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lundi 8 septembre 2025

Le sens du consentement et la capacité à consentir

Fairy c. R., 2024 NBCA 92

Lien vers la décision


(1)               Le sens de consentement

 

[18]                                                         Lorsqu’on discute d’accusations d’agression sexuelle, je trouve utile de rappeler le sens de consentement trouvé à l’art. 273.1 du Code criminel. Il exige « l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle » et ne peut être obtenu lorsque « [le plaignant] est incapable de le former » (par. 273.1(1) et al. 273(2)b)). En plus de son caractère volontaire, de l’accord manifesté et de la capacité de le former, « [l]e consentement doit être concomitant à l’activité sexuelle » (al. 273.1(1.1)).

 

[19]                                                         Le ministère public doit prouver l’absence de consentement. « La question de savoir s’il n’y a pas de consentement » pour l’application de l’art. 271 « est une question de droit » (al. 273.1(1.2)); la norme de contrôle est celle de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen2002 CSC 33[2002] 2 R.C.S. 235, au par. 8.

 

(2)               La capacité à consentir

 

[20]                                                         L’arrêt R. c. G.F.2021 CSC 20[2021] 1 R.C.S. 801, est la plus récente décision de la Cour suprême sur la question de la capacité à consentir. Le droit est bien établi, la capacité est une condition préalable au consentement; si elle n’a pas la capacité, la plaignante est incapable de consentir. L’incapacité prive la plaignante de la capacité de formuler un accord subjectif dans son propre esprit à l’activité sexuelle en cause.

 

[21]                                                         La juge Karakatsanis, s’exprimant au nom de la majorité des juges dans l’arrêt G.F., déclare que le consentement exige que la plaignante soit lucide au moment de l’activité sexuelle et que, si elle est incapable de comprendre qu’elle a le choix de se livrer ou non à l’activité sexuelle en cause, elle est incapable de consentir. Voici ce qu’elle écrit :

Les quatre exigences pour qu’il y ait capacité

 

Vu que la capacité est une condition préalable au consentement subjectif, les exigences pour qu’il y ait capacité sont liées à celles pour qu’il y ait consentement subjectif en tant que tel. Étant donné que le consentement subjectif doit être lié à l’activité sexuelle, la capacité à consentir exige que la plaignante soit lucide et capable de comprendre chaque élément de l’activité sexuelle : l’acte physique, sa nature sexuelle et l’identité précise de son partenaire : Barton, par. 88; Hutchinson, par. 54-57.

 

Il existe une autre exigence. Parce que le consentement subjectif exige un « accord volontaire », la plaignante doit être capable de comprendre qu’elle a le choix de se livrer ou non à l’activité sexuelle : Code criminel, par. 273.1(1). À tout le moins, l’accord volontaire exigerait que la plaignante exerce le choix de se livrer à l’activité sexuelle. Dans ce sens précis, afin de donner son accord volontaire à l’activité sexuelle, la plaignante doit comprendre qu’elle peut dire « non ». Dans l’arrêt J.A., la Cour a conclu que le consentement exige que la plaignante soit « lucide » au moment des attouchements, qu’elle soit en mesure d’évaluer chaque acte sexuel et de choisir d’y consentir ou non : par. 36 et 43‑44. Par conséquent, une plaignante inconsciente ne peut pas donner de consentement concomitant. Il s’ensuit que lorsque la plaignante est incapable de comprendre qu’elle a le choix de se livrer à l’activité ou de refuser de s’y livrer, elle est incapable de consentir. En conséquence, la plaignante qui est incapable de dire non, ou qui croit qu’elle n’a pas le choix, n’est pas capable de formuler un consentement subjectif : voir R. c. Al‑Rawi2018 NSCA 10359 C.C.C. (3d) 237, par. 60citant R. c. Daigle (1997), 1997 CanLII 9934 (QC CA)127 C.C.C. (3d) 130 (C.A. Qc), conf. par 1998 CanLII 786 (CSC)[1998] 1 R.C.S. 1220.

 

En résumé, pour que la plaignante soit capable de donner un consentement subjectif à l’activité sexuelle, elle doit être capable de comprendre quatre choses :

 

1.      l’acte physique;

 

2.      le fait que l’acte est de nature sexuelle;

 

3.      l’identité précise de son ou ses partenaires; et

 

4.      le fait qu’elle peut refuser de participer à l’activité sexuelle.

 

La plaignante ne sera en mesure de donner un consentement subjectif que si elle est capable de comprendre ces quatre facteurs. Si la Couronne prouve l’absence d’un seul facteur hors de tout doute raisonnable, alors la plaignante est incapable de donner un consentement subjectif et l’absence de consentement est établie à l’étape de l’actus reus. Il ne serait pas nécessaire d’examiner la question de la validité du consentement en droit, puisqu’il n’y aurait aucun consentement subjectif pouvant être vicié. [par. 55 à 58]

 

[22]                                                         Le dernier facteur concerne en réalité la capacité d’exercer un choix de se livrer ou non à l’activité sexuelle en cause.

dimanche 3 août 2025

Un accusé doit toujours prendre des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante et le défaut de prendre de telles mesures écarte le moyen de défense prévu à l'article 273.2 Ccr

R. c. Cornejo, 2003 CanLII 26893 (ON CA)

Lien vers la décision


[12Dans R. c. Cinous[2002] 2 R.C.S. 32002 CSC 29 (CanLII), la Cour suprême du Canada a traité du critère de la vraisemblance, quoique pas dans le contexte d’une agression sexuelle. Ce jugement a confirmé que le juge de première instance a l’obligation de ne pas soumettre au jury tout moyen de défense qui ne ressort aucunement de la preuve ou qui n’a aucune vraisemblance. Comme l’a expliqué la juge en chef McLachlin à la p. 29 des R.C.S. : « Il s’agit de déterminer si la preuve versée au dossier permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement ». De plus, le juge du procès doit examiner « l’ensemble de la preuve » et tenir pour véridiques les éléments de preuve produits par l’accusé.

[13Dans R. c. Livermore1995 CanLII 43 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 123129 D.L.R. (4th) 676, à la p. 135 des R.C.S., la juge en chef McLachlin a expliqué que le moyen de défense fondé sur la croyance sincère au consentement « comporte deux éléments : (1) l’accusé doit avoir cru sincèrement au consentement de la plaignante, et (2) l’accusé doit avoir eu cette croyance erronément ». (Souligné dans l’original.)

[14Dans R. c. Ewanchuk1999 CanLII 711 (CSC)[1999] 1 R.C.S. 330169 D.L.R. (4th) 193, aux pp. 354-55 des R.C.S., le juge Major a déclaré ceci :

Pour que les actes de l’accusé soient empreints d’innocence morale, la preuve doit démontrer que ce dernier croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question. Le fait que l’accusé ait cru dans son esprit que le plaignant souhaitait qu’il la touche, sans toutefois avoir manifesté ce désir, ne constitue pas une défense… Ce qui importe, c’est de savoir si l’accusé croyait que le plaignant avait vraiment dit « oui » par ses paroles, par ses actes, ou les deux.

(Souligné dans l’original.)

Il a également fait remarquer, à la p. 356 des R.C.S., que « le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense ».

[15] Selon moi, d’après le témoignage de M. Cornejo lui-même, la preuve tend à démontrer qu’il y a eu absence de consentement de la part de la plaignante et une forte dose d’imagination de la part de l’accusé. Le soulèvement du bassin de la part d’une femme qui a bu, qui dormait et qui, comme le savait fort bien M. Cornejo, n’est aucunement intéressée à avoir quelque rapport intime que ce soit, ne peut permettre de présumer que la femme consent à une activité sexuelle. Dans ces circonstances, je ne puis, avec égards, voir aucune vraisemblance dans l’affirmation de M. Cornejo selon laquelle il croyait honnêtement que la plaignante consentait à sa présence dans l’appartement, et encore moins à l’activité sexuelle à laquelle il s’était livré chez elle.

[16] Dans ces circonstances, mis à part l’affirmation de M. Cornejo selon laquelle il croyait que la plaignante était consentante, et le mouvement de son bassin bien après qu’il eut déjà commencé à se livrer à l’activité sexuelle, il y avait une preuve abondante établissant soit qu’elle n’avait pas donné son consentement soit qu’elle était incapable de le donner. M. Cornejo a tiré profit d’une réponse passive et équivoque.

[17] Au cours de son témoignage, M. Cornejo a expliqué que les yeux de la plaignante étaient clos pendant qu’il l’embrassait et qu’il enlevait ses vêtements, et il a admis qu’elle dormait peut-être pendant l’incident. Il a témoigné que lorsqu’elle avait dit « non », elle avait soudainement semblé très éveillée et il y avait une grande différence dans sa façon de se comporter.

[19] Ces circonstances commandaient que M. Cornejo prenne des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante et, étant donné qu’il n’a pris aucune mesure, l’al. 273.2b) écarte ce moyen de défense. Comme l’explique l’auteur Don Stuart dans Canadian Criminal Law, 4e éd. (Scarborough : Carswell, 2001), à la p. 295 :

[TRADUCTION] L’accusé doit encore satisfaire au critère de la vraisemblance pour invoquer la défense fondée sur l’erreur… Il ne pourra jamais invoquer cette défense lorsque sa croyance erronée provient de l’affaiblissement volontaire de ses facultés, de son insouciance ou d’un aveuglement volontaire, ou, surtout, lorsqu’il n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement de la personne plaignante.

Par conséquent, compte tenu de l’omission de M. Cornejo de prendre quelque mesure que ce soit, pour reprendre l’expression de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Cinous, à la p. 31 des R.C.S., il n’existait de « véritable question » devant être tranchée par le jury.

[21] L’objet de ces dispositions est de faire en sorte que les participants sachent clairement que l’autre partenaire consent à l’activité sexuelle. Le régime législatif remplace les présomptions traditionnellement, et de façon non appropriée, associées à la passivité et au silence. Une personne se trouvant dans la situation de M. Cornejo court un grave risque en fondant une présomption de consentement sur la passivité et sur des réponses non verbales comme justification du fait qu’il peut présumer qu’il y a consentement.

[22] Dans Criminal Law, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2000) le professeur Kent Roach explique ce qu’est l’obligation de fournir la preuve que des demarches raisonnables sont faites (aux app. 157-58) :

[TRADUCTION] Le rejet de la défense fondée sur l’erreur de fait à l’alinéa 273.2b), sauf si l’accusé prend des mesures raisonnables dans les circonstances dont il a alors connaissance pour s’assurer du consentement du plaignant à l’activité en question, comporte des éléments de faute à la fois subjectifs et objectifs de façon novatrice et créative…  L’obligation de l’accusé de prendre des mesures raisonnables est uniquement fondée sur ce dont il a connaissance de manière subjective à ce moment-là. Par contre, l’alinéa 273.2b) exige que l’accusé agisse comme le ferait une personne raisonnable dans les circonstances en prenant des mesures raisonnables pour s’assurer que le plaignant était consentant. La réponse repose en grande partie sur ce que sont de l’avis de la Cour les mesures raisonnables qui doivent être prises pour s’assurer du consentement. Certains juges pourront estimer que des mesures positives doivent être prises dans la plupart, voire la totalité, des situations, indépendamment de la perception subjective que l’accusé a des circonstances. D’autres pourront exiger de telles mesures uniquement si le plaignant a fait montre de résistance ou communiqué son absence de consentement d’une quelconque façon dont l’accusé a subjectivement connaissance.

(Soulignement ajouté.)

[23] Le juge Wood a déclaré ceci dans R. v. G. (R.) (1994), 1994 CanLII 8752 (BCCA)38 C.R. (4th) 123[1994] B.C.J. no 3094 (QL) (C.A.) [à la p. 130 des C.R.] :

[TRADUCTION] [L’alinéa] 273.2 b) crée de toute évidence une relation proportionnelle entre les mesures raisonnables qui devront être prises par l’accusé pour s’assurer que le plaignant était consentant et les circonstances dont l’accusé avait alors connaissance.

vendredi 18 octobre 2024

La nécessité d’avoir une croyance sincère au consentement communiqué

R. c. Barton, 2019 CSC 33

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[91]                          Notre Cour a constamment affirmé que le moyen de défense pertinent est fondé sur la « croyance sincère mais erronée au consentement » (voir, p. ex., R. c. Esau1997 CanLII 312 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 777, par. 1Ewanchuk, par. 43Darrach, par. 51; R. c. Cinous2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3, par. 57R. c. Gunning2005 CSC 27, [2005] 1 R.C.S. 627, par. 32J.A., par. 24). Le Code lui‑même renvoie à la « croyance [de l’accusé] au consentement » (l’al. 273.2b) (l’intertitre)). Or, il ressort de la jurisprudence de notre Cour que, pour établir la défense pertinente, l’accusé doit faire état d’une croyance sincère mais erronée que la plaignante a, en fait, communiqué son consentement, par ses paroles ou par ses actes (voir R. c. Park1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, par. 39 et 43‑44 (la juge L’Heureux‑Dubé); Ewanchuk, par. 46J.A., par. 37, 42 et 48). Comme l’a dit la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Park, « [e]n pratique, les principaux facteurs pertinents quant à ce moyen de défense sont donc (1) le comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) l’ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l’accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire » (par. 44 (souligné dans l’original)).

[92]                          J’estime donc qu’il convient d’affiner la terminologie juridique en désignant le moyen de défense avec plus de précision par l’expression « croyance sincère mais erronée au consentement communiqué », qui doit faire en sorte que tous les intervenants du système de justice mettent l’accent sur la question vitale de la communication du consentement et évitent de s’aventurer, par inadvertance, sur le terrain interdit du consentement présumé ou tacite.

[93]                          L’insistance sur la croyance sincère mais erronée de l’accusé à la communication du consentement a des conséquences pratiques. Avant tout, en cherchant à invoquer le comportement sexuel antérieur de la plaignante pour appuyer la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, l’accusé doit pouvoir expliquer comment et pourquoi cette preuve venait renforcer sa croyance sincère mais erronée au consentement communiqué donné par la plaignante à l’activité sexuelle au moment où elle a eu lieu (voir S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 16:20.50.30). Dans certains cas, par exemple, le comportement sexuel antérieur peut établir l’existence d’une attente légitime quant à la façon dont le consentement est communiqué entre les parties, influant ainsi sur la perception qu’a l’accusé du consentement communiqué à l’activité sexuelle lorsqu’elle a eu lieu. La juriste américaine Michelle Anderson affirme : [traduction] « . . . les négociations antérieures entre le plaignant et l’accusé concernant les actes précis en cause ou les coutumes et les pratiques en la matière devraient être admissibles. Ces négociations, coutumes et pratiques intervenues entre les parties révèlent leur attente légitime quant à l’incident en question » (M. J. Anderson, « Time to Reform Rape Shield Laws : Kobe Bryant Case Highlights Holes in the Armour » (2004), 19 Crim. Just. 14, p. 19, cité dans Hill, Tanovich et Strezos, § 16:20.50.30). Les « négociations » ne comprennent cependant pas l’entente sur un consentement général donné à l’avance à toute forme d’activité sexuelle. Comme je l’explique ci‑après, la croyance que la plaignante a donné son consentement général à l’avance à une activité sexuelle non définie ne saurait être invoquée comme moyen de défense, vu qu’elle repose sur une erreur de droit, non de fait.

[94]                          Toutefois, il faut bien se garder d’adopter un raisonnement inacceptable quant à la propension (voir Seaboyer, p. 615). L’accusé ne saurait fonder sa défense sur la logique défectueuse que le comportement sexuel antérieur de la plaignante, de par sa nature, rendait cette dernière davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question, et qu’il avait cru pour cette raison à son consentement. Il s’agit du premier des « deux mythes » qui est interdit par l’al. 276(1)a) du Code.


Le droit relatif à la sexualité sadomasochiste

R. c. Deschatelets, 2013 QCCQ 1948

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[109]     Cette preuve a été complétée par le témoignage d'un expert psychologue-sexologue, monsieur Marc Ravard et par le témoignage de deux médecins pathologistes judiciaires, les docteurs Annie Sauvageau et Yasmine Ayroud.

[110]     Monsieur Ravard explique que le terme BDSM est un acronyme qui signifie en anglais : bondage, discipline, domination, soumission, sadisme et masochisme.

[111]     Il s'agit d'une activité sexuelle qui comporte plusieurs degrés, allant du petit jeu de rôle anodin jusqu'à l'extrême, comme à son avis, c'est le cas en l'espèce.

[112]     Cette pratique est encadrée par des règles et le collier que la victime devait mériter est un symbole de soumission et d'appartenance.

[113]     À son avis, la lettre de la victime témoigne d'une relation maître-esclave dans laquelle la victime érotise beaucoup les jeux de pouvoir et de torture. Il note un état d'affaiblissement de la victime et la pratique de gestes déshumanisants.

[114]     La sécurité est une règle cardinale de la pratique BDSM. Elle se manifeste par l'établissement d'au moins deux règles importantes.

[115]     D'abord, même si l'absence d'un des partenaires peut contribuer à ce que l'attente devienne érotique, il est recommandé de ne pas laisser l'autre dans une situation précaire dont il est incapable de se libérer seul.

[116]     Ensuite, puisque la pratique d'activités sado-masochistes entraîne des douleurs et de l'inconfort et qu'elle constitue en quelque sorte un jeu où la vérité et la fantaisie se confondent, les adeptes s'entendent habituellement sur un code, de sorte que lorsqu'un des partenaires utilise le code, l'autre comprend qu'il doit cesser le mauvais traitement ou en diminuer l'intensité.

[117]     Cette règle est considérée comme très importante, particulièrement chez les néophytes. Citons ici ce que le docteur Ravard écrit dans son rapport quant à l'aspect sécuritaire de cette activité :

 «Le BDSM peut être dangereux, certaines pratiques étant plus dangereuses que d'autres. L'ensemble de la littérature consultée préconise les jeux sexuels qui sont sans danger, sains et consensuels ( selon la devise Safe, Sane and Consensual véhiculée par le mouvement BDSM). On accorde beaucoup d'importance à la communication, à l'établissement de la confiance autour de la mise en scène et le respect des limites de chacun.

La sécurité de la personne soumise doit être une réalité impérative, avec l'utilisation de ce que l'on appelle un "safeword" (mots ou code de sécurité), notamment lorsqu'il s'agit de pratiques sexuelles plus potentiellement dangereuses. Dans bien des cas, la personne dominante tient la vie de la personne soumise entre ses mains. En doute, le dominant ne doit jamais prendre de chances. Celui-ci doit arrêter le jeu, vérifier et poser des questions. Le safeword le plus utilisé est "rouge", "jaune" (pour ralentir, soit un "slowword") et "vert" (pour reprendre ou continuer, soit un "goword".)

On considère dangereux et imprudent de laisser la personne soumise seule, lorsque ligotée, attachée, enchaînée, bâillonnée ou masquée, en cas de blessures importantes, de détresse, de complications, et d'accidents mortels. Ceux qui laissent les personnes soumises seules doivent bien connaître les limites de celles-ci et assurent qu'elles sont en sécurité (par exemple, la personne soumise serait capable de se libérer en cas d'urgence.) Les dominants qui ne le font pas seraient mal perçus et non acceptés dans le mouvement BDSM.”

 

En conclusion, l'expert écrit :

«À mon avis, le suspect, dans son rôle de partenaire dominant, devait assurer le bien-être et la sécurité de la victime. Il apparaît plus expérimenté et était celui qui dominait et exerçait le contrôle total sur celle-ci. Considérant la nature dangereuse des jeux sexuels pratiqués et le discours entourant l'importance accordée aux règles de sécurité pour la personne soumise, selon mon opinion professionnelle, le suspect aurait fait preuve de négligence et d'imprudence en laissant la victime seule, sans surveillance pendant qu'elle était ligotée, affaiblie, vulnérable et impuissante.»

[150]     Comme on l'a dit en introduction, les circonstances de l'affaire sont particulières. La mort de la victime est survenue dans le cadre de la pratique d'activités sado-masochistes. Or, il n'existe pas au Canada de décision qui a tracé les paramètres légaux d'une telle activité. Il y a donc lieu de commencer l'analyse par certains constats.

[151]     Il appert que la pratique d'activités connues sous l'acronyme BDSM constitue un jeu, un jeu à connotation sexuelle, un jeu violent et un jeu dangereux.

[152]     Ce qui frappe en premier lieu dans les activités sado-masochistes est sa dimension sexuelle.

[170]     C'est précisément, parce que certaines activités sado-masochistes comportent un risque pour la sécurité ou pour la vie des personnes que certaines règles de prudence sont suggérées. Ainsi, il est recommandé de ne pas abandonner ou laisser seule une personne placée dans une situation de vulnérabilité et d'utiliser un code pour communiquer.

[171]     L'accusé a répété à plusieurs reprises au policier qui l'a interrogé et au tribunal dans son témoignage, que la victime avait consenti à subir toutes ces violences et qu'elle avait consenti à être laissée seule pendant qu'il irait faire une course à l'épicerie. Cet argument est sans valeur d'un point de vue juridique.

[172]     Il est vrai que dans notre société une personne peut consentir à ce qu'une autre personne applique sur elle la force ou la violence. En effet, selon l'article 265(1)(a) du Code criminel, la commission de l'infraction de voies de fait simples exige la preuve de l'absence de consentement du plaignant.

[173]     Mais il faut rappeler ici que le consentement n'est pas une défense lorsque l'application de la force entraîne la mort.

[174]      L'article 14 du Code criminel est clair sur ce point, et la Cour suprême du Canada, à l'arrêt R. cJobidon[3] a rejeté cette défense dans les cas de lésions corporelles.

[175]     Le consentement n'est pas non plus une défense dans les affaires de négligence criminelle. La négligence criminelle concerne des comportements insouciants, déréglés et téméraires qui mettent en péril la sécurité ou la vie d'autrui.  Le fait que ce tiers consente à participer à l'activité dangereuse n'affecte en rien la responsabilité pénale de l'auteur de ces comportements.

[178]     La quatrième dimension qui frappe dans l'activité sado-masochiste est son caractère ludique. Il s'agit d'un jeu de rôle où les partenaires peuvent à certaines occasions être le dominant ou le soumis et dans lequel la réalité et la fiction se confondent. C'est la raison pour laquelle il est recommandé d'utiliser un mot de passe sur lequel ils se seront entendus à l'avance. Ainsi, aucune confusion n'est alors possible.

[179]     Alors que le «non» avancé par un des partenaires peut n'être qu'une réplique dans le jeu de rôle, le fait de prononcer le mot de code indique clairement et sans équivoque le désir du partenaire que l'activité cesse ou que son intensité diminue. En l'espèce, l'accusé et la victime n'utilisaient pas de mot de passe.

[180]     L'activité BDSM est donc un jeu, un jeu sexuel, un jeu violent et un jeu dangereux  qui implique la participation d'au moins deux personnes.

[181]     Dans ce contexte, le devoir des partenaires de se soucier et de se préoccuper de leur vie et de leur sécurité mutuelle est important et il passe non seulement par le respect de règles élémentaires de sécurité comme l'utilisation de mots de code et le maintien d'une présence permanente, mais aussi par le respect des règles de prudence de la personne raisonnable.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...