R. c. Saeed, 2016 CSC 24
[73] Je vais maintenant examiner les exigences applicables lorsqu’il s’agit d’effectuer un prélèvement par écouvillonnage du pénis accessoirement à une arrestation.
[74] Premièrement, comme c’est le cas pour toute fouille accessoire à une arrestation, l’arrestation elle‑même doit être légale. Le prélèvement doit être véritablement accessoire à l’arrestation, en ce sens qu’il doit avoir un lien avec les motifs de l’arrestation et viser un objectif valable. Un tel objectif consistera généralement à préserver ou à découvrir des éléments de preuve (Caslake, par. 19).
[75] Deuxièmement, la police doit aussi avoir des motifs raisonnables de croire qu’un prélèvement par écouvillonnage du pénis fournira des éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’accusé a été arrêté. Il ne faut pas confondre ces motifs avec les motifs raisonnables requis pour procéder à l’arrestation. Ils sont indépendants les uns des autres. La réponse à la question de savoir si on a établi l’existence de motifs raisonnables variera selon les faits de chaque affaire. Les facteurs pertinents sont notamment le moment choisi pour procéder à l’arrestation eu égard à l’infraction reprochée, la nature des allégations et la question de savoir si des éléments de preuve indiquent que la substance recherchée a déjà été détruite.
[76] À titre d’exemple, la police n’aura généralement pas de motifs raisonnables de procéder à un prélèvement par écouvillonnage du pénis si l’infraction d’ordre sexuel reprochée ne comportait pas de contact entre le pénis du suspect et le plaignant. De même, si le suspect est arrêté plusieurs jours après l’infraction reprochée, la police n’aura probablement pas de motifs raisonnables d’effectuer un tel prélèvement, car la preuve est susceptible de s’être dégradée ou d’avoir été essuyée ou lavée dans l’intervalle.
[77] En clair, la démonstration requise pour satisfaire à la norme des motifs raisonnables n’est pas qu’une simple formalité. Le risque de destruction ou de dégradation de l’ADN du plaignant constitue toujours une préoccupation dans un tel contexte. Plus il se sera écoulé de temps entre l’infraction reprochée et le prélèvement, plus il sera difficile pour les policiers d’établir qu’ils ont des motifs raisonnables de croire que le prélèvement fournira des éléments de preuve de l’infraction pour laquelle l’accusé a été arrêté.
[78] Enfin, le prélèvement par écouvillonnage du pénis doit être effectué d’une manière non abusive. La police doit avant tout veiller à respecter la vie privée de l’accusé. À cette fin, j’aimerais énoncer un certain nombre de facteurs afin d’aider les policiers à procéder d’une manière non abusive à un tel prélèvement accessoirement à une arrestation :
1. Le prélèvement par écouvillonnage du pénis devrait, en règle générale, être effectué au poste de police.
2. Le prélèvement devrait être effectué d’une façon qui protège la santé et la sécurité de toutes les personnes en jeu.
3. Le prélèvement devrait être autorisé par un agent de police agissant en qualité d’officier supérieur.
4. L’accusé devrait, peu de temps avant le prélèvement, être informé de la nature de la procédure employée pour le recueillir, du but de celui‑ci et du pouvoir autorisant les policiers à l’exiger.
5. L’accusé devrait avoir la possibilité d’enlever ses vêtements et d’effectuer le prélèvement lui‑même, et, s’il ne choisit pas cette solution, le prélèvement devrait être effectué ou supervisé par un agent ou un professionnel de la santé qualifié, en ne faisant usage que de la force minimale nécessaire.
6. Le ou les agents de police chargés du prélèvement devraient être du même sexe que la personne qui y est soumise, à moins que les circonstances ne le permettent absolument pas.
7. Le nombre de policiers participant au prélèvement devrait se limiter à ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances.
8. Le prélèvement devrait être effectué dans un endroit privé où personne ne pourra l’observer, sauf les personnes chargées d’y procéder.
9. Le prélèvement devrait être effectué le plus rapidement possible et de telle manière que la personne ne soit jamais complètement nue.
10. Un procès‑verbal faisant état des motifs et des modalités d’exécution du prélèvement devrait être dressé.
[79] Certains de ces facteurs requièrent davantage d’explications. Comme pour les fouilles à nu, les prélèvements par écouvillonnage du pénis devraient en règle générale être effectués au poste de police. Cette exigence est même plus stricte dans le cas des prélèvements par écouvillonnage du pénis que dans celui des fouilles à nu. Des préoccupations relatives à la sécurité peuvent justifier d’effectuer une fouille à nu sur le terrain pour trouver des armes. Or il est fort peu probable que de telles préoccupations justifient de procéder sur le terrain à un prélèvement par écouvillonnage du pénis. Cependant, je n’exclus pas la possibilité qu’un tel prélèvement puisse être effectué d’une manière non abusive dans un autre lieu approprié, un hôpital par exemple, si des raisons valables le justifient.
[80] Les policiers peuvent recourir à la force lorsqu’ils procèdent à un prélèvement par écouvillonnage du pénis accessoirement à une arrestation, mais seulement si la force employée est « nécessaire et proportionné[e] dans les circonstances particulières de l’affaire » (Golden, par. 116). Autrement dit, tout comme pour les fouilles à nu, si l’accusé résiste au prélèvement, les policiers ne peuvent employer que la force minimale nécessaire pour effectuer celui‑ci. Le fait qu’un accusé résiste n’autorise pas les policiers « à recourir à un comportement qui ne respecte pas ou compromet l’intégrité physique et psychologique et la sécurité de cette personne » (Golden, par. 116).
[81] En règle générale, avant de procéder au prélèvement, les policiers doivent expliquer à l’accusé la procédure qui sera employée, afin de s’assurer qu’il en comprend la nature et les différentes étapes. Le fait de passer la procédure en revue au préalable avec l’accusé ne peut que contribuer à son déroulement rapide et efficace. Offrir à l’accusé la possibilité d’effectuer lui‑même le prélèvement permet de réduire au minimum le caractère envahissant de l’intervention. Un compte rendu détaillé de la manière dont le prélèvement a été effectué est important pour l’efficacité du contrôle après le fait de telles fouilles (Fearon, par. 82). Et une telle mesure amènera probablement les policiers à se concentrer sur la question de savoir si leur conduite est non abusive (Fearon, par. 82).
[82] Ces facteurs obligent les policiers à faire preuve d’une grande prudence lorsqu’ils effectuent un prélèvement par écouvillonnage du pénis et permettront souvent de faire en sorte que celui‑ci soit réalisé de manière non abusive. Ils ne seront toutefois pas déterminants dans tous les cas. Comme l’a fait remarquer la Cour dans Golden, plus l’atteinte à la vie privée de l’accusé sera grande, plus élevé sera le degré de justification requis pour pouvoir procéder à la fouille, et plus serrées seront les contraintes qui s’appliqueront quant à la manière dont celle‑ci pourra être effectuée (par. 87). La même logique vaut en l’espèce. Ma collègue la juge Karakatsanis s’inquiète du fait que le « prélèvement par écouvillonnage génital est encore plus envahissant lorsque la personne qui y est soumise est une femme » (par. 101). Il ne faut pas considérer que les présents motifs décident de la question de savoir si un prélèvement nécessitant l’introduction de quoi que ce soit dans le corps, effectué conformément au pouvoir que la common law confère aux policiers de procéder à une fouille accessoire à l’arrestation, serait non abusif et, partant, conforme à la Charte. Ceux‑ci s’appliquent uniquement aux prélèvements par écouvillonnage génital effectués sur la surface extérieure de la peau.
[83] Au fond, la question de savoir si un prélèvement par écouvillonnage effectué sur un pénis accessoirement à une arrestation respecte l’art. 8 dépendra des faits de chaque affaire. Il incombe au ministère public d’établir que la police avait des motifs raisonnables de croire que le prélèvement révélerait les éléments de preuve recherchés et qu’il a été effectué d’une manière non abusive.