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samedi 29 septembre 2018

Responsabilité pénale d’une personne morale en regard de la complicité

R. c. Hydrobec (9031-7579 Québec inc.), 2017 QCCQ 10710 (CanLII)

Lien vers la décision

[164]     Malgré une recherche exhaustive, tant au niveau de la jurisprudence que de la doctrine, le Tribunal n’a pas recensé de cas où une personne morale a participé à une infraction conformément à l’alinéa 21(1)b) C.cr.
[165]     La Cour d’appel de l’Alberta détermine cependant qu’une entreprise peut avoir la mens rea nécessaire pour engager sa responsabilité criminelle dans le cadre d’accusation où elle est un participant à l’infraction :
I find it difficult to see why a corporation which can enter into binding agreements with individuals and others corporations cannot be said to entertain mens rea when it enters into an agreement which is the gist of conspiracy, and if by its corporate act it can make a false pretence involving it in liability to pay damages for deceit why it cannot be said to have the capacity to make a representation involving criminal responsibility. 
[166]     Tout comme le souligne la Cour suprême, la théorie de l’identification s’applique lorsque la compagnie bénéficie ou est censée bénéficier des activités criminelles de son âme dirigeante :
[73] Ni la notion de la responsabilité du fait d'autrui, ni la théorie de l'identification ni aucune autre doctrine ne permet de rationaliser complètement la responsabilité criminelle d'une compagnie. À la différence des personnes physiques, une compagnie n'a pas d'esprit et ne peut donc avoir ce qui est appelé en droit criminel la mens rea. Pour les infractions exigeant la mens rea, le droit criminel ne considère pas le propriétaire employeur comme responsable des actes illégaux de ses employés, à moins qu'il n'y ait eu autorisation expresse ou implicite. […] Le droit canadien dans ce domaine a évolué en commençant, répétons-le, par l'arrêt Fane Robinson Ltd., précité, et en passant par l'arrêt St. Lawrence, précité, mais les tribunaux canadiens n'ont pas encore eu à fixer de limites à la théorie de l'identification. Il reste néanmoins que, appliquée pour déclarer une compagnie coupable en droit criminel de la conduite de son directeur lorsque celui-ci agit non pas en sa qualité d'âme dirigeante mais plutôt comme son ennemi juré, la théorie de l'identification n'a plus de fondement rationnel. […] Selon moi, les origines très pragmatiques de la règle de l'identification militent contre son extension de façon qu'elle s'applique à la situation qui se serait présentée en l'espèce si l'une ou plusieurs des âmes dirigeantes avaient agi entièrement dans son propre intérêt et avait visé principalement à frauder la compagnie qui était son employeur. Lorsque la compagnie en question a bénéficié ou était censée bénéficier des activités frauduleuses et criminelles de son âme dirigeante, l'application de la règle de l'identification est justifiée. Cependant, dans un cas où le mandataire s'est retourné contre la compagnie mandante, la règle n'a plus de raison d'être. [Caractères gras ajoutés]
[167]     Subsidiairement, l’article 22.2 C.cr. précise la participation d’une compagnie à la commission d’une infraction, lorsque la mens rea est un élément essentiel :
22.2 S’agissant d’une infraction dont la poursuite exige la preuve d’un élément moral autre que la négligence, toute organisation est considérée comme y ayant participé lorsque, avec l’intention, même partielle, de lui en faire tirer parti, l’un de ses cadres supérieurs, selon le cas :
a) participe à l’infraction dans le cadre de ses attributions;
b) étant dans l’état d’esprit requis par la définition de l’infraction, fait en sorte, dans le cadre de ses attributions, qu’un agent de l’organisation accomplisse le fait — action ou omission — constituant l’élément matériel de l’infraction;
c) sachant qu’un tel agent participe à l’infraction, ou est sur le point d’y participer, omet de prendre les mesures voulues pour l’en empêcher.
[168]     L’organisation, terme auquel se réfère le Code criminel à son article 22.2 est défini à l’article 2 C.cr. :
2. organisation Selon le cas :
a) corps constitué, personne morale, société, compagnie, société de personnes, entreprise, syndicat professionnel ou municipalité;
b) association de personnes qui, à la fois :
(i) est formée en vue d’atteindre un but commun,
(ii) est dotée d’une structure organisationnelle,
(iii) se présente au public comme une association de personnes. (organization)
[169]     Dans un jugement de la Cour du Québec, le juge Conrad Chapdeleine traite de l’article 22.2 C.cr. dans le cadre d’une poursuite intentée envers une compagnie pour des infractions à la Loi sur la concurrenceIl énumère les divers motifs ne permettant pas d’exclure la responsabilité d’une organisation, telle que définie par le Code criminel :
[79] La lecture de l'article 22.2 permet les constats suivants. Il peut exister plusieurs cadres supérieurs au sein d'une même organisation. Un cadre supérieur peut être associé à une sphère d'activité ou à un territoire précis, tout comme le voulait la théorie de l'identification. Cet article indique que l'on doit, afin de déterminer si un employé est un cadre supérieur, considérer les fonctions qu'il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d'activités qui lui a été délégué. Il découle de cela que la notion de cadre supérieur n'inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d'administration d'une compagnie.
[80] De même, l'article 22.2 ne permet pas d'exclure la responsabilité d'une organisation aux motifs que :
- l'acte criminel visé n'a pas été expressément ordonné par un cadre supérieur ou un agent;
- il n'y a pas eu autorisation expresse d'autorité au cadre supérieur ou à l'agent ayant commis l'infraction;
- le conseil d'administration ou les membres de la direction ou de l'organisation n'étaient pas au courant des activités en cause;
- des instructions expresses ou implicites interdisant les actes illégaux précis ou toute conduite en général aient été données;
- le cadre supérieur ait agi, en partie, frauduleusement envers l'organisation;
- le cadre supérieur ait agi, en partie, pour son propre avantage.
[81] De plus, cet article permet également de conserver le moyen de défense reconnu par la Cour suprême dans l'affaire Canadian Dredge et d'exclure la responsabilité pénale d'une organisation lorsque le cadre supérieur fautif a agi entièrement dans son propre intérêt.
[170]     Finalement, la responsabilité criminelle d’une personne morale est limitée aux actes posés par une âme dirigeante qui ne sont pas entièrement frauduleux à l’égard de la personne morale :
Les limites quant à la responsabilité criminelle qu’assume une personne morale par l’acte d’une âme dirigeante reposent sur le fait que l’acte criminel est ou non entièrement frauduleux à l’endroit de la personne morale. En partant du principe qu’une personne, si malhonnête soit-elle, ne peut se frauder elle-même, il faut dissocier l’acte criminel d’une personne quand cet acte criminel est contraire aux intérêts de la personne morale et vise sa destruction: le représentant ne peut plus, dans ce cas, être considéré comme agissant en qualité d’âme dirigeante.
[171]     En l’espèce, la preuve révèle que l’accusé Dany Belley est administrateur et agit comme âme dirigeante des compagnies Hydrobec et Hydro Rive Sud. D’ailleurs, lors de son témoignage, il l’admet.
[172]     Le Tribunal a déjà conclu que la poursuite a prouvé, hors de tout doute raisonnable, que ce dernier a aidé, conformément à l’alinéa 21(1)b) C.cr., les producteurs de cannabis à commettre l’infraction prévue à l’alinéa 7(1)(2)b) de la LRDS. Comme l’acte criminel commis par l’accusé Belley n’est pas contraire aux intérêts des compagnies Hydrobec et Hydro Rive Sud, puisqu’il ne vise pas leur destruction, il en découle que ces deux personnes morales engagent leur responsabilité criminelle.

*** Attention, cette décision est portée en appel devant CAQ ***

lundi 16 mars 2015

Une personne morale ou ses dirigeants ont-ils droit à la protection de la Charte contre des effets auto‑incriminants?

British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 RCS 3, 1995 CanLII 142 (CSC)


39               Le droit de ne pas s'incriminer est un droit personnel qui sert à protéger le droit à la liberté d'un particulier.  Une personne morale ou ses dirigeants ont-ils droit à la protection de la Charte contre des effets auto‑incriminants?  Nous ne croyons pas qu'un droit de ne pas s'incriminer puisse s'appliquer utilement à des entités morales.  C'est contre l'effet auto‑incriminant de la contrainte que la Charte protège.  C'est une protection physique qui ne peut pas aisément être étendue aux personnes morales.  Les propos que tient le juge Sopinka dans l'arrêt Amway, précité, à la p. 40, sont pertinents:

                  Appliquant à l'al. 11c) une interprétation fondée sur l'objet visé, je suis d'avis que cette disposition vise à protéger l'individu contre toute atteinte à sa dignité et à sa vie privée, inhérente à une pratique qui permet à la poursuite d'obliger la personne inculpée à témoigner elle‑même.  Bien qu'il y ait mésentente quant au fondement du principe interdisant l'auto‑incrimination, j'estime que ce facteur joue un rôle dominant.

                  Aux États‑Unis, c'est ce facteur qui explique en grande partie le refus d'appliquer la protection du Cinquième amendement aux sociétés.  La situation américaine est résumée dans le passage suivant de Paciocco, Charter Principles and Proof in Criminal Cases, à la p. 459:

                  [TRADUCTION]  Sous réserve de cet obstacle de taille, il appert que la façon la plus logique de régler les litiges que soulève l'application des dispositions de la Charte aux sociétés est de les interpréter en fonction de leur objet.  Même si l'on procède ainsi, on ne devrait pas conclure que l'article 13 s'applique aux sociétés en considérant que certains de leurs dirigeants sont la société aux fins de témoigner.  Et ce, parce que le principe qu'un accusé ne devrait jamais être conscrit contre lui‑même par son adversaire pour le vaincre ne s'étend pas aux sociétés d'une manière significative.  Comme on l'affirme dans Wigmore on Evidence en rappelant la position américaine selon laquelle le privilège de ne pas s'incriminer ne s'applique pas aux sociétés «(c)e sentiment [. . .] est presque entièrement réservé aux personnes physiques.»  Pourquoi?   Parce qu'il se rapporte à la valeur intrinsèque des êtres humains et à la nécessité de leur accorder un droit significatif à la vie privée jusqu'à ce que soit soulevée la perspective réelle de leur culpabilité afin qu'ils soient véritablement libres. «(U)ne société, contrairement à un individu, ne peut subir les affronts qui sont interdits par la protection qu'offre l'amendement à la personne de l'accusé et à ses pensées».  [Nous soulignons.]

40               Il est maintenant bien établi qu'une société ne peut se prévaloir de la protection offerte par l'art. 7 de la Charte.  Dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général)1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, notre Cour affirme que le terme «Chacun», à l'art. 7, exclut les sociétés et toute autre entité morale qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et ne comprend que les êtres humains.  Cependant, comme nous l'avons déjà mentionné dans notre analyse de la contrainte à témoigner, Branch et Levitt, en tant que représentants de la société en cause, peuvent bénéficier d'une immunité dans la mesure où ils sont personnellement compromis par leur propre témoignage.  En conséquence, tout dépend de la nature de la contrainte.

dimanche 8 mars 2015

Les personnes morales et la Charte canadienne des droits et libertés

Par Jean-Philippe Gervais

Revue de droit de McGill McGill Law Journal 1993 Mode de rdfdrence: (1993) 38 R.D. McGill 263 To be cited as: (1993) 38 McGill L.J. 263

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http://lawjournal.mcgill.ca/userfiles/other/325838-Gervais.pdf

jeudi 5 février 2015

LA RESPONSABILITÉ CRIMINELLE DES ORGANISATIONS EN MATIÈRE D’INFRACTIONS D’ORDRE ÉCONOMIQUE

Par Pierre-Christian Collins Hoffman et Guy Pinsonnault McMillan s.e.n.c.r.l., S.R.L., Montréal et Ottawa

Lien vers le document

REVUE CANADIENNE DU DROIT DE LA CONCURRENCE VOL. 27, NO. 1 
http://www.mcmillan.ca/Files/172826_La%20responsabilite%20criminelle%20des%20organisations.pdf

samedi 10 janvier 2015

Revue du droit sur la responsabilité criminelle de la personne morale

R. c. Pétroles Global inc., 2013 QCCS 4262 (CanLII)

Lien vers la décision

[35]        À l’occasion des débats à la Chambre des communes (2e lecture), M. Paul Harold Macklin secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et Procureur général du Canada, dit :
 Il reviendrait toujours aux tribunaux de décider dans chaque cas si telle personne est un cadre supérieur, mais je crois que la proposition montre clairement notre intention : l'intention coupable d'un cadre intermédiaire devrait être considérée comme l'intention coupable de la société même. Ainsi, le gestionnaire d'un secteur comme les ventes, la sécurité ou la commercialisation et le gestionnaire d'une entité de l'entreprise comme une région, un magasin ou une usine pourraient être considérés comme des cadres supérieurs par les tribunaux.
[36]        Le projet de loi C-45 a reçu la sanction royale le 7 novembre 2003.
[38]        Remarquons le nouveau vocabulaire : il n’est plus question d’âme dirigeante mais de cadre supérieur, d’agent et d’organisation.
[39]        Cette nouvelle définition de « cadre supérieur » de l’organisation vise l’agent qui  :
  • joue un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation
ou
  • assurant la gestion d’un important domaine d’activités de l’organisation.
[40]        Pour les auteurs Archibald, Jull et Roach, il s’agit d’un changement fondamental sinon d’une révolution de la responsabilité pénale des personnes morales. Ils écrivent :
It creates a new regime of criminal liability that applies not only to corporations, but unions, municipalities, partnerships and other associations of persons. It replaces the traditional legal concept of corporate liability based on the fault of the corporation's "directing mind(s)", the board of directors and those with the power to set corporate policy, with liability tied to the fault of all of the corporation's "senior officers". That definition includes all those employees, agents or contractors who play "an important role in the establishment of an organization's policies" or who have responsibility "for managing an important aspect of the organization's activities". It will no longer be necessary for prosecutors to prove fault in the boardrooms or at the highest levels of a corporation: the fault even of middle managers may suffice.
[Nos soulignés]
[41]        La conjonction ou entre les deux subordonnées (agent jouant un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation visée ou assurant la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci) est indicative de l’intention du législateur d’écarter définitivement l'arrêt Rhône. La dichotomie établie par l’arrêt Rhône entre « concevoir les politiques de la compagnie et en surveiller la mise en oeuvre plutôt que pour simplement les mettre à exécution » est mise au rancart.
[42]        Le fait que le cadre supérieur puisse être un agent assurant la gestion d’un important domaine d’activités de l’organisation indique bien qu’on veut étendre la responsabilité pénale pour les gestes d’agents se situant au niveau de la gestion (du management), bref, de la mise en œuvre ou de l’exécution des politiques. On veut sortir de la salle du conseil d’administration et descendre sur le plancher de l’usine.
[43]        C’est aussi l’opinion de l’auteur Darcy L. MacPherson :
[11]   The first part of the definition of "senior officer" ("plays an important role in the establishment of the organization's policies") appears largely to codify the common law; "directing minds" under the common law would fit this definition. The second portion, however, clearly extends the attribution of criminal corporate liability to the actions of mid-level managers. Anyone who "is responsible for managing an important aspect of the organization's activities" can render the corporation liable. This is a much lower standard than under the common law. "Senior officers" would include those managers who implement and operationalize corporate policies set by executives and/or directors. Bill C-45 essentially eradicates the distinction between those who create or set corporate policy and those charged with managing its implementation. In this sense, Bill C-45 extends corporate criminal liability.
[nos soulignés]
[44]        Le mot gestion est aussi nouveau dans le vocabulaire de la responsabilité pénale des personnes morales. En choisissant ce  mot, on a voulu s’éloigner de Rhône qui  mentionnait que l’âme dirigeante était celle qui exerçait un pouvoir décisionnel dans un champ d'activité pertinent de la compagnie. On a voulu aussi se mettre au diapason des formes modernes d’organisation corporative qui ont depuis longtemps abandonné le modèle hiérarchique pyramidal pour la segmentation ou la division de la gestion en plusieurs unités ou secteurs. Ce n’est pas un hasard.
[45]        Selon le Grand dictionnaire terminologique, le mot gestion se définit comme étant :
Mise en œuvre de tous les moyens humains et matériels d'un organisme ou d'une entreprise pour atteindre les objectifs préalablement fixés.
[46]        La question de savoir si une personne est un cadre supérieur d’une organisation n’est pas un exercice théorique ou abstrait. Le Tribunal devra déterminer si l’agent joue un « rôle important » ou gère un « important domaine d'activités ». Encore ici, il s’agit d’une question de fait qui nécessite l’examen, à travers toute la preuve présentée, de la structure organisationnelle et de l’ensemble des activités de la corporation.
[47]        Pour déterminer si l’agent est un cadre supérieur, le Tribunal devra procéder à l’examen minutieux des fonctions et responsabilités de l’agent dans l’organisation et ce, bien au-delà du titre de l’employé, des organigrammes de l’organisation ou du cloisonnement des fonctions de gestion (gestion des finances, des ressources humaines, matérielles, informatiques, etc.). Le Tribunal devra aussi évaluer  l'importance du secteur d'activités que la personne gère pour l’organisation.
[48]        Dans sa décision de citer l’accusée à procès, le juge Chapdelaine écrit :
La lecture de l'article 22.2 permet les constats suivants. Il peut exister plusieurs cadres supérieurs au sein d’une même organisation. Un cadre supérieur peut être associé à une sphère d’activité ou à un territoire précis, tout comme le voulait la théorie de l'identification. Cet article indique que l’on doit, afin de déterminer si un employé est un cadre supérieur, considérer les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activités qui lui a été délégué. Il découle de cela que la notion de cadre supérieur n’inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une compagnie.
[49]        Le Tribunal partage cette opinion.
[50]        Ainsi, la responsabilité pénale des personnes morales ne sera plus établie selon la théorie de l’« âme dirigeante », mais plutôt des « cadres supérieurs », un changement substantiel de la common law connue jusqu’alors.
[51]        MM. Payette, Bourassa ou Leblond sont-ils des cadres supérieurs de Global ?
[52]        Si oui, la responsabilité pénale de Global est engagée.

mardi 6 août 2013

Les principes de la théorie de l'identification issus de la common law & les modifications législatives du 31 mars 2004

R. c. Pétroles Global inc., 2012 QCCQ 5749 (CanLII)

Lien vers la décision

[68]        On peut résumer les principes de la théorie de l'identification issus de la common law comme suit :
1.   L’application de la théorie de l’identification a pour effet d’imputer à une personne morale la mens rea et l’actus reus de son âme dirigeante et, donc, d’entraîner sa responsabilité.
2.   Il peut y avoir plusieurs âmes dirigeantes au sein d’une même personne morale et chacune de ces âmes dirigeantes peut être associée à une sphère d’activités ou à un territoire précis.
3.   Afin de déterminer si un employé constitue une âme dirigeante, on ne considère pas le titre de l’employé, mais bien les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activités qui lui a été délégué.
4.   La notion d’âme dirigeante n’inclut désormais plus seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une personne morale.
5.   L’âme dirigeante est la personne qui a la capacité d’exercer un pouvoir décisionnel sur les questions de politique générale de la personne morale, plutôt que celle qui ne fait que mettre en œuvre ces politiques dans un cadre opérationnel.

6.   Ne permettent pas de faire échec à l’application de la théorie de l’identification :
a)   Le fait qu’il n’ait pas été expressément ordonné à un employé de commettre l’acte criminel en question;
b)   Le fait qu’il n’y ait pas eu de délégation expresse d’autorité à l’employé ayant commis l’infraction;
c)   Le fait que le conseil d’administration ou les membres de la direction de la compagnie n’étaient pas au courant des activités en cause;
d)   Le fait que des instructions expresses ou implicites interdisant les actes illégaux précis ou toute conduite en général aient été données;
e)   Le fait que l’âme dirigeante ait agi, en partie, frauduleusement envers la compagnie qui était son employeur;
f)     Le fait que l’âme dirigeante ait agi, en partie, pour son propre avantage.
7.   Constitue un moyen de défense et fait échec à l’application de la théorie de l’identification le fait que l’âme dirigeante ait agi entièrement dans son propre intérêt et ait visé principalement à frauder la compagnie qui était son employeur.
Les modifications législatives du 31 mars 2004
[69]        La Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations)  a été adoptée et ses dispositions, à l’exclusion d’une seule, sont entrées en vigueur le 31 mars 2004.
[70]        Ces modifications législatives viennent apporter deux changements importants au Code criminel : l'ajout des notions de « cadre supérieur », d'« organisation » et d'« agent » prévu à l'article 2, ainsi que l'ajout de l'article 22.2 qui traite de la responsabilité des organisations pour les infractions de mens rea et qui, contrairement à la jurisprudence antérieure, n'utilise plus les termes « âme dirigeante » ou « alter ego », mais plutôt « cadre supérieur ».
[73]        À ce jour, aucune décision jurisprudentielle n’a défini la portée de l’article 22.2 C.cr. Le droit de la responsabilité des sociétés, tel qu’élaboré par la common law, a-t-il été seulement codifié par ces modifications législatives ou a-t-il été modifié?
[74]        Dans l’affaire Ontario Power Generation, le juge devait décider d’un cas de responsabilité par négligence. C’est donc l’article 22.1 C.cr. et non pas l'article 22.2 C.cr. qui devait être appliqué s'il avait été en vigueur au moment des faits reprochés. Dans cette décision, le juge a mentionné, en obiter, qu’il était d’avis que le projet de loi C-45 avait modifié les principes de responsabilité d’une personne morale établis par la common law.
[75]        Il semble partager l'avis exprimé par les auteurs Archibald, Jull et Roach à l'effet que les modifications apportées au Code criminel par la Loi L.C. 2003, c. 21 (projet de loi C-45) ont eu pour effet de changer de façon fondamentale le droit de la responsabilité des personnes morales. Ces modifications ont aboli le concept d'âme dirigeante élaboré par la common law pour le remplacer par « a much wider statutory distinction that attributes the fault of a corporation's senior officer to the corporation ».
[76]        Le Tribunal partage ce point de vue. La responsabilité des personnes morales, anciennement basée sur la faute d’une de leurs âmes dirigeantes, est désormais fondée sur la faute d’un de leurs « cadres supérieurs ». Et la responsabilité pénale de ce « cadre supérieur » pourra être imputée à l’« organisation ».
[77]        La dichotomie qui existait entre « élaboration » et « mise en œuvre » des politiques est supprimée. Désormais, une personne peut être considérée comme « cadre supérieur » et engager la responsabilité d’une organisation dans les deux cas, soit en ayant un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation, soit en assurant la gestion d’un important domaine d’activités de l’organisation.
L'intention du législateur
[78]        Les propos de Paul Harold Macklin, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et Procureur général du Canada, rapportés dans le Hansard, laissent voir que l’intention du législateur était de faire en sorte que les actes d’un cadre intermédiaire (middle manager) puissent être considérés comme ceux de l’organisation. Comme exemple d’agent assurant la gestion d’un « important domaine d’activités », M. Macklin mentionnait « le gestionnaire d’un secteur comme les ventes, la sécurité, la commercialisation et le gestionnaire d’une entité de l’entreprise comme une région, un magasin ou une usine […] ».
[79]        La lecture de l'article 22.2 permet les constats suivants. Il peut exister plusieurs cadres supérieurs au sein d’une même organisation. Un cadre supérieur peut être associé à une sphère d’activité ou à un territoire précis, tout comme le voulait la théorie de l'identification. Cet article indique que l’on doit, afin de déterminer si un employé est un cadre supérieur, considérer les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activités qui lui a été délégué. Il découle de cela que la notion de cadre supérieur n’inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une compagnie.
 [80]        De même, l'article 22.2 ne permet pas d’exclure la responsabilité d’une organisation aux motifs que : 
-         l'acte criminel visé n'a pas été expressément ordonné par un cadre supérieur ou un agent;
-         il n'y a pas eu autorisation expresse d'autorité au cadre supérieur ou à l'agent ayant commis l'infraction;
-         le conseil d'administration ou les membres de la direction ou de l'organisation n'étaient pas au courant des activités en cause;
-         des instructions expresses ou implicites interdisant les actes illégaux précis ou toute conduite en général aient été données;
-         le cadre supérieur ait agi, en partie, frauduleusement envers l’organisation;
-         le cadre supérieur ait agi, en partie, pour son propre avantage.
[81]        De plus, cet article permet également de conserver le moyen de défense reconnu par la Cour suprême dans l’affaire Canadian Dredgeet d’exclure la responsabilité pénale d’une organisation lorsque le cadre supérieur fautif a agi entièrement dans son propre intérêt.
L'introduction du critère de l'importance
[82]        Une autre nouveauté dans la définition de « cadre supérieur » est le critère de l’importance. Pour être considérée comme « cadre supérieur », une personne doit jouer un rôle important dans l’élaboration des politiques d'une organisation ou encore assumer la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci.
[83]        Déterminer ce que constitue un « rôle important » ou un « important domaine d'activités » est une question de fait obligeant le tribunal à examiner, à travers l'ensemble de la preuve présentée, l'intégralité de la structure organisationnelle et des activités de la corporation.
[84]        Afin de déterminer si une personne est un cadre supérieur, le Tribunal peut examiner non seulement le titre de la personne dans l'entreprise, mais aussi les fonctions qu'elle exerce et l'étendue de ses responsabilités. Il doit aussi mesurer l'importance du secteur d'activités que la personne gère au nom de la compagnie.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...