité de conduire, tirer une conclusion défavorable[31]. Il devait, tout au moins, ne pas exiger que l’appelant y réponde ou ne pas enregistrer son refus avant qu’il n’ait eu l’occasion de consulter son avocat.

[59]      L’alinéa 10b) de la Charte impose l’obligation au policier de ne pas forcer la personne détenue à prendre une telle décision lourde de conséquences légales jusqu'à ce qu’elle ait eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Les seules exceptions sont l’urgence, des circonstances dangereuses ou un manque de diligence de la part de la personne détenue dans l’exercice de ce droit.

[60]      J’écarte d’emblée la question de l’urgence. Une majorité de juges de la Cour suprême a décrété que l’existence de la présomption en matière de preuve à l'égard des échantillons d’haleine pris dans les deux heures selon l’ancien sous-alinéa 258(1)c)(ii) C.cr. ne constitue pas en soi une circonstance pressante ou urgente justifiant que les policiers continuent leur enquête, même si la personne détenue n’a pu exercer son droit à l’assistance d'un avocat[32]. De toute façon, ils étaient à 10 ou 15 minutes du poste et rien dans le dossier ne suggère que permettre à l’appelant de contacter un avocat aurait eu pour résultat d’outrepasser ce délai.

[61]      De plus, rien dans le dossier ne suggère qu’il y avait un danger quelconque justifiant la continuation de l’enquête. L’appelant était menotté dans la voiture de police et ne représentait aucun danger.

[62]      Enfin, l’appelant a agi avec diligence et n’a jamais renoncé à son droit à l’avocat.

[63]      Toutefois, l’appelant ne soutient pas que son droit à l’assistance d’un avocat ait été brimé par le fait que les policiers lui donnent l’ordre de les suivre au poste avant qu’il n’ait pu consulter un avocat. Il fait plutôt valoir que les policiers ont brimé son droit en exigeant qu’il réponde à l’ordre et en enregistrant son refus sans qu’il ait eu l’occasion de consulter son avocat.

[64]      Il est vrai que la situation était un peu circulaire : l’appelant veut consulter un avocat, ce qui selon les policiers doit se faire au poste, alors qu’il refuse de suivre les policiers au poste afin de fournir un échantillon d’haleine parce qu’il n’a pas eu l’occasion de consulter un avocat, consultation qui se fera au poste. Plusieurs solutions étaient disponibles. Les policiers auraient pu tout simplement l’amener au poste – l’appelant était arrêté, menotté et assis sur le siège arrière de la voiture de police. Une fois rendu au poste, les policiers auraient pu lui demander de fournir un échantillon d’haleine après lui avoir donné la possibilité d’exercer son droit de consulter un avocat[33]. Ils auraient pu l’inviter à les suivre au poste afin qu’il exerce son droit à l’avocat. Son refus d’obtempérer constituerait alors un manque de diligence de sa part dans l’exercice de ses droits et permettrait aux policiers de poursuivre leur enquête et de lui donner l’ordre de les suivre au poste. Enfin, ils auraient pu lui permettre de communiquer avec un avocat sur place. Dans tous ces cas, l’appelant aurait eu l’opportunité de communiquer avec un avocat avant qu’il ne soit obligé de donner sa réponse définitive à l’ordre formulé.

[65]      Plutôt que de lui expliquer qu’il aurait la chance de parler à un avocat une fois au poste, l’agent Morneau s’est engagé dans un débat avec l’appelant sur les conséquences de son refus d’obtempérer et a soutiré à l’appelant des éléments de preuve de nature incriminante. Bien qu’il ne l’ait pas interrogé à proprement parler, l’interaction était de nature à déclencher une réponse de la part de l’appelant avant qu’il n’ait pu obtenir les conseils d’un avocat[34].

[66]      Somme toute, le problème dans le présent dossier ne réside pas dans la décision de refuser à l’appelant l’accès à un avocat alors qu’il est dans la voiture de police, vu les enjeux de sécurité, mais bien dans celle de forcer l’appelant à s’incriminer avant d’avoir pu parler à un avocat. En conséquence, je suis d’avis que le volet de mise en application imposé par l’alinéa 10b) de la Charte n’a pas été respecté.

vendredi 15 septembre 2023

L’exigence des « meilleurs délais » fait partie des conditions relatives à la légalité de l’obtention des échantillons

Peters c. R., 2023 QCCS 2577

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[59]      Soulignons d’abord, en ce qui concerne cette question, que l’Appelant et l’Intimé divergent fondamentalement d’opinions en ce qui concerne le fardeau de la preuve à ce sujet.

[60]      L’Appelant plaide que ce fardeau de démontrer que le prélèvement des échantillons d’haleine s’est effectué dans les « meilleurs délais » repose sur les épaules du ministère public.

[61]      L’Intimé réplique qu’en raison des modifications apportées par le législateur en 2018 aux anciens articles 254 (3) et 258 (1) c) du Code criminel et la mise en vigueur des nouveaux articles 320.28 et 320.31 (1) C.Cr, l’exigence des « meilleurs délais » fait partie des conditions relatives à la légalité de l’obtention des échantillons. L’Intimé conclut ainsi que cela doit être soulevé dans le cadre d’une requête en exclusion de preuve, de sorte que les règles, quant au fardeau de la preuve lors d’une telle demande, établissent qu’il s’agit du fardeau de celui qui la présente.

[62]      Il ne semble pas, tout au moins aucune des parties n’en a fait la mention au Tribunal, que les tribunaux d’appel se soient penchés spécifiquement sur cette question récemment. La seule autorité citée par l’Intimé consiste dans une décision de la Cour municipale de la ville de Québec qui contient l’analyse suivante :

« [93]        Selon les articles 254(3) et 258(1) c) C.cr., antérieurs aux amendements de 2018 apportés au C.cr., les expressions « dans les meilleurs délais » et « dès que matériellement possible » avaient le même sens et la même portée. D'ailleurs, la version anglaise des dispositions utilisait l'expression « as soon as practicable » pour l'une et l'autre des expressions françaises.

[94]            Depuis les amendements de 2018, l'exigence visant à ce que les échantillons d'haleine soient obtenus « dans les meilleurs délais » ne se retrouve qu'au paragraphe (1) de l'article 320.28 C.cr. On ne retrouve pas cette exigence comme condition d'application de la présomption d'exactitude de l'actuel article 320.31(1). Cette exigence ne faisait pas partie des conditions de la présomption d'exactitude antérieure prévue à l'alinéa 258(1) g), mais plutôt de la présomption d'identité de l'ancien alinéa 258(1) c). Or, la présomption d'identité n'existe plus : elle a été remplacée par une nouvelle infraction qui sanctionne le fait d'avoir une alcoolémie égale ou supérieure à 80 mg par 100 millilitres de sang dans les deux heures qui suivent le moment où une personne a cessé de conduire.

[95]            Par conséquent, l'exigence des « meilleurs délais » fait maintenant partie des conditions législatives relatives à la légalité de l'obtention des échantillons d'haleine. Elle relève donc aussi du caractère abusif ou non de la fouille que constitue la procédure d'alcootest eu égard à la garantie constitutionnelle de l'article 8 de la Charte qui se lit comme suit :

8.   Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

[96]            Ainsi, le moyen de faire valoir un argument fondé sur le non-respect de cette exigence est la requête en exclusion de preuve. La défenderesse avait donc raison de procéder par le biais de l'article 24(2) de la Charte pour soulever la question relative au délai entourant l'obtention des échantillons d'haleine. Ceci signifie que les enseignements de l'arrêt récent Falcon de la Cour d'appel du Québec ne s'appliquent plus depuis les amendements de 2018. »[5]

[63]      Le Tribunal est d’accord avec cette application du fardeau de la preuve. En invoquant une violation de ses droits garantis par la Charte, l’Appelant a le fardeau de démontrer, de manière prépondérante, une telle violation.

vendredi 8 septembre 2023

Les circonstances inhabituelles permettant une interprétation souple du mot « immédiatement »

R. c. Breault, 2023 CSC 9

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[53]                          La Cour d’appel du Québec se dirige bien en droit lorsqu’elle indique que des circonstances inhabituelles liées à l’utilisation de l’ADA ou à la fiabilité du résultat qui sera généré peuvent justifier une interprétation souple du mot « immédiatement » figurant à l’al. 254(2)b) C. cr.

[54]                          Comme je l’ai mentionné, pour les besoins du présent pourvoi, il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’identifier dans l’abstrait et exhaustivement les circonstances pouvant être qualifiées d’inhabituelles et pouvant justifier une interprétation souple de l’exigence d’immédiateté. Il est préférable que celles‑ci soient identifiées au cas par cas, à la lumière des faits propres à chaque affaire. Cependant, afin de guider les tribunaux d’instance inférieure dans cet examen, il importe de tracer des lignes directrices.

[55]                          Premièrement, le fardeau de démontrer l’existence de circonstances inhabituelles repose sur le ministère public.

[56]                          Deuxièmement, comme dans l’arrêt Bernshaw, les circonstances inhabituelles doivent être identifiées eu égard au texte de la disposition (Piazza, par. 82). Ceci permet de préserver l’intégrité constitutionnelle de la disposition en faisant en sorte que les tribunaux n’élargissent pas indûment le sens ordinaire strictement réservé au mot « immédiatement ».

[57]                          Tout comme la disposition en cause dans l’arrêt Bernshaw, l’al. 254(2)b) C. cr. prévoit que l’échantillon recueilli doit être nécessaire à la réalisation d’une « analyse convenable », ce qui ouvre la porte à des délais causés par des circonstances inhabituelles relatives à l’utilisation de l’appareil ou à la fiabilité du résultat.

[58]                          Ceci dit, les tribunaux pourraient reconnaître des circonstances inhabituelles autres que celles directement liées à l’utilisation de l’ADA ou à la fiabilité du résultat qui sera généré. Par exemple, dans l’optique où la procédure de détection d’alcool au volant vise d’abord et avant tout à assurer la sécurité de tous, des circonstances relatives à l’urgence d’assurer la sécurité du public ou celle des agents de la paix pourraient être reconnues.

[59]                          Troisièmement, les circonstances inhabituelles ne peuvent être le résultat de considérations budgétaires ou d’efficacité pratique. Une interprétation souple de l’exigence d’immédiateté ne peut être justifiée par l’importance des fonds publics devant être affectés à l’approvisionnement des forces policières en ADA, ou par le temps requis pour former des agents à leur utilisation. De telles considérations utilitaires n’ont rien d’inhabituel. Le lot quotidien de tout gouvernement consiste à allouer des ressources budgétaires limitées (Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678, par. 153).

[60]                          Quatrièmement, l’absence d’un ADA sur les lieux au moment de la formulation de l’ordre ne constitue pas en soi une circonstance inhabituelle.

[66]                          Rien dans l’al. 254(2)b) C. cr. n’indique que le Parlement avait l’intention de créer la présomption de validité que propose le ministère public. Cela étant dit, les agents de la paix qui n’ont pas d’ADA avec eux lorsqu’ils interceptent un automobiliste soupçonné d’avoir de l’alcool dans son organisme ne sont pas entièrement dépourvus de moyens. En effet, ils peuvent requérir de l’automobiliste qu’il effectue des tests de coordination comme le permet l’actuel al. 320.27(1)a) C. cr. De même, ces agents disposent des pouvoirs de common law en matière de vérification de sobriété. Lorsque cela est raisonnable et nécessaire, ils peuvent notamment questionner un conducteur légalement intercepté sur sa consommation préalable d’alcool ou lui demander de se soumettre à des épreuves physiques autres que celles prévues dans le Code criminel (R. c. Orbanski2005 CSC 37, [2005] 2 R.C.S. 3, par. 43‑49Leclerc c. R.2022 QCCA 365, par. 45‑48 (CanLII)).

L'interprétation de l’exigence d’immédiateté contenue à même l’article 320.27(1)b))

R. c. Breault, 2023 CSC 9

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[29]                          Il importe de s’attarder au sens de deux mots que l’on retrouve à la disposition sous étude : « fournir » et « immédiatement ». « Fournir » signifie « [f]aire avoir » quelque chose à quelqu’un (Le Petit Robert (nouv. éd. 2023), p. 1088). « Immédiatement » veut dire « [à] l’instant même, tout de suite » (Woods, par. 13, citant Le Nouveau Petit Robert (2003), p. 1312; voir aussi R. c. Grant1991 CanLII 38 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 139, p. 150).

[30]                          Selon le sens ordinaire et grammatical de ces termes, le conducteur détenu en vertu de l’al. 254(2)b) C. cr. doit « faire avoir » un échantillon d’haleine à l’agent de la paix « [à] l’instant même, tout de suite ». Par ailleurs, selon le libellé de la disposition, cet échantillon doit être « nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable » à l’aide d’un ADA.

[31]                          Partant, et contrairement à ce prétend le ministère public, le mot « immédiatement » qualifie l’ordre auquel doivent obéir les conducteurs. En effet, les conducteurs interceptés « sont tenus par le par. 254(2) d’obtempérer immédiatement » (Woods, par. 45). Ils n’ont pas le loisir de fournir l’échantillon quand bon leur semble.

[32]                          Certes, le mot « immédiatement » comprend implicitement un délai d’ordre opérationnel, car l’agent « doit préparer le matériel et indiquer au suspect ce qu’il doit faire » (Bernshaw, par. 64). Toutefois, ce n’est pas ce type de délai qui est en cause en l’espèce, mais plutôt le délai relatif à la livraison d’un appareil sur les lieux.

[38]                          Le 21 juin 2018, la Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, L.C. 2018, c. 21, reçoit la sanction royale. Par cette loi, le Parlement abroge les art. 249 à 261 du Code criminel et introduit les art. 320.11 à 320.4, lesquels sont entrés en vigueur le 18 décembre 2018.

[39]                          Pour l’essentiel, le libellé de l’al. 320.27(1)b) C. cr. est analogue à celui de l’al. 254(2)b) C. cr. L’alinéa 320.27(1)b) C. cr. prévoit que l’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a de l’alcool dans son organisme et qu’elle a conduit un moyen de transport dans les trois heures précédentes peut lui ordonner de fournir immédiatement les échantillons d’haleine qu’il estime nécessaires à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un ADA. Aux termes du par. 320.15(1) C. cr., quiconque, sans excuse raisonnable, omet ou refuse d’obtempérer à un tel ordre, s’expose à des sanctions criminelles.

[40]                          L’une des distinctions entre le nouveau régime et l’ancien est le par. 320.27(2) C. cr., lequel autorise le dépistage aléatoire des conducteurs par l’agent de la paix ayant en sa possession un ADA et agissant dans l’exercice légitime de ses pouvoirs, et ce, même en l’absence de motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur interpellé.

[41]                          Selon l’argument du ministère public, puisque l’al. 254(2)b) C. cr. ne requiert pas explicitement que les agents de la paix aient en leur possession un ADA lorsqu’ils formulent l’ordre, le mot « immédiatement » ne doit pas être interprété comme ayant, dans les faits, créé une obligation en ce sens. Devant nous, l’appelant a invité notre Cour à voir dans le nouveau régime un « indice » que le législateur fédéral a pris acte de la jurisprudence de certaines cours d’appel du pays qui tolère des délais de plusieurs minutes, et n’a pas voulu la répudier. Je suis d’avis que cet argument doit être rejeté, pour deux raisons.

[42]                          Premièrement, l’évolution législative subséquente, soit les modifications apportées à la version d’une disposition en vigueur au moment des faits, « ne peut jeter aucune lumière sur l’intention du législateur, qu’il soit fédéral ou provincial » quant à cette version antérieure aux modifications (États‑Unis d’Amérique c. Dynar1997 CanLII 359 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 462, par. 45; voir aussi Banque de Montréal c. Marcotte2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725, par. 78). Comme le précise le par. 45(3) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, « [l]’abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration sur l’état antérieur du droit. » Dans le même ordre d’idées, le par. 45(4) de la Loi d’interprétation ajoute que « [l]a nouvelle édiction d’un texte, ou sa révision, refonte, codification ou modification, n’a pas valeur de confirmation de l’interprétation donnée, par décision judiciaire ou autrement, des termes du texte ou de termes analogues. »

[43]                          Même dans l’hypothèse où la conservation du mot « immédiatement » au par. 320.27(1) C. cr. (le mot « forthwith » a été remplacé par « immediately » dans la version anglaise) pourrait être vue comme une confirmation de l’interprétation que lui ont donnée les tribunaux (et qu’est présumé connaître le législateur), ce corpus jurisprudentiel est composé, au premier chef, des arrêts Thomsen, Grant, Bernshaw et Woods de notre Cour qui interprètent ce mot conformément à son sens ordinaire, sauf dans des circonstances inhabituelles (motifs de la C.A., par. 67 in fine). Comme le souligne à juste titre le juge Doyon dans ses motifs, si le Parlement souhaitait s’éloigner de cette interprétation, il lui était loisible d’employer d’autres termes — tels que « dès que raisonnablement possible » ou « dans les meilleurs délais » (par. 68). Pourtant, il ne l’a pas fait.

[44]                          Deuxièmement, et plus important encore, il existe une différence conceptuelle entre l’exigence de possession prévue au par. 320.27(2) C. cr. et l’exigence d’immédiateté, laquelle est relative à la temporalité. D’ailleurs, le mot « immédiatement » figure aussi au par. 320.27(2) C. cr. Il s’ensuit que les enseignements du présent arrêt relatifs à l’interprétation de l’exigence d’immédiateté contenue à l’al. 254(2)b) C. cr. s’appliquent à l’interprétation du mot « immédiatement » figurant à l’al. 320.27(1)b) C. cr.

[47]                          Le sens ordinaire du mot « immédiatement » s’accorde avec l’objet de l’al. 254(2)b) C. cr. et le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition. D’ailleurs, la jurisprudence de notre Cour a constamment interprété ce mot en lui attribuant ce sens précis sous réserve de circonstances inhabituelles. Par exemple, dans l’arrêt Grant, notre Cour refuse d’interpréter le mot « immédiatement » comme permettant un délai de 30 minutes pour la livraison d’un ADA sur les lieux d’une interception (voir aussi Thomsen, p. 653‑655; Woods, par. 13 et 43‑44).

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

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