R. c. N.L., 2010 QCCQ 629 (CanLII)
[34] Dans une décision rendue le 20 décembre 2004, soit R. c. Cloutier, A-Z. 50286554, J.E. 2005-161, 2004 CanLII 48297 (QC C.Q.), [2005] R.J.Q. 287, mon collègue le juge R. Sansfaçon, J.C.Q., a effectué une étude exhaustive des peines rendues en matière d’agressions sexuelles commises sur des enfants ou des adolescents. Aux paragraphes 76 et 77, il s’exprime de la façon suivante :
[76] Les procureurs ont déposé un nombre imposant de décisions (environ 100) tant de la Cour du Québec, de la Cour supérieure que des cours d’appel. Une revue exhaustive de ces décisions sur la détermination de la peine nous permet de constater que les sentences en sont toutes de détention, certaines avec sursis et qu’elles s’échelonnent de 12 mois à 13 ans. Des sentences de 12 à 20 mois de détention ferme, (16 dossiers) nous retenons qu’elles concernent principalement des cas où il n’y a qu’une seule victime. De plus, dans ces cas les gestes sexuels posés sont les moins graves et/ou ne sont survenus qu’en de rares occasions et/ou sur une courte période de temps. (…) À l’opposé, les sentences de 7 à 13 ans ont été imposées en raison de circonstances particulières de violence, au-delà des gestes sexuels et/ou de la présence d’antécédents judiciaires et évidemment en relation avec des infractions comportant une gravité objective encore plus grave que dans le présent dossier.
[77] Les sentences variant de 2 ans moins 1 jour à 6 ans représentent la plus forte proportion lorsqu’il y a détention réelle, avec une concentration importante de 3 à 4 ans.
[35] Une peine d’emprisonnement avec sursis est totalement inappropriée dans les circonstances pour des infractions commises sur une aussi longue période par un accusé en situation de confiance ou d’autorité à l’égard de victimes adolescentes ou envers un jeune adulte ayant une déficience mentale.
[36] Par conséquent, une peine de détention ferme de plus de 2 ans s’impose dans cette affaire. D’ailleurs, à compter du 1er novembre 2005, le législateur a modifié le Code criminel pour infliger une peine minimale de 45 jours d’incarcération pour des infractions commises en vertu des articles 151 et 153.1(1) du Code criminel et, plus encore, à partir du 1er décembre 2007, a exclu l’emprisonnement avec sursis des peines susceptibles d’être infligées pour ce type d’infraction de nature sexuelle.
[37] Récemment, dans l’arrêt R. c. Dunn, 2009 QCCA 1223 (CanLII), 2009 QCCA 1223, rendu le 17 juin 2009, la Cour d’appel du Québec confirmait la justesse d’une peine de 38 mois d’emprisonnement infligée en première instance par mon collègue le juge D. Bouchard, J.C.Q., pour un accusé qui a, à une seule reprise, agressé sexuellement deux jeunes filles âgées de 11 et 12 ans venues passer la nuit chez lui à l’occasion du 12e anniversaire de naissance de sa fille.
[38] Dans l’arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, p. 128, le juge en chef Lamer énonce que :
Toutefois, il peut survenir des cas où la nécessité de dénoncer est si pressante que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements dans le futur.
[39] La peine constitue un châtiment infligé au délinquant pour sanctionner sa culpabilité morale sans toutefois devenir une vengeance à son égard : R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 500, p. 504-505.
[40] Dans l’arrêt R. c. L. (J.-J.), 1998 CanLII 12722 (QC C.A.), [1998] R.J.Q. 971, la Cour d’appel du Québec souligne clairement l’importance des objectifs de dissuasion et de dénonciation des crimes commis à l’encontre des enfants. Mme la juge Otis, à la p. 979, écrit ce qui suit :
Il est des crimes qui témoignent des valeurs protégées par une collectivité humaine à un moment déterminé de son histoire et qui, à la faveur de l’évolution des sociétés, deviennent finalement périmés. Il en va différemment des crimes d’ordre sexuel commis sur des enfants en bas âge. Même avant que des lois pénales répressives ne sanctionnent ces délits, la protection des enfants constituait l’une des valeurs essentielles et pérennisées par la plupart des sociétés organisées. La fragmentation de la personnalité d’un enfant à l’époque où son organisation naissante ne laisse voir qu’une structure défensive très fragile engendrera – à long terme – la souffrance, la détresse et la perte d’estime de soi. S’il est une intolérance dont une société saine ne doive jamais s’émanciper, c’est bien celle qui concerne les abus sexuels commis sur de jeunes enfants.
[41] Cet énoncé a été réitéré dans l’arrêt R. c. S.H., 2007 QCCA 998 (CanLII), 2007 QCCA 998, où la Cour d’appel du Québec énonçait, au paragr. 21, que « ce passage est tout aussi vrai aujourd’hui qu’à l’époque où il fut rédigé justifiant que l’on accorde une importance particulière aux facteurs aggravants ainsi qu’aux principes de dissuasion et de dénonciation » en matière d’agressions sexuelles commises sur des personnes mineures : voir, au même effet, G.L. c. La Reine, 2005 QCCA 597 (CanLII), 2005 QCCA 597.
[42] En outre, dans G.L. c. La Reine, 2008 QCCA 2401 (CanLII), 2008 QCCA 2401, cette même Cour d’appel, dans un arrêt du 8 décembre 2008 dont les motifs ont été déposés le 12 décembre, rappelait, au paragr. 22 in fine, que les objectifs de dénonciation et de dissuasion demeurent des facteurs d’une importance particulière dans les crimes de cette nature perpétrés contre des enfants.
[43] Par surcroît, dans l’arrêt R. c. R.D., 2008 QCCA 1641 (CanLII), 2008 QCCA 1641, au paragr. 44, la Cour d’appel du Québec fait sien l’énoncé de la Cour d’appel de l’Ontario qui a indiqué, à plusieurs reprises, qu’une peine avec sursis devrait rarement être imposée dans les cas d’agressions sexuelles sur des mineurs lorsque l’agresseur est en position d’autorité et de confiance : (références omises)
[44] Au paragr. 55 de sa décision, la Cour d’appel spécifie également que l’importance du facteur aggravant qu’est la relation d’autorité et de confiance entre la victime et l’accusé est bien notée par l’auteur renommé Clayton Ruby, qui, s’appuyant sur la jurisprudence, affirme que l’abus sexuel par un adulte en relation de confiance avec un enfant milite pour une peine d’au moins quatre ans d’incarcération : voir Clayton C. Ruby, Sentencing, 7e éd., LexixNexis, 2008, §23.315, aux p. 890-891.
[45] Il faut donc accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion parce que le comportement de l’accusé constitue à la fois un mauvais traitement à l’égard de personnes âgées de moins de 18 ans (art. 718.01 et 718.2 a)ii.1) C.cr.) et un abus de confiance ou d’autorité vis-à-vis des victimes (art. 718.2 a)iii) C.cr.), dont l’une souffre de déficience intellectuelle.
[46] Les objectifs de dénonciation, dissuasion individuelle et collective et d’exemplarité doivent primer ici sur la réhabilitation et la réinsertion sociale de l’accusé même si les circonstances atténuantes contribuent à amoindrir quelque peu la peine. Les démarches thérapeutiques entreprises par l’accusé à la suite de son arrestation ne suffisent toutefois pas « à écarter ou atténuer l’importance et la gravité de ses gestes, ni à atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion » compte tenu du nombre de victimes impliquées, de la longue période durant laquelle se sont déroulés les incidents et des dommages provoqués par les conséquences psychologiques à long terme sur leur développement. Sur ce dernier point, l’auteur Ruby, précité, à la p. 204, s’exprime ainsi :
§5.16 Tragic consequences should not distort considerations that would otherwise fix an appropriate sentence. The gravity of the consequences of a crime cannot be ignored. The aftermath of criminality must find appropriate expression in the sentence. This involves an assessment of the harm actually caused by the offence.
Courts and legislators acknowledge the harm actually caused by concluding that in otherwise equal cases a more serious consequence will dictate a more serious response.
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jeudi 11 novembre 2010
dimanche 3 janvier 2010
Exploitation sexuelle d'une adolescente - Position de confiance
R. c. J.M. , 2008 QCCQ 428 (CanLII)
[62] Le tribunal fera son analyse en examinant l'ensemble de la preuve pour savoir si l'accusé est en situation de confiance dans le cadre d'une infraction d'exploitation sexuelle face à sa filleule. L'autorité doit être écartée par le tribunal vu l'ensemble de la preuve qui démontre que la plaignante était à cette époque sous l'autorité de ses propres parents. D'ailleurs, il ressort de la jurisprudence que les termes employés par le législateur à cet article du Code criminel qui traite de l'exploitation sexuelle d'une personne adolescente, l'article 153.(1), doivent être interprétés selon leur sens courant. Ici, rien dans la preuve, je le répète, n'est à l'effet que les parents de la plaignante auraient d'une quelconque façon, tant dans leurs directives que dans les faits, légué au parrain l'autorité nécessaire pour que l'accusé se retrouve dans cette position face à sa nièce et filleule, X.
[63] Donc, comme le consentement ne peut être invoqué comme moyen de défense, face à une telle accusation, vu que la preuve est faite que la plaignante était, en novembre 1995 âgée de moins de 18 ans, vu l'admission de l'accusé quant aux deux relations sexuelles avec la plaignante (geste énuméré à l'article 153.(1) du C.cr.), il reste donc au tribunal à décider si l'accusé était alors en position de confiance à l'égard de sa nièce et filleule et donc si la plaignante était dans une relation de dépendance vis-à-vis de l'accusé.
[64] L'article 153 du Code criminel prévoit l'infraction d'exploitation sexuelle :
153. (1) Commet une infraction toute personne qui est en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis d'un adolescent, à l'égard de laquelle l'adolescent est en situation de dépendance ou qui est dans une relation où elle exploite l'adolescent et qui, selon le cas:
a) à des fins d'ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l'adolescent;
b) à des fins d'ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet.
[65] Dans R. c. Audet, qui demeure l'arrêt clé en la matière, le juge Laforest rappelle l'objectif de cette disposition :
[…]le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en situation de vulnérabilité vis-à-vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles-ci.
[66] Pour établir la commission de l'infraction d'exploitation sexuelle, le ministère public doit démontrer hors de tout doute raisonnable que :
- Le plaignant est un adolescent, c'est-à-dire une personne âgée de quatorze ans au moins, mais de moins de dix-huit ans (article 153 (2) C.cr.);
- L'accusé a posé l'un des gestes énumérés à l'article 153(1) C.cr.;
- L'accusé était alors en position d'autorité ou de confiance à l'égard de l'adolescent, ou encore l'adolescent était dans une relation de dépendance avec l'accusé.
[67] Les premiers et deuxième éléments sont prouvés et admis.
[68] Le ministère public doit démontrer la mens rea requise pour chacun de ces éléments matériels. L'article 150.1 du Code criminel prévoit que le consentement du plaignant ne peut être invoqué comme moyen de défense à cette infraction. Le juge Laforest a d'ailleurs cité avec approbation les propos du juge Woolridge dans l'affaire Hann (no. 2) qui explique cette position:
[traduction] Le texte de l'art. 153 laisse implicitement entendre que, nonobstant le consentement, le désir ou les souhaits de l'adolescent, c'est l'adulte en situation de confiance qui a la responsabilité de refuser d'avoir tout contact sexuel avec cet adolescent.
[69] La notion de situation de confiance, quoique difficile à cerner, a été définie dans l'arrêt Audet de la Cour suprême en d'inspirant des propos du juge Blair dans l'affaire P.S. :
La confiance, nous enseigne Le Grand Robert, est le fait de croire, l'espérance ferme en quelque chose, la foi en quelqu'un et l'assurance qui en découle. En anglais, le mot «trust» peut avoir diverses significations, surtout dans un contexte juridique. Puisque le législateur a utilisé le mot «confiance» dans la version française, je doute que le mot «trust» au par. 153(1) réfère au concept d'equity. Je souscris donc aux réserves exprimées par le juge Blair. «Trust» doit plutôt être interprété suivant son sens premier: [traduction] «[c]onfiance en une qualité ou un attribut d'une personne ou d'une chose, ou en la véracité d'une déclaration». Le mot «confidence» se définit ainsi: [traduction] «[a]ttitude morale de celui qui se fie à quelqu'un ou à quelque chose; espérance ferme, fiabilité, foi».
[70] Dans ce même ordre d'idées, le juge Dudemaine de la Cour du Québec ajoute ce qui suit:
Toutes ces définitions convergent vers un crédit accordé à une personne qui porte quelqu'un à s'en remettre à celle-ci. C'est un lien, en quelque sorte, de fiabilité s'établissant d'un individu à l'égard d'un autre.
Il apparaît évident au Tribunal que le législateur a voulu protéger les jeunes gens contre des adultes qui sont, à leurs yeux, crédibles, méritoires, et qui abusent de ce lien de fiabilité leur étant dévolu par ceux-ci.
[71] Pour analyser objectivement la relation entre l'accusé et l'adolescent, le législateur énumère les éléments qui peuvent être pris en considération par le juge:
153. (1.2) Le juge peut déduire de la nature de la relation entre la personne et l'adolescent et des circonstances qui l'entourent, notamment des éléments ci-après, que celle-ci est dans une relation où elle exploite l'adolescent:
a) l'âge de l'adolescent;
b) la différence d'âge entre la personne et l'adolescent;
c) l'évolution de leur relation;
d) l'emprise ou l'influence de la personne sur l'adolescent.
[72] Préalablement à l'ajout de ce paragraphe à l'article 153 C.cr. la jurisprudence avait établi ainsi les facteurs à considérer pour démontrer l'existence d'une situation de confiance :
[…] all the circumstances of the relationship must be examined to determine the existence of an element of trust, including the status of the appellant, the age difference between the two parties, the evolution of the relationship, and the circumstances under which the alleged offence was committed.
[73] Cette analyse doit nécessairement prendre en compte l'objectif de cette disposition qui est de protéger les adolescents qui peuvent se trouver en situation de vulnérabilité et de faiblesse en raison de la nature de la relation qu'ils peuvent avoir avec certaines personnes.
[74] De plus, le ministère public n'a pas à établir que l'accusé a usé de sa relation d'autorité ou de confiance face à l'adolescent, ou de sa situation de dépendance pour obtenir le consentement de l'adolescent aux fins de commettre l'infraction à l'article 153(1) du Code criminel.
[62] Le tribunal fera son analyse en examinant l'ensemble de la preuve pour savoir si l'accusé est en situation de confiance dans le cadre d'une infraction d'exploitation sexuelle face à sa filleule. L'autorité doit être écartée par le tribunal vu l'ensemble de la preuve qui démontre que la plaignante était à cette époque sous l'autorité de ses propres parents. D'ailleurs, il ressort de la jurisprudence que les termes employés par le législateur à cet article du Code criminel qui traite de l'exploitation sexuelle d'une personne adolescente, l'article 153.(1), doivent être interprétés selon leur sens courant. Ici, rien dans la preuve, je le répète, n'est à l'effet que les parents de la plaignante auraient d'une quelconque façon, tant dans leurs directives que dans les faits, légué au parrain l'autorité nécessaire pour que l'accusé se retrouve dans cette position face à sa nièce et filleule, X.
[63] Donc, comme le consentement ne peut être invoqué comme moyen de défense, face à une telle accusation, vu que la preuve est faite que la plaignante était, en novembre 1995 âgée de moins de 18 ans, vu l'admission de l'accusé quant aux deux relations sexuelles avec la plaignante (geste énuméré à l'article 153.(1) du C.cr.), il reste donc au tribunal à décider si l'accusé était alors en position de confiance à l'égard de sa nièce et filleule et donc si la plaignante était dans une relation de dépendance vis-à-vis de l'accusé.
[64] L'article 153 du Code criminel prévoit l'infraction d'exploitation sexuelle :
153. (1) Commet une infraction toute personne qui est en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis d'un adolescent, à l'égard de laquelle l'adolescent est en situation de dépendance ou qui est dans une relation où elle exploite l'adolescent et qui, selon le cas:
a) à des fins d'ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l'adolescent;
b) à des fins d'ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet.
[65] Dans R. c. Audet, qui demeure l'arrêt clé en la matière, le juge Laforest rappelle l'objectif de cette disposition :
[…]le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en situation de vulnérabilité vis-à-vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles-ci.
[66] Pour établir la commission de l'infraction d'exploitation sexuelle, le ministère public doit démontrer hors de tout doute raisonnable que :
- Le plaignant est un adolescent, c'est-à-dire une personne âgée de quatorze ans au moins, mais de moins de dix-huit ans (article 153 (2) C.cr.);
- L'accusé a posé l'un des gestes énumérés à l'article 153(1) C.cr.;
- L'accusé était alors en position d'autorité ou de confiance à l'égard de l'adolescent, ou encore l'adolescent était dans une relation de dépendance avec l'accusé.
[67] Les premiers et deuxième éléments sont prouvés et admis.
[68] Le ministère public doit démontrer la mens rea requise pour chacun de ces éléments matériels. L'article 150.1 du Code criminel prévoit que le consentement du plaignant ne peut être invoqué comme moyen de défense à cette infraction. Le juge Laforest a d'ailleurs cité avec approbation les propos du juge Woolridge dans l'affaire Hann (no. 2) qui explique cette position:
[traduction] Le texte de l'art. 153 laisse implicitement entendre que, nonobstant le consentement, le désir ou les souhaits de l'adolescent, c'est l'adulte en situation de confiance qui a la responsabilité de refuser d'avoir tout contact sexuel avec cet adolescent.
[69] La notion de situation de confiance, quoique difficile à cerner, a été définie dans l'arrêt Audet de la Cour suprême en d'inspirant des propos du juge Blair dans l'affaire P.S. :
La confiance, nous enseigne Le Grand Robert, est le fait de croire, l'espérance ferme en quelque chose, la foi en quelqu'un et l'assurance qui en découle. En anglais, le mot «trust» peut avoir diverses significations, surtout dans un contexte juridique. Puisque le législateur a utilisé le mot «confiance» dans la version française, je doute que le mot «trust» au par. 153(1) réfère au concept d'equity. Je souscris donc aux réserves exprimées par le juge Blair. «Trust» doit plutôt être interprété suivant son sens premier: [traduction] «[c]onfiance en une qualité ou un attribut d'une personne ou d'une chose, ou en la véracité d'une déclaration». Le mot «confidence» se définit ainsi: [traduction] «[a]ttitude morale de celui qui se fie à quelqu'un ou à quelque chose; espérance ferme, fiabilité, foi».
[70] Dans ce même ordre d'idées, le juge Dudemaine de la Cour du Québec ajoute ce qui suit:
Toutes ces définitions convergent vers un crédit accordé à une personne qui porte quelqu'un à s'en remettre à celle-ci. C'est un lien, en quelque sorte, de fiabilité s'établissant d'un individu à l'égard d'un autre.
Il apparaît évident au Tribunal que le législateur a voulu protéger les jeunes gens contre des adultes qui sont, à leurs yeux, crédibles, méritoires, et qui abusent de ce lien de fiabilité leur étant dévolu par ceux-ci.
[71] Pour analyser objectivement la relation entre l'accusé et l'adolescent, le législateur énumère les éléments qui peuvent être pris en considération par le juge:
153. (1.2) Le juge peut déduire de la nature de la relation entre la personne et l'adolescent et des circonstances qui l'entourent, notamment des éléments ci-après, que celle-ci est dans une relation où elle exploite l'adolescent:
a) l'âge de l'adolescent;
b) la différence d'âge entre la personne et l'adolescent;
c) l'évolution de leur relation;
d) l'emprise ou l'influence de la personne sur l'adolescent.
[72] Préalablement à l'ajout de ce paragraphe à l'article 153 C.cr. la jurisprudence avait établi ainsi les facteurs à considérer pour démontrer l'existence d'une situation de confiance :
[…] all the circumstances of the relationship must be examined to determine the existence of an element of trust, including the status of the appellant, the age difference between the two parties, the evolution of the relationship, and the circumstances under which the alleged offence was committed.
[73] Cette analyse doit nécessairement prendre en compte l'objectif de cette disposition qui est de protéger les adolescents qui peuvent se trouver en situation de vulnérabilité et de faiblesse en raison de la nature de la relation qu'ils peuvent avoir avec certaines personnes.
[74] De plus, le ministère public n'a pas à établir que l'accusé a usé de sa relation d'autorité ou de confiance face à l'adolescent, ou de sa situation de dépendance pour obtenir le consentement de l'adolescent aux fins de commettre l'infraction à l'article 153(1) du Code criminel.
dimanche 20 septembre 2009
La situation d'autorité de l'accusé à l'égard de la plaignante
R. c. Pavanello, 1999 IIJCan 10368 (QC C.Q.)
R. c. Pavanello, 1999 CanLII 5125 (QC C.Q.)
16 Le juge Laforest de la Cour Suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Audet 1 fait une analyse sur le sens à donner aux expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance» que l'on retrouve à l'article 153 du Code criminel; le juge Laforest mentionne:
De toute évidence, le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en situation de vulnérabilité vis-à-vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles-ci. Cette constatation saute auxyeux et il ne serait ni utile ni nécessaire, pour les fins du présent pourvoi, d'examiner plus en détail l'étendue et l'ampleur du volet social du problème. p. 183
17 Un peu plus loin dans le jugement le juge Laforest, en référant aux propos du juge Proulx de la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. c. Léon 2, ajoute:
Je suis entièrement d'accord avec le juge Proulx que la portée de l'expression ne doit pas être limitée aux cas où la relation d'autorité découle d'une quelconque fonction exercée par l'accusé, mais qu'elle doit s'étendre à toute relation à l'occasion de laquelle, dans les faits, l'accusé exerce untel pouvoir. Comme le démontrent ces définitions, le sens ordinaire du mot «autorité» ou «authority» ne permet pas une interprétation si restrictive. De plus, les remarques du juge Proulx sont tout à fait appropriées lorsqu'on tient compte de l'intention exprimée par le législateur qui, en refusantd'énumérer spécifiquement au par. 153(1) les cas dans lesquels une personne devait s'abstenir d'avoir tout contact sexuel avec un adolescent, a voulu faire porter l'analyse sur la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé plutôt que sur leur statut l'un par rapport à l'autre. P. 194
18 Finalement, le juge Laforest mentionne:
Il reviendra au juge du procès de déterminer, en analysant toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation prévalant entre l'adolescent et l'accusé, si l'accusé se trouvait en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis l'adolescent ou encore si l'adolescent était en situation dedépendance face à l'accusé au moment de l'infraction qu'on lui reproche. (...) Il serait inopportun de tenter d'énumérer de façon exhaustive les éléments dont devra tenir compte le juge de faits. Certes, la différence d'âge entre l'accusé et l'adolescent, l'évolution de leur relation et, surtout, le statut de l'unpar rapport à l'autre seront pertinents dans bien des cas. p. 195
19 Il est évident que l'accusé n'occupait pas seulement ses fonctions habituelles de projectionniste le soir des événements; à la demande de la gérante, il devait fermer le cinéma; d'ailleurs, cette dernière, même si elle ne se souvient pas des termes exacts qu'elle a employés pour faire cette annonce autant àl'accusé qu'à la plaignante, mentionne dans son témoignage qu'elle s'était dit que s'il y avait des problèmes, les employés allaient référer à l'accusé et que ce dernier saurait y répondre..
20 Dans les faits, l'accusé avait des responsabilités accrues ce soir-là; il était, après le départ de la gérante, la seule personne adulte, en plus d'être la personne la plus expérimentée, ce qui avait d'ailleurs incité la gérante à le choisir pour procéder à la fermeture.
21 De plus, la preuve révèle que l'accusé s'est comporté à l'égard de la plaignante en situation d'autorité et ce en lui donnant des directives et des tâches à accomplir, concernant entre autres les comptoirs à préparer et la caisse à comptabiliser.
R. c. Pavanello, 1999 CanLII 5125 (QC C.Q.)
16 Le juge Laforest de la Cour Suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Audet 1 fait une analyse sur le sens à donner aux expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance» que l'on retrouve à l'article 153 du Code criminel; le juge Laforest mentionne:
De toute évidence, le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en situation de vulnérabilité vis-à-vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles-ci. Cette constatation saute auxyeux et il ne serait ni utile ni nécessaire, pour les fins du présent pourvoi, d'examiner plus en détail l'étendue et l'ampleur du volet social du problème. p. 183
17 Un peu plus loin dans le jugement le juge Laforest, en référant aux propos du juge Proulx de la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. c. Léon 2, ajoute:
Je suis entièrement d'accord avec le juge Proulx que la portée de l'expression ne doit pas être limitée aux cas où la relation d'autorité découle d'une quelconque fonction exercée par l'accusé, mais qu'elle doit s'étendre à toute relation à l'occasion de laquelle, dans les faits, l'accusé exerce untel pouvoir. Comme le démontrent ces définitions, le sens ordinaire du mot «autorité» ou «authority» ne permet pas une interprétation si restrictive. De plus, les remarques du juge Proulx sont tout à fait appropriées lorsqu'on tient compte de l'intention exprimée par le législateur qui, en refusantd'énumérer spécifiquement au par. 153(1) les cas dans lesquels une personne devait s'abstenir d'avoir tout contact sexuel avec un adolescent, a voulu faire porter l'analyse sur la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé plutôt que sur leur statut l'un par rapport à l'autre. P. 194
18 Finalement, le juge Laforest mentionne:
Il reviendra au juge du procès de déterminer, en analysant toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation prévalant entre l'adolescent et l'accusé, si l'accusé se trouvait en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis l'adolescent ou encore si l'adolescent était en situation dedépendance face à l'accusé au moment de l'infraction qu'on lui reproche. (...) Il serait inopportun de tenter d'énumérer de façon exhaustive les éléments dont devra tenir compte le juge de faits. Certes, la différence d'âge entre l'accusé et l'adolescent, l'évolution de leur relation et, surtout, le statut de l'unpar rapport à l'autre seront pertinents dans bien des cas. p. 195
19 Il est évident que l'accusé n'occupait pas seulement ses fonctions habituelles de projectionniste le soir des événements; à la demande de la gérante, il devait fermer le cinéma; d'ailleurs, cette dernière, même si elle ne se souvient pas des termes exacts qu'elle a employés pour faire cette annonce autant àl'accusé qu'à la plaignante, mentionne dans son témoignage qu'elle s'était dit que s'il y avait des problèmes, les employés allaient référer à l'accusé et que ce dernier saurait y répondre..
20 Dans les faits, l'accusé avait des responsabilités accrues ce soir-là; il était, après le départ de la gérante, la seule personne adulte, en plus d'être la personne la plus expérimentée, ce qui avait d'ailleurs incité la gérante à le choisir pour procéder à la fermeture.
21 De plus, la preuve révèle que l'accusé s'est comporté à l'égard de la plaignante en situation d'autorité et ce en lui donnant des directives et des tâches à accomplir, concernant entre autres les comptoirs à préparer et la caisse à comptabiliser.
Être en "situation d'autorité" ne signifie pas nécessairement l'exercice d'un droit légal sur l'adolescent
R. c. Viger, 1992 CanLII 3891 (QC C.A.)
À mon avis, le sort du deuxième moyen de l'appelant est scellé par la décision récente de notre Cour dans l'affaire Auguste Léon (C.A.M., 500-10-000093-904, le 3 janvier 1992.)
Écrivant au nom de la Cour, le juge Proulx s'exprime ainsi (à la p. 4):
Cet article 153(1)a) C.cr. tire son origine d'une des recommandations du rapport du comité Badgley déposé en 1984 dont le mandat visait l'étude des infractions sexuelles à l'égard des enfants et des adolescents. Se reflète ici l'intention du législateur de réprimer l'exploitation sexuelle de l'adolescent par des personnes qui jouissent précisément d'une situation de confiance ou d'autorité à l'égard de l'adolescent ou à l'égard desquelles l'adolescent est en situation de dépendance.
Et plus loin (aux pp. 6-7):
Dans son sens premier, la notion d'autorité découle de la fonction qu'exerce l'adulte en rapport avec l'adolescent mais on conviendra que, dans le contexte de cette disposition législative, être en "situation d'autorité" ne signifie pas nécessairement l'exercice d'un droit légal sur l'adolescent mais tout autant un pouvoir licite ou illicite de commander que l'adulte peut acquérir dans les faits.
Dans le cas sous étude, l'appelant, alors âgé de 52 ans, était professeur à l'école secondaire fréquentée par la plaignante, laquelle n'avait à l'époque que 16 ans. L'appelant a même enseigné à la plaignante en secondaire III. De plus, il ressort de la preuve que la plaignante le consultait fréquemment concernant ses "problèmes à la maison" et que l'appelant la conseillait dans son bureau à l'école (m.a., p. 23).
À mon avis, le sort du deuxième moyen de l'appelant est scellé par la décision récente de notre Cour dans l'affaire Auguste Léon (C.A.M., 500-10-000093-904, le 3 janvier 1992.)
Écrivant au nom de la Cour, le juge Proulx s'exprime ainsi (à la p. 4):
Cet article 153(1)a) C.cr. tire son origine d'une des recommandations du rapport du comité Badgley déposé en 1984 dont le mandat visait l'étude des infractions sexuelles à l'égard des enfants et des adolescents. Se reflète ici l'intention du législateur de réprimer l'exploitation sexuelle de l'adolescent par des personnes qui jouissent précisément d'une situation de confiance ou d'autorité à l'égard de l'adolescent ou à l'égard desquelles l'adolescent est en situation de dépendance.
Et plus loin (aux pp. 6-7):
Dans son sens premier, la notion d'autorité découle de la fonction qu'exerce l'adulte en rapport avec l'adolescent mais on conviendra que, dans le contexte de cette disposition législative, être en "situation d'autorité" ne signifie pas nécessairement l'exercice d'un droit légal sur l'adolescent mais tout autant un pouvoir licite ou illicite de commander que l'adulte peut acquérir dans les faits.
Dans le cas sous étude, l'appelant, alors âgé de 52 ans, était professeur à l'école secondaire fréquentée par la plaignante, laquelle n'avait à l'époque que 16 ans. L'appelant a même enseigné à la plaignante en secondaire III. De plus, il ressort de la preuve que la plaignante le consultait fréquemment concernant ses "problèmes à la maison" et que l'appelant la conseillait dans son bureau à l'école (m.a., p. 23).
mardi 15 septembre 2009
Sens des expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance»
R. c. Audet, 1996 CanLII 198 (C.S.C.)
Le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en position de vulnérabilité vis‑à‑vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles‑ci. Pour obtenir une condamnation fondée sur cette disposition, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que le plaignant est un adolescent au sens du par. 153(2), que l'accusé s'est livré à l'une des activités énumérées au par. 153(1) et, enfin, que ce dernier était, lors de l'accomplissement des actes en question, en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de l'adolescent, ou encore que ce dernier était alors en situation de dépendance par rapport à l'accusé.
Le ministère public doit aussi établir l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction. Il n'a toutefois pas à prouver que l'accusé a effectivement exploité la situation privilégiée dans laquelle il se trouvait par rapport à l'adolescent. Pour atteindre son objectif, le législateur a choisi, en adoptant le par. 153(1), de criminaliser l'activité sexuelle elle‑même, qu'elle soit consensuelle ou non (par. 150.1(1) du Code), dans la mesure où y participe une personne se trouvant, vis‑à‑vis de l'adolescent, dans l'une des situations énumérées. En l'espèce, il ressort clairement des motifs du juge du procès qu'il a tenu pour acquis que le ministère public devait prouver que l'accusé avait abusé ou tiré profit de sa situation particulière par rapport à l'adolescente. Le juge du procès et, incidemment, la Cour d'appel ont donc commis une erreur de droit en évaluant incorrectement la nature des éléments constitutifs de l'infraction prévue au par. 153(1).
Les mots «autorité» et «confiance» utilisés au par. 153(1) doivent être interprétés selon leur sens courant et l'expression «situation d'autorité» ne doit pas être limitée aux cas où la relation d'autorité découle d'une quelconque fonction exercée par l'accusé, mais elle doit s'étendre à toute relation dans le cadre de laquelle l'accusé exerce en fait un tel pouvoir. En refusant d'énumérer spécifiquement au par. 153(1) les cas où une personne devait éviter tout contact sexuel avec un adolescent, le législateur a voulu faire porter l'analyse sur la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé plutôt que sur leur statut l'un par rapport à l'autre. La définition de la portée des expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance», tout comme la détermination dans chaque cas de la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé, doit se faire en fonction du but et de l'objectif poursuivi par le législateur.
Il reviendra au juge du procès de tenir compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation existant entre les deux, pour déterminer si l'accusé se trouvait en situation d'autorité ou de confiance par rapport à l'adolescent ou encore si ce dernier était en situation de dépendance par rapport à l'accusé au moment de l'infraction. Bien qu'un professeur ne soit pas de jure en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de ses élèves, il le sera en fait dans la très grande majorité des cas vu l'importance du rôle que lui confie la société. En l'absence d'une preuve qui soulève dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable sur l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité, conclure qu'un professeur n'est pas dans une telle situation vis‑à‑vis de ses élèves constituerait une erreur de droit. Cette approche, qui impose à l'accusé une charge de présentation, n'enfreint pas la présomption d'innocence puisqu'en l'absence d'une telle preuve le fait inconnu (l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité) découle inexorablement du fait établi (la qualité de professeur de l'accusé vis‑à‑vis du plaignant, son élève). Dans de telles circonstances, il n'existe aucune possibilité que l'accusé puisse être condamné malgré l'existence d'un doute raisonnable.
Finalement, une telle approche n'a pas pour effet de transformer le crime d'exploitation sexuelle en infraction de responsabilité absolue. Le ministère public n'est pas relevé de son obligation d'établir hors de tout doute raisonnable l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction, qui en est d'ailleurs une d'intention spécifique.
En l'espèce, il n'existe aucune circonstance pertinente à la qualification de la nature de la relation entre l'accusé et l'adolescente qui soit susceptible de soulever un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la situation de confiance dans laquelle l'accusé se trouvait vis‑à‑vis de l'adolescente. Même si l'incident a eu lieu lors des vacances d'été, ces vacances venaient de débuter et les circonstances indiquent que l'accusé allait de nouveau enseigner à l'adolescente. Il était donc tout au moins en situation de confiance vis‑à‑vis de celle‑ci. Notre Cour est donc justifiée d'exercer le pouvoir que lui confère le par. 686(4) du Code criminel de casser le verdict d'acquittement prononcé par le juge du procès et d'y substituer un verdict de culpabilité puisque n'eût été l'erreur de droit commise par ce dernier, il est évident que l'accusé aurait été déclaré coupable. Le juge du procès a d'ailleurs tiré toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité.
Le législateur a adopté l'art. 153 du Code criminel dans le but de protéger les adolescents se trouvant en position de vulnérabilité vis‑à‑vis de certaines personnes en raison d'un déséquilibre inhérent à la nature de la relation qu'ils vivent avec celles‑ci. Pour obtenir une condamnation fondée sur cette disposition, le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable que le plaignant est un adolescent au sens du par. 153(2), que l'accusé s'est livré à l'une des activités énumérées au par. 153(1) et, enfin, que ce dernier était, lors de l'accomplissement des actes en question, en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de l'adolescent, ou encore que ce dernier était alors en situation de dépendance par rapport à l'accusé.
Le ministère public doit aussi établir l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction. Il n'a toutefois pas à prouver que l'accusé a effectivement exploité la situation privilégiée dans laquelle il se trouvait par rapport à l'adolescent. Pour atteindre son objectif, le législateur a choisi, en adoptant le par. 153(1), de criminaliser l'activité sexuelle elle‑même, qu'elle soit consensuelle ou non (par. 150.1(1) du Code), dans la mesure où y participe une personne se trouvant, vis‑à‑vis de l'adolescent, dans l'une des situations énumérées. En l'espèce, il ressort clairement des motifs du juge du procès qu'il a tenu pour acquis que le ministère public devait prouver que l'accusé avait abusé ou tiré profit de sa situation particulière par rapport à l'adolescente. Le juge du procès et, incidemment, la Cour d'appel ont donc commis une erreur de droit en évaluant incorrectement la nature des éléments constitutifs de l'infraction prévue au par. 153(1).
Les mots «autorité» et «confiance» utilisés au par. 153(1) doivent être interprétés selon leur sens courant et l'expression «situation d'autorité» ne doit pas être limitée aux cas où la relation d'autorité découle d'une quelconque fonction exercée par l'accusé, mais elle doit s'étendre à toute relation dans le cadre de laquelle l'accusé exerce en fait un tel pouvoir. En refusant d'énumérer spécifiquement au par. 153(1) les cas où une personne devait éviter tout contact sexuel avec un adolescent, le législateur a voulu faire porter l'analyse sur la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé plutôt que sur leur statut l'un par rapport à l'autre. La définition de la portée des expressions «situation d'autorité» et «situation de confiance», tout comme la détermination dans chaque cas de la nature de la relation entre l'adolescent et l'accusé, doit se faire en fonction du but et de l'objectif poursuivi par le législateur.
Il reviendra au juge du procès de tenir compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes à la qualification de la relation existant entre les deux, pour déterminer si l'accusé se trouvait en situation d'autorité ou de confiance par rapport à l'adolescent ou encore si ce dernier était en situation de dépendance par rapport à l'accusé au moment de l'infraction. Bien qu'un professeur ne soit pas de jure en situation d'autorité ou de confiance vis‑à‑vis de ses élèves, il le sera en fait dans la très grande majorité des cas vu l'importance du rôle que lui confie la société. En l'absence d'une preuve qui soulève dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable sur l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité, conclure qu'un professeur n'est pas dans une telle situation vis‑à‑vis de ses élèves constituerait une erreur de droit. Cette approche, qui impose à l'accusé une charge de présentation, n'enfreint pas la présomption d'innocence puisqu'en l'absence d'une telle preuve le fait inconnu (l'existence d'une situation de confiance ou d'autorité) découle inexorablement du fait établi (la qualité de professeur de l'accusé vis‑à‑vis du plaignant, son élève). Dans de telles circonstances, il n'existe aucune possibilité que l'accusé puisse être condamné malgré l'existence d'un doute raisonnable.
Finalement, une telle approche n'a pas pour effet de transformer le crime d'exploitation sexuelle en infraction de responsabilité absolue. Le ministère public n'est pas relevé de son obligation d'établir hors de tout doute raisonnable l'existence de la mens rea nécessaire à l'égard de chacun des éléments de l'infraction, qui en est d'ailleurs une d'intention spécifique.
En l'espèce, il n'existe aucune circonstance pertinente à la qualification de la nature de la relation entre l'accusé et l'adolescente qui soit susceptible de soulever un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à la situation de confiance dans laquelle l'accusé se trouvait vis‑à‑vis de l'adolescente. Même si l'incident a eu lieu lors des vacances d'été, ces vacances venaient de débuter et les circonstances indiquent que l'accusé allait de nouveau enseigner à l'adolescente. Il était donc tout au moins en situation de confiance vis‑à‑vis de celle‑ci. Notre Cour est donc justifiée d'exercer le pouvoir que lui confère le par. 686(4) du Code criminel de casser le verdict d'acquittement prononcé par le juge du procès et d'y substituer un verdict de culpabilité puisque n'eût été l'erreur de droit commise par ce dernier, il est évident que l'accusé aurait été déclaré coupable. Le juge du procès a d'ailleurs tiré toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité.
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