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jeudi 10 avril 2025

La défense de provocation

Lefebvre c. R., 2021 QCCA 1548

Lien vers la décision


[35]      Les conditions d’ouverture du moyen de défense de provocation comportent une dimension objective et subjective[12].

A -       Élément objectif

[36]      Le volet objectif de la provocation requiert : 1) une action injuste ou une insulte et 2) que l’action injuste ou l’insulte soit suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser[13].

[37]      L’élément objectif est ici satisfait, car il concerne une action injuste suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, c’est-à-dire la menace d’un père de tuer son fils[14], une telle action injuste s’évaluant dans le contexte d’une relation de cette nature. 

[38]      Ainsi, l'historique et le contexte des relations entre la victime et l'accusé sont pertinents et utiles dans l'application du critère relatif à la « personne ordinaire »[15], car  « il faut être en présence d'une action injuste ou d'une insulte qui, à la lumière de l'historique des relations entre l'accusé et la victime, soit susceptible de priver du pouvoir de se maîtriser une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé et ayant en commun avec lui d'autres facteurs donnant à l'action ou à l'insulte en cause une importance particulière »[16].

[39]      Il faut d’ailleurs considérer « la situation particulière de l’accusé pour déterminer la norme au regard de laquelle il convient de juger sa conduite »[17], « car il est en effet impossible de conceptualiser la manière dont est censée réagir la personne ordinaire sans prendre en considération le contexte en cause »[18], le tout, sans perturber le caractère objectif de l’analyse[19].

[40]      La menace de mort proférée à l’endroit de l’appelant était certainement une action injuste, susceptible de priver une personne raisonnable de sa capacité de se maîtriser.

B -      Élément subjectif

[41]      Quant à lui, l’élément subjectif exige que : 1) l’accusé doit avoir agi en réaction à la provocation et 2) sous l’impulsion du moment, sans avoir eu le temps de reprendre son sangfroid[20]

[42]      Durant son témoignage, l’appelant décrit l’intensité des émotions vécues d’une manière compatible avec une perte de maîtrise de soi compte tenu de la soudaineté de la menace de mort proférée par son père et de sa réaction à celle-ci.

[43]      En effet, réagissant à la menace de mort de son père, l’appelant dit ressentir une « poussée d’adrénaline », il dit « Moi, là, j’ai une réaction, là, je saute dans les airs », « j’ai vraiment bondi dans les airs, là, », puis « j’ai eu très peur », « C’est là que je déclenche, là, la…». Après avoir vu son père gisant au sol, l’appelant dit : « Et là, je vais m’asseoir dans le fauteuil orange. Et là, je vais me mettre à pleurer. Je me dis : Qu’est-ce qui s’est passé? Qu’est-ce qui s’est passé? Je comprends pas. Je comprends pas qu’est-ce qui s’est passé » et « On est dans un cauchemar ».

[44]      Lors du procès, un psychiatre décrit l’appelant comme une personne ayant des traits de personnalité schizoïde, détaché des relations sociales, qui exprime difficilement ses émotions, à l’affect plat, qui a tendance à s’isoler et qui évite tant les conflits que les relations interpersonnelles. L’appelant percevait son père comme imprévisible et potentiellement dangereux.

[45]      Lorsqu’il explique la conduite de l’appelant après les événements, le psychiatre dépeint la personnalité obsessionnelle de l’appelant dont la vie rangée et routinière se voit complètement déstabilisée par l’altercation avec son père.

[46]      Selon l’expert, l’appelant, confronté à une situation impensable, un « épisode complètement chaotique de sa part », cherche alors « la façon de reprendre le contrôle de tout ça ». Cet aspect de l’opinion du psychiatre atteste indubitablement de la vraisemblance de la position de l’appelant selon laquelle il a réagi soudainement avant d’avoir repris la maîtrise de lui-même.

[47]      Dans ce contexte, la capacité limitée de l’appelant d’exprimer ses émotions n’empêchait pas de considérer que celles-ci pouvaient constituer un fondement vraisemblable à l’exigence de perte de contrôle nécessaire à la défense de provocation.

[48]      Les émotions décrites par l’appelant, supportées par l’opinion du psychiatre, étayaient suffisamment les inférences nécessaires pour satisfaire le volet subjectif de la défense de provocation[21].

[49]      Rappelons que, dans l’affaire R. c. Buzizi, la Cour suprême adopte l’opinion dissidente de la juge Bich de notre Cour dans une affaire où, comme en l’espèce, la légitime défense et la provocation pouvaient s’entremêler, car « le geste agressif de la victime a pu engendrer une réaction dont on peut concevoir qu’elle relève aussi bien de la légitime défense que de la provocation »[22].

[50]      D’ailleurs, à la suite de l’arrêt Buzizi, la Cour d’appel de l’Alberta souligne, dans l’arrêt R. v. Rasberry, que : « the range of emotions involved in provocation is not limited to rage, but includes other forms of extreme emotion »[23] et « the nature of the strong emotion elicited by the provocation is not constrained by definition »[24]

[51]      Ici, comme il se devait, le juge d’expérience qui présidait le procès a soigneusement vérifié auprès de l’avocat de l’appelant que celui-ci ne soulevait pas la provocation.

[52]      De toute évidence, il voulait préserver le droit de l’appelant de contrôler sa défense et respecter ainsi sa volonté d’éviter que le jury adopte le verdict d’homicide involontaire coupable fondé sur la provocation comme verdict de compromis[25].

[53]      Bien entendu, le juge devait considérer la nature de la défense principale présentée par l’appelant[26]. Mais, puisque celle-ci n’était pas complètement incompatible avec la légitime défense, ce facteur, comme l’enseigne l’arrêt R. c. Gauthier[27], ne s’avère pas dirimant s’il existe une preuve suffisante qui rend vraisemblable un moyen de défense.

[54]      Ainsi, la position de l’appelant ne liait pas le juge dont l’obligation demeurait entière. Lorsque la preuve administrée est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences nécessaires à l’application d’un moyen de défense, le juge du procès doit présenter celui-ci au jury pour qu’il l’évalue[28].

[55]      Dans l’affaire R. c. Johnson, la Cour d’appel de l’Ontario était confrontée à une situation où la défense principale de l’accusé n’était pas la provocation, mais plutôt le fait que la preuve n’établissait pas hors de tout doute raisonnable l’identité du meurtrier[29].

[56]      Malgré cela, le juge Watt explique que le devoir du juge du procès justifiait néanmoins d’ordonner la tenue d’un nouveau procès même si la provocation n’était pas la défense principale invoquée par l’accusé lors du procès :

[109]   What controls the obligation of the trial judge to submit the statutory partial defence of provocation to the jury for its determination is the capacity of the evidence adduced at trial to support the inferences essential to give effect to the defence. In my view, the evidence in this case met that standard. It is not for me, as it was not for the trial judge, to say whether the defence was likely, somewhat likely, very likely or not at all likely to succeed as a matter of fact.

[110]   In reaching this conclusion that the partial statutory defence of provocation should have been left to the jury, I am not unmindful of the failure of trial counsel to develop a more fulsome foundation for that defence. That he did not do so in light of his primary defence – identity – is understandable. In every event, the air of reality standard is what engages the trial judge’s obligation. Once satisfied, the obligation follows. The issue is whether the standard is met, not by how much or how little it is satisfied. I have also kept in mind the instruction of the Supreme Court of Canada that in cases of doubt about the availability of the statutory partial defence, provocation should be left to the jury.

[Soulignement ajouté]

dimanche 2 février 2025

Le moyen de défense fondé sur la provocation

Laperrière c. R., 2014 QCCA 1159 

Lien vers la décision


[26]        Avant de soumettre le moyen de défense à l’appréciation du jury, le juge du procès doit conclure que la provocation est vraisemblable eu égard à ces deux éléments objectif et subjectif.

[27]        Il s’agit alors de déterminer si un jury convenablement instruit en droit, agissant raisonnablement, pourrait avoir un doute raisonnable, fondé sur la défense de provocation, relativement à la culpabilité de l’accusé à l’accusation de meurtre.

[28]        Dans R. c. Mayuran, la Cour suprême identifie un outil efficace pour analyser le critère de la vraisemblance :

Pour déterminer si un moyen de défense est vraisemblable, il faut se demander si la preuve est suffisante. Il ne suffit pas qu’il existe « une preuve » étayant le moyen de défense (Cinous, par. 83). Il faut se demander « s’il existe (1) une preuve (2) qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement s’il y ajoutait foi (Cinous, par. 65). S’agissant de moyens de défense qui se fondent sur une preuve indirecte ou de moyens – telle la provocation – qui ont une composante objective de raisonnabilité, le juge du procès doit examiner les « inférences de fait » qui peuvent raisonnablement être tirées au vu de la preuve (Cinous, par. 91).[4]

                                                                                                            [Référence omise]

[29]        Dans l’arrêt Thibert, le juge Cory décrit aussi le volet objectif et subjectif du moyen de défense prévu à l’article 232 du Code criminel :

Premièrement, pour satisfaire à l’élément objectif, il faut établir qu’il y a eu une action ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. Deuxièmement, l’élément subjectif exige la preuve que l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang-froid.[5]

                                                                                                [Référence omise]

[30]        L’analyse du critère de la vraisemblance du moyen de défense exige de contextualiser l’élément objectif pour prendre en compte les données qui influent sur la gravité et l’importance de l’insulte ou de l’action injuste, sans toutefois l’individualiser à partir des facteurs propres à l’accusé, lesquels seront plutôt considérés lors de l’évaluation du volet subjectif.

[35]        En l’espèce, le juge a conclu que l’appelant n’avait pas satisfait à l’élément objectif du critère de la vraisemblance :

[29]      Je suis donc d’avis que les faits présentés par l’ensemble de la preuve et soutenus par l’accusé pour appuyer une défense de provocation ne peuvent, en droit, être perçus comme une insulte. Cela étant le critère de la vraisemblance n’a pas été établi.

                                                                                                [Référence omise]

[36]        Cette conclusion prend notamment appui sur un extrait de l’arrêt Tran dans lequel la juge Charron de la Cour suprême du Canada écrit :

Plus précisément, il n’y a pas eu d’insulte au sens de l’art. 232 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Comme la Cour d’appel le conclut à juste titre, la vue par l’appelant de son ex-épouse au lit avec un autre homme – assimilée à une « insulte » lors du procès – ne saurait légalement suffire à excuser [traduction] « une perte de maîtrise de soi revêtant la forme d’une fureur homicide » ni constituer « une excuse » pour une personne ordinaire, quels que soient sa situation particulière ou ses antécédents (juge Watson, par. 64).[7]

[37]        Le « récit principal » que fait l’appelant des événements établit clairement que c’est la vision de sa conjointe dans une position explicite et compromettante qui l’a mis en état de choc et qui l’a incité à porter le premier coup et non la narration de Nathalie Jacob quant à la violence que lui a fait subir Tessier.

[38]        Il avait préalablement conçu l’intention de punir et de tuer sa victime. La violence subséquente qu’il a appliquée à Tessier s’inscrit dans la continuité de sa fureur meurtrière.

[39]        C’est en conséquence à bon droit que le juge a conclu que la vision de sa conjointe au lit avec un autre homme ne pouvait être assimilée à l’insulte qui aurait suffi à faire perdre à une personne raisonnable la maîtrise de soi et à constituer une excuse.

La défense de provocation permet à l’accusé de réduire l’accusation de meurtre à homicide involontaire

Gendron c. R., 2019 QCCA 1959 

Lien vers la décision


[16]        La défense de provocation permet à l’accusé de réduire l’accusation de meurtre à homicide involontaire[4]. L’accusé est déclaré coupable d’homicide involontaire coupable parce que le droit reconnaît qu’en raison de la fragilité humaine, il a réagi de façon intempestive et disproportionnée, mais compréhensible, à une action injuste ou une insulte suffisamment grave[5]. Cette défense est codifiée à l’article 232 du Code criminel (« C.cr. ») tel que modifié[6]. Les critères d’ouverture de cette défense présentent des aspects objectifs et subjectifs que la juge en chef McLachlin résume ainsi dans R. c. Cairney[7] :

[33]        Premièrement, « (1) il doit y avoir une action injuste ou une insulte et (2) l’action injuste ou l’insulte doit être suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser » (Tran, par. 25).  Il s’agit du volet objectif de la provocation.

[34]        Deuxièmement, « (1) l’accusé [doit avoir] agi en réaction à la provocation et (2) sous l’impulsion du moment, [sans] avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid » (Tran, par. 36).  Il s’agit du volet subjectif.

[17]        L’exigence que l’accusé ait effectivement agi en réaction à la provocation est bien établie : il faut que l’accusé ait causé la mort parce qu’il a été provoqué et non parce qu’il y ait eu provocation[8]. L’insulte doit être assez grave objectivement pour provoquer la perte de la maîtrise de soi[9] et doit répondre aux nouvelles exigences du paragraphe 232 (2) C.cr. . La frustration ou la colère ne sont pas en soi suffisantes, il doit y avoir perte du pouvoir de se maîtriser.

[18]        Or, en l’occurrence, bien qu’aux fins de la détermination de la vraisemblance de la défense l’on puisse ici tenir pour acquis que la victime a commis une action injuste en menaçant l’appelant avec une bouteille de parfum[10], les autres éléments requis pour soutenir cette défense ne présentent pas un caractère de vraisemblance. À cette fin, le critère de la vraisemblance est bien établi : il s’agit de déterminer si la preuve versée au dossier permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement d’accueillir la défense de provocation[11].

[19]        La preuve au procès n’établit nullement que la menace de la victime avec la bouteille de parfum était suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser ni que l’appelant ait agi sous l’impulsion du moment sans avoir eu le temps de reprendre son sang-froid avant d’étrangler la victime. Toutes les explications fournies par l’appelant, voulant qu’il ait agi dans le but de maîtriser la victime afin de l’empêcher de lui lancer la bouteille de parfum ou de le frapper avec celle-ci, sont incompatibles avec la thèse maintenant avancée voulant qu’il ait perdu le pouvoir de se maîtriser et qu’il ait agi sous l’impulsion du moment.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...