R. c. J.W., 2025 CSC 16
[47] Dans les appels visant des peines, la question ultime consiste à savoir si la peine est « juste » (voir le Code, art. 687; Parranto, par. 14; Nasogaluak, par. 43; R. c. L.M., 2008 CSC 31, [2008] 2 R.C.S. 163, par. 14; voir aussi Shropshire, par. 45‑49; Ruby, §2.6, citant le Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 533‑534). Bien qu’une peine juste soit une peine proportionnelle, la justesse est le critère général.
[48] La norme de contrôle applicable au titre de l’art. 687 du Code est façonnée par le fait que la détermination de la peine est une opération individualisée impliquant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (Lacasse, par. 58; Hills, par. 62; R. c. Suter, 2018 CSC 34, [2018] 2 R.C.S. 496, par. 4; R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 92). Les articles 718 à 718.2 confèrent aux juges « un large pouvoir discrétionnaire leur permettant de façonner une peine adaptée à la nature de l’infraction et à la situation du délinquant » (Nasogaluak, par. 43).
[49] La détermination de la peine est un « processus profondément subjectif » (Shropshire, par. 46). Les juges chargés de la détermination de la peine sont les mieux placés pour fixer une peine juste (Parranto, par. 13). Ils ont « l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins, tandis que la cour d’appel ne peut se fonder que sur un compte rendu écrit » (par. 13, citant Shropshire, par. 46); de même, « [d]u fait qu’il[s] ser[vent] en première ligne de notre système de justice pénale », les juges chargés de la détermination de la peine possèdent « une qualification unique sur le plan de l’expérience et de l’appréciation », et ils « exerce[nt] normalement [leur] charge dans la communauté qui a subi les conséquences du crime du délinquant ou à proximité de celle‑ci » (Parranto, par. 13, citant M. (C.A.), par. 91).
[50] La norme de contrôle qui s’applique à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire diffère de celle qui s’applique aux questions de droit, aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). Il s’agit d’une norme de contrôle adaptée à la prise de décision discrétionnaire, qui s’accompagne d’un cadre établissant des principes, des facteurs pertinents à examiner ainsi qu’une gamme de résultats acceptables. La norme de contrôle applicable à la prise de décision discrétionnaire en général est énoncée dans l’arrêt Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll-Byrne, 2022 CSC 48 :
Une décision discrétionnaire, comme celle prévue par le Parlement au par. 28(6), commande généralement la déférence et ne peut faire l’objet d’une intervention qu’en cas d’erreur de droit (considérée comme une erreur de principe), d’erreur de fait manifeste et déterminante (considérée comme une erreur importante dans l’interprétation de la preuve) ou de défaut d’exercer le pouvoir discrétionnaire judicieusement (ce qui comprend le fait d’agir de façon arbitraire ou de rendre une décision erronée [traduction] « au point de créer une injustice ») (Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205, par. 36, citant P. (W.) c. Alberta, 2014 ABCA 404, 378 D.L.R. (4th) 629, par. 15). [par. 41]
La norme de contrôle qui s’applique à la détermination de la peine s’accorde avec cette norme générale, tout en étant adaptée aux circonstances propres à cette opération.
[51] Une cour d’appel ne peut modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée (Friesen, par. 26; Lacasse, par. 51), ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine (Friesen, par. 26; Lacasse, par. 44). Parmi les erreurs de principe, « mentionnons l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant » (Friesen, par. 26). Ce ne sont pas toutes les erreurs de principe qui sont importantes : la cour d’appel ne peut intervenir « que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine » (par. 26; voir aussi Lacasse, par. 44). Si aucune erreur de cette nature n’a été commise, l’intervention en appel n’est justifiée que si la peine n’est manifestement pas indiquée (Friesen, par. 26).
[52] Lorsqu’une peine est manifestement non indiquée, ou que le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine, la cour d’appel doit « applique[r] de nouveau les principes de la détermination de la peine aux faits » et fixer une peine juste (Friesen, par. 27; voir aussi Lacasse, par. 43). Comme l’a affirmé notre Cour dans l’arrêt Friesen :
[La cour d’appel] appliquera de nouveau les principes de la détermination de la peine aux faits sans faire preuve de déférence envers la peine existante même si celle‑ci se situe dans la fourchette applicable. En conséquence, lorsque la cour d’appel conclut qu’une erreur de principe a eu un effet sur la peine, cela suffit pour qu’elle intervienne et fixe une peine juste. Dans un tel cas, le fait que la peine existante ne soit manifestement pas indiquée ou qu’elle se situe à l’extérieur de la fourchette des peines infligées auparavant ne constitue pas une condition préalable supplémentaire requise pour justifier l’intervention de la cour d’appel.
Cependant, lors de la détermination d’une nouvelle peine, la cour d’appel s’en remettra aux conclusions de fait du juge de la peine ou aux facteurs aggravants et facteurs atténuants qu’il a relevés, pourvu qu’ils ne soient pas entachés d’une erreur de principe. Cette déférence réduit le nombre, la durée et le coût des appels; favorise l’autonomie de la procédure de détermination de la peine et son intégrité; et reconnaît l’expertise du juge de la peine et sa position avantageuse (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 15‑18).
Souvent la peine que la cour d’appel estime juste diffère de celle infligée par le juge de première instance, et la cour d’appel modifie la peine. Si la peine retenue par la cour d’appel est la même que celle qu’a imposée le juge de première instance, la cour d’appel peut aussi confirmer la peine en dépit de l’erreur. [par. 27‑29]