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vendredi 10 janvier 2025

Dans quelles circonstances un « crédit Duncan » peut-il être accordé?

R. v. Kumi, 2025 ONCA 3

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[14]      As held in R. v. Marshall2021 ONCA 344, at paras. 51-53, a Summers credit and a Duncan credit are analytically distinct. A person convicted of an offence is generally given enhanced credit for time spent in custody awaiting trial, based on the principles set out in R. v. Summers2014 SCC 26, [2014] 1 S.C.R. 575. A Summers credit results in a straightforward deduction in the time left to serve in a sentence, statutorily capped at a maximum ratio of 1.5:1 days’ credit for every day in pre-sentence custody. As recognized in R. v. Duncan2016 ONCA 754, a sentencing judge may also take harsh presentence custody conditions into consideration when determining an appropriate sentence. A Duncan credit does not generally result in a mathematical deduction of time left to serve in a sentence, however. It is instead a mitigating factor taken into account, along with other mitigating and aggravating factors, in determining an appropriate sentence.

Ce que sont les crédits « Duncan » & « Summers »

Gauthier c. R., 2023 QCCA 1283

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[164]   Le poursuivant soutient que l’article 719 C.cr. n’autorise pas le juge à dépasser le plafond prévu dans cette disposition, car l’intention législative clairement exprimée au paragraphe 719(3.1) C.cr. est de limiter le crédit majoré à un ratio de 1,5 : 1. Au soutien de sa position, le poursuivant invoque l’arrêt Summers rendu par la Cour suprême :

[52]      Le législateur a clairement voulu restreindre le temps alloué pour la détention présentencielle, comme l’atteste l’établissement du maximum d’un jour et demi de crédit pour chaque jour de détention. […]

[…]

[57]      Il semble plus vraisemblable que le législateur ait eu l’intention de faire ce qu’il a fait explicitement. Les modifications établissent clairement un ratio maximum, à savoir un jour et demi contre un. […][79]

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]

[165]   Avant de m’attaquer à la question en litige, je souhaite insister sur l’importance de ne pas confondre les facteurs pertinents à la détermination de la peine avec les circonstances qui permettent l’application d’un crédit pour fixer la durée effective de la peine à infliger.

[166]   Dans le premier cas, il s’agit de facteurs retenus par le juge de la peine tirés des principes directeurs énoncés dans le Code criminelDans le cadre de la détermination de la peine, le juge peut aussi tenir compte de tous autres facteurs pertinents, comme lorsque le délinquant a subi des conditions de détention particulièrement difficiles en raison de sa condition personnelle ou par suite de conditions exceptionnelles vécues durant sa réclusion. À ce stade, l’exercice relève toujours de la détermination de la peine où plusieurs facteurs (aggravants, atténuants et pertinents) sont mis en balance pour en arriver à une peine qui, de l’avis d’un juge, est juste, appropriée et indiquée.

[167]   La Cour d’appel de l’Ontario a déjà fait écho à certains facteurs pertinents dans l’arrêt Duncan[80], qu’une certaine jurisprudence a par la suite qualifié de « crédit Duncan »[81].

[168]   Dans le second cas, le juge est cette fois appelé, dans le cadre d’un exercice discrétionnaire, à prendre en compte le temps passé sous garde pour fixer la durée véritable et effective de la peine. On décrit souvent cette opération comme étant la soustraction d’un « crédit » pour le temps passé sous garde par suite de l’infraction. À ce stade, il s’agit de la déduction d’une période faite à partir de la peine juste et appropriée que le juge a préalablement déterminée. Cette déduction, aussi appelée « crédit Summers »[82], est plafonnée par le législateur à un ratio de 1 : 1,5 jour.

[169]   Cette distinction étant faite, je suis évidemment d’accord pour dire que, parmi les facteurs retenus dans le but de déterminer une peine juste et indiquée, il est loisible au juge de la peine de considérer des facteurs pertinents qui ne se sont pas expressément mentionnés parmi les principes directeurs énumérés dans le Code criminel[83].

[170]   Je suis toutefois en désaccord avec l’idée d’accorder une valeur chiffrée à des facteurs pertinents pour ensuite se livrer à un exercice mathématique de soustraction et d’addition dans le but de déterminer une peine juste et indiquée[84].

[171]   D’ailleurs, subséquemment à l’arrêt Duncan, la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Marshall apporte d’importantes nuances sur la portée même du concept de « crédit Duncan » :

[52]      The “Duncan” credit is not a deduction from the otherwise appropriate sentence, but is one of the factors to be taken into account in determining the appropriate sentence. Particularly punitive pretrial incarceration conditions can be a mitigating factor to be taken into account with the other mitigating and aggravating factors in arriving at the appropriate sentence from which the “Summers” credit will be deducted. Because the “Duncan” credit is one of the mitigating factors to be taken into account, it cannot justify the imposition of a sentence which is inappropriate, having regard to all of the relevant mitigating or aggravating factors.

[53]      Often times, a specific number of days or months are given as “Duncan” credit. While this quantification is not necessarily inappropriate, it may skew the calculation of the ultimate sentenceBy quantifying the “Duncan” credit, only one of presumably several relevant factors, there is a risk the “Duncan” credit will be improperly treated as a deduction from the appropriate sentence in the same way as the “Summers” creditIf treated in that way, the “Duncan” credit can take on an unwarranted significance in fixing the ultimate sentence imposed. Arguably, that is what happened in this case, where on the trial judge’s calculations, the “Duncan” credit devoured three-quarters of what the trial judge had deemed to be the appropriate sentence but for pretrial custody.[85]

[Renvoi omis; soulignements ajoutés]

[172]   Pour les raisons exprimées dans cet arrêt, je ne suis pas enclin à utiliser l’expression « crédit Duncan ». De plus, quantifier tous les facteurs atténuants, aggravants et pertinents, à l’instar d’un exercice comptable où l’on soustrait le passif de l’actif, me paraît contraire[86] à l’esprit même du processus de détermination et d’élaboration d’une peine juste, appropriée et indiquée[87].

[173]   L’arrêt Marshall précise bien que le « crédit Duncan » est « one of the factors to be taken into account in determining the appropriate sentence »[88]. Au stade de la détermination d’une peine juste et indiquée, j’estime préférable de tout simplement inclure ce facteur parmi les facteurs pertinents, sans autrement le qualifier[89]. L’expression « facteurs pertinents » est d’ailleurs reprise par notre Cour dans l’arrêt Émond :

[41]      Il importe d’insister sur cette distinction entre les facteurs aggravants et atténuants au sens strict par rapport au principe de proportionnalité et la vaste étendue des autres considérations et facteurs pertinents au résultat final d’une peine indiquée. Le respect du principe fondamental de la proportionnalité de la peine est essentiel à toute peine et une erreur à cet égard justifiera plus aisément l’intervention en appel puisqu’il s’agit alors d’une erreur de principe. Les facteurs extrinsèques à l’évaluation de la proportionnalité entrent inévitablement dans la discrétion du juge qui impose la peine, car leur pertinence et pondération les prêtent moins à une évaluation objective. L’appréciation de ces facteurs dans la détermination d’une peine indiquée relève de la discrétion du juge qui impose la peine et mérite la déférence des cours d’appel à moins que la peine infligée ne soit manifestement non indiquée.[90]

[Soulignement ajouté]

[174]   En l’espèce, les motifs du juge font clairement voir que le crédit Covid intervient après avoir soupesé les facteurs atténuants et aggravants qui ont servi à déterminer la peine à neuf ans d’emprisonnement. En somme, le « crédit Covid supplémentaire » consenti par le juge n’intervient qu’au stade de l’infliction de la peine (à l’instar du « crédit Summers ») et non à l’étape de sa détermination (à l’instar d’un crédit dit « Duncan »).

[175]   La possibilité d’une erreur dans l’appréciation d’un facteur pertinent lié aux conditions sanitaires prévalant lors de la détention provisoire de l’intimé ne se pose donc pas à l’égard de la justesse de la peine totale de neuf ans.

[176]   De toute façon, le juge ne s’est pas vu présenter une preuve directe, individualisée et propre à l’intimé en ce qui a trait à « both the conditions of the presentence incarceration and the impact of those conditions on the accused »[91]. D’ailleurs, le juge reconnaît lui-même que « [l]e Tribunal ne connaît pas l’impact précis sur l’accusé des mesures prises par les autorités carcérales relativement à la Covid »[92].

[177]   Ce qui m’amène à la seule véritable question en litige, soit celle de décider si le juge pouvait pour quelques raisons dépasser le plafond législatif prévu au paragraphe 719(3.1) C.crÀ cette question, je réponds par la négative.

[178]   La Cour suprême décrit en ces termes la démarche analytique applicable aux paragraphes 719(3) et (3.1) C.cr. :

[70]      Pour calculer le crédit que justifie la détention présentencielle, le tribunal peut allouer au plus un jour et demi par jour passé sous garde si les circonstances le justifientLa loi établit désormais un maximum, mais la démarche analytique de la Cour dans Wust demeure par ailleurs valable. Le tribunal doit continuer d’accorder un crédit du point de vue quantitatif afin de refléter la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération anticipée et à la libération conditionnelle pendant la détention présentencielle, ainsi que du point de vue qualitatif afin de compenser la dureté relative des conditions de détention.

[71]      À elle seule, la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération anticipée suffit habituellement à justifier l’octroi d’un crédit à raison d’un jour et demi contre un, même lorsque les conditions de détention n’ont pas été spécialement dures et que la libération conditionnelle est peu probable. Certes, un ratio inférieur peut être indiqué lorsque la détention résulte de l’inconduite du délinquant, ou qu’il est peu probable que ce dernier soit libéré avant terme ou conditionnellement. Lorsque les exceptions prévues au par. 719(3.1) écartent son application, le ratio ne peut être que d’un jour contre un. De plus, l’art. 719 n’entre en jeu que dans le cas où la détention présentencielle résulte de l’infraction pour laquelle le délinquant est condamné à une peine.[93]

[Soulignements ajoutés]

[179]   Ces enseignements ne prévoient pas la possibilité d’étendre la discrétion du juge au-delà de ce que le législateur a prévu au paragraphe 719(3) C.cr.

[180]   Le crédit mentionné dans cette disposition n’est pas autre chose qu’un exercice de déduction effectué a posteriori, c’est-à-dire après la détermination de la peine. Plus précisément, il consiste en une période retranchée de la peine juste et indiquée. Le temps passé en détention provisoire est donc réputé faire partie de la peine infligée après la déclaration de culpabilité.

[181]   En l’espèce, le juge n’avait pas le pouvoir de consentir un crédit se situant au-delà de ce que la loi prévoit déjà, c’est-à-dire un crédit qui ne peut dépasser un jour et demi pour chaque jour passé sous garde.

[182]   Le juge a donc commis une erreur de principe en outrepassant les dictats de l’article 719 C.cr. Cette erreur a eu une incidence sur la peine au point de la réduire indûment de 195,5 jours. La Cour est donc autorisée à intervenir de façon circonscrite[94], comme le demande le poursuivant, et de casser le crédit « Covid » illégalement octroyé à l’intimé.

dimanche 6 octobre 2024

Contrairement à la détention provisoire, qui peut être prise en compte dans le calcul de la peine, les conditions de remise en liberté provisoire ne constituent qu'un facteur atténuant potentiel

Dufour c. R., 2012 QCCA 2267

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[20]        Dans l'arrêt R. v. Irvine[8]le juge Scott, de la Cour d'appel du Manitoba, explique que, contrairement à la détention provisoire, qui peut être prise en compte dans le calcul de la peine, les conditions de remise en liberté provisoire ne constituent qu'un facteur atténuant potentiel :

27.  The impact of the bail conditions on an accused person are to be “put into the mix” along with other potential mitigating factors such as the relative youth of the accused, the lack of a record, prospects for rehabilitation, remorse, family responsibilities and the like.  Unlike the “credit” to be given – after the fit and appropriate sentence has been determined – for time spent in pre-trial custody, any consideration to be given for pre-trial bail occurs at the same time as the sentencing judge considers all of the other mitigating and aggravating factors. Time spent on pre-trial bail, in contrast to pre-trial custody, does not form part of the punishment itself; rather, it forms part of the initial analysis to arrive at the fit and appropriate sentence.  There is no potential “credit” to be given in calculating the sentence, as there is under sec. 719(3) of the Code for pre-trial custody.  It is simply a potential mitigating factor.

[21]        La prise en compte des conditions de remise en liberté relève donc du pouvoir discrétionnaire du juge. Or, Mario Dufour a témoigné de « conditions astreignantes », sans établir les difficultés particulières qu'elles ont pu entraîner. Il a d'ailleurs occupé un emploi et l'heure du début de son couvre-feu a été modifiée pour passer de 18 h à 20 h.

jeudi 15 novembre 2018

La détention provisoire doit toujours est prise en compte, sauf exception motivée par le juge

R. c. Guerrero Silva, 2015 QCCA 1334 (CanLII)

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[81]        La jurisprudence entourant l’application de l’article 719 du Code criminel s’est développée alors qu’il était question de faire bénéficier le délinquant de la détention provisoire. On a alors conclu qu’elle doit toujours est prise en compte, sauf exception motivée par le juge.
[82]        C’est ainsi que la Cour a tranché que l’article 719 du Code énonce un pouvoir discrétionnaire plus apparent que réel, du moins quant à l’opportunité de tenir compte de la détention provisoire. Ainsi, dans l’arrêt Massé, la juge Mailhot écrit :
Bien que l'article 721(3) [aujourd’hui 719(3)] confère un pouvoir discrétionnaire, les tribunaux considèrent que la durée de la détention provisoire est un facteur dont le juge doit tenir compte dans le calcul des peines.
[83]        Dans l’arrêt Summers, la question ne touchait pas directement cet aspect,  mais la Cour suprême reconnaît un passage de l’arrêt Rezaie, sous la plume de la juge Karakatsanis :
20 … The Code imposed no restrictions on the reasons for giving credit, nor the rate at which credit was granted. In R. v. Rezaie (1996), 1996 CanLII 1241 (ON CA)31 O.R. (3d) 713 (Ont. C.A.), Laskin J.A. of the Ontario Court of Appeal explained the rationale for granting credit. He noted that
a judge should not deny credit without good reason. To do so offends one's sense of fairness. Incarceration at any stage of the criminal process is a denial of an accused's liberty. 
[84]        Rien, dans l’arrêt Summers, ne laisse entendre que ce principe est obsolète, au contraire. Comme le rappelle la Cour d’appel de l’Ontario dans ce même arrêt, ce passage a été repris dans des centaines de décisions. La Cour écrit : « the courts consistently held that sentencing judges should usually afford some credit for pre-sentence custody, absent justification to the contrary »

mercredi 15 avril 2015

Le choix du juge d’instance d’ordonner que les peines soient purgées de façon consécutive relève du pouvoir discrétionnaire dont il jouit lorsqu’il impose une peine

Perron c. R., 2015 QCCA 601 (CanLII)

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[31]      Quant au choix du juge d’instance d’ordonner que les peines soient purgées de façon consécutive, il relève du pouvoir discrétionnaire dont il jouit lorsqu’il impose une peine. La Cour suprême explique ainsi cette norme d’intervention :

46     À mon avis, la décision d’infliger des peines concurrentes ou des peines consécutives devrait être traitée avec la même retenue que celle dont les cours d’appel doivent faire preuve envers les juges qui ont infligé des peines en ce qui concerne la durée de ces peines. La raison d’être de la retenue à l’égard de la durée de la peine, qui a été clairement exposée dans les deux arrêts Shropshire et M. (C.A.), s’applique également à la décision d’infliger des peines concurrentes ou des peines consécutives. Lorsqu’il fixe la durée et le genre de peine, le juge du procès exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction de sa connaissance directe de l’affaire; une cour d’appel n’a pas à intervenir en l’absence d’une erreur de principe, à moins que le juge qui a infligé la peine n’ait pas tenu compte de certains facteurs ou qu’il n’ait infligé une peine qui, dans l’ensemble, n’est manifestement pas indiquée. […]
[Soulignement ajouté]

[32]      Dans R. c. Bélanger, notre Cour résume les principes applicables au choix d’imposer des peines consécutives:

Aux termes de l'article 717(4)c)ii) C.cr., un juge peut rendre des sentences d'emprisonnement consécutives lorsqu'une personne (1) est déclarée coupable de plus d'une infraction devant le même tribunal, et (2) que des périodes d'emprisonnement sont imposées pour les infractions respectives: c'était le cas en l'espèce.

La jurisprudence a apporté deux tempéraments à cette règle, soit que (1) les peines devraient être concurrentes si les délits résultent d'un événement unique ou s'il s'agit d'actes criminels continus, sauf les cas où la loi prescrit que la sentence doit être consécutive ou encore, si le tribunal estime que l'une des infractions formant partie de l'événement unique comporte un élément aggravant qui justifie une peine consécutive, et (2) que l'effet cumulatif de la série des sanctions imposées ne doit pas résulter en une sentence disproportionnée par rapport à la culpabilité générale du délinquant. C'est le principe de la totalité des sentences qui assure une proportionnalité raisonnable aux infractions commises. [Accentué dans l’original]

[Références omises – Soulignement ajouté]

[33]      En l’espèce, il s’agit d’infractions distinctes commises à l’égard de plusieurs victimes à des moments différents. Le juge n’a pas erré en prononçant des peines consécutives. Il a tenu compte de la globalité de la peine :

[95]      Dans le cas de Y et A, les peines seront concurrentes entre elles pour tenir compte de l'effet global de la condamnation.

jeudi 25 septembre 2014

L'opportunité d'imposer une peine consécutive ou concurrente

Courtois c. R., 2013 QCCA 2100 (CanLII)

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[12]        Par ailleurs, il n'a pas été démontré que le juge a commis une erreur de principe en ordonnant que la peine infligée pour méfait soit purgée de manière consécutive aux autres peines. La commission de cette infraction est survenue dans une séquence d’événements distincts et séparés des autres infractions pour lesquelles l’appelant a été trouvé coupable. La révision par une cour d'appel de l'opportunité d'imposer une peine consécutive ou concurrente exige la même retenue que celle dont elle doit faire montre au moment de se prononcer sur le caractère raisonnable de sa durée. Notre intervention ne s'impose pas davantage sous ce rapport.

dimanche 15 décembre 2013

Comment traiter le temps passé sous garde et, le cas échéant, l'opportunité de majorer le crédit

Chalifoux c. R., 2013 QCCA 1914 (CanLII)


[19]        Le principe fondamental dans l'établissement d'une peine est que pour être juste, elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.  L’article 719(3) C.cr. énonce que « pour fixer la peine […], le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction ».  Le temps passé sous garde fait partie du processus de détermination de la peine et sa prise en compte de même que la question du crédit majoré ne peuvent être décidées ainsi de façon isolée. L’opportunité de majorer le temps à retrancher de la peine juste et appropriée doit être analysée alors que le tribunal a en main tous les facteurs pertinents à la détermination de la peine globale :
Comme la période à retrancher ne peut ni ne doit être établie au moyen d’une formule rigide, il est par conséquent préférable de laisser au juge qui détermine la peine le soin de calculer cette période, car c’est encore lui qui est le mieux placé pour apprécier soigneusement tous les facteurs permettant d’arrêter la peine appropriée, y compris l’opportunité d’accorder une réduction pour la période de détention présentencielle.
[je souligne]
[20]        En conséquence, c'est au moment où le juge fixe la peine qu'il décide comment traiter du temps passé sous garde et, le cas échéant, de l'opportunité de majorer le crédit.  Comme le souligne la doctrine, la période de détention préalable à l'imposition de la peine est une composante de la peine globale qui a été déjà purgée.

[23]        Comme l'a fait remarquer ma collègue la juge St-Pierre, le texte de l'article 719(3.1) C.cr. est clair.  Il est inutile de recourir à une preuve extrinsèque pour cerner l'intention du législateur.  Celle-ci se dégage déjà de l'objet et du texte de la Loi.
[24]        Notre Cour, suivant ainsi R. v. Carvery, n’a attribué au législateur que trois intentions, conformes au sens littéral des termes employés :
[52]      Par la Loi, le législateur a voulu modifier la pratique du 2 pour 1, écarter l'automatisme, plafonner le crédit pour détention préalable au prononcé de la peine et assurer la transparence du processus d'imposition de la peine incluant tout crédit accordé pour la détention préalable au prononcé de la peine. 
[25]        De façon générale, les cours d'appel ont refusé de restreindre le sens des termes « si les circonstances le justifient » de l'article 719(3.1)C.cr., puisque le législateur n'a pas formulé de balises particulières à ce sujet.  Qui plus est, les cours d'appel ont précisé que ces circonstances n'ont pas à être exceptionnelles pour justifier une majoration même si la majoration nécessite dorénavant une preuve pour s'écarter du ratio de base de 1 : 1.
[26]        Poursuivant cette interprétation libérale des textes législatifs, notre Cour, à nouveau sous la plume de la juge St-Pierre, a adopté une approche stricte voire formaliste de l'exception contenue au paragraphe 719(3.1) en exigeant que l'on retrouve au dossier de la Cour une mention explicite voulant que le juge « ait ordonné la détention en se fondant principalement, et non accessoirement ou notamment, sur toute condamnation antérieure ».
[28]        Conformément à la jurisprudence des cours d’appel canadiennes et à la doctrine, la Cour d’appel du Québec énonce expressément dans R. c. Henrico que les circonstances pouvant justifier une majoration aux termes de l’article 719(3.1) C.cr. sont les mêmes que celles qui étaient retenues sous l’ancien régime :
[70]      Puisque la Loi n'a pas tout changé en matière de crédit pour la détention préalable au prononcé de la peine, la jurisprudence antérieure à sa mise en vigueur, qui n'entre pas en conflit avec les nouvelles balises qu'elle comporte, demeure pertinente et les principes qu'elle énonce applicables.
[…]
[73]      Depuis de très nombreuses années, les juges ont exercé leur discrétion et examiné diverses situations mettant en cause une détention préalable au prononcé de la peine. Cette expérience acquise, connue du législateur, demeure pertinente au moment d'évaluer "si les circonstances le justifient" alors que le législateur n'a pas cru bon de définir l'expression autrement ou d'en modifier la portée.
[je souligne]
[29]        La prise en compte des conditions de détention (approche qualitative) et l'impact de la détention préalable sur la libération conditionnelle de l'accusé (approche quantitative) ont toujours été les circonstances considérées. Tel que le révèle une analyse de la jurisprudence récente par la Cour d’appel du Manitoba, cela est toujours aussi vrai sous le nouvel article 719(3.1) C.cr. :
[43]      With respect to the jurisprudence on this point, loss of remission is a frequently cited factor, but not the most frequent. A review of the cases to date reveals that post-trial delay is the most frequently cited factor that justified enhanced credit. Where enhanced credit has been given for loss of remission, it is most often considered in conjunction with other qualitative facts, such as harsh remand conditions and their impact on the offender.
[je souligne]
[30]        À l'opposé, les circonstances suivantes ont souvent justifié de refuser la majoration du crédit :
Circumstances that justified less than 2:1 credit included where the offender (1) has little prospect of parole; (2) has repeatedly violated his bail conditions; (3) has committed the offence at issue while on bail or probation; (4) has not endured prison congestion; (5) has deliberately delayed the process in order to secure the benefit of credit for pre-sentence custody; (6) is unlikely to take advantage of rehabilitative programmes; or (7) the “dead time” concern is of minimis value.
[références omises]
[31]        Cet enseignement est toujours valable sous le nouvel article 719(3.1) C.cr. :
[45]      There are also a number of cases, which have identified circumstances where denying enhanced credit was justified. Such circumstances included delay caused by the offender and where an offender had a history of breaching court orders. In addition, where offenders have deliberately protracted their remand detention or otherwise endeavoured to manipulate the system, judges may well discount the credit ratio. […]
[je souligne]
[32]        Ainsi, les facteurs justifiant l’octroi d’une majoration ou son refus ont toujours été et demeurent liés à la période présentencielle, qu’ils se rapportent aux circonstances de la détention – que ce soit sa durée, sa rigueur ou ses effets sur la libération conditionnelle qui s’en suivra –, au déroulement de la liberté provisoire ou encore à la conduite de l’accusé durant cette période.
[33]        Bien que partie intégrante du processus de l'imposition de la peine, la décision relative au temps passé sous garde poursuit un autre objectif.  La décision de retrancher de la peine la période de détention préalable, majorée ou pas, est reliée à des facteurs autres que la gravité du crime et la responsabilité morale du criminel.  La décision sur cette question vise à prendre en compte des facteurs qui pour l'essentiel sont reliés aux circonstances de la détention et à l'impact de cette détention sur la libération conditionnelle de l'accusé.
[34]        Tenir compte uniquement du dossier judiciaire d'un individu pour refuser le crédit majoré constitue, en l'espèce, une erreur.  C'est le seul motif avancé par la juge de première instance pour justifier sa décision.  Ici, la juge fait double emploi d'un même facteur.  D'abord, le casier judiciaire important de l'appelant constitue un facteur aggravant que la juge utilise pour déterminer la peine juste et appropriée.  Par la suite, elle se rapporte à ce seul facteur pour refuser de majorer le crédit pour la détention préalable.  À mon avis, il s'agit d'une erreur de principe.
[35]        Je n'affirme pas pour autant que le casier judiciaire ne peut jamais avoir d'impact à cette étape du processus pénologique.  Voici pourquoi.  L'article 719(3.1) C.cr. commande de procéder en deux étapes.  À la première étape, le juge examine les circonstances qui justifient la majoration du crédit et non, comme pour la peine, un examen de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes.  D'ailleurs, d'un point de vue conceptuel, le casier judiciaire d'un individu ne peut constituer, à cette première étape, un motif pour justifier la majoration.
[36]        S'il n'y a pas de circonstances qui peuvent justifier la majoration, le dossier est clos.  Par contre, s'il y en a, une deuxième étape s'impose.  À cette occasion, le juge pourra tenir compte de tous les facteurs susceptibles d’influencer ou de moduler les circonstances identifiées à la première étape.
[37]        À cette seconde étape, il se pourrait que le casier judiciaire d'un individu vienne carrément écarter une circonstance qui aurait justifié une majoration du crédit.  Si les circonstances de vie difficiles en détention préalable sont invoquées à la première étape, un passé carcéral chargé pourrait venir moduler l’appréciation que peut faire le juge de cette circonstance à la seconde étape.  De même, un lourd casier judiciaire peut diminuer l’effet négatif de la détention préalable sur l’admissibilité à la libération conditionnelle, circonstance qui aurait justifié la majoration à la première étape.
[38]        Bref, on peut dire que le casier judiciaire n'est pas pertinent pour répondre à l'article 719(3.1) C.cr. sauf pour nuancer, le cas échéant, les circonstances favorables à la majoration.
[45]        La conduite d'un prévenu pendant la période préalable à l'imposition de la peine est, certes, un facteur pertinent à prendre en compte par le juge à l'occasion de l'exercice de la discrétion judiciaire prévue à l'article 719(3.1) C.cr..
[46]        Or, s'il est exact que les conditions de détention se sont avérées en partie sévères, la conduite de l'appelant, pendant cette période de détention, annihile tout crédit qu’il aurait pu, par ailleurs, espérer obtenir.
[47]        Que fait l'appelant pendant cette période de détention?  Il obtient une quantité suffisante de stupéfiants en vue d'en faire le trafic alors qu'il est en attente de procès pour des infractions similaires.  Pareilles circonstances ne militent pas en faveur d'un crédit majoré.  Bref, tenant compte de l'ensemble des circonstances, il n'y avait pas lieu à une majoration du crédit.

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