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vendredi 3 octobre 2025

Les circonstances qui ne suffisent pas à soutenir une défense de provocation, notamment la conduite de la victime, peuvent être pertinentes pour évaluer l’intention de tuer

Palma c. R., 2019 QCCA 762



[35]        Reste que les circonstances qui ne suffisent pas à soutenir une défense de provocation, notamment la conduite de la victime, peuvent être pertinentes pour évaluer l’intention. Le jury doit être guidé sur tous les éléments qui peuvent avoir un impact sur celle-ci : R. c. Bouchard2014 CSC 64 (CanLII), [2014] 3 R.C.S. 283.

[36]        Dans cet arrêt, la Cour confirme sommairement la Cour d’appel de l’Ontario : R. c. Bouchard2013 ONCA 791. Dans cette affaire, le juge du procès avait correctement instruit le jury sur la défense de provocation et l’intoxication. Même s’il rejetait ces deux moyens individuellement, le juge avait ensuite invité le jury à considérer l’effet combiné de l’intoxication et de la provocation avec toute la preuve pour déterminer si la poursuite avait satisfait son fardeau de prouver l’intention requise pour le meurtre. Le juge Doherty, pour la Cour, écrit au paragraphe 62 :

[62]      However, potentially provocative conduct that fails the ordinary person test and, therefore, cannot qualify as provocation under s. 232, must still be considered by a jury in assessing whether an accused had the necessary mens reaIn the context of the mens rea inquiry, the accused’s intoxication could potentially play a significant role in support of the claim that a deceased’s conduct caused the accused to act without regard to the consequences and without the necessary mens rea.

(Je souligne.)

[37]        Évidemment, un élément fort différent avec cette affaire demeure que la défense de provocation n’a pas, ici, d’air de vraisemblance. Lorsque la défense de provocation est présentée au jury, comme dans l’arrêt Bouchard, il y a un risque que le jury confonde la défense de provocation et les éléments qui la composent. S’il est important que le jury fasse la distinction, il doit également et toujours considérer les éléments provocateurs indépendamment de l’existence ou du rejet de la défense de provocation.

[38]        Cela est rappelé dans l’arrêt R. c. Philipps2017 ONCA 752, où la défense de provocation n’avait pas, comme ici, un air de vraisemblance. La Cour écrit :

[154]   In a murder case, evidence that supplies the air of reality to place a defence, justification or excuse before a jury may also be relevant for the jury to consider in deciding whether the Crown has proven the mental or fault element in murder beyond a reasonable doubt: Cudjoe, at para. 103. The device by which to draw the jury’s attention to such evidence is the rolled-up charge, prosaically described as “a stew of failed individual defences, justifications, or excuses whose ingredients are combined together and left with other relevant evidence for jurors to consider cumulatively in deciding whether [the prosecutor] has proven the mental element essential in murder” (emphasis in original): Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions, 2nd ed., at p. 1206.

[155]   The purpose of a rolled-up charge is to instruct the jury not to take a compartmentalized approach to the evidence by considering it only in connection with a discrete defence, justification, or excuse. Instead, the trial judge should remind the jury “they should consider the cumulative effect of all relevant evidence in determining the adequacy of the prosecution’s proof of the mental or fault element in murder” beyond a reasonable doubt: Cudjoe, at para. 104; R. v. Robinson1996 CanLII 233 (SCC), [1996] 1 S.C.R. 683, at para. 59R. v. Fraser (2001), 2001 CanLII 8611 (ON CA), 159 C.C.C. (3d) 540 (Ont. C.A.), at para. 25, leave to appeal to S.C.C. refused, [2002] S.C.C.A. No. 11.

[156]   Even where the partial defence of provocation is not left for the jury, evidence of an accused’s anger, excitement or instinctive reactions can have an impact on the formation of the requisite intent for murder and must be considered by the jury on that issueR. v. Bouchard2013 ONCA 791 (CanLII), 305 C.C.C. (3d) 240, at para. 62, aff’d 2014 SCC 64 (CanLII), [2014] 3 S.C.R. 283; R. v. Singh2016 ONSC 3739, at paras. 84-85.

(Je souligne.)

[39]        Cela ne saurait cependant pas « élever au rang de moyens de défense autonomes des circonstances qui n'en sont pas, comme la colère… », écrit le juge Doyon dans l’arrêt R. c. Helpin2012 QCCA 1523, par. 46.

[40]        En effet, je rappelle que la colère seule, même intense, n’est pas un moyen de défense autonome sauf, comme l’a précisé la Cour suprême, si la colère extrême fait « sombrer une personne dans un état d’automatisme où elle ne sait plus ce qu’elle fait, enlevant ainsi à l’actus reus son caractère volontaire : R. c. Stone1999 CanLII 688 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 290 […] ce qui aurait pour effet d’entraîner l’acquittement et non de réduire le meurtre à un homicide involontaire coupable » : R. c. Parent2001 CSC 30 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 761, par. 10.

[41]        Cependant, lorsque la colère ou des émotions équivalentes et d’autres éléments de preuve sont pertinents, comme l’intoxication, tous ces éléments doivent être soupesés cumulativement pour trancher la question de l’intention. Il ne s’agit pas de donner à cette émotion, colère ou autre, un caractère de défense autonome, mais d’évaluer le poids cumulatif des éléments pertinents.

[42]        L’appelant a donc raison, particulièrement lorsqu’il souligne que la « meilleure pratique » voudrait que le juge regroupe dans une section de ses directives l’ensemble des éléments qui peuvent, dans un cas donné, influencer l’analyse de l’élément de l’intention. À n’en pas douter, tout ce qui amène le jury à mieux comprendre son travail est bienvenu. Les directives s’évaluent cependant en fonction d’un autre critère, celui de leur caractère approprié : R. c. Jacquard1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. Calnen2019 CSC 6, par. 8 et 11; R. c. Dandurand2005 QCCA 762.

jeudi 10 avril 2025

La défense de provocation

Lefebvre c. R., 2021 QCCA 1548

Lien vers la décision


[35]      Les conditions d’ouverture du moyen de défense de provocation comportent une dimension objective et subjective[12].

A -       Élément objectif

[36]      Le volet objectif de la provocation requiert : 1) une action injuste ou une insulte et 2) que l’action injuste ou l’insulte soit suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser[13].

[37]      L’élément objectif est ici satisfait, car il concerne une action injuste suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, c’est-à-dire la menace d’un père de tuer son fils[14], une telle action injuste s’évaluant dans le contexte d’une relation de cette nature. 

[38]      Ainsi, l'historique et le contexte des relations entre la victime et l'accusé sont pertinents et utiles dans l'application du critère relatif à la « personne ordinaire »[15], car  « il faut être en présence d'une action injuste ou d'une insulte qui, à la lumière de l'historique des relations entre l'accusé et la victime, soit susceptible de priver du pouvoir de se maîtriser une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé et ayant en commun avec lui d'autres facteurs donnant à l'action ou à l'insulte en cause une importance particulière »[16].

[39]      Il faut d’ailleurs considérer « la situation particulière de l’accusé pour déterminer la norme au regard de laquelle il convient de juger sa conduite »[17], « car il est en effet impossible de conceptualiser la manière dont est censée réagir la personne ordinaire sans prendre en considération le contexte en cause »[18], le tout, sans perturber le caractère objectif de l’analyse[19].

[40]      La menace de mort proférée à l’endroit de l’appelant était certainement une action injuste, susceptible de priver une personne raisonnable de sa capacité de se maîtriser.

B -      Élément subjectif

[41]      Quant à lui, l’élément subjectif exige que : 1) l’accusé doit avoir agi en réaction à la provocation et 2) sous l’impulsion du moment, sans avoir eu le temps de reprendre son sangfroid[20]

[42]      Durant son témoignage, l’appelant décrit l’intensité des émotions vécues d’une manière compatible avec une perte de maîtrise de soi compte tenu de la soudaineté de la menace de mort proférée par son père et de sa réaction à celle-ci.

[43]      En effet, réagissant à la menace de mort de son père, l’appelant dit ressentir une « poussée d’adrénaline », il dit « Moi, là, j’ai une réaction, là, je saute dans les airs », « j’ai vraiment bondi dans les airs, là, », puis « j’ai eu très peur », « C’est là que je déclenche, là, la…». Après avoir vu son père gisant au sol, l’appelant dit : « Et là, je vais m’asseoir dans le fauteuil orange. Et là, je vais me mettre à pleurer. Je me dis : Qu’est-ce qui s’est passé? Qu’est-ce qui s’est passé? Je comprends pas. Je comprends pas qu’est-ce qui s’est passé » et « On est dans un cauchemar ».

[44]      Lors du procès, un psychiatre décrit l’appelant comme une personne ayant des traits de personnalité schizoïde, détaché des relations sociales, qui exprime difficilement ses émotions, à l’affect plat, qui a tendance à s’isoler et qui évite tant les conflits que les relations interpersonnelles. L’appelant percevait son père comme imprévisible et potentiellement dangereux.

[45]      Lorsqu’il explique la conduite de l’appelant après les événements, le psychiatre dépeint la personnalité obsessionnelle de l’appelant dont la vie rangée et routinière se voit complètement déstabilisée par l’altercation avec son père.

[46]      Selon l’expert, l’appelant, confronté à une situation impensable, un « épisode complètement chaotique de sa part », cherche alors « la façon de reprendre le contrôle de tout ça ». Cet aspect de l’opinion du psychiatre atteste indubitablement de la vraisemblance de la position de l’appelant selon laquelle il a réagi soudainement avant d’avoir repris la maîtrise de lui-même.

[47]      Dans ce contexte, la capacité limitée de l’appelant d’exprimer ses émotions n’empêchait pas de considérer que celles-ci pouvaient constituer un fondement vraisemblable à l’exigence de perte de contrôle nécessaire à la défense de provocation.

[48]      Les émotions décrites par l’appelant, supportées par l’opinion du psychiatre, étayaient suffisamment les inférences nécessaires pour satisfaire le volet subjectif de la défense de provocation[21].

[49]      Rappelons que, dans l’affaire R. c. Buzizi, la Cour suprême adopte l’opinion dissidente de la juge Bich de notre Cour dans une affaire où, comme en l’espèce, la légitime défense et la provocation pouvaient s’entremêler, car « le geste agressif de la victime a pu engendrer une réaction dont on peut concevoir qu’elle relève aussi bien de la légitime défense que de la provocation »[22].

[50]      D’ailleurs, à la suite de l’arrêt Buzizi, la Cour d’appel de l’Alberta souligne, dans l’arrêt R. v. Rasberry, que : « the range of emotions involved in provocation is not limited to rage, but includes other forms of extreme emotion »[23] et « the nature of the strong emotion elicited by the provocation is not constrained by definition »[24]

[51]      Ici, comme il se devait, le juge d’expérience qui présidait le procès a soigneusement vérifié auprès de l’avocat de l’appelant que celui-ci ne soulevait pas la provocation.

[52]      De toute évidence, il voulait préserver le droit de l’appelant de contrôler sa défense et respecter ainsi sa volonté d’éviter que le jury adopte le verdict d’homicide involontaire coupable fondé sur la provocation comme verdict de compromis[25].

[53]      Bien entendu, le juge devait considérer la nature de la défense principale présentée par l’appelant[26]. Mais, puisque celle-ci n’était pas complètement incompatible avec la légitime défense, ce facteur, comme l’enseigne l’arrêt R. c. Gauthier[27], ne s’avère pas dirimant s’il existe une preuve suffisante qui rend vraisemblable un moyen de défense.

[54]      Ainsi, la position de l’appelant ne liait pas le juge dont l’obligation demeurait entière. Lorsque la preuve administrée est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences nécessaires à l’application d’un moyen de défense, le juge du procès doit présenter celui-ci au jury pour qu’il l’évalue[28].

[55]      Dans l’affaire R. c. Johnson, la Cour d’appel de l’Ontario était confrontée à une situation où la défense principale de l’accusé n’était pas la provocation, mais plutôt le fait que la preuve n’établissait pas hors de tout doute raisonnable l’identité du meurtrier[29].

[56]      Malgré cela, le juge Watt explique que le devoir du juge du procès justifiait néanmoins d’ordonner la tenue d’un nouveau procès même si la provocation n’était pas la défense principale invoquée par l’accusé lors du procès :

[109]   What controls the obligation of the trial judge to submit the statutory partial defence of provocation to the jury for its determination is the capacity of the evidence adduced at trial to support the inferences essential to give effect to the defence. In my view, the evidence in this case met that standard. It is not for me, as it was not for the trial judge, to say whether the defence was likely, somewhat likely, very likely or not at all likely to succeed as a matter of fact.

[110]   In reaching this conclusion that the partial statutory defence of provocation should have been left to the jury, I am not unmindful of the failure of trial counsel to develop a more fulsome foundation for that defence. That he did not do so in light of his primary defence – identity – is understandable. In every event, the air of reality standard is what engages the trial judge’s obligation. Once satisfied, the obligation follows. The issue is whether the standard is met, not by how much or how little it is satisfied. I have also kept in mind the instruction of the Supreme Court of Canada that in cases of doubt about the availability of the statutory partial defence, provocation should be left to the jury.

[Soulignement ajouté]

dimanche 2 février 2025

Le moyen de défense fondé sur la provocation

Laperrière c. R., 2014 QCCA 1159 

Lien vers la décision


[26]        Avant de soumettre le moyen de défense à l’appréciation du jury, le juge du procès doit conclure que la provocation est vraisemblable eu égard à ces deux éléments objectif et subjectif.

[27]        Il s’agit alors de déterminer si un jury convenablement instruit en droit, agissant raisonnablement, pourrait avoir un doute raisonnable, fondé sur la défense de provocation, relativement à la culpabilité de l’accusé à l’accusation de meurtre.

[28]        Dans R. c. Mayuran, la Cour suprême identifie un outil efficace pour analyser le critère de la vraisemblance :

Pour déterminer si un moyen de défense est vraisemblable, il faut se demander si la preuve est suffisante. Il ne suffit pas qu’il existe « une preuve » étayant le moyen de défense (Cinous, par. 83). Il faut se demander « s’il existe (1) une preuve (2) qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement s’il y ajoutait foi (Cinous, par. 65). S’agissant de moyens de défense qui se fondent sur une preuve indirecte ou de moyens – telle la provocation – qui ont une composante objective de raisonnabilité, le juge du procès doit examiner les « inférences de fait » qui peuvent raisonnablement être tirées au vu de la preuve (Cinous, par. 91).[4]

                                                                                                            [Référence omise]

[29]        Dans l’arrêt Thibert, le juge Cory décrit aussi le volet objectif et subjectif du moyen de défense prévu à l’article 232 du Code criminel :

Premièrement, pour satisfaire à l’élément objectif, il faut établir qu’il y a eu une action ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. Deuxièmement, l’élément subjectif exige la preuve que l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang-froid.[5]

                                                                                                [Référence omise]

[30]        L’analyse du critère de la vraisemblance du moyen de défense exige de contextualiser l’élément objectif pour prendre en compte les données qui influent sur la gravité et l’importance de l’insulte ou de l’action injuste, sans toutefois l’individualiser à partir des facteurs propres à l’accusé, lesquels seront plutôt considérés lors de l’évaluation du volet subjectif.

[35]        En l’espèce, le juge a conclu que l’appelant n’avait pas satisfait à l’élément objectif du critère de la vraisemblance :

[29]      Je suis donc d’avis que les faits présentés par l’ensemble de la preuve et soutenus par l’accusé pour appuyer une défense de provocation ne peuvent, en droit, être perçus comme une insulte. Cela étant le critère de la vraisemblance n’a pas été établi.

                                                                                                [Référence omise]

[36]        Cette conclusion prend notamment appui sur un extrait de l’arrêt Tran dans lequel la juge Charron de la Cour suprême du Canada écrit :

Plus précisément, il n’y a pas eu d’insulte au sens de l’art. 232 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. Comme la Cour d’appel le conclut à juste titre, la vue par l’appelant de son ex-épouse au lit avec un autre homme – assimilée à une « insulte » lors du procès – ne saurait légalement suffire à excuser [traduction] « une perte de maîtrise de soi revêtant la forme d’une fureur homicide » ni constituer « une excuse » pour une personne ordinaire, quels que soient sa situation particulière ou ses antécédents (juge Watson, par. 64).[7]

[37]        Le « récit principal » que fait l’appelant des événements établit clairement que c’est la vision de sa conjointe dans une position explicite et compromettante qui l’a mis en état de choc et qui l’a incité à porter le premier coup et non la narration de Nathalie Jacob quant à la violence que lui a fait subir Tessier.

[38]        Il avait préalablement conçu l’intention de punir et de tuer sa victime. La violence subséquente qu’il a appliquée à Tessier s’inscrit dans la continuité de sa fureur meurtrière.

[39]        C’est en conséquence à bon droit que le juge a conclu que la vision de sa conjointe au lit avec un autre homme ne pouvait être assimilée à l’insulte qui aurait suffi à faire perdre à une personne raisonnable la maîtrise de soi et à constituer une excuse.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...