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samedi 3 septembre 2016

L'incitation publique à la haine - revue des principes eu égard à cette infraction


R. c. Rioux, 2016 QCCQ 6762 (CanLII)


INCITATION PUBLIQUE À LA HAINE, ART. 319 C.cr.

[14]        Le caractère inusité de cette disposition justifie qu’on la reproduise :
 Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable :
  a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
  b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
(2) Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable :
  a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
  b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
1.1.        LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES
[15]        L’accusation portée réfère au premier alinéa de la disposition, laquelle exige la démonstration des éléments essentiels suivants :
-        la communication de déclarations qui incitent à la haine
-        en un endroit public
-        contre un groupe identifiable
-        lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix.
[16]        Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour Suprême qualifie de moins grave l’infraction visée au premier alinéa que celle de la fomentation intentionnelle de la haine prévue au second paragraphe :
Dans un passage de l’arrêt R. c. Buzzanga and Durocher (1979), 1979 CanLII 1927 (ON CA)49 C.C.C. (2d) 369 (C.A. Ont.), p. 384‑385, que notre Cour a cité en l’approuvant dans Keegstra, le juge Martin a comparé les deux paragraphes de l’art. 319.  Il a conclu que l’intention criminelle requise au par. (1) correspondait à une infraction moins grave que la fomentation intentionnelle de la haine et que, vu l’emploi du mot « volontairement », l’infraction prévue au par. (2) n’était perpétrée que si l’accusé avait le dessein conscient de fomenter la haine contre le groupe identifiable ou était certain que la communication aurait cet effet et qu’il communiquait néanmoins les déclarations.  Bien qu’il ne soit pas nécessaire de prouver le lien de causalité, l’auteur des déclarations doit vouloir que le message provoque la haine.
[17]        Pour décider si les déclarations incitent à la haine, le Tribunal doit tenir compte de divers éléments et procéder à l’analyse d’un point de vue objectif :
Pour déterminer s’il y a eu incitation à la haine, le juge des faits doit, comme pour l’incitation au génocide, considérer les déclarations d’un point de vue objectif, mais tenir compte des circonstances dans lesquelles elles sont faites, de la manière et du ton employés, ainsi que de leurs destinataires.
[18]        La conclusion que les déclarations comportaient une incitation à la haine n’exige pas d’établir que la communication a, dans les faits, suscité la haine.
[19]        Les déclarations doivent viser un groupe identifiable dont la définition apparaît à l’alinéa 4 de l’art. 318 C.cr. :
[…] « groupe identifiable » s’entend de toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle ou la déficience mentale ou physique.
[20]        L’identification du groupe visé s’est posée dans R. c. Krymowski, permettant au plus haut tribunal de réitérer les éléments de preuve qui doivent être considérés :
Il incombait au juge du procès d’examiner la totalité de la preuve et de tirer les inférences appropriées pour déterminer si l’intention des intimés était de viser une « section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion ou l’origine ethnique », en l’occurrence les Rom.  Plusieurs éléments de preuve pouvaient se rapporter à cette question.
[21]        Le concept de violation de la paix n’est pas défini au Code criminel et demeure un concept aux paramètres imprécis.
[22]        Dans R. c. Kerr, la Cour suprême reprend la définition de paix publique de l’auteur Pierre Lapointe :
[…] Le concept de paix publique est pour le moins imprécis. Puisque le législateur mentionne cette notion en sus de celle de la perpétration d'une infraction, elle vise donc une situation plus large qu'une contravention au Code Criminel.
[23]        Plus récemment, les auteurs de JurisClasseur Québec tentent de circonscrire ce qui constitue une violation de la paix :
d) Violation de la paix
15. Définition - En raison des nombreuses définitions retenues par la jurisprudence et du mutisme du Code criminel à ce sujet, il est malaisé de définir avec précision ce que constitue une violation de la paix. Certaines lignes directrices se dégagent toutefois de la jurisprudence. D'abord, les concepts d'infraction criminelle et de violation de la paix, bien que liés, ne sont pas interchangeables : toutes les infractions criminelles ne constitueront pas une violation de la paix et celle-ci ne se révélera pas inévitablement être un crime.
Selon la Cour d'appel de l'Ontario, la violation de la paix est une conduite causant ou qui est susceptible de causer un dommage à un individu; elle n'inclut toutefois pas les comportements simplement jugés choquants, inquiétants ou vaguement menaçants. S'appuyant sur la jurisprudence anglaise, d'autres instances ont retenu une gamme de comportements plus vaste. Ainsi, il pourrait y avoir, en outre, violation de la paix en présence d'une conduite causant ou qui est susceptible de causer un dommage aux biens d'un individu en sa présence ou lorsqu'une personne craint la survenance de tels préjudices dans le contexte d'une agression, d'une bagarre, d'une émeute, d'un attroupement illégal ou de toute autre perturbation. […]

jeudi 5 novembre 2009

Ce que constitue l'expression haineuse au sens du Code criminel

R. c. Presseault, 2007 QCCQ 384 (CanLII)

[35] Ce n'est pas un crime de penser, ni même de communiquer des idées haineuses dans la mesure où cela est fait dans une conversation privée. On ne peut donc punir une personne pour cela.

[36] La Cour suprême du Canada a commenté récemment cet article du Code criminel dans l'arrêt Mugesera:

L'article 319 crée deux infractions distinctes d'incitation à la haine contre un groupe identifiable. […]

« Fomenter » s’entend du soutien actif ou de l’instigation. Il faut plus qu’un simple encouragement : R. c. Keegstra, 1990 CanLII 24 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 697. Pour les besoins de l’art. 319, le mot « haine » désigne « une émotion à la fois intense et extrême qui est clairement associée à la calomnie et à la détestation » : Keegstra, p. 777. Seules les formes d’aversion les plus intenses sont en cause.

Il n’est pas nécessaire de prouver que la communication a effectivement suscité la haine. […]

Afin de déterminer si la communication exprimait la haine, le tribunal se demande quelle compréhension en aurait une personne raisonnable dans le contexte […]

… l’intention criminelle requise au par. (1) correspondait à une infraction moins grave que la fomentation intentionnelle de la haine et que, vu l’emploi du mot « volontairement », l’infraction prévue au par. (2) n’était perpétrée que si l’accusé avait le dessein conscient de fomenter la haine contre le groupe identifiable ou était certain que la communication aurait cet effet et qu’il communiquait néanmoins les déclarations. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de prouver le lien de causalité, l’auteur des déclarations doit vouloir que le message provoque la haine

[37] On aura compris que ces propos décrivent un crime dont les manifestations ne peuvent être qu'odieuses, comme l'est celle qui implique Presseault. Toutefois, aussi horribles que puissent être les propos tenus, ils ne constituent rien de plus que l'infraction pour laquelle le législateur a limité la peine à un maximum de deux ans d'emprisonnement.

[38] Cette peine maximale peut étonner puisque ce crime, lorsque ces éléments sont prouvés et que les défenses prévues sont repoussées, comporte tous les ingrédients qui en fait un crime grave et des plus pernicieux qui soit, s'attaquant aux fondements mêmes de notre vie démocratique. La peine prescrite par la loi peut alors sembler être un paradoxe. La Cour ne peut toutefois mettre de côté cette volonté d'imposer une peine maximale relativement peu élevée, un choix du législateur, qui est le point de repère pour établir la gravité objective de l'infraction.

[47] Ainsi, par définition, l'expression sera toujours volontaire, haineuse et visera des groupes identifiables dans un dessein conscient de fomenter la haine. Toutefois après lecture de la jurisprudence et sans faire une liste exhaustive, l’expression haineuse peut :

47.1. être une expression spontanée, comme dans un rassemblement soudain ou une expression haineuse préméditée et réfléchie, voire organisée pour une diffusion maximale,

47.2. être l'œuvre d'un individu isolé en mal de compréhension des réalités sociales ou celle d'un membre d'un groupe raciste,

47.3. être l'œuvre d'un individu perturbé à un moment donné de sa vie ou celle d'un individu aux valeurs racistes profondément ancrées,

47.4. être l'œuvre d'un délinquant primaire en la matière ou celle d'un récidiviste,

47.5. être répandue publiquement à un public restreint ou, au contraire, viser un large public,

47.6. être haineuse, mais avec une violence plus ou moins subtile,

47.7. viser un seul groupe identifiable ou plusieurs,

47.8. être fondée sur des croyances sincères, mais erronées, plus collées à des opinions religieuses ou politiques qu'à l'expression brutale d'une violence envers un groupe identifiable.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...