Charles c. R., 2022 QCCA 1013 (infirmé pour d'autres motifs par R. c. Charles, 2024 CSC 29
[22] L’intimée rétorque que l’appelant se méprend sur la teneur et la portée des exigences de l’article 9(2) L.p. Elle ajoute que la Cour suprême n’a jamais décidé que la procédure y étant énoncée constituait une étape préalable à l’admission en preuve, à titre de ouï-dire, d’une déclaration extrajudiciaire antérieure d’un témoin affirmant ne se souvenir de rien. Elle attire aussi l’attention de la Cour sur R. v. Glowatski[10], un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rejetant un argument identique à celui soulevé par l’appelant.
[23] À mon avis, l’intimée a raison.
[24] L’article 9 L.p. ne concerne pas la règle générale d’exclusion du ouï-dire ni les circonstances dans lesquelles ce type de preuve peut être admis. Il a plutôt trait à la règle de common law interdisant à une partie d’attaquer la crédibilité d’un de ses témoins à l’aide d’une preuve générale de mauvaise moralité. Le législateur réitère cette règle au premier paragraphe de l’article 9 L.p., puis il établit une exception lorsque le témoin s’avère être « opposé/adverse » à la partie l’ayant convoqué : celle-ci pourra alors réfuter les affirmations du témoin par d’autres témoignages ou encore être autorisée, si les fins de la justice le requièrent, à prouver que le témoin a fait une déclaration antérieure incompatible à l’égard de laquelle ce dernier pourra ensuite être contre-interrogé. Cette exception s’ajoute à celle, reconnue en common law depuis longtemps, permettant à une partie de contre-interroger un de ses témoins lorsque celui-ci lui est hostile[11].
[25] Le second paragraphe de l’article 9 L.p., quant à lui, traite du cas particulier de la partie souhaitant attaquer la crédibilité d’un de ses témoins en se servant d’une déclaration écrite ou enregistrée qu’il a faite et qui est incompatible avec son témoignage. La partie concernée pourra être autorisée[12], là encore si les fins de la justice le requièrent, à contre-interroger le témoin quant à sa déclaration antérieure incompatible. Le tribunal pourra aussi, sur la foi de ce contre-interrogatoire, constater que le témoin est opposé à la partie l’ayant convoqué, permettant du coup à cette dernière de se livrer à une attaque plus étendue de sa crédibilité[13].
[26] La partie qui tente de faire admettre en preuve, à titre de ouï-dire, une déclaration antérieure incompatible d’un de ses témoins ne cherche pas, à proprement parler, à attaquer sa crédibilité afin d’atténuer la force probante d’un témoignage qu’elle considère faux ou inexact. Elle cherche plutôt à dénouer l’impasse dans laquelle elle se trouve en raison du refus ou de l’incapacité du témoin à s’exprimer adéquatement sur les faits relatés dans sa déclaration antérieure : elle invoque alors la nécessité d’admettre en preuve cette déclaration afin que le juge des faits puisse avoir accès à la version du témoin qu’elle estime utile à sa cause. Il s’agit d’une finalité bien différente de celle poursuivie par la procédure prévue à l’article 9(2) L.p.
[27] Dans les circonstances, je vois mal en quoi il serait nécessaire ou même utile d’exiger l’épuisement de cette procédure avant que la déclaration antérieure incompatible du témoin puisse être admise en preuve à titre de ouï-dire. Il n’est donc pas surprenant de constater que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté un argument analogue à celui soulevé par l’appelant[14] et que plusieurs auteurs particulièrement autorisés ont pris position dans le même sens. C’est notamment le cas des auteurs Hill, Tanovich et Strezos qui, tout en admettant que l’arrêt B. (K.G.)[15] pouvait être interprété comme appuyant la thèse défendue par l’appelant, approuvent sans réserve la solution retenue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[16] :
R. v. K.G.B. suggests that where a witness recants an earlier version of events given to police the usual course will be for the calling party to make an application under s. 9 of the Canada Evidence Act before applying to have the statement admitted under the principled exception to the hearsay rule. Nevertheless, in R. v. Glowatski, the British Columbia Court of Appeal rejected the argument that a s. 9 application is a necessary precondition to applying for the admission of the statement under the principled exception; provided the requirements of the principled exception were met, the statement could be admitted. This flexible approach makes sense and allows counsel and the court to adopt whatever procedure makes the most sense in the circumstances. That having been said, counsel should state whether an application is being brought under s. 9 alone, the principled exception to the hearsay rule, or both. Alerting the judge and the opposing party to the scope of the application ensures that matters relevant to the issues raised can be fully canvassed in the voir dire.