R. c. Graveline, 2006 CSC 16
13 Dans bon nombre de ressorts, comme le juge Cory l’a fait remarquer dans R. c. Evans, 1993 CanLII 102 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 629, p. 645, l’État ne peut interjeter appel du verdict d’acquittement d’un accusé au procès. Au Canada, ce n’est pas le cas. L’alinéa 676(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, prévoit que le procureur général peut introduire un recours devant la Cour d’appel « contre un jugement ou verdict d’acquittement [. . .] pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement ».
14 Il est cependant établi depuis longtemps qu’un appel interjeté par le procureur général ne saurait être accueilli sur une possibilité abstraite ou purement hypothétique selon laquelle l’accusé aurait été déclaré coupable n’eût été l’erreur de droit. Il faut des moyens plus concrets. Pour obtenir un nouveau procès, le ministère public doit convaincre la cour d’appel qu’il serait raisonnable de penser, compte tenu des faits concrets de l’affaire, que l’erreur (ou les erreurs) du premier juge ont eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement. Le procureur général n’est toutefois pas tenu de nous persuader que le verdict aurait nécessairement été différent.
15 Ce fardeau qui incombe au ministère public et qui demeure inchangé depuis plus d’un demi‑siècle (voir Cullen c. The King, 1949 CanLII 7 (SCC), [1949] R.C.S. 658) a été expliqué comme suit par le juge Sopinka au nom de la majorité dans R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345 :
Je reconnais volontiers que cette charge est lourde et que la poursuite doit convaincre la cour avec un degré raisonnable de certitude. Un accusé qui a déjà été acquitté une fois ne devrait pas être renvoyé à un nouveau procès s’il n’est pas évident que l’erreur qui entache le premier procès était telle qu’il y a un degré raisonnable de certitude qu’elle a bien pu influer sur le résultat. Tout critère plus strict exigerait qu’une cour d’appel prédise avec certitude ce qui s’est passé dans la salle de délibérations, ce qu’elle ne peut faire. [p. 374]
16 S’exprimant plus récemment dans un jugement unanime, la Juge en chef a dit ce qui suit dans R. c. Sutton, [2000] 2 R.C.S. 595, 2000 CSC 50 :
Les parties s’entendent pour dire que les verdicts d’acquittement ne sont pas annulés à la légère. Selon le critère énoncé dans Vézeau c. La Reine, 1976 CanLII 7 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 277, le ministère public doit convaincre la cour que le verdict n’aurait pas été nécessairement le même s’il n’y avait pas eu d’erreurs. Dans R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, notre Cour souligne le fait que « cette charge est lourde et que la poursuite doit convaincre la cour avec un degré raisonnable de certitude » (p. 374). [par. 2]
17 Les erreurs alléguées par le ministère public lorsqu’il interjette appel d’un verdict d’acquittement concernent habituellement le ou les moyens de défense invoqués par l’accusé au procès. Pour cette raison, l’incidence de ces erreurs sur le verdict, si une erreur est démontrée, ne se limitera pas à de simples conjectures. D’où le troisième aspect inhabituel du présent pourvoi : comme je l’ai déjà mentionné, personne n’allègue en l’espèce que les erreurs imputées au juge du procès ont eu une incidence, directe ou indirecte, sur la légalité d’un acquittement reposant sur le moyen de défense avancé par l’accusée — l’automatisme sans troubles mentaux.