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mercredi 12 mars 2025

La défense de contrainte

Rochon c. R., 2019 QCCA 517

Lien vers la décision

[27]        En droit criminel canadien, il existe deux versions de la défense de contrainte : la version de l’article 17 du Code criminel qui s’applique à l’auteur principal de l’infraction (le complice après le fait étant un auteur principal) et celle de common law qui s’applique au participant à une infraction. L’arrêt Ryan énonce les éléments constitutifs communs aux deux versions :

[81] La version législative ainsi que la version de common law du moyen de défense fondé sur la contrainte sont en grande partie identiques. Elles partagent en effet les éléments constitutifs suivants :

              il doit y avoir eu des menaces explicites ou implicites de causer la mort ou des lésions corporelles, dans l’immédiat ou dans le futur. Ces menaces peuvent viser l’accusé ou un tiers;

              l’accusé doit croire, pour des motifs raisonnables, que ces menaces seront mises à exécution;

              il n’existe aucun moyen de s’en sortir sans danger. Cet élément est évalué en fonction d’une norme objective modifiée;

              il doit exister un lien temporel étroit entre les menaces proférées et le préjudice qu’on menace de causer;

              il doit y avoir proportionnalité entre le préjudice dont l’accusé est menacé et celui qu’il inflige. Le préjudice causé par l’accusé ne doit pas être plus grave que celui dont il a été menacé. Cet élément est aussi évalué en fonction d’une norme objective modifiée;

              l’accusé n’a participé à aucun complot ni à aucune association le soumettant à la contrainte, et savait vraiment que les menaces et la contrainte l’incitant à commettre une infraction criminelle constituaient une conséquence possible de cette activité, de ce complot ou de cette association criminels.[18]

[Caractères gras ajoutés]

[28]        L’appelant fait valoir qu’en « ajoutant » l’élément de l’absence de moyen de s’en sortir sans danger à la version législative, la Cour suprême « a usurpé la fonction du législateur et a outrepassé ses compétences ».

[29]        Outre que la Cour est liée par l’arrêt Ryan[19]l’argument est sans valeur. L’élément de l’absence de moyen de s’en sortir sans danger n’est pas exclusif à la défense de common law. Ce critère découle expressément du sens même du vocable « contrainte » et de la nature juridique de ce moyen de défense fondé sur le principe du caractère involontaire au sens moral[20]. Le juge en chef Lamer l’explique clairement dans Hibbert :

La prétendue exigence du «moyen de s'en sortir sans danger» que comporte le droit en matière de contrainte n'est, à mon avis, qu'un exemple précis d'une exigence plus générale, analogue à celle que le juge Dickson a décrite relativement au moyen de défense fondé sur la nécessité — savoir que l'obéissance à la loi soit «démonstrativement impossible». Comme l'explique le juge Dickson, cette exigence découle directement du concept sousjacent du caractère involontaire normatif sur lequel repose le moyen de défense fondé sur la nécessité. Puisque je suis d'avis que la contrainte comme moyen de défense doit être considérée comme ayant le même fondement théorique, il s'ensuit que ce moyen de défense comporte une exigence semblable — savoir qu'il ne peut être invoqué que si l'accusé soumis à la contrainte n'a, pour reprendre l'expression du juge Dickson, aucun «moyen de s'en sortir légalement». La règle qui veut que l'accusé ne puisse invoquer le moyen de défense fondé sur la contrainte si un «moyen de s'en sortir sans danger» s'offrait à lui n'est qu'un exemple précis de cette exigence générale — si l'accusé avait pu s'en sortir sans danger excessif, la décision de commettre l'infraction devient, comme le fait observer le juge Dickson dans le contexte de la nécessité, «un acte volontaire, mû par quelque considération autre que les impératifs de la "nécessité" et de l'instinct humain».[21]

[Caractères gras ajoutés]

[30]        Bien que ces propos concernent la défense de contrainte de common law, ils sont tout à fait transposables à la version législative de cette défense[22].

[31]        L’appelant attaque aussi les directives du juge selon lesquelles le fait qu’il avait en sa possession un téléphone cellulaire alors qu’il se trouvait seul dans sa voiture est pertinent pour évaluer le critère du moyen de s’en sortir sans danger. Il soutient que ces directives ont porté atteinte à son droit à la protection contre l’auto-incrimination. Il convient de reproduire les passages pertinents :

Ce que je vous ai dit, par ailleurs... ce que je vous ai dit, par ailleurs, puis ça je vous le redirai encore une fois lorsque je résumerai la thèse des parties, il a été question du téléphone qu'avait en sa possession monsieur Rochon dans le contexte que je vous ai décrit, alors qu'on parlait de la troisième question en matière de contrainte, la question de la possibilité de s'en sortir.

On s'entend que c'est un élément nécessairement dont vous devez tenir compte, mais je rappelle à votre attention qu'effectivement ne perdez pas de vue non plus, par ailleurs, que comme tel un individu n'a pas d'obligation légale d'agir, de... soit de réclamer la protection des autorités policières, soit de dénoncer un crime dont il serait témoin, alors qu'il est en cours, ne perdez pas ça de vue.

Par ailleurs, comme je vous l'ai dit également, dans le contexte le fait que monsieur a, à ce moment-là, un téléphone, a sa pertinence, rappelez-vous de l'explication qu'il donne à ce sujet-là. D'ailleurs, il dit, dans l'état où je me trouve, je ne pense... je ne pense même pas au fait que je suis en possession d'un téléphone. Ça sera à vous d'apprécier l'ensemble.

[Caractères gras ajoutés]

[32]        Ces directives sont conformes au droit. D’une part, le juge a clairement indiqué au jury que l’appelant n’avait pas l’obligation de contacter les autorités ni celle de se dénoncer. D’autre part, le fait que l’appelant avait en sa possession un téléphone cellulaire était pertinent dans l’évaluation du critère du moyen de s’en sortir sans danger[23]. Rappelons que ce critère s’évalue selon la norme objective modifiée de la personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire[24].

[33]        Bref, la prise en compte, au moment d’apprécier la défense de contrainte, du défaut de l’appelant de demander la protection de la police ne viole pas son droit à la protection contre l’auto-incrimination. Cette preuve sert non pas à prouver les éléments constitutifs de l’infraction, mais à réfuter le moyen de défense soulevé par l’appelant[25].

[34]        De plus, la question de savoir s’il existait un autre moyen de s’en sortir sans danger se pose tant que l’infraction reprochée n’est pas complétée[26]. C’est la conclusion à laquelle en est venue la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Foster[27]. Dans cette affaire, Simone Foster était accusée d’avoir importé de la cocaïne au Canada au retour d’un voyage auprès de sa famille en Jamaïque. Les stupéfiants avaient été découverts sur elle à son arrivée en sol canadien par un agent des services frontaliers de l’aéroport Pearson à Toronto. À son procès, elle admettait avoir commis l’infraction, mais invoquait avoir agi sous la contrainte d’un homme jamaïcain qui menaçait de tuer ses proches si elle ne lui obéissait pas. Déclarée coupable en première instance, elle attaquait en appel les directives du juge selon lesquelles le jury pouvait considérer son défaut de solliciter l’aide des autorités à son arrivée à l’aéroport Pearson de Toronto :

[45] The appellant contends that once she entered Canada carrying the cocaine, the offence was complete. Law enforcement officials had no discretion to release her. Their only option was to arrest her. She had no means of escape at the airport because, to be availing, the legal means of escape must precede the crystallization of the offence. It follows, the appellant continues, that the trial judge’s instruction that the appellant could have sought help from Canadian Border Services Agency officers at the airport as a safe avenue of escape was wrong in law and deprived her of a proper adjudication of the excuse of duress. This error, the appellant says, entitles her to a new trial.[28]

[Caractères gras ajoutés]

[35]        Le juge Watt, qui rédige les motifs de la Cour d’appel de l’Ontario, reconnaît d’abord le bien-fondé en droit de l’argument de madame Foster :

[97] Central to our decision on this ground of appeal is a determination of when the offence of importing was complete. That determination is critical because if the offence was complete prior to the appellant’s contact with ground personnel at Pearson International Airport, in particular members of the Canadian Border Services Agency, then the jury should not have been told to consider their availability in assessing whether the appellant had a safe avenue of escape.[29]

[36]        Puis, adoptant une approche fonctionnelle, le juge Watt conclut que l’infraction n’était pas complétée et, partant, que l’accusée disposait d’un moyen de s’en sortir sans danger en sollicitant l’aide des autorités canadiennes présentes sur les lieux au moment de son arrivée :

[108] Finally, looked at in a functional way, the importing offence in this case was complete in law but not in fact when the contraband was seized on the appellant’s arrest at secondary inspection. While it is true that the courier and the contraband entered Canada at Pearson International Airport, both remained in limbo at the time of the appellant’s arrest. Since the appellant did not clear customs undetected, the object of the importation – to bring cocaine from Jamaica to a Canadian recipient – had not concluded. The importing was not factually complete.

Was There a Safe Avenue of Escape?

[109] Once we accept that the offence of importing was not complete until the appellant and the contraband cleared customs, it follows that a safe avenue of escape was or remained open with the Canadian Border Services Agency or other law enforcement officers at the airport. Despite the factual differences between this case and Valentini, the decision of this court in Valentini shutters the argument advanced here.[30]

[37]        Ce raisonnement s’applique en l’espèce. Bien que l’appelant eût déjà posé des gestes de la nature de la complicité après le fait au moment où il s’est trouvé seul dans sa voiture en possession de son téléphone cellulaire, l’infraction reprochée n’était pas encore complétée. Dès lors, le jury pouvait considérer ce fait pour évaluer s’il existait un moyen de s’en sortir sans danger.

mardi 16 avril 2013

Revue du droit par la Cour suprême sur la défense de contrainte

R. c. Ryan, 2013 CSC 3 (CanLII)

Lien vers la décision

(2) La contrainte comme moyen de défense prévu par la loi, après l’arrêt Ruzic

[43] Que reste‑t‑il donc de l’art. 17 après l’arrêt Ruzic? La Cour n’a pas invalidé complètement l’art. 17, ne le déclarant inconstitutionnel qu’« en partie » (par. 1). Par conséquent, les quatre conditions nécessaires pour invoquer le moyen de défense prévu par la loi demeurent inchangées après l’arrêt Ruzic :

1. il doit y avoir une menace de causer la mort ou des lésions corporelles visant l’accusé ou un tiers;

2. l’accusé doit croire que les menaces seront mises à exécution;

3. l’infraction ne doit pas figurer sur la liste des infractions exclues;

4. l’accusé ne participe à aucun complot ni à aucune association le soumettant à la contrainte.

[44] Toutefois, la Cour, dans Ruzic, n’a pas seulement confirmé l’opposabilité du moyen de défense prévu par la loi en vigueur après l’avoir simplement dépouillé de ses parties inconstitutionnelles. Elle a aussi complété l’interprétation et l’application de l’art. 17 avec des éléments du moyen de défense de common law fondé sur la contrainte qui, selon elle, « s’accord[ent] davantage avec les valeurs de la Charte » (par. 56). Autrement dit, elle s’est servie, dans cette affaire, de la norme de common law pour interpréter les conditions positives de la loi (voir D. M. Paciocco, « No‑one Wants to Be Eaten: The Logic and Experience of the Law of Necessity and Duress » (2010), 56 Crim. L.Q. 240, p. 273).

[45] En cas d’ambiguïtés ou de lacunes dans l’art. 17 partiellement invalidé, le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte s’applique de façon à préciser et à compléter le moyen de défense prévu par la loi :

L’analyse de la contrainte en common law verra son utilité confirmée du fait qu’elle permettra de clarifier les règles qui devaient être appliquées au moyen de défense de l’accusée en l’espèce et qui deviendront dorénavant applicables dans tous les autres cas, après l’invalidation partielle de l’art. 17 du Code criminel. [Nous soulignons; Ruzic, par. 55.]

[46] Dans l’arrêt Ruzic, la Cour a énoncé et analysé, relativement au moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, trois éléments clés qui s’appliquent maintenant dans les causes relatives à l’art. 17, conjointement avec les quatre conditions qui comporte encore le moyen de défense fondé sur la loi : (1) aucun moyen de s’en sortir sans danger; (2) un lien temporel étroit; (3) la proportionnalité (voir Parent, p. 549‑550).

a) Aucun moyen de s’en sortir sans danger

[47] Le moyen de défense fondé sur la contrainte « se concentre sur la recherche d’un moyen de s’en sortir sans danger » (Ruzic, par. 61). À la suite de sa décision rendue dans Hibbert, la Cour a conclu, dans Ruzic, que ce moyen de défense ne s’appliquait pas aux personnes qui auraient pu échapper légalement et sans danger à la situation de contrainte. Pour pouvoir invoquer ce moyen de défense, l’accusé ne doit disposer d’aucun moyen de s’en sortir sans danger. Ce critère est lui‑même évalué en fonction de la norme objective modifiée de la personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire.

b) Un lien temporel étroit

[48] Il doit exister « un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer » (Ruzic, par. 96). Ce lien étroit entre les menaces et leur exécution doit être tel que l’accusé perde la capacité d’agir volontairement. L’exigence d’un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer est liée à l’exigence que l’accusé ne dispose d’aucun moyen de se soustraire sans danger à la menace. Comme la Cour l’a expliqué dans Ruzic, des menaces « proférées longtemps auparavant [. . .] contribueraient à mettre en doute leur propre gravité et, plus particulièrement, l’argument de l’absence de moyen de s’en sortir sans danger » (par. 65).

[49] Tant que les exigences d’immédiateté et de présence de l’art. 17 demeuraient inchangées, les facteurs relatifs au moyen de se soustraire sans danger à la menace et au lien temporel étroit n’étaient guère pertinents. Des menaces de mort ou de lésions corporelles immédiates qui, selon leur destinataire, seront exécutées par une personne présente garantissaient l’existence d’un lien temporel étroit et ne laissaient au destinataire aucun moyen de s’en sortir sans danger. Toutefois, depuis l’invalidation des exigences d’immédiateté et de présence de l’art. 17, les exigences de la common law relatives à l’absence de moyen de se soustraire sans danger à la menace et au lien temporel étroit sont devenues des moyens essentiels pour évaluer le caractère moralement involontaire des actes de l’accusé.

[50] De plus, après l’invalidation des exigences d’immédiateté et de présence, la croyance de l’accusé voulant que les menaces seraient mises à exécution devait désormais être évaluée en fonction d’une norme objective modifiée de la personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire. En effet, l’article 17 prévoit qu’une personne sera excusée « si elle croit que les menaces seront mises à exécution ». Donc, à première vue, l’article exige une croyance purement subjective, une norme moins exigeante qui était logique lorsque les menaces étaient manifestement immédiates et que leur auteur était physiquement présent sur les lieux. Cependant, une fois supprimées les exigences d’immédiateté et de présence, l’appréciation de la croyance de l’accusé que les menaces seront mises à exécution commande nécessairement une norme d’évaluation plus exigeante. En d’autres termes, la croyance réelle de l’accusé doit également être raisonnable.

[51] En interprétant les exigences d’un moyen de s’en sortir sans danger et d’un lien temporel étroit, la norme purement subjective devient une évaluation fondée sur une norme objective modifiée. Ces deux éléments, conjugués à la croyance que les menaces seront mises à exécution, doivent être analysés dans leur ensemble : l’accusé ne peut raisonnablement croire que les menaces seront mises à exécution s’il y a une possibilité de se soustraire à la menace sans danger et s’il n’existe aucun lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer.

[52] L’ajout des exigences de common law dans le but de remplacer les éléments désormais invalidés d’immédiateté et de présence de l’art. 17 tempère donc l’application du critère de la croyance purement subjective dans la gravité des menaces. De plus, ces nouvelles exigences harmonisent la disposition législative avec le principe du caractère involontaire au sens moral. L’opinion de la société sur la conduite de l’accusé constitue un aspect important du principe; il serait donc contraire à la nature même du caractère involontaire au sens moral d’accepter sans plus la croyance subjective de l’accusé, sans obliger la présence de certains facteurs externes. Renvoyant à l’arrêt R. c. Howe, [1987] A.C. 417 (H.L.), p. 426, Baker convient que [traduction] « [l]es menaces doivent comporter un degré de violence à ce point important qu’on peut penser qu’’une personne raisonnablement déterminée’ ayant les mêmes caractéristiques et se trouvant dans la même situation que le défendeur n’aurait pas pu résister » (par. 25‑015). Il affirme expressément que l’accusé doit avoir des motifs raisonnables de croire que les menaces seront mises à exécution (Baker, par. 25‑015 et 25‑016).

c) La proportionnalité

[53] Le moyen de défense fondé sur la contrainte exige un rapport de proportionnalité entre les menaces proférées et l’acte criminel qui serait commis. En d’autres termes, le préjudice causé ne doit pas être plus grave que le préjudice évité. La proportionnalité s’apprécie en fonction de la norme objective modifiée de la personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable, et comporte l’exigence que l’accusé adapte sa conduite en fonction de la nature des menaces proférées : « On doit s’attendre à ce que l’accusé démontre un certain courage et oppose une résistance normale aux menaces proférées » (Ruzic, par. 62).

[54] La proportionnalité constitue une composante fondamentale du moyen de défense fondé sur la contrainte parce que, tout comme les deux éléments précédents, elle découle directement du principe du caractère involontaire au sens moral. En effet, seule une action fondée sur des menaces proportionnellement graves auxquelles l’accusé s’oppose en démontrant un courage normal peut être considérée comme involontaire au sens moral. De plus, comme l’arrêt Ruzic a décidé que le principe du caractère involontaire au sens moral était un principe de justice fondamentale, son inclusion par interprétation dans l’art. 17 s’impose afin de respecter la règle d’interprétation législative selon laquelle que les tribunaux doivent privilégier l’interprétation constitutionnelle d’une loi.

(3) Le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte après l’arrêt Ruzic

[55] Suivant l’analyse faite par la Cour dans l’arrêt Ruzic, nous pouvons conclure que les règles de common law en matière de contrainte comprennent les éléments suivants :

• des menaces explicites ou implicites de mort ou de lésions corporelles proférées contre l’accusé ou un tiers. Les menaces peuvent porter sur un préjudice futur. Bien que, traditionnellement, le degré de préjudice corporel ait été décrit comme devant être « grave », il vaut mieux examiner cette question de la gravité à l’étape de la proportionnalité, qui représente un critère capable d’établir le degré approprié de préjudice corporel;

• l’accusé croyait, pour des motifs raisonnables, que les menaces seraient mises à exécution;

• il n’existe aucun moyen de se soustraire sans danger à la menace; cet élément est évalué en fonction d’une norme objective modifiée;

• il doit exister un lien temporel étroit entre les menaces proférées et le préjudice qu’on menace de causer;

• il doit exister un rapport de proportionnalité entre le préjudice dont l’accusé est menacé et celui qu’il inflige. Cet élément doit également être évalué en fonction d’une norme objective modifiée;

• l’accusé n’a participé à aucun complot ni à aucune association le soumettant à la contrainte, et savait vraiment que les menaces et la contrainte l’incitant à commettre une infraction criminelle constituaient une conséquence possible de cette activité, de ce complot ou de cette association criminels.

vendredi 25 janvier 2013

La différence entre la contrainte et la légitime défense

R. c. Ryan, 2013 CSC 3

Lien vers le jugement

[19]                          Dans ce passage, le juge en chef évoque deux différences qui « pourrai[en]t bien fonder une différence juridique utile » entre la contrainte et la légitime défense : par. 50. 

[20]                          Premièrement, la légitime défense repose sur le principe voulant qu’il est légitime, dans des circonstances bien définies, d’opposer la force à la force (ou aux menaces d’employer la force) : 

[traduction] « une personne qui est illégitimement menacée ou agressée doit avoir le droit de répliquer » : M. Manning et P. Sankoff, Manning Mewett & Sankoff: Criminal Law (4th ed., 2009), p. 532.  L’agresseur‑victime, comme l’affirme le juge en chef, « ne reçoit que ce qu’[il] mérite » : par. 50.  Cependant, dans les cas de contrainte et de nécessité, la victime est généralement un tiers innocent : voir D. Stuart, Canadian Criminal Law : A Treatise (6th ed., 2011), p. 511.  Deuxièmement, dans les cas de légitime défense, la victime agresse ou menace tout simplement l’accusé; le motif de l’agression ou des menaces n’a pas d’importance.  Dans les cas de contrainte, par contre, la menace a pour but de forcer l’accusé à commettre une infraction.  En clair, la légitime défense constitue une tentative par la victime de mettre fin aux menaces ou aux agressions qu’elle subit en opposant la force à la force; pour sa part, la contrainte amène une personne à succomber aux menaces en commettant une infraction.

[21]                          Toutefois, il ne s’agit pas des seules différences entre la contrainte et la légitime défense.  En effet, selon nous, deux autres différences importantes doivent être prises en compte.

 [29]                          La notion de contrainte ne peut pas être élargie de manière à s’appliquer aux situations où l’accusé oppose la force à la force, ou à la menace de la force, lorsque la légitime défense ne peut être invoquée.  La contrainte est, et doit demeurer, un moyen de défense qui ne peut être invoqué que dans des cas où l’accusé a été forcé de commettre une infraction précise en réplique à des menaces de mort ou de lésions corporelles.  Ce principe limite clairement à certaines situations de fait précises la possibilité d’invoquer ce moyen de défense.  Les éléments de common law constituant la contrainte ne peuvent donc pas être utilisés pour « combler » un présumé vide créé par les limites bien définies par la loi en matière de légitime défense.

jeudi 21 juin 2012

La défense de contrainte vue par la Cour d'appel de l'Ontario

R. v. Yumnu, 2010 ONCA 637 (CanLII)

Lien vers la décision

[197] The essential elements of the excuse of duress include:

i. a threat of death or serious bodily harm to the accused;

ii. a belief on the accused’s part that the threat could be carried out;

iii. the threat could cause a reasonable person in the accused’s position to do as the accused did;

iv. the accused had no safe avenue of escape; and

v. the accused committed the offence only because of the threats of death or serious bodily harm.

R. v. Hibbert, 1995 CanLII 110 (SCC), [1995] 2 S.C.R. 973, at paras. 51-62.

[198] In some instances, that a person commits an offence as a result of threats of death or serious bodily harm can be relevant to proof of the mental or fault element in the crime. In those circumstances, an accused may rely on evidence of threats to contend that the prosecutor has not proven the necessary fault or mental element beyond a reasonable doubt: Hibbert at para. 45.

[199] But duress is also an excuse. Regardless of its relevance to proof of the mental or fault element, an accused may be able to invoke the statutory or common law excuse to escape conviction: Hibbert at para. 45.

mercredi 15 février 2012

La défense de contrainte nécessite la preuve de trois éléments

Fleury c. R., 2005 QCCA 436 (CanLII)

Lien vers la décision

[21] Dans l’arrêt R. c. Ruzic, la Cour suprême traite de la défense de contrainte morale. Elle rappelle que, selon un principe de justice fondamentale, seule la conduite volontaire – le comportement qui résulte du libre arbitre d’une personne qui a la maîtrise de son corps, en l’absence de toute contrainte extérieure – entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle et la stigmatisation qui en découle.

[22] La défense de contrainte nécessite la preuve des trois éléments suivants :

• Il doit y avoir menace d’atteinte à l’intégrité physique;

• Il ne doit pas y avoir d’autre façon raisonnable de s’en sortir sans danger;

• Il doit y avoir proportionnalité entre les menaces proférées et l’infraction criminelle à accomplir.

dimanche 7 mars 2010

Existence en droit canadien du moyen de défense affirmatif, relevant de l'excuse, fondé sur la contrainte

R. c. Orchard, 2006 QCCQ 3374 (CanLII)

[60] Dans les arrêts R. c. Hibbert et R. c. Ruzic, la Cour suprême du Canada confirme l'existence en droit canadien du moyen de défense affirmatif, relevant de l'excuse, fondé sur la contrainte et en dessine les contours.

[61] L'on peut en tirer les propositions suivantes :

- les moyens de défense de common law fondés sur la nécessité et la contrainte s'appliquent à des situations de faits identiques; par conséquent, ils reposent sur le même fondement théorique;

- le moyen de défense de contrainte doit répondre aux conditions suivantes :

• l'existence d'un danger imminent et évident;

• l'absence de solution raisonnable et légale autre que celle de contrevenir à la loi;

• le danger évité doit être proportionné « au mal causé par [les actes illégaux] ».

- il n'est pas nécessaire que le danger soit immédiat; il suffit d'interpréter le critère d'immédiateté comme exigeant la présence d'un lien temporel étroit entre les menaces et la mise en exécution;

- la norme applicable pour apprécier, d'une part, la gravité du danger, et d'autre part, déterminer si le défendeur a un moyen de s'en sortir, s'avère à la fois objective et subjective;

- cette norme doit donc prendre en compte le point de vue de la personne raisonnable placée dans des circonstances similaires, mais aussi la situation particulière de la personne invoquant le moyen et sa capacité de trouver une solution raisonnable autre que celle de commettre les infractions, eu égard à ses antécédents personnels et ses caractéristiques essentielles;

- plus particulièrement, l'existence d'un moyen de s'en sortir sans danger, une illustration de la seconde condition susmentionnée, pourrait être déterminée selon une norme objective tout en prenant en considération la situation personnelle de la personne invoquant le moyen, jugée « pertinente et importante ».

[62] Par ailleurs, la personne qui invoque le moyen de défense fondée sur la contrainte doit s'acquitter d'un fardeau de présentation consistant à faire valoir des éléments de preuve suffisamment probants qui permettraient éventuellement, au vu de toutes les circonstances « de conserver un doute raisonnable quant au moyen de défense soulevé ».

[63] Quand les faits permettent la présentation d'une telle défense, il incombe au Ministère public d'établir hors de tout doute raisonnable que l'accusé n'a pas agi sous le fait de la contrainte

Le moyen de défense fondé sur la contrainte pour un participant à une infraction par l’application de l’article 21(1)(b) du Code criminel

R. c. Gionet, 2009 NBCP 10 (CanLII)

23. Le moyen de défense fondé sur la contrainte pour un participant à une infraction par l’application de l’article 21(1)(b) du Code criminel est conservé par le paragraphe 8(3) du Code criminel. Il s’agit d’un moyen de défense reconnu en common law au Canada depuis longtemps. Ce moyen de défense doit être différencié de celui retrouvé dans l’article 17 du Code criminel. Dans l’arrêt Paquette c. La Reine 1976 CanLII 24 (C.S.C.), [1977] 2 R.C.S. 189, la Cour suprême du Canada a conclu que l’article 17 du Code criminel ne s’appliquait qu’aux personnes qui sont l’auteur principal d’une infraction et non aux personnes qui sont participants à une infraction par l’application de l’article 21 du Code criminel. Pour cette raison, M. Gionet ne peut pas fonder son moyen de défense sur l’article 17 - il n’était pas l’auteur principal du vol : voir R. c. Hibbert 1995 CanLII 110 (C.S.C.), [1995] 2 R.C.S. 973.

24. Le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte fournit une « excuse » et protège absolument contre une déclaration de culpabilité à l’infraction. Une excuse reconnaît que l’acte en question était répréhensible mais empêche à son auteur l’imputation de criminalité ou de responsabilité criminelle. La notion de caractère involontaire au sens moral empêche l’attribution d’une responsabilité délictuelle en raison du fait que l’auteur du délit, qui reconnaît sa participation à l’infraction, est nonobstant excusé pour sa criminalité en raison des circonstances extrêmes dans lesquelles il a agi. Un individu ne devrait pas être reconnu criminellement responsable pour des gestes s’il réagissait à une menace de préjudice imminent. Si l’on élimine le choix viable ou raisonnable, l’auteur d’un délit agit de façon inévitable. Il n’avait pas, selon lui, aucun choix que de commettre l’infraction en question. La contrainte fournit également une excuse aux personnes qui aident quelqu’un à commettre une infraction par suite de menaces de violence grave : voir R. c. Hibbert (supra) au paragraphe 38.

25. Le moyen de défense fondé sur la contrainte entre en jeu « dans des circonstances où une personne est exposée à un danger extérieur et qui, pour éviter le danger qui la menace, accomplit un acte qui serait par ailleurs criminel » : R. c. Hibbert (supra) au paragraphe 50. La jurisprudence renseigne que les éléments constitutifs du moyen de défense de contrainte fondé sur la common law sont les suivants :

1) Que l’accusé a agi uniquement en résultat des menaces de mort ou de lésions corporelles graves. Les menaces doivent viser l’intégrité de la personne. Il doit exister un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer;

2) Que les menaces étaient de telle nature à porter l’accusé à croire qu’elles pourraient être mises en œuvre. Les menaces devaient être des menaces réelles qui ont influencé l’accusé au moment où il a commis l’infraction. Les menaces peuvent être de nature explicite ou implicite - voir R. v. Mena 1987 CanLII 2868 (ON C.A.), (1987) 34 C.C.C. (3d) 304 (C.A. Ont) à la page 322 :

« Mere fear does not constitute duress in the absence of a threat, either express or implied. Where an implied threat is relied upon to constitute duress either under s. 17 or under the common law, the threshold question is whether the acts, conduct or words of the person alleged to have made the threat could reasonably be construed as a threat of the required kind.” . . .

3) Que les menaces devaient être si graves ou sérieuses qu’elles auraient l’effet de causer chez la personne raisonnable qui se situe dans la même situation que l’accusé à agir de la même façon. Il s’agit donc d’appliquer une norme à la fois subjective et objective dans l’appréciation de la gravité des menaces. Il existe une exigence de proportionnalité entre les menaces proférées et l’acte criminel à accomplir. Selon R. c. Ruzic, 2001 CSC 24 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 687 au paragraphe 62 :

« . . . un accusé soumis à une contrainte ne possède pas seulement des droits, mais encourt également des obligations envers autrui et la société. L’accusé assume, envers les autres êtres humains, l’obligation fondamentale d’adapter sa conduite en fonction de la gravité et de la nature des menaces proférées. »

4) Que l’accusé n’avait pas de moyen de s’en sortir sans danger. Encore une fois, la norme subjective et objective entre en jeu pour déterminer la viabilité d’un moyen de s’en sortir sans danger. Il faut préciser que la loi n’oblige aucunement que l’accusé demande la protection de la police dans tous les cas. L’exigence d’objectivité doit tenir compte de la situation particulière dans laquelle se trouvait l’accusé et de la façon dont il percevait la situation dont il faisait face : voir R. c. Ruzic (supra) au paragraphe 98.

26. En ce qui concerne les troisième et quatrième volets des éléments constitutifs, l’application de la norme objective et subjective exige que le tribunal examine objectivement, du point de vue de la personne raisonnable, les éléments de preuve qui soutiennent la gravité de la menace ainsi que l’existence d’un moyen de s’en sortir sans danger, mais le tribunal doit prendre en considération :

« . . . la situation particulière dans laquelle se trouvait le prévenu et la capacité de celui-ci de discerner une solution autre que celle de commettre un crime, compte tenu de ses antécédents et de ses caractéristiques essentielles. Le processus comporte une appréciation pragmatique de la situation de l’accusé, tempérée par la nécessité d’éviter d’écarter la responsabilité criminelle sur la foi d’une excuse purement subjective et invérifiable. » (Voir R. c. Ruzic, (supra) au paragraphe 61.)

Cet arrêt reconnaît aussi qu’il existe chez l’accusé la responsabilité de démontrer un certain courage et d’opposer une résistance normale aux menaces proférées. (Voir le paragraphe 62.)

27. C’est à l’accusé d’invoquer le moyen de défense. Il doit présenter des preuves à ce sujet. Il n’est pas cependant obligé de témoigner, mais peut avancer le moyen de défense par d’autres preuves admissibles. Une fois que l’accusé a présenté suffisamment de preuve pour invoquer le moyen de défense en question, il incombe au ministère public d’établir hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’a pas agi sous l’effet de la contrainte. (Voir R. c. Ruzic (supra) au paragraphe 100.)

28. Nonobstant que l’excuse fondée sur la contrainte exonère l’accusé de toute responsabilité personnelle en mettant l’accent non pas sur l’acte répréhensible mais plutôt sur les circonstances du délit ainsi que la capacité personnelle de l’accusé de l’éviter, il faut toujours prendre en ligne de compte que ce moyen de défense est considéré comme une concession à la faiblesse humaine. Comme le précise le juge LeBel au paragraphe 40 de l’arrêt Ruzic : « La loi est conçue pour s’appliquer aux personnes ordinaires et non à une collectivité de saints ou de héros ».

La défense statutaire de contrainte qu'on retrouve à l'article 17 C.cr. était disponible uniquement à celui qui avait réellement commis l'offense

St-Jacques c. R., 2008 QCCS 6631 (CanLII)

[11] Dans Paquette, la Cour suprême a décidé, entre autres, que la défense statutaire de contrainte qu'on retrouve à l'article 17 C.cr. était disponible uniquement à celui qui avait réellement commis l'offense. La défense statutaire n'était pas disponible à celui ou celle qui avait aidé ou encouragé la commission de l'offense :

À mon avis, l'art. 17 ne s'applique que lorsque la personne qui l'invoque a elle-même perpétré une infraction.



L'article vise expressément «une personne qui commet une infraction». Il ne parle pas d'«une personne qui est partie à une infraction». Cette nuance est importante car aux termes de l'al. a) de l'art. 21(1), est partie à une infraction quiconque «la commet réellement». Les alinéas (b) et (c) de ce paragraphe traitent des cas où une personne aide ou encourage quelqu'un à commettre une infraction. À mon avis, l'art. 17 codifie le droit en matière d'excuses fondées sur la contrainte dans les seuls cas de perpétration réelle d'un crime mais, compte tenu de son libellé, il ne va pas plus loin.

[13] Dans un premier temps, une phrase peut se retrouver à différents endroits dans une loi. Dépendant du contexte, la phrase peut se prêter à des interprétations différentes:

… quand le législateur rédige une loi dans des termes qui, à première vue, peuvent avoir plusieurs sens, il convient que la cour détermine lequel de ceux-ci est le plus compatible avec l'intention du législateur.

[14] L'actus reus de l'infraction consistant à conseiller un crime est presque le même dans les articles 22 et 464 C.cr. La seule différence consiste en la présence d'un élément essentiel additionnel à l'article 22 – le fait que le crime ait été commis. La Cour suprême a décrit l'actus reus de la façon suivante :

… l'actus reus de l'infraction consistant à conseiller un crime réside dans le fait d'encourager délibérément ou d'inciter activement la perpétration d'une infraction criminelle.

[15] Rien dans cette définition n'exige que l'infraction criminelle soit commise par celui ou celle qui est encouragé ou incité.

[16] Dans l'arrêt Hamilton, la Cour suprême cite avec approbation un passage du Document de travail 45 de la Commission de réforme du droit du Canada. La Commission note que le fondement de la criminalisation de conseiller la perpétration d'une infraction criminelle est le suivant :

… si le fait principal (par exemple le meurtre) est condamnable, la société souhaitera que personne ne le commette. Elle souhaitera également que personne ne tente de le commettre, ne conseille à autrui de le faire ou ne l'y incite. Car si le fait principal crée en soi un préjudice concret, la tentative, l'incitation, les conseils entraînent également un risque. Ils augmentent en effet la probabilité que le préjudice en question soit causé.

[17] Cette Cour considère qu'il est aussi moralement blâmable de conseiller à une personne de commettre une infraction elle-même que de conseiller à cette personne d'aider ou encourager une tierce personne à le commettre.

[18] Si le requérant avait raison, la présence de la phrase «… conseille à une autre personne de participer à une infraction…» à l'article 22 C.cr. couvrirait toutes les façons d'engendrer sa responsabilité criminelle prévue à l'article 21 C.cr. Donc, si le crime conseillé est commis, celui ou celle qui a conseillé à quelqu'un d'aider ou d'encourager la commission sera tenu criminellement responsable. Avec égards, aucun argument logique ne pourrait expliquer pourquoi le législateur voudrait envisager une responsabilité criminelle plus restreinte si le crime conseillé n'était pas commis.

dimanche 13 septembre 2009

Analyse des décisions relatives à la nécessité

R. c. Sabourin-Thibeault, 2006 QCCQ 7340 (CanLII)

[68] Comme on peut le constater avec ce qui précède, l’accusé avance des éléments factuels qui sont caractéristiques d’une défense de la nature d’une contrainte et qui prennent aussi appui sur la nécessité. Il s’agit dans les 2 cas, d’excuses reconnues en common law et toujours en vigueur comme moyens de défense en vertu du paragraphe 3, de l’article 8 du Code criminel.

[69] Cela dit, ces deux moyens sont souvent confondus car mis à part la nature de l’élément déclencheur qui amène l’accusé à commettre l’acte reproché, ils sont identiques.

[70] Dans l’affaire Perka, la Cour suprême s’est penchée sur le fondement philosophique de l’excuse de la nécessité comme moyen de défense. Ainsi au paragraphe 29 :

«Vu comme une «excuse» cependant, le moyen de défense résiduel fondé sur la nécessité, à mon avis prête beaucoup moins à la critique. Il se fonde sur une appréciation réaliste de la faiblesse humaine, tout en reconnaissant qu’un droit criminel humain et libéral ne peut astreindre des personnes à l’observation stricte des lois dans des situations d’urgence où les instincts normaux de l’être humain, que ce soit celui de conservation ou d’altruisme, commandent irrésistiblement l’inobservation de la loi. Le caractère objectif du droit est préservé; de tels actes sont toujours mauvais, mais dans les circonstances ils sont excusables…»

[71] La nécessité, tel qu’explicitée au paragraphe 33 dans l’affaire Perka est avant tout une situation qui naît de l’environnement dans lequel se trouve l’accusé et qui amène ce dernier à se détourner du respect de loi.

[72] Quant aux limites de ce moyen de défense, on peut lire ce qui suit aux paragraphes 37 et 38 :

- Si le moyen de défense fondé sur la nécessité doit faire partie valable et logique de notre droit criminel, il faut, comme tout le monde s’est accordé à le reconnaître, qu’il soit strictement contrôlé et scrupuleusement limité aux situations qui répondent à sa raison d’être fondamentale. Cette raison d’être, comme je l’ai indiqué, est la reconnaissance qu’il ne convient pas de punir des actes qui sont «involontaires» sur le plan normatif. Les contrôles et limites appropriés imposées au moyen de défense fondé sur la nécessité visent donc à assurer que les actes auxquels on demande d’appliquer le bénéfice de l’excuse sont vraiment «involontaires» au sens requis.

- Dans l’arrêt Morgentaler, précité, j’ai exprimé l’avis que tout moyen de défense fondé sur la nécessité ne s’applique qu’aux cas de désobéissance «dans des situations urgentes de danger imminent et évident lorsque l’obéissance de la loi est démonstrativement impossible. À mon avis cette restriction vise directement le «caractère involontaire» de la conduite apparemment répréhensible, en fournissant un certain nombre de critères qui permettent de déterminer si l’acte mauvais était vraiment la seule réaction possible pour la personne en question ou si, en réalité, elle a fait ce qu’on pourrait à juste titre appeler un choix. Si elle a fait un choix, alors l’acte mauvais ne peut pas avoir été involontaire au sens pertinent.»

[73] Pour le Tribunal, il est évident qu’une interprétation littérale de ce qui précède peut mener à une analyse excessivement rigide en ce que toute action de l’accusé est un choix en soi. Ce qu’il faut déterminer, c’est si le choix fait est l’aboutissement d’un raisonnement en vertu duquel les autres choix, le cas échéant, ne pouvaient raisonnablement être retenus étant donné les circonstances.

[74] Il faut donc comprendre que la poursuite doit principalement s’attarder au caractère volontaire de l’acte. Ainsi au paragraphe 56, la cour traite du fardeau de la preuve dans les termes suivants :

Bien que la nécessité soit désignée comme un moyen de défense en ce sens que c’est l’accusé qui l’invoque, il incombe toujours à la poursuite de faire la preuve d’un acte volontaire. La poursuite doit prouver chacun des éléments du crime imputé. Un de ces éléments est le caractère volontaire de l’acte. Normalement, le caractère volontaire peut se présumer, mais si l’accusé soumet à la cour, au moyen de ses propres témoins ou d’un contre-interrogatoire des témoins de la poursuite, des éléments suffisants pour soulever un doute que la situation engendrée par des forces extérieures était à ce point urgente que l’omission d’agir pouvait mettre en danger la vie ou la santé de quelqu’un que, suivant une analyse raisonnable des faits, il était impossible d’observer la loi, alors la poursuite se doit d’écarter ce doute. Le fardeau de la preuve ne repose pas sur l’accusé.

[75] Contrairement à la nécessité qui fait référence aux circonstances dans lesquelles se trouvent une personne, la contrainte elle, est directement liée à une menace de laquelle pourrait découler pour l’accusé ou une tierce personne des lésions corporelles ou la mort.

[76] Dans l’affaire Ruzic, la cour suprême a précisé et explicité le moyen de défense qu’est l’excuse résultant de la contrainte et a, par la même occasion, fait les rapprochements entre l’excuse qui résulte de la contrainte et celle qui résulte de la nécessité. Ainsi, aux paragraphes 30 et 31 :

o Appliquant au moyen de défense fondé sur la contrainte le raisonnement qu’elle avait tenu dans l’arrêt Perka, notre Cour a conclu, dans l’arrêt R. c. Hibbert, 1995 CanLII 110 (C.S.C.), (1995) 2 R.C.S. 973, que ce moyen de défense repose également sur la notion de caractère volontaire au sens moral. Dans les cas ou les moyens de défense fondés sur la nécessité et la contrainte sont invoqués, l’accusé prétend qu’il ne devrait pas être reconnu coupable parce qu’il a réagi à une menace de préjudice imminent. La Cour a également confirmé, dans l’arrêt Hibbert, que la contrainte n’annule pas habituellement la mens rea d’une infraction. Comme elle l’a fait à l’égard du moyen de défense fondé sur la contrainte. Par conséquent, la contrainte exonère une personne de toute responsabilité criminelle seulement après qu’on a conclu qu’elle avait la mens rea pertinente lorsqu’elle a commis l’acte prohibé : voir également Bergstrom c. La Reine, 1981 CanLII 188 (C.S.C.), (1981) 1 R.C.S. 539, p. 544 ( le juge McIntyre).

o Ainsi la contrainte, à l’instar de la nécessité, est invoquée pour éviter que la conduite moralement involontaire d’une personne engage sa responsabilité criminelle. Cette notion du «caractère volontaire au sens moral» peut-elle être reconnue comme un principe de justice fondamentale visé par l’art. 7 de la Charte ?

[77] C’est aussi dans cette affaire que la Cour explicite l’évaluation de la preuve présentée par l’accusé : le tribunal doit appliquer à la fois une norme objective et subjective, c’est-à-dire que ferait une personne raisonnable placée dans la même situation.

[78] Finalement, c’est au paragraphe 64, que la Cour confirme que pour les 2 moyens de défense, il y a identité des principes juridiques qui s’appliquent même si l’origine de l’excuse est totalement différente :

«D’après le juge en chef Lamer, dans l’arrêt Hibbert, le moyen de défense fondé sur la contrainte et celui fondé sur la nécessité reposent sur (page 274) les mêmes principes juridiques. Néanmoins, ils visent deux situations différentes. Dans le cas de nécessité, l’accusé est victime des circonstances. La contrainte a son origine dans les actes répréhensibles que les êtres humains accomplissent. En outre, le juge en chef Lamer, a établi certaines distinctions entre les conditions applicables au moyen de défense fondé sur la contrainte et celles qui s’appliquent au moyen de défense fondé sur la nécessité. Plus particulièrement, les motifs du juge en chef Lamer ne semblent pas avoir intégré dans le moyen de défense fondé sur la contrainte une exigence absolue d’immédiateté qui correspondrait exactement au contenu de l’art. 17 du Code Criminel».

[79] On peut donc affirmer que la défense de nécessité tire son origine des circonstances alors que la contrainte tire son origine des menaces faites par une ou plusieurs personnes. Les 2 situations obligent l’accusé à commettre un acte illégal. La défense et la nécessité sont en quelque sorte les deux faces d’une même pièce de monnaie.

[80] Pour les 2 moyens de défense la preuve doit faire ressortir les éléments suivants :

a) il y avait pour l’accusé ou une tierce personne, un danger réel, actuel et immi-nent sans que ce danger soit pour autant immédiat (facteur circonstanciel);

b) le temps à la disposition de l’accusé ou la nature et l’ampleur des menaces ne permettaient pas à l’accusé une alternative raisonnable et légale (facteur temporel);

c) la nature et l’ampleur du danger dépassait la gravité et les conséquences de l’acte illégal (facteur de proportionnalité);

[81] Une fois présentés en preuve, ces éléments doivent être analysés en appliquant une norme objective modifiée : objective en référence à une personne raisonnable et subjective en référence aux caractéristiques personnelles de l’accusé.

[82] C’est avec les nuances et les précisions qui précèdent que le Tribunal entend analyser la preuve présentée par l’accusé, car tel qu’explicité précédemment, cette preuve fait appel aux deux moyens de défense.

[83] Les éléments de preuve à la charge de l’accusé peuvent être présentés par des témoins de la défense et par le contre-interrogatoire des témoins de la poursuite.

lundi 31 août 2009

La contrainte / seule la conduite volontaire entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle

R. c. Ruzic, [2001] 1 R.C.S. 687, 2001 CSC 24

Sous réserve d’un contrôle de conformité avec la Constitution, le législateur conserve le pouvoir de limiter ou d’éliminer complètement l’accès à un moyen de défense en matière criminelle. Les tribunaux doivent se demander si la limitation de l’accès au moyen de défense respecte les droits garantis par la Charte. Le tribunal saisi du moyen d’inconstitutionnalité n’est pas tenu de faire preuve d’une retenue particulière en ce qui concerne les moyens de défense prévus par la loi. La détermination des cas dans lesquels il convient d’excuser une personne qui a adopté un comportement par ailleurs criminel met certes en jeu certaines valeurs, mais les moyens de défense prévus par la loi ne justifient pas une plus grande retenue du seul fait qu’ils résultent de jugements moraux complexes.

Bien que le caractère involontaire au sens moral n’annule ni l’actus reus ni la mens rea d’une infraction, il s’agit d’un principe qui, à l’instar du caractère involontaire au sens physique, mérite d’être protégé par l’art. 7 de la Charte. Un principe de justice fondamentale veut que seule la conduite volontaire — le comportement qui résulte du libre arbitre d’une personne qui a la maîtrise de son corps, en l’absence de toute contrainte extérieure — entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle et la stigmatisation que cette dernière provoque. Priver une personne de sa liberté et la marquer du stigmate de la responsabilité criminelle contreviendrait aux principes de justice fondamentale dans le cas où aucun choix réaliste ne s’offrait à elle.

L’article 17 du Code viole l’art. 7 de la Charte puisqu’il permet de déclarer criminellement responsables des individus qui ont agi involontairement. Cet article prévoit que le moyen de défense fondé sur la contrainte ne peut être invoqué que par quelqu’un qui a commis une infraction sous l’effet de menaces de mort immédiate ou de lésions corporelles proférées par une personne présente lors de l’infraction. Le sens ordinaire de l’art. 17 a une portée très restrictive. L’expression « présente lorsque l’infraction est commise », conjuguée au critère d’immédiateté, indique que l’auteur des menaces doit se trouver sur les lieux du crime ou encore à tout autre endroit où il lui sera possible de mettre ses menaces à exécution immédiatement si la personne qu’il menace refuse d’obtempérer.

En pratique, des menaces de préjudice sont rarement considérées comme immédiates si leur auteur n’est pas physiquement présent sur les lieux du crime. Les exigences d’immédiateté et de présence, prises ensemble, excluent nettement les menaces de préjudice futur. Même si l’art. 17 peut viser les menaces contre des tiers, les critères d’immédiateté et de présence entravent toujours considérablement l’accès à ce moyen de défense dans le cas de prises d’otages ou d’autres situations impliquant des tiers. La portée trop limitative de l’art. 17 viole l’art. 7 de la Charte. Le ministère public n’a pas tenté devant notre Cour de justifier les exigences d’immédiateté et de présence dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier et il ne s’est donc pas acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu de cette disposition. Quoi qu’il en soit, ces exigences ne satisferaient probablement pas au critère de proportionnalité requis par une analyse fondée sur l’article premier. En particulier, ces exigences ne semblent pas porter le moins possible atteinte aux droits que l’art. 7 garantit à l’accusée.

L’article 17 du Code n’a jamais complètement remplacé le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, qui peut toujours être invoqué par la personne qui a participé à une infraction. Le moyen de défense de common law échappe désormais aux restrictions d’immédiateté et de présence et paraît donc s’accorder davantage avec les valeurs de la Charte. Comme notre Cour l’a réitéré dans l’arrêt Hibbert, les règles de common law sur la contrainte reconnaissent qu’un accusé soumis à une contrainte ne possède pas seulement des droits, mais a également des obligations envers autrui et la société. L’accusé assume, envers les autres êtres humains, l’obligation fondamentale d’adapter sa conduite en fonction de la gravité et de la nature des menaces proférées. Le droit applicable comporte une exigence de proportionnalité entre les menaces proférées et l’acte criminel à accomplir, évaluée en fonction de la norme à la fois objective et subjective de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation similaire.

On doit s’attendre à ce que l’accusé démontre un certain courage et oppose une résistance normale aux menaces proférées. Les menaces doivent viser l’intégrité de la personne. De plus, elles doivent priver l’accusé de tout moyen de s’en sortir sans danger, selon la norme de la personne raisonnable placée dans une situation similaire.

À l’avenir dans les cas d’utilisation du moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, le juge du procès devrait donner au jury des directives claires sur ses éléments constitutifs, dont la nécessité d’un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer. L’attention du jury devrait être également attirée sur la nécessité de procéder à une appréciation à la fois objective et subjective du critère du moyen de s’en sortir sans danger.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...