mardi 18 août 2009

La procédure et le rôle du voir-dire

Erven c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 926

La question est essentiellement de savoir si un voir dire est toujours requis à l’égard de pareilles déclarations ou si aucun voir dire n’est nécessaire lorsque la déclaration est «manifestement volontaire». La nécessité de tenir un voir dire s’applique tout autant aux déclarations faites pendant l’enquête qu’à celles faites après la mise en détention de l’accusé ou son inculpation, ou après qu’on a décidé de l’inculper. Il est mal fondé d’admettre qu’un voir dire n’est pas nécessaire lorsque la déclaration est «sponta­née» ou «manifestement volontaire». Outre qu’il est dou­teux que le critère du «caractère volontaire» encourage effectivement le prompt déroulement des procès, d’au­tres facteurs doivent être soupesés, savoir: l’assurance d’un débat contradictoire sur la question du caractère volontaire; le maintien des droits de l’accusé et l’inté­grité de la distinction fonctionnelle entre le voir dire et le procès lui-même. Il n’existe aucune raison de faire une exception à la règle générale, amplement appuyée par la jurisprudence, en particulier une exception formulée par des expressions telles que «manifestement volontaire» ou «spontanée»

La formulation classique du principe applicable est celle de lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim v. The King, aux pp. 609 et 610 :

[TRADUCTION] C’est une règle formelle du droit cri­minel anglais depuis longtemps établie qu’aucune décla­ration d’un accusé n’est recevable contre lui à titre de preuve, à moins que l’accusation ne prouve qu’il s’agit d’une déclaration volontaire, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne ayant autorité. Ce principe remonte à lord Hale.

Je crois qu’il est maintenant bien établi au Canada qu’aucune déclaration extra-judiciaire d’un accusé à une personne ayant autorité ne peut être admise en preuve contre lui à moins que la poursuite n’établisse à la satisfaction du juge du procès que la déclaration a été faite librement et volontairement: Boulet c. La Reine. Powell c. La Reine, Fiché c. La Reine, précité.

La procédure au voir dire


Si l’on admet qu’il incombe au ministère public d’établir positivement que la déclaration qu’il veut introduire en preuve est volontaire, comment peut-il se libérer de ce fardeau? Selon mon expé­rience, le ministère public, avant de parler de la déclaration, demande habituellement au juge du procès de faire sortir le jury. En l’absence de ce dernier, le ministère public appelle des témoins, normalement les agents de police à qui la déclara­tion a été faite ou tout autre agent de police qui aurait été à même de menacer l’accusé ou de lui faire espérer un avantage. Ces témoins attestent que les déclarations ont été faites et qu’il n’y a eu ni menace ni promesse. Ils sont contre-interrogés. La défense appelle ensuite ses témoins, y compris souvent l’accusé, et ils sont contre-interrogés. Ensuite les avocats plaident et le juge du procès décide si la déclaration est volontaire et donc admissible. Il y a, à tout point de vue, un procès dans un procès. Une fois admise, la déclaration est soumise au jury qui doit décider si elle a effectivement été faite et éventuellement quel poids lui accorder.

Le rôle du voir dire

Il est évident que le voir dire et le procès lui-même jouent des rôles différents. Le voir dire sert à déterminer l’admissibilité d’un élément de preuve. Le procès vise à trancher l’affaire au fond en fonction de la preuve recevable. Le voir dire a
lieu en l’absence du jury qui doit toujours en ignorer l’objet. L’accusé peut témoigner au voir dire et garder le silence pendant le procès lui-même. La preuve présentée au voir dire ne peut être utilisée au procès lui-même. Le caractère fon­damental de cette séparation fonctionnelle a été récemment réaffirmé par cette Cour dans l’arrêt La Reine c. Gauthier. Le juge Pigeon, parlant au nom de la majorité, a déclaré que la procédure est semblable, que le procès ait lieu devant un jury ou non, et il souligne la nécessité d’un voir dire dans les deux cas, à la p. 450:

... C’est pourquoi je ne vois pas comment on pourrait décider que dans un procès sans jury un «voir dire» n’est pas nécessaire et la preuve de déclarations par l’accusé peut être reçue sans décision préliminaire sur leur carac­tère libre et volontaire. Au reste, personne ne semble suggérer que dans un procès sans jury un «voir dire» n’est pas nécessaire. Mais s’il en est ainsi, comment peut-on soutenir que les règles en sont alors modifiées?

Plus loin, le juge Pigeon se dit aussi d’avis que la tenue d’un voir dire est une exigence fondamentale (à la p. 451):

En statuant comme on l’a fait dans la présente cause, on permet à l’accusé de témoigner lors d’un «voir dire» sur une partie de la cause où cela fait son affaire tout en se soustrayant au contre-interrogatoire sur le reste et en empêchant la poursuite d’en faire état. On ne saurait voir 1à du formalisme car on touche à ce qu’il y a de plus fondamental dans l’administration de la justice, c’est-à-dire la règle qu’il faut juger exclusivement suivant la preuve faite au procès. Si l’on disait que lors d’un procès sans jury il n’est pas indispensable de recourir au «voir dire» et le juge peut recevoir la preuve de déclarations de l’accusé sous réserve de statuer à la fin sur leur admissibilité, je ne serais pas d’accord mais j’y verrais une moins grande objection qu’à procéder au «voir dire» sans en respecter la règle fondamentale, savoir que c’est un procès dans un procès, de telle sorte que la preuve qui y est faite ne sert que pour cette fin-là quoique ce soit le même juge qui préside le «voir dire» et prononce sur le fond

Les critères d’admissibilité des déclarations fixés par les tribunaux sont rigoureux afin de garantir soigneusement les droits de l’accusé. Les principes ont été définis à l’occasion de procès par jury, mais ils s’appliquent également aux procès par juge seul.

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