R. c. Genest, 2014 QCCQ 8177
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[85] La revue de la jurisprudence permet de dégager une fourchette de peines en ce qui concerne les individus reconnus coupables de trafic et de possession dans le but de trafic de drogues dures.
[86] Dans l'affaire Bonenfant c. R.[16], notre Cour d'appel a confirmé une peine de cinq ans infligée à un accusé ayant reconnu sa culpabilité à six chefs de trafic de cocaïne et à trois chefs de possession dans le but de trafic de près d'un kilo de cocaïne.
[87] L'accusé n'avait pas d'antécédents judiciaires et il s’agissait de trafics de petites quantités de stupéfiants avec un agent double.
[88] Dans l'affaire Leboeuf c. R.[17], la Cour d'appel a refusé la permission d'en appeler de la peine de six ans infligée à l'accusé pour complot et trafic de cocaïne.
[89] Bien que la peine ait été considérée sévère puisqu'il ne s'agissait dans les faits que d'une seule transaction, elle n'était pas déraisonnable selon la Cour d’appel.
[90] Sous la plume du juge Doyon, la Cour rappelle :
[…] ce qui importe, c'est d'abord et avant tout la préméditation, la planification, le lien avec la criminalité organisée, l'importante quantité et la nature de la drogue (même sans en connaître avec précision le degré de pureté), les condamnations antérieures pour complot et trafic de cocaïne, l'absence de dépendance aux drogues, qui aurait pu expliquer la commission du crime, et les objectifs de dénonciation et d'exemplarité.[18]
[91] Dans l’affaire D’Amours c. R., la Cour d’appel confirme une peine de neuf ans et demi, infligée à l’accusé pour complot de trafic de stupéfiants, trafic de LSD, trafic de méthamphétamines et de cocaïne, trafic de cannabis, gangstérisme, recel, complot de trafic d’armes et possession d’une arme prohibée.
[92] Après avoir rappelé l’important rôle occupé par l’accusé dans le réseau de trafic, le fait qu’il avait des antécédents judiciaires et avait vendu une quantité importante de cocaïne, la Cour discute en ces termes de la fourchette des peines :
Une revue de la jurisprudence nous indique par ailleurs que pour des infractions similaires à celles commises par l’appelant, la fourchette varie de trois à douze ans, avec une plus grande concentration entre six et dix ans.
[93] Dans l'arrêt Dufour c. R, la Cour d'appel refuse la permission d'en appeler de la peine infligée à un accusé trouvé coupable de complot de trafic de cocaïne et de trafic de cocaïne. Le Tribunal a infligé à l’accusé une peine de 42 mois sur les chefs de trafic de stupéfiants et de 30 mois consécutifs pour gangstérisme.
[94] L’accusé jouait un rôle important au sein de l’organisation criminelle. Il n’avait pas d’antécédents judiciaires, exprimait des remords et présentait de bonnes possibilités de réhabilitation.
[95] Discutant de l'étude jurisprudentielle effectuée par les professeurs Parent et Desrosiers relativement à la fourchette de peines applicables en matière de trafic de stupéfiants, la Cour souligne :
Les professeurs Hughes Parent et Julie Desrosiers ont fait une étude de la jurisprudence en cette matière. Ils identifient deux niveaux : i) les structures criminelles générant des profits de très grande importance et ii) les structures criminelles générant des profits importants. À titre indicatif « très grande importance » correspond à la situation décrite dans R. c. Beauchamp, 2004 CanLII 26645 (QC CS) […], où des profits de 111 millions de dollars avaient été générés sur une période d’un an par l’organisation criminelle (Hells Angels Nomads).
Le présent cas correspond davantage aux structures criminelles générant des « profits importants ». À la lumière de la jurisprudence, les auteurs retiennent la fourchette des peines de cinq à neuf ans pour les têtes dirigeantes du groupe, de trois à cinq ans pour les personnes importantes et de vingt mois à trois ans pour celles qui occupent un rôle plus secondaire. Ces peines incluent généralement une condamnation pour complot, trafic et gangstérisme.
[96] Dans l'affaire R. c. Camillucie,[21] l'honorable Pierre Tessier, JCS a infligé une peine de neuf ans de pénitencier à un accusé déclaré coupable de trafic de cocaïne et de crack ainsi que de complot de trafic.
[97] Les infractions s’étaient déroulées sur une période de quatre mois. Le réseau était structuré et s'approvisionnait auprès de groupes criminalisés. Un kilo et demi de cocaïne et de cocaïne base (crack) a été saisi lors d'une perquisition. Il est en preuve que ce réseau avait écoulé 12.28 kilos de cocaïne en treize semaines et demie.
[98] L'accusé était la tête dirigeante du réseau. Il possédait deux antécédents de trafic de stupéfiants et un antécédent de complot.
[99] Dans l'arrêt R. c. Laprise[22], l'honorable Raymond W. Prononvost, JCS a infligé une peine de huit ans à l'accusé trouvé coupable de trafic de cocaïne, de trafic de méthamphétamines et trafic de cannabis. L'accusé a été condamné à des peines concurrentes de deux et quatre ans pour un chef de production de cannabis et un chef de trafic d'amphétamines.
[100] Lors de son arrestation, l'accusé transportait plusieurs grammes de cannabis, des boutures, 1479 comprimés d'amphétamines et de méthamphétamines et un kilo de cocaïne.
[101] L'accusé avait de nombreux antécédents judiciaires, dont un pour possession de stupéfiants en vue de trafic, infraction pour laquelle il avait été condamné à six mois d'emprisonnement dans la collectivité.
[102] Le juge Pronovost reprend les propos suivants, tenus par le juge Jean-Paul Decoste, JCQ dans l'affaire R. c. Martin Pelletier[23]:
Par ailleurs, en matière de peines relatives aux stupéfiants, la situation a ses particularités. Contrairement aux autres crimes, le trafic et la possession aux fins de trafic ont une connotation de permanence. C’est le « continuing criminal enterprise », d’où le risque de récidive si fréquent. Et si ce « continuing criminal enterprise » fonctionne si bien, c’est que chaque participant, petit, moyen ou gros (qui invoquera toujours à l’étape du prononcé de la peine que sa situation est exceptionnelle) constitue un maillon essentiel à la « chaîne », la loi du silence s’appliquant à tous les échelons.
On voudrait dans certains milieux banaliser le phénomène, ou nous inviter à laisser tomber les bras. En l’instance, répondant au représentant du ministère public qui expliquait que dans notre région la culture et le trafic de stupéfiants sont devenus dramatiques, on répond que « c’est partout pareil ». Nous aimerions que ce ne soit pas le cas, mais la remarque est tristement exacte, et cela devrait envoyer un message aux tribunaux de continuer à avoir une attitude ferme face à ceux qui vivent des fruits de ce méprisable commerce.[24]
[103] Dans R. c. Robertson, l'honorable François Huot, JCS a infligé une peine de six ans à un accusé trouvé coupable de possession en vue de trafic de 11,52 grammes d'héroïne, de 1500 comprimés de méthamphétamine, de 3,2 litres de GHB et d'un peu plus de 297 grammes de résine de cannabis.
[104] L'accusé avait des antécédents judiciaires en matière de stupéfiants. Son implication était moindre que celle de son complice qui s'était vu infliger une peine de 37 mois et demi suite à une suggestion commune des parties. Le complice avait aussi des antécédents judiciaires plus nombreux que ceux de l’accusé.
[105] Dans l'affaire R. v. Bajada, la Cour d'appel de l’Ontario a réduit de huit à six ans la peine imposée à un accusé reconnu coupable de possession en vue de trafic de cocaïne. L'accusé s’était présenté chez un trafiquant de drogues alors que les policiers effectuaient une perquisition. Il était en possession d'un demi kilogramme de cocaïne au moment de son arrestation. Âgé de 51 ans, l'accusé avait des antécédents judiciaires, dont deux antécédents de trafic de stupéfiants.
[106] La Cour d'appel mentionne : [traduction] « Il semble que des peines de cinq à cinq ans et demi d’emprisonnement ne soient pas rares pour un accusé qui a plaidé coupable à une accusation de possession aux fins de trafic d'une importante quantité de cocaïne ou qui n’a pas d’antécédents judiciaires » [27].
[107] Dans l’affaire R. c. Bryan,[28] la Cour d’appel de l’Ontario confirme que la fourchette de peines pour un accusé sans antécédents judiciaires, reconnu coupable de possession dans le but de trafic d’environ une livre de cocaïne, se situe entre cinq et huit ans.
[108] Dans l'affaire R. c. Oraha, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé une peine de neuf ans pour un individu sans antécédents judiciaires, reconnu coupable de possession en vue de trafic de cocaine, de méthamphétamines et de MDMA.
[109] La Cour d'appel confirme également une fourchette de peine entre six et huit ans pour un individu sans antécédents se livrant au trafic de drogues dures. Soulignons que le juge de première instance avait tenu compte de nombreux facteurs atténuants ainsi que des fortes probabilités de réhabilitation de l'accusé.
[110] Dans R. v. Bernard,[30] la Cour supérieure de l'Ontario a infligé une peine de douze ans à un accusé qui avait reconnu sa culpabilité à trois chefs de trafic, à trois chefs de possession dans le but de trafic et à un chef de possession de méthamphétamines.
[111] Les activités criminelles de l'accusé s’étaient déroulées sur une période d'un mois, pendant laquelle il avait vendu douze kilogrammes de méthamphétamines à un agent double.
[112] L'accusé était sans antécédents judiciaires. Il était impliqué directement auprès des producteurs et occupait une place importante dans l'organisation. Il était capable de s'approvisionner rapidement et d’obtenir des quantités considérables de stupéfiants.
[113] La Cour rappelle que l'objectif de dissuasion doit être privilégié afin de décourager un commerce qui s’avère très profitable pour les trafiquants.
[114] Dans l'affaire R. v. Grant,[31]la Cour d'appel du Manitoba a confirmé une peine de quinze ans infligée à un accusé trouvé coupable de trafic de méthamphétamines, de trafic de cocaïne, d'extorsion et de recel.
[115] Dans cette affaire, la Cour d'appel confirme qu'une fourchette de peines entre huit et douze ans est appropriée pour un accusé occupant une place importante dans la hiérarchie d'un réseau structuré qui trafique de grandes quantités de drogues dures.
[116] L'accusé avait quelques antécédents judiciaires dont un antécédent de trafic en 2002.
[117] Dans R. v. DiQuinzio[32], la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a confirmé une peine de douze ans infligée à un accusé reconnu coupable de complot de trafic de cocaïne.
[118] L'accusé et un complice avaient comploté en vue de l'achat de cinquante kilos de cocaïne. Leur interlocuteur étant un agent double, ils ont été arrêtés avant d'avoir compléter leur transaction.
[119] L'accusé avait de nombreux antécédents judiciaires dont certains pour complot, possession dans le but de trafic et trafic de drogue.
[120] Dans cette affaire, le Tribunal souligne que l'accusé - un homme éduqué - bénéficiait de l'appui de sa famille et avait eu plusieurs opportunités au niveau professionnel. Malgré tout, il avait choisi d'ignorer ces opportunités pour emprunter la voie facile de la profitabilité par la perpétration d'actes criminels.
[121] Dans R. c. Bacon, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a infligé une peine de douze ans à un accusé reconnu coupable de complot de trafic de cocaïne.
[122] L’accusé avait des antécédents judiciaires mais aucun en matière de stupéfiants. Discutant de la gravité de l’accusation de complot, le juge Collen énonce :
[…] to a great extend, the gravity of the offence of conspiracy lies in the willingness of people to combine together and in the propensity and attitude it betrays, rather than in the actual harm that it is capable of achieving.
[123] En 2013, cette peine a été portée à 14 ans par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique.[35]
[124] Dans R. c. Nguyen,[36] la Cour d’appel de l’Alberta confirme une peine de dix ans infligée à un accusé pour complot de trafic et trafic de cocaïne. L’accusé était l’instigateur et le principal décideur d’un réseau qui avait trafiqué plusieurs kilos de cocaïne sur une période de quatre mois.
[125] La fourchette de peines en matière de trafic et de possession en vue de trafic de drogues dures nous apparaît donc être celle dégagée par les professeurs Parent et Desrosiers et confirmée par la Cour d’appel en 2012 dans l’arrêt Dufour.[37]