Saulis c. R., 2020 NBCA 36
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[10] L’article 2 du Code criminel définit ainsi les lésions corporelles :
bodily harm means any hurt or injury to a person that interferes with the health or comfort of the person and that is more than merely transient or trifling in nature[.] | lésions corporelles Blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance. |
[11] L’interprétation donnée de l’art. 2 du Code criminel dans la jurisprudence relative aux voies de fait ayant causé des lésions corporelles attribue à cette définition des exigences peu élevées. Dans l’arrêt R. c. Bulldog, 2015 ABCA 251, [2015] A.J. No. 813, la Cour d’appel de l’Alberta a écrit :
[TRADUCTION]
Les appelants affirment que la juge du procès a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que les blessures de M. Keepness constituaient des lésions corporelles. Puisant à l’art. 2 du Code criminel, ils font valoir que des « lésions corporelles » supposent : (1) une blessure, (2) qui nuit à la santé ou au bien‑être, (3) et qui n’est pas « passagère ou sans importance » (ce qui signifie, ajoutent‑ils, qu’elle n’est ni de durée très brève ni d’un degré de gravité très faible). L’argument principal, en l’espèce, veut que la durée et le degré de gravité des blessures de M. Keepness aient été insuffisants pour que ces blessures répondent à la définition de lésions corporelles, puisque la juge du procès n’a pas tiré de conclusion sur leur durée et que les blessures étaient d’un très faible degré de gravité. Les appelants soutiennent aussi que les blessures de M. Keepness ne peuvent répondre à la définition sans une conclusion (ou sans une preuve) voulant qu’elles aient nui à sa santé ou à son bien‑être.
La réponse du ministère public à l’argument principal des appelants est que les blessures de M. Keepness (lacérations, coupures, écorchures multiples, enflure de la joue), qui ont causé des saignements à la tête et au cou et ont nécessité un passage à l’hôpital, l’application de sutures cutanées et une injection antitétanique, sont suffisamment graves pour répondre à la définition de lésions corporelles. Le ministère public ajoute que les conclusions de la juge du procès comportaient une dimension implicite de durée (puisque les blessures de M. Keepness avaient subsisté, après l’attaque, au moins jusqu’au traitement à l’hôpital). Aucune réponse directe n’a été donnée à l’argument des appelants relatif à la santé ou au bien‑être, et nous supposons que le ministère public estime que l’atteinte au bien‑être de M. Keepness était à ce point évidente qu’elle n’exigeait pas de la juge du procès une conclusion expresse.
La définition de « lésions corporelles », à l’art. 2, exprime de faibles exigences (R. c. Dorscheid, 1994 ABCA 18, par. 11, [1994] A.J. No. 56 (C.A.)). Il faut plus qu’[TRADUCTION] « une période très courte et [qu’]une blessure d’un degré de gravité très faible amenant une souffrance d’un degré très faible » (R. c. Dixon (1988), 1988 CanLII 2824 (BC CA), 42 C.C.C. (3d) 318, p. 332, [1988] 5 W.W.R. 577, le juge d’appel Esson, tel était alors son titre, motifs concordants). Il n’est pas étonnant, donc, qu’il ait été conclu que des blessures indéniablement légères constituent des « lésions corporelles » : R. c. Rabieifar, [2003] O.J. No. 3833 (QL) (C.A.) (égratignures et écorchures de moins d’un pouce sur le corps de la plaignante, de même que quelques contusions et enflures au visage, à la cuisse et à la main); R. c. Kinde, 2001 BCCA 379, par. 3, [2001] B.C.J. No. 1119 (QL) (petite contusion au mollet droit de la plaignante, déchirure anale légère, déviation de la cloison nasale accompagnée de contusions et d’enflure, blessures dont un médecin avait dit qu’elles étaient toutes [TRADUCTION] « sans gravité et qu’il était permis d’escompter qu’elle[s] disparaîtrai[ent] en quelques jours »); R. c. Moquin, 2010 MBCA 22, par. 32 et 33, 251 Man. R. (2d) 160 (plusieurs contusions ayant duré onze jours, main endolorie et gorge endolorie); Dorscheid (éraflures, lacérations et contusions).
Ces blessures s’apparentent diversement aux blessures qu’a subies M. Keepness. Les appelants font valoir, cependant, que la preuve dont disposait la juge du procès était muette sur leur durée. Le ministère public n’a toutefois pas à appeler des médecins à témoigner des effets non fugaces d’une blessure. Dans Dixon (p. 332), le juge d’appel Esson s’est borné à faire observer ce qui suit : [TRADUCTION] « Il est clair que la victime, après les voies de fait et au moins jusqu’à la fin du traitement médical, doit avoir été privée du sentiment de bien‑être qu’elle pouvait éprouver avant les voies de fait. » Cette observation vaut tout autant en l’espèce. Le ministère public n’avait pas, non plus, à offrir une preuve directe de douleur, ou d’atteinte au bien‑être, obtenue de M. Keepness ou du médecin traitant. Le tribunal qui infère une atteinte au bien-être de considérations aussi évidentes que les blessures de la victime ne s’aventure pas en terrain nouveau. Dans le passage précité de Dixon, le juge d’appel Esson a indiqué ce qui suit (p. 332, l’italique est de nous) : [TRADUCTION] « Il est clair que la victime […] doit avoir été privée du sentiment de bien-être qu’elle pouvait éprouver avant les voies de fait ». De même, notre Cour a constaté, dans Dorscheid (par. 11, l’italique est de nous), que « [d]’importantes contusions compromettent de toute évidence le bien-être ».
Bref, nous ne relevons aucune erreur dans la façon dont la juge du procès a abordé la question des lésions corporelles. M. Keepness a été attaqué et battu par trois codétenus dans une cour d’exercice. Les blessures visibles qu’il présentait constituent nettement des « lésions corporelles ». Elles ont nécessité un traitement à l’hôpital, puis un suivi, et ont dû compromettre de toute évidence son bien-être. Toute autre conclusion de la juge du procès aurait été contraire au sens commun. [par. 42 à 46]
[Le soulignement est de nous.]
[12] Les photos présentées en preuve lors du procès montrent un certain nombre de contusions et d’éraflures. Dans R. c. Dorscheid, 1994 ABCA 18, [1994] A.J. No. 56 (QL), les blessures consistaient en des éraflures, en des lacérations et en des contusions. Dans l’arrêt R. c. Gejdos, 2017 ABCA 227, [2017] A.J. No. 705 (QL), la Cour d’appel a éclairé la définition de lésions corporelles :
[TRADUCTION]
[…] (art. 2). Lésions corporelles s’entend de lésions allant de blessures légères qui disparaissent en relativement peu de temps, mais qui ne sont ni passagères ni sans importance, à des blessures permanentes qui bouleversent une vie et qui, par leur gravité, se rapprochent d’un accident mortel (R. c. Bulldog, 2015 ABCA 251, par. 44, 22 Alta L.R. (6th) 27, 606 A.R. 261). À supposer que des « lésions corporelles » avoisinent le degré inférieur, défini par la blessure « passagère ou sans importance », il se peut qu’une peine discontinue soit encore possible une fois toutes les circonstances aggravantes et atténuantes pesées. Des blessures très importantes, comme celles de l’affaire Dawad, peuvent être un facteur aggravant, mais conclure à un facteur atténuant après avoir évalué l’importance des blessures, ici, était une erreur. Le plaignant a subi des dommages corporels et psychologiques graves et durables qui ont été source de douleurs. [par. 63]
[Le soulignement est de nous.]
[13] Une infraction causant des lésions corporelles provoque des blessures qui peuvent aller, selon leur degré de gravité, de la blessure légère susceptible de disparaître rapidement à la blessure permanente qui met en danger la vie de la victime.
[14] Dans l’arrêt R. c. Rabieifar, [2003] O.J. No. 3833 (QL), la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la conclusion du juge du procès selon laquelle des blessures telles enflures, contusions et égratignures légères au visage, aux mains et à la cuisse de la victime étaient constitutives de lésions corporelles.