Rechercher sur ce blogue

Aucun message portant le libellé Code criminel - Article 145. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Code criminel - Article 145. Afficher tous les messages

vendredi 1 août 2025

Les éléments essentiels de l’infraction de liberté illégale et l’excuse légitime au sens de 145(1) C.cr.

R. c. Charette, 2024 QCCS 277


[42]        L'actus reus de l’infraction prévue au paragraphe 145(1) reprochée à M. Charette consiste dans la démonstration qu’il était en liberté au Canada ou à l’étranger avant l’expiration d’une période d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné.

[43]        Cet élément fait l’objet d’une admission de la défense.

[44]        Au niveau de la mens rea d’une infraction de liberté illégale, les parties conviennent de sa nature subjective en application du raisonnement dans Zora[26], bien que cette affaire traitait du paragraphe (3) de l’article 145.

[45]        La poursuite devra ainsi établir une mens rea subjective qui exige la preuve de ces deux éléments :

1)      que l’accusé connaissait la date d’expiration de la période d’emprisonnement à laquelle il a été condamné ou faisait preuve d’aveuglement volontaire à cet égard; et

2)   que l’accusé a sciemment omis d’agir conformément à sa condition de mise en liberté (à sa libération d’office du 7 mars 2022), ou qu’il faisait preuve d’aveuglement volontaire face aux circonstances et qu’il a omis de se conformer à cette condition malgré le fait qu’il la connaissait, ou que l’accusé a par insouciance omis d’agir conformément à cette condition, c’est-à-dire qu’il était conscient qu’il y avait un risque important et injustifié que sa conduite ne respecte pas cette condition, mais qu’il n’a pas cessé d’agir de la sorte.

[46]        Le premier aspect de la mens rea est admis puisque M. Charette reconnait qu’il connaissait la date d’expiration de sa peine à son départ du Centre le 10 mars 2022.

[47]        Par ailleurs, la Cour d’appel du Québec a précisé dans G.L. que la poursuite n’a pas à établir l'intention coupable de l'accusé au moment même où l'autorisation d'absence provisoire lui est accordée puisqu’il « ne s'agit pas de savoir si un accusé a obtenu sa mise en liberté provisoire avec l'intention arrêtée et préétablie d'enfreindre les conditions de cette autorisation »[27].

[48]        Concernant le deuxième élément de l’intention criminelle, la question qu’il faudra se poser est de savoir si en omettant de revenir au Centre, l’accusé « manifestait clairement par là son intention de se soustraire au contrôle des autorités carcérales »[28].

[49]        Dans Zora, on indiquait que ce deuxième élément de la mens rea signifie que la personne prévenue doit être consciente des circonstances factuelles qui exigent qu’elle agisse (ou s’abstienne d’agir) pour se conformer aux conditions, ou fasse preuve d’aveuglement volontaire à leur égard[29].

[50]        Cette seconde portion de la mens rea peut aussi être prouvée en démontrant que la personne prévenue a fait preuve d’insouciance. Cela implique la connaissance du risque, c’est-à-dire que l’accusé doit connaître les conditions de sa libération conditionnelle et le risque que présentent les circonstances factuelles qui exigent qu’il agisse (ou s’abstienne d’agir) pour se conformer à ces conditions. L’insouciance est une norme subjective et l’accusé doit être conscient que sa conduite créait un risque important de manquement à ses conditions ainsi que de tout facteur faisant en sorte que le risque n’était pas justifié[30].

[51]        Le fait d’avoir sciemment omis d’agir conformément à sa condition de mise en liberté peut donc être prouvée de trois façons, soit par (1) une preuve directe ou réelle de la connaissance (sciemment) laquelle peut être remplacée par (2) l’aveuglement volontaire de l’accusé[31] ou par (3) l’insouciance à l’égard du respect de sa condition de revenir au Centre après sa permission de sortie (la connaissance du risque)[32].

[52]        Si la poursuite établit ces éléments de preuve, l’accusé pourra néanmoins tenter de soulever un doute raisonnable en invoquant une excuse légitime.

[53]        En effet, ce n’est pas toujours un crime pour une personne de se trouver en liberté avant l’expiration d’une période d’emprisonnement. Il s’agit d’un crime lorsque cette personne n’a pas une excuse légitime d’être en liberté à ce moment.

[54]        C’est d’ailleurs en partie sur cet aspect que la poursuite souhaite introduire dans sa preuve certains éléments de propension.

[55]        L’excuse légitime est « le sentiment d'injustice que soulève la punition pour une violation de la loi commise dans des circonstances où la personne n'avait pas d'autre choix viable ou raisonnable; l'acte était mauvais, mais il est excusé parce qu'il était vraiment inévitable »[34].

[56]        Le paragraphe 145(1) prévoit que l’accusé peut invoquer une excuse légitime afin de soulever un doute raisonnable.

[57]        Initialement, ce texte incluait la mention « dont la preuve lui incombe » ce qui impliquait que l’accusé avait un fardeau prépondérant à cet égard[35].

[58]        Ce n’est désormais plus le cas[36] puisque cette dernière portion de la mention « excuse légitime dont la preuve lui incombe » a été retirée en 2018.

[59]        Les auteurs Fortin et Viau indiquent dans leur Traité de droit pénal général que définir l’excuse légitime est « une tâche que des générations de juges ont déclarée impossible »[37].

[60]        On peut néanmoins affirmer que l’existence d'une excuse légitime n’est pas une exigence interne des éléments essentiels de l’infraction. Elle constitue une excuse extrinsèque telle que « je n'étais pas sain d'esprit », « j'ai agi sous la menace », « j'étais en état d'ébriété », « j'ai agi par automatisme », etc.[38].

[61]        Dans Holmes, la Cour suprême traitait d’une telle excuse dans une affaire de possession d’outils de cambriolage. Elle indiquait « [qu’]une « excuse légitime » ne vise pas et ne tend pas à réfuter un élément de l'infraction; il s'agit plutôt d'un facteur qui se situe à l'extérieur des exigences à rencontrer »[39].

[62]        Dans Zora, la Cour suprême signalait également « que l’inclusion du moyen de défense de « [l’]excuse légitime » prévu au par. 145(3) ne joue aucun rôle dans l’interprétation de la mens rea de l’infraction. L’excuse légitime constitue un moyen de défense supplémentaire que la personne prévenue ne pourrait autrement pas invoquer »[40].

[63]        La Cour ajoutait que « [l]a possibilité d’invoquer ce moyen de défense ne change pas le fardeau de la Couronne de prouver tous les éléments de l’infraction, y compris la mens rea, hors de tout doute raisonnable »[41].

[64]        Néanmoins, M. Charette n’aura pas à prouver qu’il avait une excuse légitime pour ne pas être retourné au Centre avant l’expiration de sa peine. Il n’aura qu’à soulever un doute à cet égard.

[65]        De ce fait, le fardeau qui appartiendra à la poursuite sera de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’avait pas une telle excuse et ce, une fois que M. Charette aura rencontré son fardeau de présentation à ce sujet[42].

[66]        Dans Zora, la Cour Suprême résumait cette situation en indiquant « que l'art. 11d) de la Charte n'impose pas au ministère public le fardeau de démontrer au départ l'absence de toute défense concevable, il exige néanmoins que, lorsque les faits présentés par le ministère public ou par l'accusé soulèvent d'une manière suffisante la possibilité d'une défense réussie, l'accusé n'ait plus qu'à soulever un doute raisonnable »[43].

[67]        Le fardeau de preuve en matière d’excuse légitime avait déjà été analysé par le juge McIntyre dans Holmes. Il précisait que les « excuses générales de common law n'ont pas à être prouvées selon la prépondérance des probabilités, car elles ne sont pas visées par l'expression « dont la preuve lui incombe ». Il s'ensuit que ces excuses peuvent, et ont toujours pu, être alléguées par un accusé relativement à l'infraction en cause exactement de la même manière qu'elles peuvent être invoquées dans le cas de n'importe quelle autre infraction criminelle: si l'accusé parvient à faire naître un doute raisonnable, il a le droit d'être acquitté »[44].

[68]        Par ailleurs, les termes « justification » et « excuse » ont été distingués par la Cour suprême dans Jorgensen Elle soulignait que « [l]e premier conteste le caractère répréhensible de l'action alors que le second admet ce caractère répréhensible mais affirme que, compte tenu des circonstances, l'auteur de l'action ne devrait pas en être tenu responsable »[45].

[69]        Les auteurs du Traité de droit pénal général dégagent un certain nombre de principes qu’ils illustrent d’exemples puisés dans la jurisprudence :

La jurisprudence est unanime à dire qu’il est impossible de donner une définition générale de l’excuse légitime. Si la loi créatrice de l’infraction n’en donne pas une signification précise, il faut en inférer le sens d’après le but de l’incrimination.

Sans prétendre réussir une tâche que des générations de juges ont déclarée impossible, on peut donner les dimensions de l’excuse légitime. D’abord, l’excuse légitime a pour effet de donner à l’accusé la possibilité de se défendre de l’accusation en invoquant des moyens spéciaux à l’infraction, distincts des moyens généraux reconnus par la loi.

Ensuite, toute légitime qu’elle doive être, l’excuse légitime n’a pas à nier l’infraction elle- même. En d’autres termes, c’est l’excuse qui doit être légitime et non pas nécessairement la conduite qu’elle explique.

Excuse légitime et erreur de droit. L’explication offerte par l’accusé mettant en cause une ignorance de la loi ou une erreur de droit de sa part n’est pas une excuse légitime, même si sa bonne foi ne fait pas de doute.

Excuse légitime et mobile. Si l’excuse légitime a pour effet de rendre pertinentes à l’infraction certaines raisons expliquant la conduite de l’accusé, encore faut-il que la raison invoquée ne soit pas de l’ordre d’un mobile incompatible avec la loi. Ainsi, par exemple, dans une accusation de refus de pourvoir, on a maintenu une condamnation contre un membre de l’Église de la Science chrétienne qui mettait son omission de fournir des traitements médicaux à son enfant au compte d’une objection de conscience.[46]

[Soulignements ajoutés]

[70]        J’ajoute à ces propos, et à l’instar du concept « d'excuse raisonnable » qui est objectif et non subjectif[47], que l’excuse légitime ne s'applique pas en fonction de la sincérité de celui qui présente l'excuse.

[71]        Dans Dubuc, la Cour d’appel du Québec précisait que l’excuse légitime s’apprécie en fonction de l’objectif visé par l’incrimination[48].

[72]        Il doit s’agir d’une véritable excuse dont l’appréciation ne peut être laissée à la seule discrétion de l’accusé puisqu’il ne s’agit pas d’un test subjectif permettant d’invoquer la bonne foi[49].

[73]        L’excuse légitime doit constituer « une véritable « excuse » dont l’appréciation ne peut être laissée à la seule discrétion de l’accusé » [50].

[74]        Je peux résumer ainsi les défenses qui ne constituent pas une excuse légitime :

         La bonne foi;

         L’ignorance de la Loi ou l’erreur de droit[51];

         La raison incompatible avec l’objet de la Loi.

[75]        À titre d’exemple, des motifs médicaux ou reliés à la santé peuvent constituer une excuse légitime[52], mais la décision se soumettre à une cure interne de désintoxication plutôt que de retourner purger sa peine de prison ne l’est pas[53].

[76]        Selon l’accusé, l’absence de proactivité des policiers pourrait être soulevée ainsi que de la simple négligence ou de la passivité pour expliquer son comportement.

[77]        Cet argument ne pourra toutefois constituer une excuse légitime.

[78]        En effet, dans Gauthier c. Établissement St-François, l’accusé n’était pas revenu après une permission de sortie et il avait été « oublié » dans le système ce qui lui a permis de refaire sa vie pendant 14 ans avant d’être arrêté[54].

[79]        Dans cette affaire où une demande d’habeas corpus a été rejetée, la Cour supérieure a indiqué que « [s]i la peine du requérant est purgée 14 ans plus tard, au terme de 5383 jours de liberté illégale, c'est de sa faute. En fait, le requérant voudrait que la « négligence des autorités » de le reprendre soit punie par la prescription de sa sentence. Cet argument n'a pas de fondement et ne peut être retenu »[55].

[80]        Ainsi, un accusé qui se trouve en situation de liberté illégale ne peut invoquer la l’inaction d’un tiers ni sa simple bonne foi à titre d’excuse légitime.

[81]        Les éléments essentiels de l’infraction de liberté illégale et la défense d’excuse légitime ayant été examinés, je vais résumer les facteurs applicables à la force probante et au préjudice pour ensuite les pondérer relativement à chaque élément de preuve de mauvaise moralité que mettre en preuve la poursuite.

mercredi 23 juillet 2025

Commentaires de la CSC quant à l'imposition d'un certain type de condition en lien avec la maladie mentale, l'alcoolisme, la réadaptation et celle de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite »

R. c. Zora, 2020 CSC 14

Lien vers la décision


B.            Conditions précises

[91]                        Je me penche maintenant sur certaines conditions précises non énumérées couramment incluses dans les ordonnances de mise en liberté. Bon nombre de ces types de conditions se retrouvaient dans l’ordonnance de mise en liberté de M. Zora. Comme je l’ai déjà indiqué, en raison de la criminalisation des manquements aux conditions aux termes du par. 145(3), les principes de retenue et de révision commandent un examen approfondi pour établir si un type particulier de condition est nécessaire, raisonnable, le moins sévère possible et suffisamment lié à un risque mentionné au par. 515(10). L’analyse de conditions précises qui suit montre de quelle façon ces types courants de conditions doivent être examinés.

[92]                        Premièrement, les entités judiciaires doivent être prudentes pour ce qui est des conditions pouvant viser des symptômes de maladie mentale, comme les conditions interdisant de consommer à des personnes prévenues ayant un problème d’alcoolisme ou de toxicomanie. Si la personne prévenue ne peut respecter une telle condition, alors celle‑ci n’est pas raisonnable (Penunsi, par. 80Omeasoo, par. 37‑38). De plus, la réadaptation ou le traitement d’une dépendance ou d’une autre maladie ne constitue pas un objectif approprié pour une condition de mise en liberté sous caution — une condition ne sera appropriée que si elle est nécessaire pour répondre aux risques précis que pose la personne prévenue. Assujettir des personnes qui sont présumées innocentes à des conditions d’abstinence pourrait dans les faits les punir pour ce qui est reconnu comme étant un problème de santé : [traduction] « si l’individu souffre d’alcoolisme, l’abstinence absolue pourrait présenter un risque important pour sa santé et son bien‑être » et même « avoir éventuellement des effets de sevrage létaux » (R. c. Denny2015 NSPC 49, 364 N.S.R. (2d) 49, par. 14‑15; voir aussi la Société John Howard de l’Ontario, p. 12‑13). S’il est nécessaire d’imposer une condition d’abstinence, celle‑ci doit être rédigée avec soin pour viser le risque réel pour la sécurité publique, par exemple, en interdisant à la personne prévenue de consommer de l’alcool à l’extérieur de son domicile si les infractions reprochées ont eu lieu alors qu’elle était ivre et qu’elle ne se trouvait pas chez elle (Omeasoo, par. 42). Quiconque sollicite ou impose des conditions de mise en liberté sous caution devrait aussi tenir compte du fait qu’il est possible que le problème de la personne prévenue lié à la consommation d’une substance, ou toute autre maladie mentale dont elle pourrait souffrir, n’ait pas encore été diagnostiqué. De plus, au besoin, on devrait recourir abondamment aux dispositions relatives à la révision et à la modification de la mise en liberté sous caution prévues aux art. 520, 521 et 523 pour tenir compte de telles circonstances. La mise en liberté sous caution est un processus dynamique d’évaluation continue, une collaboration entre toutes les parties qui jouent un rôle dans l’élaboration des conditions les plus raisonnables et les moins sévères possible, même au fil de l’évolution de la situation.

[93]                        Deuxièmement, d’autres conditions liées au comportement qui visent à réadapter ou aider la personne prévenue ne seront pas appropriées à moins qu’elles soient nécessaires pour répondre aux risques que pose cette dernière. Comme l’a expliqué Cheryl Webster dans son rapport pour le ministère de la Justice, « des conditions comme l’obligation de “fréquenter l’école” ou “de suivre une thérapie ou un traitement” peuvent s’inscrire dans l’atteinte d’objectifs sociaux plus vastes, mais elles n’ont [généralement] aucun lien avec l’infraction alléguée » (rapport Webster, p. 11). Il peut y avoir des exceptions, comme dans la décision S.K., où la juge a conclu que la condition de [traduction] « fréquenter l’école » était suffisamment liée aux risques que posait la personne prévenue. Toutefois, même si une condition semble suffisamment liée aux risques que pose la personne prévenue, la question est aussi de savoir si la condition est proportionnelle : l’imposition de telles conditions a pour conséquence que la personne prévenue pourrait être déclarée coupable d’une infraction criminelle pour avoir manqué une journée d’école.

[94]                        Troisièmement, la condition de [traduction] « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite » est obligatoire pour les ordonnances de probation, les ordonnances de sursis et les engagements à ne pas troubler l’ordre public, mais pas pour une mise en liberté sous caution (S.K., par. 39). Il faudrait sérieusement l’examiner lorsqu’elle est proposée comme condition de mise en liberté sous caution. Cette condition générique est habituellement considérée comme une interdiction pour la personne prévenue de troubler la paix ou de violer toute loi fédérale ou provinciale ou tout règlement municipal (R. c. Grey (1993), 1993 CanLII 17035 (ON CJ)19 C.R. (4th) 363 (C.J. Ont.)R. c. D.R. (1999), 1999 CanLII 13903 (NL CA)178 Nfld. & P.E.I.R. 200 (C.A. T.‑N.)R. c. Gosai, [2002] O.J. No. 359 (QL) (C.S.), par. 18‑28). Comme un manquement à une condition de mise en liberté sous caution constitue une infraction criminelle, cette condition [traduction] « ajoute un nouveau niveau de sanction, pas seulement à l’égard d’un comportement criminel, mais aussi de toute violation de règlement, pouvant aller du non‑respect de la limite de vitesse sur les biens fonciers fédéraux, comme les aéroports, au non‑respect d’un règlement municipal sur le port de la laisse pour les chiens » et « n’est pas compatible avec la présomption d’innocence » qui s’applique habituellement lorsque la personne prévenue est en liberté sous caution (R. c. Doncaster, 2013 NSSC 328, 335 N.S.R. (2d) 331, par. 16‑17; voir aussi R. c. A.D.B., 2009 SKPC 120, 345 Sask. R. 134, par. 17 et 20; Trotter, par. 6‑41 à 6‑44). Étant donné la large portée de la condition, il est difficile de voir en quoi l’imposition à la personne prévenue d’une interdiction additionnelle pour la violation de toute règle de droit substantiel, que ce soit une contravention routière ou l’omission d’enregistrer un chien, pourrait être raisonnable, nécessaire, le moins sévère possible et suffisamment liée au risque de fuite de la personne prévenue, au risque pour la sécurité ou la protection du public ou au risque que la confiance du public envers l’administration de la justice soit minée (voir S.K., par. 39).

[95]                        Quatrièmement, les conditions larges qui exigent que la personne prévenue suive les règles de la maison ou y soit assujettie, ou qu’elle suive les instructions légitimes du personnel dans une résidence, peuvent poser problème, particulièrement pour les jeunes personnes prévenues. Dans J.A.D., la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu qu’une telle condition était nulle pour cause d’imprécision et délégation irrégulière de la fonction judiciaire (par. 11). Ces types de conditions empêchent la personne prévenue de comprendre ce qu’elle doit faire pour éviter de manquer à la condition, étant donné que les règles de la maison peuvent changer au gré de la personne qui les fixe (K. (R.), par. 19‑22). Imposer une condition qui délègue la création de règles de mise en liberté sous caution à une caution (ou à quiconque) contourne l’obligation de l’entité judiciaire de respecter les principes de retenue et de révision et d’évaluer si les règles de la maison répondent véritablement aux risques que pose la personne prévenue.

[96]                        Cinquièmement, certaines conditions peuvent avoir des conséquences malencontreuses ou des incidences négatives non voulues sur la sécurité de la personne prévenue ou du public. Ces effets non voulus mettent en évidence la nécessité de réviser attentivement et rigoureusement chacune des conditions de mise en liberté sous caution. Par exemple, une condition qui empêche la personne prévenue d’utiliser un téléphone cellulaire peut l’empêcher d’appeler à l’aide en cas d’urgence ou faire obstacle à sa capacité de travailler ou de s’occuper de personnes à charge (Prychitko, par. 19‑25; Trotter, p. 6‑44 à 6‑45). D’autres conditions peuvent entraver l’administration de la justice en punissant des personnes prévenues qui sont par ailleurs victimes d’actes criminels. Dans la décision Omeasoo, la police a répondu à une plainte de violence familiale, dont Mme Omeasoo était la victime. Cependant, cette dernière a été arrêtée et inculpée d’omission de se conformer à une condition parce qu’elle avait consommé de l’alcool, ce qui était contraire à sa condition de mise en liberté sous caution (par. 6). Elle a donc été accusée de l’infraction d’être en état d’ébriété alors qu’elle était victime d’une agression. Certes, on espère que le pouvoir discrétionnaire de la poursuite aide à empêcher ce type de conséquences non voulues, mais de telles conditions peuvent décourager la dénonciation de crimes graves et augmenter considérablement la vulnérabilité de certaines personnes.

[97]                          Mentionnons comme autres exemples de conditions ayant des conséquences malencontreuses les conditions relatives à une « zone rouge », qui empêchent la personne prévenue d’entrer dans une région géographique précise, et celles relatives à l’« interdiction de posséder des accessoires facilitant la consommation de drogues ». De telles conditions peuvent avoir des incidences particulièrement importantes sur les personnes prévenues marginalisées. Les conditions relatives à une « zone rouge » peuvent empêcher les gens d’avoir accès à des services essentiels et à leur réseau de soutien (Sylvestre, Blomley et Bellot). Les interdictions de posséder des accessoires facilitant la consommation de drogues peuvent encourager le partage de seringues si les personnes prévenues ne peuvent pas avoir sur elles leurs propres seringues propres (rapport Pivot, p. 89‑95). En outre, les lignes directrices sur les conditions de mise en liberté sous caution imposées aux personnes prévenues ayant des troubles liés à la consommation d’une substance, publiées en 2019 par le Service des poursuites pénales du Canada, reconnaissent que ces types de conditions « ne devraient pas, en règle générale, être imposées » (Guide du Service des poursuites pénales du Canada, Partie III, c. 19, « Conditions de libération provisoire visant les surdoses d’opioïdes » (mis à jour le 1er avril 2019) (en ligne)). De façon générale, les incidences de ces conditions font ressortir la nécessité que toute condition de mise en liberté proposée soit attentivement examinée et ne vise qu’à répondre au risque de fuite de la personne prévenue et à protéger la sécurité du public ou la confiance de celui‑ci envers l’administration de la justice. Autrement, la condition pourrait avoir des conséquences négatives non voulues sur la personne prévenue et le public.

[98]                        Enfin, je note que certaines conditions de mise en liberté sous caution peuvent avoir une incidence sur d’autres droits que garantit la Charte à la personne prévenue outre son droit d’être présumée innocente, son droit à la liberté (art. 7) et son droit à une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable (al. 11e)). Les principes de retenue et de révision exigent que les entités judiciaires examinent rigoureusement ces conditions et établissent si elles contreviennent à la Charte. Par exemple, certaines personnes prévenues font l’objet de conditions de mise en liberté sous caution aux termes desquelles elles sont tenues de se soumettre, sur demande et sans qu’il y ait de mandat, à des fouilles sur leur personne ainsi qu’à des fouilles de leur véhicule, de leur téléphone ou de leur résidence (voir, p. ex., R. c. Delacruz2015 MBQB 32R. c. Tithi2019 SKQB 299, [2019] S.J. No. 299 (QL), par. 14R. c. Sabados, 2015 SKCA 74, 327 C.C.C. (3d) 107). Comme l’a mentionné la Cour dans l’arrêt Shoker, dans le contexte des conditions de probation, les juges n’ont pas compétence pour imposer une condition qui assujettit la personne accusée à une norme inférieure en matière de fouilles et de perquisitions à celle qui serait autrement requise, à moins que le Parlement ne crée un régime législatif conforme à la Charte pour les fouilles et les perquisitions ou que la personne accusée ne consente à la fouille ou à la perquisition (par. 22 et 25; voir aussi R. c. Goddard, 2019 BCCA 164, 37 C.C.C. (3d) 44, par. 53R. c. Nowazek2018 YKCA 12, 366 C.C.C. (3d) 389, par. 128). Ces types de conditions constituent en fait des mécanismes d’application de la loi qui « facilit[ent] l’obtention d’éléments de preuve », « ne permettent pas simplement de surveiller le comportement [de la personne prévenue] » et ne sont pas liés au risque que pose la personne prévenue aux termes du par. 515(10) (Shoker, par. 22). Comme de telles conditions ne relèvent pas des conditions de mise en liberté sous caution énumérées à l’art. 515 et qu’il n’existe pas non plus de régime établi par le Parlement pour les fouilles et perquisitions, elles sont suspectes sur le plan constitutionnel.

[99]                        D’autres conditions peuvent aussi avoir une incidence sur la liberté d’expression ou la liberté d’association de la personne prévenue (voir, p. ex., R. c. Singh, 2011 ONSC 717, [2011] O.J. No. 6389 (QL), par. 41‑47; Manseau, p. 10; Clarke). Il convient d’évaluer rigoureusement de telles conditions restreignant d’autres droits garantis par la Charte pour établir si cette restriction est justifiée et proportionnelle au risque que pose la personne prévenue. Il ne faut jamais oublier qu’en assortissant la mise en liberté sous caution d’une telle condition, l’entité judiciaire criminalise l’exercice par la personne prévenue des droits que lui garantit la Charte à un moment où cette dernière est présumée innocente avant la tenue du procès.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...