R. c. Boivin, 2024 QCCQ 5477
[34] L’article 86 C.cr. prohibe l’usage négligent d’une arme à feu en interdisant à quiconque, sans excuse légitime, d’utiliser, de porter, de manipuler, d’expédier, de transporter ou d’entreposer une arme à feu, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées d’une manière négligente ou sans prendre suffisamment de précautions pour la sécurité d’autrui.
[35] Il s’agit d’une infraction de négligence pénale, pour laquelle l’état d’esprit de l’accusé n’est ainsi pas déterminant[24]. Selon la Cour suprême, l’élément essentiel de l’infraction est la conduite qui constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’observerait une personne raisonnablement prudente, adoptée sans excuse légitime[25].
[36] La Cour d’appel du Québec précise l’analyse à laquelle le juge doit se livrer face à une accusation d’usage négligent d’une arme à feu[26] :
[24] Les enseignements tirés de cet arrêt nous invitent à définir l’actus reus selon les termes de la disposition en cause. En l’espèce, l’aspect matériel de l’infraction prévue à l’article 86(1) C.cr. comporte deux éléments, alors que la preuve d’un seul suffit pour établir l’infraction. Il s’agit pour le juge des faits de déterminer hors de tout doute raisonnable si d’un point de vue objectif l’accusé a utilisé l’arme à feu « [1] d’une manière négligente ou [2] sans prendre suffisamment de précautions pour la sécurité d’autrui ». À ce stade préalable, l’analyse doit porter sur l’appréciation objective du comportement de l’accusé ou, le cas échéant, sur l’insuffisance de ses précautions au moment de l’utilisation de l’arme à feu.
[25] En tenant compte de l’ensemble des circonstances, cette preuve repose essentiellement sur le comportement de l’accusé au moment d’utiliser l’arme à feu, du lieu de l’évènement et du risque que représente la situation.
[26] La mens rea de cette infraction, quant à elle, repose sur la preuve hors de tout doute raisonnable que la manière négligente d’utiliser l’arme à feu constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable placée dans la même situation que l’accusé. Encore une fois, le critère objectif constitue l’élément central pour trancher cette question.
[27] Je précise au passage que l’analyse de la mens rea en matière de négligence pénale ne repose pas seulement sur le comportement attendu de la personne raisonnable, ce qui nous rapprocherait trop de la norme de la conduite simplement imprudente, d’où l’importance du critère objectif « modifié » adopté par la Cour suprême dans Hundal. En fait, la preuve doit plutôt démontrer un écart marqué par rapport au comportement qu’aurait adopté en pareille situation la personne dite « raisonnable ». La preuve de l’écart marqué demeure une question de degré laissée à l’appréciation du juge des faits.
[28] Si le ministère public n’a pas l’obligation de démontrer que l’accusé avait l’intention subjective de manier de façon négligente l’arme à feu, la mens rea objective n’ignore pas pour autant son état d’esprit. Cette preuve, si elle existe, repose principalement sur la démonstration de son état mental de diligence au moment des évènements, c'est-à-dire celui de ne pas avoir accordé à l’activité en cause le degré de pensée et d’attention nécessaire. Une telle preuve peut résider dans les précautions insuffisantes prises par l’utilisateur au moment de s’adonner à l’activité dangereuse. […]
[33] Je résumerais donc de la manière suivante la tâche du juge des faits appelé à décider de la culpabilité d’une personne accusée de l’infraction prévue à l’article 86(1) C.cr. Il doit d’abord déterminer si les éléments matériels de l’infraction ont été objectivement démontrés, et ce, hors de tout doute raisonnable, c'est-à-dire un usage négligent ou des précautions insuffisantes. Dans la seconde étape de son analyse, avant de parvenir à un verdict de culpabilité, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que le comportement en cause s’écarte de façon marquée par rapport à la norme de diligence qu’aurait observée une personne raisonnable placée dans des circonstances semblables à celles qui prévalaient au moment où l’accusé a fait usage de l’arme à feu. Pour conclure en ce sens, il doit toutefois prendre en considération toute excuse légitime qui pourrait ressortir de la preuve et capable de susciter un doute raisonnable.
[Références omises et caractères gras ajoutés]