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mercredi 12 mars 2025

La mens rea de l’infraction de complicité après le fait

Rochon c. R., 2019 QCCA 517

Lien vers la décision


[14]        L’appelant soutient que la mens rea de l’infraction de complicité après le fait requiert la preuve du désir de l’accusé d’aider le participant à l’infraction à échapper à la justice. Le juge aurait donc erré dans ses directives en indiquant au jury que l’appelant devait savoir que son geste d’aide aurait pour conséquence probable de permettre à Beaudoin d’échapper à la justice, mais qu’il n’avait pas à désirer que cette conséquence se réalise.

[15]        Les directives du juge, inspirées de l’arrêt Hibbert[1], seraient erronées puisque cet arrêt concerne l’état d’esprit envisagé à l’alinéa 21(1)b) du Code criminel (participants à une infraction), non celui requis pour commettre l’infraction de complicité après le fait prévue au paragraphe 23(1), dont voici le libellé :

23. (1) Un complice après le fait d’une infraction est celui qui, sachant qu’une personne a participé à l’infraction, la reçoit, l’aide ou assiste en vue de lui permettre de s’échapper.

23. (1) An accessory after the fact to an offence is one who, knowing that a person has been a party to the offence, receives, comforts or assists that person for the purpose of enabling that person to escape.

[16]        Pour l’appelant, les mots « en vue de / for the purpose » doivent être interprétés comme incorporant la notion de désir dans l’exigence de la mens rea pour que sa responsabilité, à titre de complice après le fait, soit engagée. Or, plaide-t-il, il n’a pas agi avec le désir de permettre à Beaudoin de s’échapper, mais simplement parce qu’il avait peur[2].

[17]        L’appelant se réfère aux arrêts Jones[3]Sykes v. The Director of Public Prosecutions[4] et Morris[5], lesquels sont repris dans l’ouvrage Canadian Criminal Jury Instructions, avec les réserves suivantes :

SIXTH INGREDIENT — FOR THE PURPOSE OF ENABLING ANOTHER TO ESCAPE [§6.00.17]

User Note: The words “for the purpose of” in s. 23 have not been defined clearly or definitively in Canadian case law. See the discussion in notes (14) and (15).

22. The sixth ingredient the Crown must prove is that [THE ACCUSED’S] purpose in receiving, comforting, or assisting [THE PERSON ASSISTED] was to help (him/her) escape from justice.14 Remember that a person may assist someone to escape for some other reason, such as fear of retribution or because he or she was himself or herself trying to escape.15 But also remember that a person can have more than one purpose for doing something. The Crown has proven this element if you find that one [THE ACCUSED’S] purposes was to help [THE PERSON ASSISTED] escape.

(14)   The Supreme Court of Canada interpreted the words “for the purpose of” in s. 21(1)(b) as meaning “with intent to” and indicated that “desiring” the prohibited consequence is not an essential requirement. In other words, intent or purpose is established if the accused knew that the prohibited consequence was virtually certain to arise from his/her conduct even though producing that consequence was not the accused’s desire, wish, or motive for acting. See the discussion of R. v. Hibbert1995 CanLII 110 (CSC)[1995] 2 S.C.R. 973 […].

There is some English, and limited Canadian case law that suggests “for the purpose of” in s. 23 required proof of “desire” to assist the principal offender to escape/avoid apprehension. While this is inconsistent with the above general principles of mens rea, it may be nonetheless the law, although that is far from certain. […]

(15)    Consider the introductory comments in note (14), supra, before deciding whether the following cases are still authoritative.

      R. v. Jones (1948), 33 Cr. App. R. 33 at 39:

… it was essential … that the learned Judge should specify the act or acts alleged to have been done by the appellant for the purpose of assisting his wife to escape conviction, and further to direct them specifically that if the motive in the mind of the appellant was merely a decision to avoid his own arrest, that would not be sufficient to bring him within the purview of this charge.

D.P.P. v. Sykes[1962] A.C. 528 at 561 (H.L.):

... if the acts of assistance were done, not to hinder the arrest of the felon, but with another motive, such as to avoid arrest himself … or to make money for himself without regard to what happened to the felon … he would not be guilty as an accessory after the fact.

This passage from Sykes was quoted with apparent approval by Ritchie J., speaking for the majority, in R. v. Morris1979 CanLII 243 (CSC)[1979] 2 S.C.R. 1041 at 1069 […].[6]

[Caractères gras dans l’original; soulignements ajoutés]

[18]        À l’instar des auteurs du Canadian Criminal Jury Instructions, la Cour est d’avis que les motifs de la Cour suprême dans l’arrêt Hibbert et les principes généraux de la mens rea commandent d’écarter l’état du droit exposé dans les décisions invoquées par l’appelant, lesquelles datent d’il y a plusieurs décennies.

[19]        Dans l’arrêt Hibbert, la Cour suprême devait « décider si la personne accusée d'avoir participé à une infraction peut soutenir que, parce qu'elle a agi sous la contrainte, elle n'avait pas la mens rea requise pour que sa responsabilité en tant que participant à cette infraction soit engagée »[7]. Le juge en chef Lamer, au nom d’une Cour suprême unanime, note qu’il est possible d’attribuer deux sens à l’expression « en vue / for the purpose » : l’un traduisant l’idée d’un but ou d’un désir ultime et l’autre, assimilant le « purpose » à l’« intention »[8]. Il retient le deuxième sens, celui de l’intention :

[31] […] Comme je vais l'expliquer, je suis d'avis que, dans le contexte de l'al. 21(1)b) du Code, le second des deux sens du terme «purpose» étudiés plus haut — c.àd. l'interprétation consistant à assimiler ce terme à l'«intention» — est celui qui traduit le mieux l'intention que le législateur avait en rédigeant cet alinéa. Par contre, adopter la première interprétation du terme «purpose» (au sens de «désir») pour décrire la mens rea relative à l'aide dont il est question à l'al. 21(1)b) créerait, à mon sens, un certain nombre de difficultés théoriques et pratiques que le législateur n'a vraisemblablement pas envisagées ni voulues.

[32] Plusieurs problèmes sont liés à l'interprétation voulant que le mot «purpose» s'entende d'un «désir». Premièrement, l'incorporation, dans la définition de la mens rea relative à l'«aide», des sentiments de l'accusé quant au caractère souhaitable de la perpétration de l'infraction par l'auteur principal, risque d'entraîner des distinctions qui paraissent arbitraires et déraisonnables à la lumière de la politique qui soustend l'al. 21(1)b). Comme le fait remarquer le professeur Colvin, suivant l'interprétation voulant que le mot «purpose» s'entende d'un «désir», une personne ne serait pas coupable d'avoir aidé à commettre une infraction si elle était «véritablement opposée ou indifférente à [sa perpétration]» (p. 123). La raison de son indifférence ou de son opposition serait sans importance. […]

[38] Finalement, je suis convaincu que l'interprétation que je propose de la mens rea requise pour qu'il y ait responsabilité au sens de l'al. 21(1)bn'entraînera pas de déclarations de culpabilité injustes dans des cas de contrainte par menaces de mort ou de lésions corporelles, puisque, dans ces cas, l'accusé pourra toujours invoquer le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte. Comme je vais l'expliquer sous peu, ce moyen de défense, interprété comme il se doit, fournit une excuse aux personnes qui aident quelqu'un à commettre une infraction par suite de menaces de violence grave. En revanche, assimiler à un «désir» le mot «purpose» utilisé à l'al. 21(1)b) compliquerait inutilement le droit. Selon cette interprétation, il faudrait, dans les cas de contrainte, donner aux jurés des directives extrêmement complexes qui, en définitive, auraient peu ou pas d'incidence sur la détermination finale de l'innocence ou de la culpabilité de l'accusé. En toute logique, la question de savoir si un accusé peut invoquer une excuse ou une justification ne se pose qu'après que le ministère public a prouvé l'existence de tous les éléments de l'infraction, y compris la mens rea. En conséquence, si le mot «purpose» était assimilé à un «désir», et donc considéré comme susceptible d'«annulation» par la contrainte, le juge du procès devrait donner au jury des directives en conséquence. Le juge et le jury se verraient obligés d'examiner à fond la question obscure de savoir si la personne qui commet intentionnellement une infraction afin de sauver sa peau la commet «à dessein» («on purpose») — une question qui a peutêtre une certaine importance sur le plan philosophique, mais qui n'est ni facile à expliquer brièvement pour le juge, ni facile à comprendre pour le jury. En même temps, le juge du procès devrait également donner au jury d'autres directives portant cette fois sur la défense de common law de la contrainte, qui est fondée sur une excuse. […] Par conséquent, dans certains cas tout au moins, le jury serait forcé d'examiner deux moyens de droit distincts pouvant justifier l'acquittement pour cause de contrainte. Cette complication aurait cependant peu ou pas d'effet pratique, puisqu'il y aura peu de cas, voire aucun, où un participant invoquerait avec succès un «moyen de défense» fondé sur l'«annulation de la mens rea par la contrainte», et où le recours à la défense de common law de la contrainte, fondée sur une excuse, n'entraînerait pas également un acquittement.

[39] Pour ces raisons, je conclus que, bien interprétés, les mots «for the purpose of aiding» («en vue d'aider»), employés à l'al. 21(1)b), n'exigent pas que l'accusé ait activement considéré comme souhaitable en soi la perpétration de l'infraction qu'il a aidé à commettre. En conséquence, la mens rea relative à l'aide, au sens de l'al. 21(1)b), n'est pas susceptible d'«annulation» par la contrainte. […][9]

[Caractères gras ajoutés; soulignements dans l’original]

[20]        Dans son mémoire, l’appelant insiste fortement sur le fait que le juge en chef Lamer précise à plusieurs endroits dans ses motifs que l’interprétation donnée à l’expression « en vue / for the purpose » est limitée à l’alinéa 21(1)b) du Code criminel, par exemple :

[30] […] Il faut cependant souligner que le mot «purpose» est employé, dans plusieurs dispositions du Code criminel, dans un certain nombre de contextes différents. Mes conclusions, en l'espèce, sur la façon appropriée d'interpréter le mot «purpose» utilisé à l'al. 21(1)b) du Code sont donc limitées à cette disposition particulière. Il se peut fort bien que, dans le contexte d'une autre disposition législative, une interprétation différente du terme s'avère la plus convenable.[10]

[21]        Tout en étant bien au fait de cette nuance, le juge, au moment de la conférence prédirectives, considère qu’« il n’y a aucune raison logique ou juridique » d’écarter les enseignements de l’arrêt Hibbert. Selon lui, « les mêmes raisons de politique judiciaire » s’appliquent au complice après le fait[11]. La Cour partage ce point de vue.

[22]        Interpréter l’expression « en vue de / for the purpose » du paragraphe 23(1) du Code criminel en conformité avec l’arrêt Hibbert s’arrime aux principes généraux du droit criminel[12]. Il suffit de rappeler qu’en droit pénal canadien, l’intention et le mobile d’un accusé sont des concepts distincts[13]. Dans un passage souvent repris de ses motifs dans l’arrêt Lewis, le juge Dickson, plus tard juge en chef, souligne :

Dans le parler ordinaire, les mots «intention» et «mobile» sont souvent utilisés l’un pour l’autre mais en droit pénal ils ont un sens différent. Dans la plupart des procès criminels, l’élément moral, la mens rea qui intéresse le tribunal, a trait à «l’intention» c’est-à-dire l’exercice d’une libre volonté d’utiliser certains moyens pour produire certains résultats plutôt qu’au «mobile» c’est-à-dire ce qui précède et amène l’exercice de la volonté. L’élément moral d’un crime ne contient ordinairement aucune référence au mobile […].[14]

[Caractères gras ajoutés]

[23]        Il s’ensuit qu’en matière d’intention, le « désir » d’un accusé n’est pas pertinent dans la preuve de l’élément moral de l’infraction que doit prouver le ministère public. Une personne peut avoir l’intention de commettre un crime sans nécessairement avoir le désir ou le souhait qu’il se réalise[15].

[24]        À ce propos, la Cour adopte les commentaires suivants des auteurs Morris Manning et Peter Sankoff :

¶ 4.70 A common form of ulterior intent used in the Code involves the term “for the purpose”. […] In Hibbert, the Supreme Court considered the meaning of the term, holding:

It is impossible to ascribe a single fixed meaning to the term "purpose". In ordinary usage, the word is employed in two distinct senses. One can speak of an actor doing something "on purpose" (as opposed to by accident) thereby equating purpose with "immediate intention". The term is also used, however, to indicate the ultimate ends an actor seeks to achieve, which imports the idea of "desire" into the definition.

While it is certainly true that the term “for the purpose” is capable of assuming both interpretations, it is hardly surprising that the Court chose the version synonymous with intention. For the reasons set out in the last section, it is undesirable to approach mental elements as requiring proof of a particular motivation, and there is nothing intrinsic to the term “purpose” mandating it be treated in the manner. […]

¶ 4.71 […] One who assists another to commit a robbery, whether acting out of fear, a desire for profit or to save one’s own life, is committing specific acts so that the robbery will be successful. In other words, focusing on “reasons” or “purposes” does not have to imply a consideration of motive any more than focusing on “intention”, and nor should it. In our view, the term “for the purpose” is much better understood — in section 21 and elsewhere — as meaning “with the intention”.[16]

[Caractères gras ajoutés]

[25]        S’appuyant sur ces principes généraux du droit criminel, l’auteur David Watt, maintenant juge à la Cour d’appel de l’Ontario, conclut également que le paragraphe 23(1) du Code criminel requiert une preuve d’intention et non une preuve de désir :

The mental element in the crime of accessoryship after the fact, as we have already seen, embraces the element of purpose and the requirement of knowledge on the part of A of P's offence. The element of purpose raises the issue of whether it be sufficient to demonstrate that A intentionally did the actus reus knowing that it would assist P to escape (or at least that the proscribed act had the potential to do this) or whether, in addition to the performance of the prohibited act, there must be shown a concurrent desire or wish that P should escape.

At the outset, it may be observed that, although, as evidence, motive, is always relevant and evidence thereof admissible, motive, as a general rule, is no part of the crime and is legally irrelevant to criminal responsibility. As a matter of law, motive is not an essential element of the prosecution's case. The significant feature, insofar as criminal liability is concerned, is whether the accused acted willingly, in the knowledge that the criminal event would thereby follow, or was reckless as to whether or not it followed. In the context of accessoryship after the fact, it would seem to accord with basic principle if it be shown with the necessary degree of certainty that A performs the relevant actus reus in the knowledge that by his act P will be assisted to escape or that his act would tend to do this, it being irrelevant in either case that assisting P to escape is not a deliberate object of behaviour.[17]

[Caractères gras et soulignement ajoutés]

[26]        Bref, la Cour est d’avis que le juge n’a pas erré en droit en indiquant au jury que la mens rea de l’infraction de complicité de meurtre après le fait ne requérait pas la preuve du désir de l’appelant d’aider Beaudoin à échapper à la justice. Le premier moyen d’appel doit donc échouer.

samedi 3 juillet 2010

Ce que doit prouver la poursuite dans le cas de complicité après le fait

R. v. Duong, 1998 CanLII 7124 (ON C.A.)

[19] A charge a laid under s. 23(1) must allege the commission of a specific offence (or offences) and the Crown must prove that the alleged accessory knew that the person assisted was a party to that offence. The Crown will meet its burden if it proves that the accused had actual knowledge of the offence committed. Whether wilful blindness will suffice is addressed below. The further question of whether recklessness as to the offence committed by the principal would be sufficient need not be decided in this case.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...