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vendredi 18 octobre 2024

La nécessité d’avoir une croyance sincère au consentement communiqué

R. c. Barton, 2019 CSC 33

Lien vers la décision


[91]                          Notre Cour a constamment affirmé que le moyen de défense pertinent est fondé sur la « croyance sincère mais erronée au consentement » (voir, p. ex., R. c. Esau1997 CanLII 312 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 777, par. 1Ewanchuk, par. 43Darrach, par. 51; R. c. Cinous2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3, par. 57R. c. Gunning2005 CSC 27, [2005] 1 R.C.S. 627, par. 32J.A., par. 24). Le Code lui‑même renvoie à la « croyance [de l’accusé] au consentement » (l’al. 273.2b) (l’intertitre)). Or, il ressort de la jurisprudence de notre Cour que, pour établir la défense pertinente, l’accusé doit faire état d’une croyance sincère mais erronée que la plaignante a, en fait, communiqué son consentement, par ses paroles ou par ses actes (voir R. c. Park1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, par. 39 et 43‑44 (la juge L’Heureux‑Dubé); Ewanchuk, par. 46J.A., par. 37, 42 et 48). Comme l’a dit la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Park, « [e]n pratique, les principaux facteurs pertinents quant à ce moyen de défense sont donc (1) le comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) l’ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l’accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire » (par. 44 (souligné dans l’original)).

[92]                          J’estime donc qu’il convient d’affiner la terminologie juridique en désignant le moyen de défense avec plus de précision par l’expression « croyance sincère mais erronée au consentement communiqué », qui doit faire en sorte que tous les intervenants du système de justice mettent l’accent sur la question vitale de la communication du consentement et évitent de s’aventurer, par inadvertance, sur le terrain interdit du consentement présumé ou tacite.

[93]                          L’insistance sur la croyance sincère mais erronée de l’accusé à la communication du consentement a des conséquences pratiques. Avant tout, en cherchant à invoquer le comportement sexuel antérieur de la plaignante pour appuyer la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, l’accusé doit pouvoir expliquer comment et pourquoi cette preuve venait renforcer sa croyance sincère mais erronée au consentement communiqué donné par la plaignante à l’activité sexuelle au moment où elle a eu lieu (voir S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 16:20.50.30). Dans certains cas, par exemple, le comportement sexuel antérieur peut établir l’existence d’une attente légitime quant à la façon dont le consentement est communiqué entre les parties, influant ainsi sur la perception qu’a l’accusé du consentement communiqué à l’activité sexuelle lorsqu’elle a eu lieu. La juriste américaine Michelle Anderson affirme : [traduction] « . . . les négociations antérieures entre le plaignant et l’accusé concernant les actes précis en cause ou les coutumes et les pratiques en la matière devraient être admissibles. Ces négociations, coutumes et pratiques intervenues entre les parties révèlent leur attente légitime quant à l’incident en question » (M. J. Anderson, « Time to Reform Rape Shield Laws : Kobe Bryant Case Highlights Holes in the Armour » (2004), 19 Crim. Just. 14, p. 19, cité dans Hill, Tanovich et Strezos, § 16:20.50.30). Les « négociations » ne comprennent cependant pas l’entente sur un consentement général donné à l’avance à toute forme d’activité sexuelle. Comme je l’explique ci‑après, la croyance que la plaignante a donné son consentement général à l’avance à une activité sexuelle non définie ne saurait être invoquée comme moyen de défense, vu qu’elle repose sur une erreur de droit, non de fait.

[94]                          Toutefois, il faut bien se garder d’adopter un raisonnement inacceptable quant à la propension (voir Seaboyer, p. 615). L’accusé ne saurait fonder sa défense sur la logique défectueuse que le comportement sexuel antérieur de la plaignante, de par sa nature, rendait cette dernière davantage susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question, et qu’il avait cru pour cette raison à son consentement. Il s’agit du premier des « deux mythes » qui est interdit par l’al. 276(1)a) du Code.


Le droit relatif à la sexualité sadomasochiste

R. c. Deschatelets, 2013 QCCQ 1948

Lien vers la décision


[109]     Cette preuve a été complétée par le témoignage d'un expert psychologue-sexologue, monsieur Marc Ravard et par le témoignage de deux médecins pathologistes judiciaires, les docteurs Annie Sauvageau et Yasmine Ayroud.

[110]     Monsieur Ravard explique que le terme BDSM est un acronyme qui signifie en anglais : bondage, discipline, domination, soumission, sadisme et masochisme.

[111]     Il s'agit d'une activité sexuelle qui comporte plusieurs degrés, allant du petit jeu de rôle anodin jusqu'à l'extrême, comme à son avis, c'est le cas en l'espèce.

[112]     Cette pratique est encadrée par des règles et le collier que la victime devait mériter est un symbole de soumission et d'appartenance.

[113]     À son avis, la lettre de la victime témoigne d'une relation maître-esclave dans laquelle la victime érotise beaucoup les jeux de pouvoir et de torture. Il note un état d'affaiblissement de la victime et la pratique de gestes déshumanisants.

[114]     La sécurité est une règle cardinale de la pratique BDSM. Elle se manifeste par l'établissement d'au moins deux règles importantes.

[115]     D'abord, même si l'absence d'un des partenaires peut contribuer à ce que l'attente devienne érotique, il est recommandé de ne pas laisser l'autre dans une situation précaire dont il est incapable de se libérer seul.

[116]     Ensuite, puisque la pratique d'activités sado-masochistes entraîne des douleurs et de l'inconfort et qu'elle constitue en quelque sorte un jeu où la vérité et la fantaisie se confondent, les adeptes s'entendent habituellement sur un code, de sorte que lorsqu'un des partenaires utilise le code, l'autre comprend qu'il doit cesser le mauvais traitement ou en diminuer l'intensité.

[117]     Cette règle est considérée comme très importante, particulièrement chez les néophytes. Citons ici ce que le docteur Ravard écrit dans son rapport quant à l'aspect sécuritaire de cette activité :

 «Le BDSM peut être dangereux, certaines pratiques étant plus dangereuses que d'autres. L'ensemble de la littérature consultée préconise les jeux sexuels qui sont sans danger, sains et consensuels ( selon la devise Safe, Sane and Consensual véhiculée par le mouvement BDSM). On accorde beaucoup d'importance à la communication, à l'établissement de la confiance autour de la mise en scène et le respect des limites de chacun.

La sécurité de la personne soumise doit être une réalité impérative, avec l'utilisation de ce que l'on appelle un "safeword" (mots ou code de sécurité), notamment lorsqu'il s'agit de pratiques sexuelles plus potentiellement dangereuses. Dans bien des cas, la personne dominante tient la vie de la personne soumise entre ses mains. En doute, le dominant ne doit jamais prendre de chances. Celui-ci doit arrêter le jeu, vérifier et poser des questions. Le safeword le plus utilisé est "rouge", "jaune" (pour ralentir, soit un "slowword") et "vert" (pour reprendre ou continuer, soit un "goword".)

On considère dangereux et imprudent de laisser la personne soumise seule, lorsque ligotée, attachée, enchaînée, bâillonnée ou masquée, en cas de blessures importantes, de détresse, de complications, et d'accidents mortels. Ceux qui laissent les personnes soumises seules doivent bien connaître les limites de celles-ci et assurent qu'elles sont en sécurité (par exemple, la personne soumise serait capable de se libérer en cas d'urgence.) Les dominants qui ne le font pas seraient mal perçus et non acceptés dans le mouvement BDSM.”

 

En conclusion, l'expert écrit :

«À mon avis, le suspect, dans son rôle de partenaire dominant, devait assurer le bien-être et la sécurité de la victime. Il apparaît plus expérimenté et était celui qui dominait et exerçait le contrôle total sur celle-ci. Considérant la nature dangereuse des jeux sexuels pratiqués et le discours entourant l'importance accordée aux règles de sécurité pour la personne soumise, selon mon opinion professionnelle, le suspect aurait fait preuve de négligence et d'imprudence en laissant la victime seule, sans surveillance pendant qu'elle était ligotée, affaiblie, vulnérable et impuissante.»

[150]     Comme on l'a dit en introduction, les circonstances de l'affaire sont particulières. La mort de la victime est survenue dans le cadre de la pratique d'activités sado-masochistes. Or, il n'existe pas au Canada de décision qui a tracé les paramètres légaux d'une telle activité. Il y a donc lieu de commencer l'analyse par certains constats.

[151]     Il appert que la pratique d'activités connues sous l'acronyme BDSM constitue un jeu, un jeu à connotation sexuelle, un jeu violent et un jeu dangereux.

[152]     Ce qui frappe en premier lieu dans les activités sado-masochistes est sa dimension sexuelle.

[170]     C'est précisément, parce que certaines activités sado-masochistes comportent un risque pour la sécurité ou pour la vie des personnes que certaines règles de prudence sont suggérées. Ainsi, il est recommandé de ne pas abandonner ou laisser seule une personne placée dans une situation de vulnérabilité et d'utiliser un code pour communiquer.

[171]     L'accusé a répété à plusieurs reprises au policier qui l'a interrogé et au tribunal dans son témoignage, que la victime avait consenti à subir toutes ces violences et qu'elle avait consenti à être laissée seule pendant qu'il irait faire une course à l'épicerie. Cet argument est sans valeur d'un point de vue juridique.

[172]     Il est vrai que dans notre société une personne peut consentir à ce qu'une autre personne applique sur elle la force ou la violence. En effet, selon l'article 265(1)(a) du Code criminel, la commission de l'infraction de voies de fait simples exige la preuve de l'absence de consentement du plaignant.

[173]     Mais il faut rappeler ici que le consentement n'est pas une défense lorsque l'application de la force entraîne la mort.

[174]      L'article 14 du Code criminel est clair sur ce point, et la Cour suprême du Canada, à l'arrêt R. cJobidon[3] a rejeté cette défense dans les cas de lésions corporelles.

[175]     Le consentement n'est pas non plus une défense dans les affaires de négligence criminelle. La négligence criminelle concerne des comportements insouciants, déréglés et téméraires qui mettent en péril la sécurité ou la vie d'autrui.  Le fait que ce tiers consente à participer à l'activité dangereuse n'affecte en rien la responsabilité pénale de l'auteur de ces comportements.

[178]     La quatrième dimension qui frappe dans l'activité sado-masochiste est son caractère ludique. Il s'agit d'un jeu de rôle où les partenaires peuvent à certaines occasions être le dominant ou le soumis et dans lequel la réalité et la fiction se confondent. C'est la raison pour laquelle il est recommandé d'utiliser un mot de passe sur lequel ils se seront entendus à l'avance. Ainsi, aucune confusion n'est alors possible.

[179]     Alors que le «non» avancé par un des partenaires peut n'être qu'une réplique dans le jeu de rôle, le fait de prononcer le mot de code indique clairement et sans équivoque le désir du partenaire que l'activité cesse ou que son intensité diminue. En l'espèce, l'accusé et la victime n'utilisaient pas de mot de passe.

[180]     L'activité BDSM est donc un jeu, un jeu sexuel, un jeu violent et un jeu dangereux  qui implique la participation d'au moins deux personnes.

[181]     Dans ce contexte, le devoir des partenaires de se soucier et de se préoccuper de leur vie et de leur sécurité mutuelle est important et il passe non seulement par le respect de règles élémentaires de sécurité comme l'utilisation de mots de code et le maintien d'une présence permanente, mais aussi par le respect des règles de prudence de la personne raisonnable.

jeudi 17 octobre 2024

Le consentement, la personne en autorité et la relation thérapeutique

Hébert c. R., 2017 QCCA 1646

Lien vers la décision


[40]        Rappelons d’abord le cadre juridique applicable en cette matière.

[41]        Au sujet du consentement, la Cour suprême écrit, dans l’arrêt Ewanchuk :

S’il y a un doute raisonnable sur la question de consentement, ou s’il est établi que la plaignante a participé activement à l’activité sexuelle, le juge des faits doit néanmoins se demander si celle-ci a consenti pour une des raisons énumérées au par. 265(3), notamment la crainte, la fraude ou l’exercice de l’autorité. Il n’est pas nécessaire que l’état d’esprit de la plaignante à l’égard de ces facteurs soit raisonnable. Si sa décision de consentir a été motivée par l’un de ces facteurs, de telle sorte que sa liberté de choisir a été viciée, le droit considère qu’il y a eu absence de consentement et l’actus reus de l’agression sexuelle est encore une fois établi.[33]

[Soulignements ajoutés]

[42]        Ne constitue donc pas un consentement le fait pour une plaignante de se soumettre ou de ne pas résister en raison de l’exercice de l’autorité[34]. Énoncée en matière de voies de fait[35], la portée de cette règle a été élargie et reçoit maintenant application en présence d’une accusation d’agression sexuelle. La Cour suprême a ainsi précisé, dans l’arrêt Norberg c. Wynribla notion de soumission à une personne représentant l’autorité :

La notion générale de soumission à une personne représentant « l’autorité » indique une inégalité de rapport de force entre les parties susceptible de remettre en question l’existence d’un consentement valable.

[…]

Le point commun dans les rapports de force et de dépendance est l’existence d’une association personnelle ou professionnelle sous-jacente qui engendre un déséquilibre marqué quant à la force respective des parties […] L’exploitation survient lorsque la personne « puissante » profite de sa situation d’autorité pour amener la personne « dépendante » à avoir des relations sexuelles et lui cause ainsi un préjudice.[36]

[Soulignements ajoutés]

[43]        L’autorité au sens de l’article 265(3) C.cr. ne saurait être restreinte aux personnes ayant le droit de donner des ordres ou d’imposer l’obéissance. Elle se rapporte également à celles ayant le pouvoir d’influencer la conduite et l’action d’autrui, d’être cru ou d’inspirer la confiance[37]. Notre Cour a dégagé, dans l’arrêt Lapointe c. R.[38], les éléments qui doivent être analysés pour déterminer si le consentement d’une victime d’agression sexuelle a pu être vicié par un tel rapport de force : 1) une inégalité de rapport de force et de dépendance; 2) l’exploitation de cette inégalité et 3) l’effet de l’exploitation sur la victime.[39]

[44]        La professeure Julie Desrosiers écrit à ce sujet :

Remarquons d’emblée que la ligne de démarcation entre l’ « incitation par abus de confiance ou de pouvoir » et l’ « exercice de l’autorité » est mince et que dans la plupart des cas, des recoupements seront constatés. [...] [Dans l’arrêt R. c. Audet, 1996 CanLII 198 (CSC)[1996] 2 R.C.S. 171, paragr. 38] la Cour suprême poursuit en affirmant que le juge du procès doit tenir compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes pour déterminer s’il existait une relation de confiance entre les parties, notamment, la différence d’âge entre elles, l’évolution de leur relation et surtout, le statut de l’un par rapport à l’autre[40].

[45]        Un accusé ne saurait prétendre avoir cru sincèrement à l’existence d’un consentement, lorsqu’il est celui qui l’a vicié par un rapport de domination sur la victime[41]. Cela dit, la seule existence d’un rapport d’autorité ne permet pas de conclure à l’existence d’un vice de consentement. Il faut encore que l’accusé profite de ce rapport de force pour exploiter la victime. En somme,

…ce n’est pas le fait d’avoir des rapports sexuels avec une personne vulnérable ou dans un état d’infériorité qui constitue l’infraction (d’agression sexuelle), mais bien d’avoir des rapports sexuels avec une personne qui ne consent pas ou dont le consentement est vicié, par exemple, par sa vulnérabilité ou l’abus de confiance ou de pouvoir. C’est dans ce contexte que la vulnérabilité ou l’abus de confiance et de pouvoir, de même que toutes les circonstances de l’espèce, dont l’inégalité du rapport de force, sont pertinents à la détermination de l’existence ou de l’inexistence d’un consentement valide.[42]

[46]        Enfin, en ce qui concerne la nature thérapeutique des actes posés, la Cour suprême insiste sur la nécessité de considérer « l’ensemble des circonstances entourant la conduite pour déterminer la nature et la qualité de l’acte accompli »[43] :

La nature de la relation qui existait entre la plaignante et son présumé agresseur, y compris l’absence de position de force chez la patiente et son manque de connaissances, ainsi que l’obligation du médecin de ne faire des examens médicaux que pour le bien de la patiente sont tous des éléments dont il faut tenir compte pour déterminer si la patiente a effectivement consenti à la conduite en cause.[44]

[Soulignements ajoutés]

[47]        Il peut y avoir un rapport de force lié à une relation thérapeutique lorsqu’une personne s’adresse à une autre pour obtenir de l’aide et lui fait confiance, et que cette personne, sachant cela, profite de la situation non pas pour apporter un soulagement thérapeutique mais obtenir certaines faveurs de nature sexuelle ou initier certains contacts de même nature[45].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...