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mercredi 11 décembre 2013

Le droit applicable à la publicité des documents relatifs à une perquisition

Corporation Sun Média c. Dubois, 2013 QCCQ 14371 (CanLII)

Lien vers la décision

              i.  La présomption de publicité des documents relatifs à une perquisition

[41]        La règle veut qu'une fois qu'un mandat de perquisition a été exécuté et que les objets trouvés sont portés devant le juge de paix, le mandat de perquisition et la dénonciation tombent dans le domaine public.
[42]        L'article 487.3 du Code criminel prévoit une procédure d'exception lorsqu'un Tribunal doit exercer sa discrétion judiciaire afin d'ordonner la mise sous scellé d'une partie ou de la totalité des documents reliés à une perquisition.
[43]        La Cour suprême du Canada a réitéré à plusieurs reprises l'importance du caractère public des débats judiciaires dans le cadre d'une société libre et démocratique et l'importance de la liberté d'expression dans une démocratie.
[44]        L'extrait suivant de l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (P.G.) est particulièrement éloquent :
« Il est difficile d'imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d'expression dans une société démocratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d'expression libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insister sur l'importance primordiale de cette notion. (…)
Il est certain que les tribunaux jouent un rôle important toute société démocratique. C'est là que sont résolus non seulement les litiges qui opposent les citoyens entre eux, mais aussi les litiges qui opposent les citoyens à l'État dans toutes ses manifestations. Plus la société devient complexe, plus le rôle des tribunaux devient important. En raison de cette importance, il faut que le public puisse faire l'examen critique des tribunaux et de leur fonctionnement. »
[45]        Dans le contexte judiciaire, le droit du public d'être informé de ce qui se passe devant les tribunaux et d'en discuter librement a été reconnu comme une des composantes expressives de l'alinéa 2b) de la Charte.
[46]        Par contre, comme pour toute règle, il peut y avoir des exceptions. Tout dépend du contexte particulier d'un dossier. Chaque situation est unique.
[47]        La Cour suprême du Canada a élaboré un test soit:
« (…) le critère souple des arrêts Dagenais/Mentuck afin de pondérer la liberté d’expression avec d’autres droits et intérêts, incorporant ainsi l’essence de la pondération selon le critère de l’arrêt Oakes : Dagenais et Mentuck, précités; R. c. Oakes1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103.  Les droits et intérêts examinés sont plus vastes que la simple administration de la justice et comportent le droit à un procès équitable : Mentuck, précité, par. 33; ils peuvent comprendre les droits qui touchent à la vie privée et à la sécurité. »
[48]        L'enjeu de cette pondération concerne l'instruction d'un procès juste et équitable et la bonne administration de la justice.
[49]        L'équité d'un procès comprend non seulement l'assurance d'un jury impartial, mais « (…) toutes les mesures visant à protéger les droits fondamentaux de l’accusé ».
[50]        Au moment d'exercer sa discrétion judiciaire, le Tribunal doit considérer la grille d'analyse établie par la Cour suprême dans les arrêtsDagenais et Mentuck afin de rendre ou non une ordonnance permettant la publication ou la diffusion. Aussi, avant de rendre une ordonnance discrétionnaire, le Tribunal doit déterminer :
50.1.         si cette ordonnance est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l'absence d'autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;
50.2.         si les effets bénéfiques de cette ordonnance sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la liberté d'expression, sur le droit de l'accusé à un procès équitable et sur l'efficacité de l'administration de la justice.
[51]        Dans l'examen du test Dagenais/Mentuck, il appartient à celui qui demande l'ordonnance de soumettre une preuve satisfaisante du lien entre la publicité et son effet préjudiciable: une appréciation générale ne suffit pas.
[52]        La notion de « nécessité » implique que le risque ou le danger que l'on cherche à éviter soit bien appuyé par la preuve. La Cour suprême a rappelé que la présomption de publicité des procédures judiciaires ne saurait être écartée qu’en présence de la preuve solide d’un risque réel et important.
[53]        De plus, les effets bénéfiques ou les avantages pour l'administration de la justice ne sont examinés qu'à la dernière étape du test.
[54]        Dans l'arrêt Toronto Star c. Ontario, la Cour suprême s'exprime ainsi:
4. (…) « La présomption de « publicité » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada. L’accès du public ne sera interdit que lorsque le Tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice. »
7.  (…) « J’estime que le critère de Dagenais/Mentuck s’applique à chaque fois qu’un juge exerce son pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression et la liberté de la presse relativement à des procédures judiciaires.  Toute autre conclusion romprait, à mon avis, avec la jurisprudence de notre Cour, qui est demeurée constante au cours des vingt dernières années.  Elle porterait également atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires qui est inextricablement lié aux valeurs fondamentales consacrées à l’al. 2b) de la Charte. »
(…)
18. (…) « Une fois un mandat de perquisition exécuté, le mandat et la dénonciation qui a permis d’en obtenir la délivrance doivent être rendus publics, sauf si la personne qui sollicite une ordonnance de mise sous scellés peut démontrer que leur divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice : Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre1982 CanLII 14 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 175. La Cour a statué dans MacIntyre que « ce qu’il faut viser, c’est le maximum de responsabilité et d’accessibilité, sans aller jusqu’à causer un tort à un innocent ou à réduire l’efficacité du mandat de perquisition comme arme dans la lutte continue de la société contre le crime » (le juge Dickson, devenu plus tard Juge en chef, s’exprimant au nom de la majorité, à la p. 184). »
27. (…) « S’exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci a souligné que le « risque » dont il est question dans le premier volet de l’analyse doit être réel et important et qu’il doit s’agir d’un risque dont l’existence est bien appuyée par la preuve : « il faut que ce soit un danger grave que l’on cherche à éviter, et non un important bénéfice ou avantage pour l’administration de la justice que l’on cherche à obtenir ». »
[55]        De plus, dans ce même arrêt, la Cour suprême a confirmé que le test décrit dans les arrêts Dagenais et Mentuck s’appliquent aussi aux ordonnances visant la non-publication de mandats de perquisition.

ii)   Le fardeau de justifier la non-publication appartient aux intimés-accusés et aux mis en cause-accusés
[56]        Il revient à ceux qui cherchent à interdire la publication ou la diffusion de documents relatifs à un mandat de perquisition de démontrer l'existence d'un risque réel et important.
[57]        Lorsqu'il existe un conflit entre deux droits, le risque doit être apprécié à la dernière étape du test de justification en examinant les effets bénéfiques et les effets préjudiciables d'une mesure.
[58]        Dans l'arbitrage des intérêts opposés, le Tribunal doit tenir compte de la présomption voulant que les procédures judiciaires soient publiques et que leur diffusion ne doive pas être censurée.
[59]        En l'espèce, le Tribunal considère que les intimés-accusés et les mis en cause accusés n’ont pas présenté de preuve démontrant l'existence d'un risque réel et important de nuire à l’administration de la justice.  De plus, la mise en cause-poursuivante ne s’oppose pas à la publication ou à la diffusion de la dénonciation caviardée (R-4).
[60]        Les intimés-accusés et les mis en cause-accusés semblent confondre la notion de publicité négative avec celle de « risque réel et important de nuire à l’administration de la justice ». Or, la Cour suprême a déjà confirmé que la tenue d’un procès équitable n’exige pas la non-publication de l’information relative aux accusations. Dans l'arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse, la Cour suprême s'exprime ainsi :
116. (…) « La transparence est depuis longtemps une caractéristique de notre système de justice criminelle. Divers arguments ont été avancés pour justifier la publicité des débats des procès criminels. La plupart participent d'une façon ou d'une autre de cette vérité toute simple: un particulier risque beaucoup moins d'être victime d'un traitement injuste ou oppressif sous la coupe de l'État s'il est jugé en séance publique. Par surcroît, il y a bien plus de chances que la population ait confiance dans un système transparent. Les avantages de la transparence ne sont pas limités au système de justice criminelle, mais valent aussi pour les actions civiles: Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), précité. Il n'en va pas autrement d'une enquête publique, encore qu'elle puisse différer d'un procès criminel du fait que le processus même de l'enquête est peut-être plus important que son résultat. »
(…)
128. (…) « Ce à quoi il faut conclure pour accorder une réparation c'est qu'il existe une forte probabilité que la publicité des audiences de l'enquête aura pour effet de porter atteinte de manière irréparable à l'impartialité des futurs jurés ou de miner la présomption d'innocence à un point tel qu'il sera impossible de tenir un procès équitable. Il ne suffit pas pour que pareille conclusion soit tirée qu'on prouve que les audiences ont fait ou feront l'objet d'une publicité abondante. Il faut établir en outre quels seront les effets probables de la publicité. »
129. (…) « La publicité négative n'est pas en soi incompatible avec un procès équitable. Le lien entre la publicité et ses effets durables n'est peut-être pas susceptible de démonstration scientifique, mais l'accent doit être mis sur ce lien et non sur la simple existence de la publicité. »
130. (…) « En outre, les effets de la publicité ne doivent pas être pris isolément. La partialité alléguée des jurés ne peut être appréciée que dans le contexte du système élaboré de garanties qui a justement été conçu pour prévenir un tel problème. C'est uniquement lorsque ces garanties sont insuffisantes pour protéger l'impartialité qu'il y aura atteinte à l'al. 11 d). Pour en arriver à cette simple conclusion, il faut répondre à deux questions difficiles. Premièrement, qu'est-ce qu'un juré impartial? Deuxièmement, dans quels cas les garanties de l'institution du jury préviennent-elles la partialité des jurés? »
(…)
132. (…) « Voici donc à quoi se réduit l'objectif visé: pour qu'il soit possible de tenir un procès équitable, il faut trouver des jurés qui, bien qu'ils soient au fait de l'affaire, sont capables d'écarter leurs préventions et de s'atteler à leur tâche en gardant à l'esprit la présomption que l'accusé est innocent jusqu'à preuve du contraire et en ayant la volonté de décider de sa culpabilité seulement sur la base de la preuve produite au procès. »
133. (…) « Je suis d'avis que l'on peut facilement atteindre cet objectif dans la grande majorité des procès criminels même lorsqu'ils font l'objet d'une publicité abondante. »
(…)
161. (…) « À mon avis, les audiences de l'enquête Westray ne mettraient pas en danger de manière inacceptable le droit à un procès équitable que l'al. 11 d) garantit aux directeurs intimés. Souvent, la publicité dont font l'objet les témoignages rendus à une enquête aura peu d'effet sur les futurs jurés. Il peut s'agir d'un effet passager, qui disparaîtra rapidement. Comme on oublie vite les détails d'un fait d'actualité! Au bout de quelques jours à peine, le souvenir des reportages sur les témoignages entendus dans le cadre de l'enquête se sera estompé, sinon effacé. La probabilité d'un effet préjudiciable sur le droit à un procès équitable peut être très faible en effet; une nouvelle de peu d'importance noyée dans la mer d'informations diffusées quotidiennement par les médias. »
[63]        Dans sa décision concernant la non-publication de la dénonciation pour l'obtention d'un mandat de perquisition du projet « Honorer », la juge Linda Despots dans R. c. La Presse  indique au paragraphe 32:
« Le Tribunal ne peut présumer de la longueur des délais avant la tenue du procès, comme il ne peut présumer que le procès se tiendra effectivement devant un juge et un jury ou devant juge seul. Il faut toutefois s'assurer que si procès il y a, celui-ci se tienne de façon équitable. Il est vrai que des directives données au jury peuvent contribuer à aider les jurés à rendre un verdict en vertu de la seule preuve entendue au procès. Compte tenu de l'ampleur de la médiatisation et de la nature du dossier, le Tribunal considère que de telles directives ne sauraient suffire à s'assurer de l'équité du procès. Il est donc nécessaire de restreindre la publication de ce deuxième volet. »
[64]        Quant à la dénonciation dans le projet « SharQc », le juge Brunton de la Cour supérieure dans Société Radio-Canada c. Auclair affirme au paragraphe 28:
« Pour ce qui est de la balance de chaque dénonciation, la Cour est d'avis que les intimés ont démontré que la non-publication est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l'absence de mesures raisonnables pouvant écarter ce risque. Le matériel qui sera touché par l'ordonnance de non-publication consiste, en termes généraux, des allégations du témoin Boulanger et d'autres témoins spéciaux; des renseignements cueillis lors de diverses enquêtes impliquant les chapitres de Hells Angels; des allégations dont la source n'est pas bien identifiée. »
[65]        Pour le Tribunal, la présente situation s'apparente davantage à celle de l'arrêt de Thibault c. Société Radio-Canada où dans ce cas, il n'y avait pas de preuve que l'affaire avait fait l'objet d'une grande publicité et on pouvait également anticiper qu'il n'y aurait pas non plus une grande publicité à l'avenir.
[66]        De plus, le Tribunal considère qu'il y a également un manque de contemporanéité marqué entre la publication éventuelle de la dénonciation caviardée (R-4) et du rapport de perquisition avec un éventuel procès.
iii)  Une ordonnance de non-publication rendue en vertu de l’article 517 C. cr. n’empêche pas la publication de la dénonciation.
[67]        Le Tribunal estime erronée la prétention des intimés-accusés et des mis en cause-accusés qu’une ordonnance de non-publication émise conformément l’article 517 du Code criminel empêche la publication de l’information obtenue d’une autre source.
[68]        Dans l’affaire Société Radio-Canada c. Auclair, le juge Brunton confirme la règle applicable dans un cas semblable :
« [18] D'entrée de jeu, la Cour est d'accord que l'existence d'une ordonnance rendue en vertu de l'article 517 C.cr., à une exception près, n'est pas un empêchement à accorder le droit à la requérante de publier le contenu de la dénonciation utilisée pour obtenir un mandat de perquisition. Pour déterminer si le droit doit être accordé, la Cour doit procéder à une analyse Dagenais/Mentuck.
[19] La Cour arrive à cette conclusion pour les raisons suivantes :
- Une ordonnance émise en vertu de l'article 517 C.cr. concerne uniquement la preuve documentaire et testimoniale produite durant l'enquête sur cautionnement. Cette ordonnance ne peut pas empêcher la publication de faits obtenus d'une source autre que l'enquête sur cautionnement;
- Si la dénonciation pour obtenir l'émission d'un mandat de perquisition est produite comme pièce durant l'enquête sur cautionnement, elle est couverte par l'ordonnance émise en vertu de l'article 517 C.cr. En tel cas, la dénonciation ne peut pas servir de source de renseignements pour publier. Ceci constitue l'exception soulevée dans le paragraphe 18 du présent jugement;
- En assumant l'existence d'une ordonnance émise en vertu de l'article 517 C.cr. et la non-production de la dénonciation pour obtenir un mandat de perquisition durant l'enquête sur cautionnement, la Cour doit procéder à une analyse Dagenais/Mentuck pour déterminer le droit de publier le contenu du dernier document. Une comparaison entre la preuve produite durant l'enquête sur cautionnement et les affirmations contenues dans la dénonciation peuvent [sic] être un exercice pertinent dans le cadre de cette analyse. »
[69]        L’objectif de l’ordonnance de non-publication ou de diffusion prévue à l’article 517 du Code criminel est clair. Il s’agit d’éviter la diffusion de certains types d’éléments de preuve introduits lors de l’enquête sur remise en liberté, puisqu’à cette étape, les règles de preuve sont très permissives tel que l'énonce la Cour suprême dans Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada :
« Il a fallu trouver des compromis quant à la nature de la preuve produite lors de l’enquête sur remise en liberté provisoire. Il n’y a pratiquement aucune interdiction quant à ce que le poursuivant peut produire en preuve afin de démontrer que l’accusé doit être placé en détention. Selon l’al. 518(1)e) C. cr., le poursuivant peut présenter toute preuve « plausible ou digne de foi », soit notamment les confessions dont on n’a pas vérifié le caractère volontaire ou la conformité à la Charte, la preuve de mauvaise moralité, la preuve obtenue par écoute électronique ou la preuve par ouï-dire, tout comportement ambigu postérieur à l’infraction, la preuve de faits similaires qui n’a été soumise à aucun examen, les déclarations de culpabilité antérieures, les accusations en instance n’ayant fait l’objet d’aucun procès, ainsi que les renseignements personnels concernant le mode de vie et les habitudes sociales.  »
[73]        Par exemple, dans la décision Auclair, l’interdit de publication et de diffusion visait les allégations d’un ancien membre des Hells Angels. Dans la décision de la juge Despots relative au projet « Honorer » (Ville de Laval), il s’agissait de témoins à qui des avantages avaient été promis en échange de leur témoignage. Alors que dans l'arrêt Flahiff, il s’agissait des allégations d’un informateur de police et complice des accusés, qui collaborait en échange d’une réduction de sa peine.
[74]        Le cas sous étude est entièrement différent, puisque la très vaste majorité de la preuve à laquelle réfère la dénonciation caviardée (R-4) consiste en des filatures policières dans des lieux publics.
C.           Les informations du domaine public
[83]        Le Tribunal partage l'opinion du juge Brunton dans l'affaire de Société Radio-Canada c. Auclair où il mentionne au paragraphe 26:
« La Cour est d'avis que les parties des dénonciations qui sont déjà dans le domaine public peuvent être publiées de nouveau. Il est impossible d'arriver à la conclusion que la non-publication de ces renseignements est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice. »
D.           La situation des tierces parties
[87]        Les intimés-accusés suggèrent au Tribunal que tout passage dans lequel on réfère à une personne contre qui aucune accusation n’a été portée doit être interdit de publication.
[88]        Ce n’est pas ce que prévoit la règle dite du « tiers innocent ».
[89]        Cette notion a été élaborée dans l'arrêt MacIntyre où la Cour suprême en a édicté les paramètres d’application :
« A mon avis, restreindre l'accès du public ne peut se justifier que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance. C'est notamment le cas de la protection de l'innocent.
 Bien des mandats de perquisition sont délivrés et exécutés sans que rien ne soit trouvé. Dans ces cas, l'intérêt protégé par l'accès du public l'emporte‑t‑il sur celui de la protection des personnes chez qui une perquisition a eu lieu sans que l'on n'ait rien trouvé? Ces personnes doivent‑elles souffrir l'opprobre qui entacherait leur nom et leur réputation du fait de la publicité de la perquisition? La protection de l'innocent à l'égard d'un préjudice inutile est une considération de principe valable et importante. A mon avis, cette considération l'emporte sur le principe de l'accès du public dans les cas où l'on effectue une perquisition sans rien trouver. Le droit du public à l'information doit céder le pas devant la protection de l'innocent. Si le mandat est exécuté et qu'il y a saisie, d'autres considérations entrent en jeu. »
[90]        Il ne suffit pas d’invoquer la règle du « tiers innocent » dans l’abstrait pour éviter toute publication. Au contraire, tel que l’expose la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Phillips c. Vancouver Sun, il ne s’agit que d’un facteur parmi un vaste ensemble à considérer pour décider du droit à la publication :
« As earlier noted, however, it is not clear that anyone had been charged with an offence in MacIntyre. Further, under s. 487.3, prejudice to the innocent is but one of several factors the court must take into consideration in determining whether a sealing order should be granted or varied. The extent of the prejudice an innocent person may suffer if access is granted may vary substantially depending on such things as the nature and extent of the investigation, the nature of the charges laid, if any, the nature and extent of the publicity surrounding the case, the extent to which the search warrant material may reveal personal, confidential or intimate matters only peripherally related to the investigation or charge, and various other factors. Section 487.3 does not, on its face, separate out those who have been charged with a criminal offence from those who have not been charged. Nor does the fact that someone has not been charged give rise to any logical or necessary inference that they should be protected from disclosure by virtue of that fact alone. Rather, as Mr. Justice Osler said in Canadian Newspapers Co. v. Canada (A.G.)reflex, (1986), 29 C.C.C. (3d) 109 at 121 (Ont. H.C.J.), (in considering the constitutionality of s. 487.2 of the Code): ". . . the very fact that no charge is laid may in some circumstances properly merit criticism and, in my view, the failure to lay a charge, or even to lay a particular charge 'in relation to which the warrant was issued' should not justify the prohibition of publication." »
[91]        Puis, citant la Cour suprême à ce sujet, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique conclut :
« At every stage the rule should be one of public accessibility and concomitant judicial accountability; all with a view to ensuring there is no abuse in the issue of search warrants, that once issued they are executed according to law, and finally that any evidence seized is dealt with according to law. A decision by the Crown not to prosecute, notwithstanding the finding of evidence appearing to establish the commission of a crime may, in some circumstances, raise issues of public importance. »
[92]        Dans le cas sous étude, tous les facteurs énoncés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Phillips militent en faveur d’un accès du public à l’information sur l’ensemble des personnes visées par l’enquête.
[93]        Le critère de la nature et de la portée de l'enquête qui vise un vaste réseau de fausse facturation et de fraude dans le milieu du coffrage et de l'industrie de la construction penche en faveur de la publication et de la diffusion.
[94]        Il en va de même du critère de la nature et de la portée des accusations puisque plusieurs personnes font face à de graves accusations de fraude et certaines de gangstérisme alors que d'autres personnes ne sont pas accusées.
[95]        Par ailleurs, dans chaque cas, le Tribunal doit soupeser les intérêts en cause. Lorsque les droits de « tiers innocents » peuvent être affectés, le Tribunal doit chercher à les protéger.

lundi 5 août 2013

Les éléments constitutifs de l’infraction de l'infraction relative à la publication d'une information visée par l’ordonnance de non-publication & analyse de l'application potentielle de certains moyens de défense

Canoë inc. c. R., 2013 QCCS 1668 (CanLII)


[50]        Dans l’arrêt R. Daly auquel toutes les parties se réfèrent, la Cour d’appel de Colombie-Britannique a reconnu que la mens rea requise en vertu de l’article 517 (2) C.cr. est non seulement établie par la preuve de l’intention de publier une information visée par l’ordonnance de non-publication, mais également par la preuve de l’insouciance et de l’aveuglement volontaire de celui qui publie l’information relativement à l’existence ou la portée d’une telle ordonnance.
[51]        Voici ce qu’écrit le juge Donald, au nom de la Cour :
[…] the mens rea element is established by proof that the appellants intentionally published the report; it is not necessary to show an intention to defy the order. 
[…]
The mental element required by is an intention to do the act proscribed, viz, publishing any of the things listed in.  It is not, as argued by the appellants, an intention to breach the court order creating the ban.  Accordingly, it makes no difference that Mr. Daly sought legal advice from Global's solicitor before the broadcast or that neither appellant thought they had crossed the line.  The broadcast was a conscious, deliberate act jointly produced by the appellants and that is enough for the mental element.  It does not assist the appellants to assert that they did not intend to cause the harm which was intended to prevent.
I endorse the summary conviction appeal judge's reasoning on this point:
[87]  I find Esson J.A.'s comments in CHBC [R. v. CHBC Television 1999 BCCA 72 (CanLII), 1999 BCCA 72 (CanLII), (1999), 132 C.C.C. (3d) 390, 1999 BCCA 72] are instructive and agree with the Crown's position on this point.  The mens rea in criminal contempt or criminal contempt by publication as compared with a violation of a publication ban under s. 517 is, I think, quite different.  The mens rea required to prove a charge of violating a s. 517 ban is to intentionally publish, with knowledge of the existence of the ban or recklessness or willful blindness as to whether such a ban existed.
[88]   The fact that Mr. Daly honestly believed but was mistaken that the publication did not violate the publication ban is, in these circumstances, no defence.  As in R. v. Metro News Ltd. 1986 CanLII 148 (ON CA), 1986 CanLII 148 (ON CA), (1986), 56 O.R. (2d) 321, 29 C.C.C. (3d) 35 (C.A.), where the charge was of knowingly making public obscene material, the term "knowingly" did not import that the accused knowingly contravened the law, but only that he had knowledge of the facts.  The accused's belief that the publication was not legally obscene was not a defence.
[89]    The Crown argues that to find that obtaining legal advice negated mens rea would be to find that a mistake of law is a valid defence.
[90]  In R. v. Molis1980 CanLII 8 (CSC), 1980 CanLII 8 (SCC), [1980] 2 S.C.R. 356, 55 C.C.C. (2d) 558, Lamer J., as he then was, said [p. 362]:
… Parliament has by the clear and unequivocal language of s. 19 chosen not to make any distinction between ignorance of the existence of the law and that as to its meaning, scope or application.  Parliament has also clearly expressed the will that s. 19 of the Criminal Code be a bar to any such defence, be the offence one created by an "enactment", as is the case here.
[91]   Accordingly, I find that the judge below was correct in finding that Mr. Daly had the requisite mens rea for the offence.

*      *      *
[56]        À bon droit, le premier juge a retenu que la mens rea requise en vertu de l’article 517 (2) C.cr. nécessite la preuve de l’intention de publier une information alors que celui qui publie connaît l’existence de cette ordonnance ou encore, qu’il a fait preuve d’insouciance relativement à l’existence de cette ordonnance.
 [39]      La Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt R. c. Daly a déterminé que la mens rea de cette infraction est « [l]a publication intentionnelle lorsqu'on connaît l'existence d'une interdiction de publication ou fait preuve d'insouciance ou d'aveuglement volontaire quant à l'existence d'une telle ordonnance.»
[58]        D’une part, sa conclusion selon laquelle les appelantes ont publié l’article du journaliste Plante alors qu’elles savaient ou ne pouvaient ignorer qu’une ordonnance de non-publication avait été rendue est, dans le contexte où l’article fait directement référence à cette ordonnance, bien fondée.
La défense d’excuse légitime
[66]        Il est impossible de fournir une définition générale de l’excuse légitime, cette expression étant de nature très générale.
[67]        Toutefois, il est admis que la défense d’excuse légitime comprend généralement toutes les justifications ou excuses de common law, à moins que la Loi ne viennent autrement définir cette expression, pour l’élargir ou la restreindre.
[68]        À ce sujet, dans l’arrêt R. c. Holmes  de la Cour suprême, le juge Dickson  écrit :

Les mots "excuse légitime" constituent une expression de nature très générale. Celle‑ci comprend normalement tous les moyens de défense qui, en common law, constituent une raison suffisante pour dégager une personne de sa responsabilité criminelle. Elle peut aussi inclure des excuses propres à des infractions particulières. […]

Il ne fait aucun doute que le législateur peut redéfinir le sens du mot "excuse", par exemple en l'élargissant pour accorder de nouvelles excuses ou des excuses propres à une infraction particulière, ou en le restreignant pour n'y inclure que certaines excuses. Ce qui est important, c'est que le législateur devrait donner des indications expresses ou implicites du changement qu'il a apporté au sens du mot "excuse" quand il l'utilise dans une loi. Autrement, on interprétera le mot selon le sens d'"excuse" en common law et au par. 7(3), soit un terme large qui permet la création de moyens de défense en fonction des changements du droit et dans le contexte d'infractions particulières. Si le législateur n'a pas indiqué qu'il a donné un sens particulier au mot "excuse", on doit lui donner le même sens qu'en vertu de la common law et du par. 7(3).

[69]        Dans l’arrêt R. c. Dubuc précitéla Cour d’appel du Québec réitère la portée générale de la notion d’excuse légitime. Elle précise, en prenant appui sur les auteurs Fortin et Viau, que l’excuse légitime doit être évaluée en fonction de l’objectif visé par l’incrimination. Elle ajoute, à titre illustratif, que  la bonne foi ou l’erreur de droit ne peut constituer une excuse légitime:
(p.292) "L'excuse légitime. La jurisprudence est unanime à dire qu'il est impossible de donner une définition générale de l'excuse légitime. Si la loi créatrice de l'infraction n'en donne pas une signification précise, il faut en inférer le sens d'après le but de l'incrimination.
Sans prétendre réussir une tâche que des générations de juges ont déclarée impossible, on peut donner les dimensions de l'excuse légitime.  D'abord, l'excuse légitime a pour effet de donner à l'accusé la possibilité de se défendre de l'accusation en invoquant des moyens spéciaux à l'infraction, distincts des moyens généraux reconnus par la loi."
(p.294) Ensuite, toute légitime qu'elle doive être, l'excuse légitime n'a pas à nier l'infraction elle-même. En d'autres termes, c'est l'excuse qui doit être légitime et non pas nécessairement la conduite qu'elle explique."
(p. 296) "Excuse légitime et erreur de droit. L’explication offerte par l’accusé mettant en cause une ignorance de la loi ou une erreur de droit de sa part n’est pas une excuse légitime, même si sa bonne foi ne fait pas de doute. "
[70]        Dans l’arrêt R. c. Jorgensen, la Cour suprême distingue les notions de «justification» et «d’excuse légitime». Ce faisant, elle ajoute un facteur d’appréciation à l’égard  d’une défense d’excuse légitime en mentionnant que cette dernière ne remet pas en cause le caractère répréhensible de l’acte, mais qu’elle vise plutôt à mettre en évidence  «le sentiment d'injustice que soulève la punition pour une violation de la loi commise dans des circonstances où la personne n'avait pas d'autre choix viable ou raisonnable; l'acte était mauvais, mais il est excusé parce qu'il était vraiment inévitable». Voici comment le juge Sopinka s’exprime sur cette question:
Dans Perka c. La Reine1984 CanLII 23 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 232, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a examiné la question de savoir si le moyen de défense fondé sur la nécessité constituait une justification ou une excuse à l'égard de l'infraction d'importation de stupéfiants et de possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic.  S'exprimant au nom de la majorité, le juge Dickson a souligné l'importance d'établir une distinction entre les termes «justification» et «excuse».  Le premier conteste le caractère répréhensible de l'action alors que le second admet ce caractère répréhensible mais affirme que, compte tenu des circonstances, l'auteur de l'action ne devrait pas en être tenu responsable.  La raison d'être de l'excuse à l'égard de l'auteur de l'action est «le sentiment d'injustice que soulève la punition pour une violation de la loi commise dans des circonstances où la personne n'avait pas d'autre choix viable ou raisonnable; l'acte était mauvais, mais il est excusé parce qu'il était vraiment inévitable» (p. 250).
*      *      *
[71]        En l’espèce, le Tribunal estime que le premier juge a eu raison de conclure que les moyens fondés sur les normes de l’industrie des médias et sur l’achat d’un produit clé en main ne peuvent constituer une excuse légitime au sens de l’article 517 (2) C.cr.
[72]        Les appelantes ne peuvent soutenir qu’elles n'avaient pas d'autre choix viable ou raisonnable que de publier l’article du journaliste Plante sans faire aucune vérification et que la transgression de l’ordonnance était, dans ces circonstances,  inévitable.
[74]        L’erreur ou la négligence ne peut servir d’excuse légitime.
La défense de diligence raisonnable
[75]        Dans son jugement, le premier juge a conclu que la défense de diligence raisonnable ne pouvait être invoquée du fait que l’accusation prévue à l’article 517 (2) C.cr. n’est pas de responsabilité stricte. Il ajoute que même si une telle défense avait pu être soulevée, que la preuve ne lui permettait pas de conclure que les appelantes avaient été diligentes. 
[76]        Cette conclusion n’est entachée d’aucune erreur de droit ni d’aucune erreur dominante dans l’appréciation des faits.
[77]        De plus, il apparaît douteux qu’une défense de diligence raisonnable puisse être invoquée à l’encontre d’une accusation qui accorde un moyen de défense fondé sur l’excuse légitime.
[78]        Cela est d’autant plus vrai qu’en l’espèce, les faits invoqués par les appelantes pour faire valoir la défense de diligence raisonnable sont également ceux qu’elles invoquent pour justifier l’excuse légitime.
[79]        Si ces faits ne peuvent constituer une excuse légitime, ils ne devraient pouvoir justifier une défense de diligence raisonnable.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La protection contre l'auto-incrimination et les procédures ''non-criminelles''

R. c. Zarow, 2024 QCCA 441 Lien vers la décision [ 88 ]        The principle against self-incrimination is “an overarching principle within ...