Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711
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[26] Je reprends ici à grands traits les principes qui doivent guider la détermination de la peine et l’intervention d’une cour d’appel.
[27] Le Code criminel énonce plusieurs objectifs pénologiques de la peine lui donnant des attributs à la fois d’une justice punitive et d’une justice corrective : art. 718 C.cr. Il est clair que l’exercice de pondération des objectifs de la peine relève de la discrétion judiciaire et n’est pas, en soi, une erreur de principe; c’est précisément l’exercice même de la détermination de la peine.
[28] Certaines infractions interpellent parfois les objectifs punitifs et le juge doit y être sensible : R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 5-6, 49-50, 78. À cet égard, il faut rappeler que le législateur lui-même n’exclut aucun objectif de la réflexion qui mène à la peine juste. Lorsque le législateur le fait, il adopte des dispositions qui précisent que, pour certaines infractions, le juge de la peine doit accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Il ne cherche alors qu’« à infléchir la mise en œuvre discrétionnaire des objectifs plutôt qu’à dicter un résultat précis », tout en reconnaissant que « la mise en équilibre des objectifs dans l’imposition de la peine demeure discrétionnaire » : R. c. Rayo, 2018 QCCA 824, par. 106-109.
[29] Ainsi, même lorsque les objectifs de dissuasion et de dénonciation sont sollicités, l’exercice de la détermination ne doit pas amener le juge à ignorer les autres objectifs; seul l’équilibre mène à une peine juste : Harbour c. R., 2017 QCCA 204, par. 77-84.
[30] Je réitère les propos fort justes de mon collègue Doyon « qu'une peine dont la durée serait augmentée pour un motif de dissuasion, sans tenir compte de cette règle de proportionnalité, constituerait une erreur de droit » : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 46 et jurisprudence citée. En outre, mon collègue mentionnait avec sagesse que la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 48. « La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé » : R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 92.
[31] Les enseignements de l’arrêt Paré ont maintes fois été repris par cette Cour. À l’instar d’autres cours d’appel, on y rappelle que les objectifs de dissuasion générale et de dénonciation ont un caractère incertain et limité : R. c. Harbour, 2017 QCCA 204, par. 83; R. c. Brais, 2016 QCCA 356; R. c. Charbonneau, 2016 QCCA 1567; R. c. Fournier, 2012 QCCA 1330; R. c. H. (C.N.) (2002), 2002 CanLII 7751 (ON CA), 170 C.C.C. (3d) 253, par. 35 (C.A.O.); R. c. Biancofiore (1997), 1997 CanLII 3420 (ON CA), 119 C.C.C. (3d) 344, par. 23 (C.A.O.); R. c. Wismayer (1997), 1997 CanLII 3294 (ON CA), 115 C.C.C. (3d) 18, 36 (C.A.O.) et R c. Lee, 2012 ABCA 17, par. 37 (opinion du juge Berger).
[32] Disant cela, on ne peut pas ignorer non plus les propos de la Cour suprême qui affirme qu’il est « plus plausible que l'infliction de peines sévères ait un effet dissuasif général » pour les infractions de conduite dangereuse ou de conduite avec les facultés affaiblies et que dans les cas de « citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont de bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants [on peut] supposer qu'il s'agit là des personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères » : R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, par. 31.
[33] La mesure de l’atteinte de l’objectif de dissuasion générale demeure néanmoins très problématique et, à charge de redite, l’arrêt Paré cité plus haut en établit les limites.
[34] Par ailleurs, « indépendamment des objectifs susmentionnés [à l'art. 718 C.cr.], la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité » lequel demeure « un élément central de la détermination de la peine » : R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206, par. 40-41 (italique dans l’original) ; art. 718.1 C.cr. La proportionnalité est la « condition sine qua non d'une sanction juste » : R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433, par. 37, repris dans R. c. Pham, 2013 CSC 15 (CanLII), [2013] 1 R.C.S. 739, par. 7 et dans l'arrêt R. c. Anderson, 2014 CSC 41 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 167, par. 21.
[35] J’ajoute qu’un juge commet une erreur de principe en considérant un élément de l’infraction à titre de facteur aggravant : R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 16. Le juge doit également veiller à ce que le processus de la détermination de la peine demeure en tout temps équitable, et ceci est particulièrement vrai lorsque l’émotivité est amplifiée par une preuve non pertinente : R. c. Bremmer, 2000 BCCA 345.
[36] On peut donc aisément comprendre pourquoi « [l]a détermination d'une peine juste et appropriée est un art délicat » : R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 92 ; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 76. Ce n’est pas une science exacte, mais un « processus profondément subjectif » : R. c. Shropshire, 1995 CanLII 47 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 227, par. 46.
[37] La discrétion judiciaire, tout en étant importante, demeure néanmoins encadrée. À cet égard, la norme d’intervention en matière de peine qui gouverne depuis longtemps les tribunaux d’appel est bien connue. L’intervention est justifiée si l’appelant démontre :
A) que le juge, d’une part :
i) commet une erreur de principe;
ou
ii) omet de tenir compte d’un facteur pertinent ou insiste trop lourdement sur les facteurs appropriés;
ou
iii) considère erronément un facteur aggravant ou atténuant;
et d’autre part :
i) que cette erreur a une incidence sur la détermination de la peine.
ou
B) que la peine est manifestement non indiquée ou déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle s'écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires.
R. c. L.M., 2008 CSC 31 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 163, par. 36; R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 92; R. c. Shropshire, 1995 CanLII 47 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 227, par. 46; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Suter, 2018 CSC 34.