R. c. Guertin Moreau, 2023 QCCA 1638
[33] La partie qui conteste l’autorisation judiciaire a le fardeau de prouver à la fois des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvaient dans le lieu visé par le mandat de perquisition demandé[20]. La norme des motifs raisonnables de croire évoque la probabilité et constitue donc une norme plus exigeante que celle des soupçons raisonnables, qui se rapporte à la possibilité[21]. C’est ainsi que dans R. v. Sadikov, le juge Watt, j.a., décrit la norme :
[81] The statutory standard – “reasonable grounds to believe” – does not require proof on the balance of probabilities, much less proof beyond a reasonable doubt. The statutory and constitutional standard is one of credibly-based probability: Hunter v. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (SCC), [1984] 2 S.C.R. 145, at p. 167; and R. v. Law, 2002 BCCA 594, 171 C.C.C. (3d) 219, at para. 7. The ITO must establish reasonable grounds to believe that an offence has been committed and that there is evidence to be found at the place of the proposed search: Hunter, at p. 168. If the inferences of criminal conduct and recovery of evidence are reasonable on the facts disclosed in the ITO, the warrant could be issued: R. v. Jacobson (2006), 2006 CanLII 12292 (ON CA), 207 C.C.C. (3d) 270 (Ont. C.A.), at para. 22.[22]
[34] Le rôle du juge réviseur n’est pas de décider s’il aurait délivré le mandat, eût-il été à la place du juge autorisateur, mais de déterminer si le dossier contient suffisamment d’éléments de preuve fiables permettant au juge autorisateur de délivrer le mandat, tel que l’enseigne la juge Charron dans R. c. Campbell[23] :
[14] […] Le tribunal siégeant en révision n’a pas à se demander s’il « aurait lui‑même délivré le mandat, mais s’il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables » pour permettre au juge de délivrer le mandat (Morelli, par. 40). Lorsqu’il effectue cette analyse, le tribunal siégeant en révision doit faire abstraction des renseignements inexacts figurant dans la dénonciation, et il peut avoir recours à l’« amplification », c’est‑à‑dire à d’autres éléments de preuve admis à bon droit (R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 58; Morelli, par. 41). Il appartient à l’accusé de démontrer que la dénonciation ne justifiait pas l’autorisation (Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708, par. 68; Morelli, par. 131).[24]
[35] Le chemin étroit de la révision d’un mandat ne permet pas une audition de novo et a pour point de départ la présomption de validité du mandat[25]. Le juge réviseur ne doit pas se prêter à l’exercice de préférer une inférence à une autre[26]. La distinction entre la probabilité raisonnable et le soupçon est mince et la déférence pour la décision du juge autorisateur s’impose donc[27].
[36] Quant à la Cour d’appel, elle examine le jugement de révision de mandat avec déférence et n’écartera ce dernier que si le jugement contient une erreur de droit ou de principe déterminante, ne tient pas compte d’un élément important ou est entaché d’une erreur manifeste et déterminante quant à l’appréciation de la preuve[28].
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[39] Je crois que le juge commet une erreur en ne considérant pas les divers éléments dans leur ensemble afin d’analyser la preuve globalement[31]. Le juge décortique un à un les éléments qui convergent vers l’inférence des policiers selon laquelle Phaneuf jouait le rôle de fournisseur. Cette inférence, basée sur des éléments de preuve concrets, existe au moment où le juge autorisateur délivre le mandat et établit une connexion entre le réseau de trafic et la résidence de l’intimé Phaneuf. L’unique élément que le juge expurge de la dénonciation se rapporte davantage à la commission de l’infraction qu’au lien entre le réseau de trafic et la résidence de l’intimé Phaneuf.
[40] Prenant la dénonciation comme un tout, on sait que l’intimé Phaneuf, qui a des antécédents judiciaires de trafic de stupéfiants[32], a été vu à plusieurs reprises se rendre les mercredis par les enquêteurs chez Drasse et Boucher qui se livrent au trafic de stupéfiants, comme le confirme le juge[33]. Alors qu’il retourne chez lui, les enquêteurs l’observent exécuter des manœuvres de contre-filature[34], ce qui, selon leur expérience, infèrent que le sujet est impliqué dans le trafic de stupéfiants. Le juge conclut qu’il y a des motifs de croire que Phaneuf est impliqué dans le trafic de stupéfiants, mais il ne voit aucun lien entre le lieu des opérations et sa résidence. Par contre, chaque visite chez Drasse et Boucher commence et se termine à sa résidence et, selon les observations de surveillance, sans un arrêt en cours de route.
[41] Tout comme dans R. c. Hayouna, le juge commet l’erreur de ne pas donner d’importance à l’expérience de l’enquêteur principal dans le présent dossier[35]. Au stade de l’analyse des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve se trouveraient à la résidence de l’intimé Phaneuf, le juge souligne l’absence de comportements suspects ainsi qu’une observation d’échange de stupéfiants, plus particulièrement quand celui-ci entre et sort de chez lui[36]. Il observe que « la seule présence chez Drasse et Boucher ne constitue certainement pas un comportement suspect »[37]. Or, le constat du juge qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’intimé Phaneuf est impliqué dans le trafic de stupéfiants a un impact sur la probabilité qu’il existe un lien entre sa résidence et le réseau de trafic de stupéfiants. En effet, l’implication et le rôle que joue l’intimé Phaneuf ne font qu’un. C’est à titre de fournisseur qu’il était suspecté de participer au trafic de stupéfiants et non pas à titre de vendeur au bas de l’échelle du réseau. En concluant à l’implication de l’intimé Phaneuf, en constatant ses trajets aller-retour réguliers entre sa résidence et celles de Drasse et Boucher accompagnés de manœuvres de contre-filature, il est raisonnable d’inférer qu’il agissait comme fournisseur de Drasse et Boucher et, contrairement aux conclusions du juge, qu’il est raisonnablement probable qu’il utilisait sa résidence comme point d’inventaire.
[42] De plus, l’inférence négative que le juge tire du fait que « [c]e dernier réside à Terrebonne alors que la dénonciation mentionne que le réseau de trafic de stupéfiants opère sur la rive-sud » excède le rôle qui lui est attribué, car il remplace les inférences tirées par le juge autorisateur par les siennes. L’inférence en faveur de la délivrance du mandat – selon laquelle l’intimé se déplaçait aussi loin justement pour fournir les stupéfiants – bien que n’étant pas la seule possible, n’était pas déraisonnable.
[43] En dernière analyse, il ne considère jamais si le juge autorisateur pouvait inférer une connexion entre le réseau de trafic de stupéfiants et la résidence de Phaneuf. Il ressort de son jugement qu’il aurait préféré des explications anodines et n’aurait pas délivré le mandat[38]. Or, le juge réviseur, avant d’intervenir, doit être convaincu au regard de l’ensemble de la preuve qu’aucun fondement ne justifiait la délivrance du mandat[39]. Un tel fondement peut être schématique, pourvu qu’il soit appuyé par de l’information digne de foi[40], ce qui est le cas en l’espèce. La conclusion qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’intimé Phaneuf était impliqué dans le trafic de stupéfiants ne pouvait entièrement se dissocier du modus operandi établi par les policiers en vertu duquel l’intimé Phaneuf était le fournisseur. Conjugué aux faits précis que l’intimé Phaneuf est régulièrement en présence de deux vendeurs, aux heures indiquées par la source, qu’il correspond à la description donnée par la source du fournisseur de stupéfiants aux vendeurs[41], il était raisonnable pour le juge autorisateur de déterminer que l’intimé Phaneuf se livrait à une infraction en lien avec le trafic de stupéfiants. À la même enseigne, il est raisonnable d’inférer qu’il agissait à titre de fournisseur, avec pour base sa résidence[42]. Une preuve directe, que semble pourtant exiger le juge, de la probabilité de la présence de drogues dans sa résidence n’était pas requise pour la délivrance de l’autorisation judiciaire[43].
[44] L’inférence tirée par les policiers en matière d’enquête sur les réseaux de trafic de stupéfiants à partir de comportements observés des suspects est reconnue en jurisprudence. Dans Simon c. R., l’expérience de l’enquêtrice principale inférait que l’appelant se livrait à du trafic de stupéfiants à partir des courtes rencontres avec des individus ayant des antécédents judiciaires en la matière. Comme en l’espèce, on était aussi en présence d’informations communiquées par une source fiable. Même si l’appelant avait alors plaidé qu’il n’y avait rien d’anormal à ce qu’un individu débute sa journée en quittant son domicile, la juge Hogue conclut qu’il existait un « lien entre le trafic de stupéfiants et la résidence de l’appelant à la lumière du fait qu’il a quitté sa résidence à de multiples reprises pour se rendre directement à de très brèves rencontres se tenant principalement dans son véhicule et généralement dans des stationnements (ce qui suggère sa participation à un trafic de stupéfiants) »[44].
[45] Dans Latendresse c. R., le même lien a été établi alors que « les nombreux va-et-vient de l’appelant entre sa résidence et les lieux de rencontres constituaient des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve s’y trouvaient »[45].
[46] Le fait que ces deux jugements mettent en cause un vendeur plutôt qu’un fournisseur ne change en rien cette conclusion juridique.
[47] C’est avec raison que l’appelant assimile les circonstances du présent dossier à celles de l’affaire R. c. James[46], dans laquelle la question fondamentale était de savoir s’il existait un lien entre la résidence de l’accusé et le réseau de trafic de stupéfiants[47]. Le juge de première instance avait alors « fundamentally misunderstood the nature of the offences being investigated and the respondent's possible involvement in them », alors que l’individu « was not some low level drug dealer operating in small quantities that might be sold on a street corner or in a back alley »[48]. Comme en l’espèce, le prévenu avait un historique en matière de trafic de stupéfiants et le modus operandi rapporté dans la dénonciation avait été confirmé par une source confidentielle.
[48] Ainsi, l’identification du modus operandi d’un réseau de trafic de stupéfiants s’appuie en partie sur l’expérience policière qui permet de tirer des inférences raisonnables des éléments de preuve et pour établir, le cas échéant, un lien entre les opérations du réseau et la résidence d’un individu membre du réseau. Compte tenu notamment de sa conduite, les policiers possédaient des motifs de croire que l’intimé Phaneuf, lorsqu’il quittait sa résidence, partait réapprovisionner Drasse et Boucher en stupéfiants[49]. Même si l’expérience policière n’est pas en soi déterminante, les inférences que tirent les policiers à partir des faits observés ne devraient pas être mises de côté, comme le juge l’a fait.