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lundi 22 septembre 2025

Les critères applicables dans le cas d’une demande de remise

Djumo Ngandjeu c. R., 2025 QCCS 808

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[22]        Dans R. c. Mendoza[13], le juge Martin Vauclair, alors juge de la Cour du Québec, s’appuyant sur les arrêts Manhas et Darville, résumait ainsi les critères applicables dans le cas d’une demande de remise :

[8]        Le pouvoir d’accorder ou de refuser une remise est discrétionnaire, mais les tribunaux supérieurs interviendront si cette discrétion n’a pas été exercée d’une manière judiciaire. Les critères sont bien connus. Dans l’arrêt Darville, la Cour suprême a défini trois conditions que doit satisfaire la partie qui demande une remise. Elle doit démontrer : a) que la personne absente pourrait rendre un témoignage pertinent; b) qu’elle a pris des moyens raisonnables pour s’assurer de la présence du témoin; c) qu’on peut raisonnablement penser que le témoin absent se présentera ultérieurement devant le tribunal.

[Références omises]

[23]        Le juge Vauclair, rappelait également, citant les arrêts R. v. G. (J.C.) et R. v. M.V., que l’ensemble des circonstances doivent être considérées par le juge d’instance[14]:

[10]      Cela étant, il y a maintenant deux ans, la Cour d’appel du Québec a rendu deux décisions importantes sur la question dans lesquelles elle reprend la position du juge Cartwright. Le juge Dalphond, pour la majorité, a conclu que toute demande de remise doit prendre en compte l’ensemble des circonstances et doit être conforme aux intérêts de la justice :

Briefly stated, the decision whether or not to grant the adjournment must be made in the light of the realities of each case and shall be consistent with the interests of justice.

[Références omises]

[24]        Ainsi, en plus des critères mentionnés ci-haut, le juge saisi d’une demande d’ajournement peut également devoir tenir compte d’autres éléments circonstanciels pertinents comme la gravité de l’infraction, les demandes d’ajournement antérieures et les conséquences de sa décision sur l’accusé.

[25]        En principe, un ajournement doit être accordé s'il existe des motifs valables au soutien de la demande et qu'il ne s'agit pas d'un moyen détourné pour retarder le procès[15].

[26]         À défaut de pouvoir conclure qu’un accusé cherche simplement à retarder le procès pour des motifs illégitimes, le refus d’accorder une remise est une décision qui doit être prise avec prudence[16].

Une interruption du procès afin de tenir une audition en vue de déterminer la recevabilité d'une preuve en l'absence du jury, à la suite d'arguments par les parties, constitue un voir-dire, que l'on entende ou pas de témoins

Walters c. R., 2012 QCCA 1417

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[32]        À mon avis, contrairement à ce que plaide l'appelant, même si un voir-dire avec témoignages pouvait être tenu, la procédure utilisée par le juge permettait d'atteindre le même résultat et était tout à fait acceptable. Le juge a adapté la procédure aux circonstances du procès. Je rappelle à cet égard que le litige portait essentiellement sur le caractère contemporain ou pas des propos rapportés et des événements alors décrits, autrement dit sur leur pertinence et leur effet préjudiciable, sans que la crédibilité des témoins ait à être analysée lors d'un voir-dire.

[33]        D'ailleurs, on ne peut affirmer que, sans témoignage, il n'y a pas de voir-dire. Une interruption du procès afin de tenir une audition en vue de déterminer la recevabilité d'une preuve en l'absence du jury, à la suite d'arguments par les parties, constitue un voir-dire, que l'on entende ou pas de témoins. Il n'y a pas de formule consacrée et obligatoire pour tenir un voir-dire. Il faut s'adapter. Si un témoignage est parfois requis, dans d'autres cas, une déclaration antérieure suffira ou encore un résumé des faits présenté par les avocats. L'objectif est simple : décider de l'admissibilité d'une preuve, en l'absence du jury, en toute équité pour les parties. Le reste relève de l'exercice de la discrétion judiciaire. Je précise toutefois que je ne discute pas ici de certains voir-dire plus particuliers, comme, par exemple, celui tenu en vue de déterminer la recevabilité d'une déclaration faite à une personne en autorité qui, sans témoins, à moins d'admissions, ne permettra pas au juge de décider hors de tout doute raisonnable que la déclaration a été obtenue sans promesses ni menaces d'une personne à l'esprit conscient.

samedi 20 septembre 2025

Il est accepté depuis longtemps que des gestes accomplis par l’accusé après un crime — par exemple la fuite, la destruction d’éléments de preuve ou l’invention de mensonges — peuvent, dans certaines circonstances, constituer une preuve circonstancielle de sa culpabilité

R. c. White, 2011 CSC 13

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[17]                          Il est accepté depuis longtemps que des gestes accomplis par l’accusé après un crime — par exemple la fuite, la destruction d’éléments de preuve ou l’invention de mensonges — peuvent, dans certaines circonstances, constituer une preuve circonstancielle de sa culpabilité.  Au cours des dernières années, cependant, la terminologie employée pour désigner ce type de preuve s’est quelque peu modifiée.

[18]                          Cette preuve a déjà été décrite comme la preuve de la « conscience de culpabilité ».  La juge Weiler a ainsi expliqué quelle en était la valeur probante, dans R. c. Peavoy (1997), 1997 CanLII 3028 (ON CA)34 O.R. (3d) 620 (C.A.), à la p. 629 :

                                    [traduction] La preuve relative au comportement après le fait est admise d’ordinaire pour établir que l’accusé a agi d’une manière jugée compatible, selon l’expérience humaine et la logique, avec le comportement d’une personne coupable et non avec celle d’une personne innocente.

On a employé l’expression « conscience de culpabilité » pour décrire un tel comportement parce qu’il servait d’appui à l’inférence que l’intéressé se croyait coupable du crime dont il était accusé.  Il peut arriver que la culpabilité de l’accusé soit l’explication la plus plausible de certains aspects de son comportement après le fait.  Par exemple, lorsqu’une personne avoue avoir commis un acte ayant causé la mort, la preuve qu’elle a caché l’arme ou qu’elle s’est enfuie peut fonder (mais ne fonde pas nécessairement) la conclusion qu’il y a eu homicide coupable (par opposition à l’homicide non coupable) (Peavoy, p. 630).  Un tel comportement « après le fait » est donc admissible à titre de preuve circonstancielle.

[19]                          Dans White (1998), toutefois, notre Cour a cessé d’avoir recours à l’expression « conscience de culpabilité » pour décrire la preuve d’un comportement après le fait, estimant qu’elle était trop étroite et quelque peu trompeuse.  Le comportement après le fait peut en réalité avoir de multiples usages et son utilité ne se limite pas à étayer la conclusion que l’accusé avait une « intention coupable ».  Voici ce qu’a affirmé le juge Major au nom de notre Cour, au par. 20 :

                    La « conscience de culpabilité » est simplement une conclusion qui peut être tirée à partir de la preuve relative au comportement de l’accusé; il ne s’agit pas en soi d’une catégorie de preuve particulière.  En outre, les termes « conscience de culpabilité » évoquent, à l’égard du comportement en cause, une conclusion qui va à l’encontre de la présomption d’innocence et qui peut nuire à l’accusé dans l’esprit des jurés.

Le juge Major a en outre proposé un terme plus neutre, comme « comportement postérieur à l’infraction », pour désigner cette catégorie générale de preuve.  On éviterait ainsi deux écueils, soit le confinement de la pertinence de ce type de comportement à l’état d’esprit de l’accusé et l’affaiblissement de la présomption d’innocence.

[20]                          Comme l’a souligné la juge Ryan, ce changement terminologique a peut-être engendré des difficultés conceptuelles jusque-là inconnues, car la preuve de la « conscience de culpabilité » renvoie à une catégorie relativement étroite d’actes, consistant habituellement à tenter de ne pas être découvert ou poursuivi, qui peuvent fonder, à eux seuls, une conclusion de culpabilité (motifs de la C.A., par. 128-129).  Autrement dit, la preuve qu’une personne se considère coupable d’un crime peut étayer la conclusion qu’elle est coupable de ce crime.  Une jurisprudence s’est développée quant aux avertissements et aux directives restrictives qui doivent être donnés au jury à l’égard de cette catégorie de preuve relativement étroite.

[21]                          La catégorie de la preuve du « comportement postérieur à l’infraction » est beaucoup plus large puisqu’elle se rapporte à tout ce qu’a fait l’accusé après l’infraction.  Ce changement de terminologie a donc pu amener des juges du procès à croire que toute preuve relative aux faits et gestes de l’accusé après l’infraction nécessite une mise en garde particulière ou des directives restrictives (voir motifs de la C.A., par. 129, la juge Ryan).  Or, ce n’est pas le cas.

[22]                          Le principe selon lequel le comportement après le fait peut constituer une preuve circonstancielle de culpabilité est toujours valable.  Fondamentalement, l’admissibilité d’une telle preuve est simplement fonction de sa pertinence (White (1998), par. 23).  Pour reprendre les propos du juge Major dans White (1998), « [l]a preuve relative au comportement postérieur à l’infraction ne diffère pas fondamentalement des autres types de preuve circonstancielle.  Dans certains cas, elle peut être très incriminante, et dans d’autres, elle peut ne jouer qu’un rôle secondaire de corroboration » (par. 21).  Comme pour tous les autres éléments de preuve, la pertinence et la valeur probante du comportement postérieur à l’infraction s’apprécient au cas par cas (par. 26).  Par conséquent, la formulation de directives restrictives concernant la catégorie générale du comportement postérieur à l’infraction obéit aux mêmes principes que dans le cas de tout autre élément de preuve circonstancielle.  Ainsi, bien que l’expression « conscience de culpabilité » ne soit plus usitée, la poursuite peut encore présenter une preuve de comportement après le fait pour étayer la conclusion que l’accusé a agi comme une personne qui serait coupable de l’infraction reprochée — pourvu qu’il puisse être démontré que cette preuve, comme tout élément de preuve circonstancielle, est pertinente à l’égard de cette conclusion.

[23]                          Cela dit, bien que la jurisprudence en matière criminelle atteste depuis longtemps l’utilisation de la preuve du comportement postérieur à l’infraction, elle reconnaît aussi depuis longtemps que la production de cette preuve aux fins d’établir la « conscience de culpabilité » de l’accusé comporte un important risque d’erreur de la part du jury (Gudmondson c. The King (1933), 1933 CanLII 415 (SCC)60 C.C.C. 332 (C.S.C.)).  Les jurés peuvent être tentés de « conclu[re] trop rapidement, à partir de la preuve relative au comportement postérieur à l’infraction, que l’accusé est coupable » (White (1998), par. 57), sans se demander, comme il se doit, si le comportement en question n’a pas d’autres explications.

[24]                          Dans la plupart des cas,

                    le meilleur moyen dont dispose le juge du procès pour écarter ce danger est tout simplement de s’assurer que le jury sait que d’autres raisons sont susceptibles d’expliquer les actes de l’accusé et qu’il ne doit tirer sa conclusion finale quant à la signification du comportement de l’accusé qu’après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve dans le cadre du déroulement normal de ses délibérations.  Sous réserve de telles directives de prudence, il appartient aux membres du jury de tirer, en dernière analyse, les conclusions de leur choix à partir de la preuve présentée.  [Je souligne; White (1998), par. 57.]

[25]                          Le risque d’erreur de la part du jury est particulièrement élevé lorsque l’accusé a avoué une conduite criminelle connexe au crime dont il est accusé.  La preuve du comportement postérieur à l’infraction visant à étayer une conclusion de « conscience de culpabilité » peut alors n’être que peu, sinon aucunement utile pour établir le degré de culpabilité de l’accusé.

[26]                          C’est ce qui s’est produit dans Arcangioli.  M. Arcangioli était accusé d’avoir poignardé quelqu’un au cours d’une bagarre où plusieurs personnes avaient agressé une seule victime.  M. Arcangioli avait été vu en train de fuir les lieux après que la victime eut été poignardée, et le ministère public a voulu utiliser cette fuite comme preuve circonstancielle de la « conscience de culpabilité » de l’accusé.  Le juge du procès avait indiqué au jury qu’une telle inférence était effectivement possible et le jury a déclaré M. Arcangioli coupable.  La Cour d’appel de l’Ontario, à la majorité, a confirmé le verdict de culpabilité.

[27]                          Notre Cour a toutefois estimé que le jury avait reçu des directives incorrectes et elle a ordonné un nouveau procès.  L’accusé avait reconnu avoir été du nombre des assaillants et avoir asséné plusieurs coups de poing à la victime, ce qui le rendait coupable de voies de fait simples.  Il avait également déclaré s’être enfui après avoir vu une autre personne poignarder la victime, sous le coup de la panique qui s’est emparée de lui parce qu’il avait déjà commis un crime.  La Cour a jugé que, même si la fuite de M. Arcangioli établissait sa « conscience de culpabilité », il pouvait tout autant s’agir de sa culpabilité pour voies de faits simples que de sa culpabilité pour voies de fait graves (c.-à-d. le coup de couteau).  La preuve de sa fuite n’avait donc aucune valeur probante pour ce qui était d’établir quelle infraction il avait commise, et la juge du procès aurait dû indiquer au jury que cette preuve ne pouvait fonder aucune conclusion quant à son degré de culpabilité.

vendredi 19 septembre 2025

L’analyse de contradictions n’est pas un exercice mathématique et le nombre de contradictions, quoique sujet à caution, n’est pas en soi un motif de rejet d’un témoignage

Ménard c. R., 2019 QCCA 1701

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[14]      Faut-il le rappeler, l’analyse de contradictions n’est pas un exercice mathématique et le nombre de contradictions, quoique sujet à caution, n’est pas en soi un motif de rejet d’un témoignage[10]. En l’espèce, le juge a noté ces contradictions et il explique pourquoi celles-ci n’affectaient pas son évaluation du caractère crédible du témoignage de la plaignante pris dans son ensemble. Les explications du juge sont rationnelles et raisonnables. Dans ces circonstances, l’appelant ne nous convainc pas qu’il y a lieu d’intervenir.

dimanche 14 septembre 2025

La preuve de l'authenticité d’une pièce peut se faire par le biais d'un témoin expert ou d’un témoin de fait

Rochette c. R., 2022 QCCA 58

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[22]      Le fardeau de la preuve de l'authenticité des messages n'est pas exigeant. Il s'agit de déterminer si la preuve, directe ou circonstancielle, permet de conclure que le document présenté est ce qu'il paraît être, soit une série de messages transmis et reçus via l'appareil ayant fait l'objet de l'extraction[3]. Dans un second temps, il appartient au juge des faits d'apprécier la valeur probante du document en question.

[23]      La preuve de l'authenticité d’une pièce peut se faire par le biais d'un témoin expert ou d’un témoin de fait. Le juge de première instance a conclu que M. Tremblay ne donnait aucune opinion sur l'interprétation des données extraites. Il se contentait de décrire les démarches effectuées afin d'extraire les données et les vérifications faites pour s’assurer de la bonne marche de l’exercice. 

Les paramètres entourant les pouvoirs de gestion des juges ne peuvent pas s’exercer au détriment de l’équité et des règles de preuve

Péloquin c. R., 2023 QCCA 1233

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[77]      Dans sa décision rendue le 10 avril 2018, le juge constate que :

[13] Le procès n’avance pas suffisamment rapidement. Le problème ne tient pas tant de la cadence de travail, la preuve est présentée rondement, mais plutôt du fait qu’un temps précieux est consacré depuis le début du procès à la présentation d’une preuve largement répétitive et non controversée pour l’essentiel.

[14] Près d’une trentaine d’investisseurs ont témoigné jusqu’à maintenant. Ils relatent tous à peu près la même histoire typique d’un stratagème à la Ponzi. Ils ont été leurrés et amenés à investir dans un projet d’investissement qui s’est avéré fictif. Plusieurs investisseurs ont perdu leur argent alors que d’autres ont été remboursés en tout ou en partie. Ils impliquent principalement M. Péloquin, Mme Dancause et un certain Benoit Sénécal à titre de promoteurs et superviseurs du projet d’investissement. Les investisseurs recevaient des conventions d’investissement. Des chèques étaient destinés aux comptes en fidéicommis de l’avocat Jean-Marc Lavallée et de Mme Jolicoeur, qui exerçait la profession de notaire. Des sommes d’argent comptant étaient remises à Mme Dancause. M. St-Denis et Mme Goulet, respectivement le conjoint et une amie de Mme Dancause, accompagnaient celle-ci à certaines occasions et recevaient de l’argent en son nom.

R. c. Dancause2018 QCCS 1565, par. 13-14.

[78]      Malgré cela, et avant tout, le juge s’enquiert auprès de la poursuite de la nécessité de faire témoigner d’autres investisseurs. Elle le convainc qu’elle le doit. Le juge constate ensuite que les contre-interrogatoires des investisseurs ayant déjà témoigné avaient été courts et que, pour les plus longs, on avait cherché à démontrer qu’ils avaient été négligents, cupides, ou de moralité douteuse et qu’ils avaient eux-mêmes contribué à l’avancement du projet d’investissement et, donc, que les témoins étaient biaisés en raison de leurs déboires : R. c. Dancause2018 QCCS 1565, par. 15-17.

[80]      En s’inspirant des arrêts R. c. Rice2018 QCCA 198R. c. Auclair2013 QCCA 671R. c. Fabrikant (1995), 1995 CanLII 5384 (QC CA), 97 C.C.C. (3d) 544 (C.A.Q.), R. c. Felderhof (2003), 2003 CanLII 37346 (ON CA), 180 CCC (3d) 498 (C.A.O.), R. c. Hamilton2011 ONCA 399 et d’autres décisions telles que R. c. Charron, précitée, le juge conclut qu’il peut accéder à la demande de la poursuite.

[81]      Pour le juge, la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Auclair2014 CSC 6 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 83, a confirmé qu’un juge peut revoir les grandes lignes du plan de poursuite pour s’assurer que les délais anticipés ne deviennent pas déraisonnables. Dans ce cas, écrit la Cour suprême : « [l]es effets cumulatifs de ces circonstances justifiaient l’intervention importante de ce dernier dans des matières généralement laissées à la discrétion de la poursuite, dans ce cas-ci, le choix des accusations qui procéderaient et la détermination de leur ordre de priorité » : R. c. Auclair, précité, par. 2. Je rappelle toutefois, parce qu’il ne faut pas le perdre de vue, que ces circonstances décrivaient l’opération SharQc qui avait donné lieu à 29 chefs d’accusation contre plus de 150 accusés, et donc une situation extrême.

[82]      Le juge d’instance s’appuie également sur ses pouvoirs de limiter une preuve inutile :

[46] Au passage, il vaut de souligner que la solution énoncée dans Charron s’harmonise avec le droit de la preuve qui permet de limiter la présentation d’une preuve ayant pour effet de prolonger ou de compliquer inutilement un procès. Le pouvoir discrétionnaire bien établi d’exclure une preuve dont l’effet préjudiciable surpasse la valeur probante, au terme d’une analyse coût-bénéfice, implique notamment de considérer si la preuve est répétitive ou exige un temps excessivement long par rapport à sa valeur probante (R. c. Jabarianha2001 CSC 75 (CanLII), [2001] 3 RCS 430, par. 17R. c. Mohan1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 RCS 9, p. 21; R. c. Luciano2011 ONCA 89, par. 233R. c. Candir2009 ONCA 915, par 61-62R. c. Charron, précité, par. 61).

R. c. Dancause2018 QCCS 1565, par. 46.

[83]      Pour toutes ces raisons, le juge d’instance accepte la demande du ministère public et il résume la façon dont il permet la production de ces témoignages, la partie soulignée étant particulièrement importante pour la suite :

[50]        Voici la procédure déterminée par le Tribunal. Le témoin concerné doit être présent devant le jury et être assermenté normalement. Toutefois, en lieu et place d’un interrogatoire principal, la Couronne est autorisée à produire une déclaration écrite assermentée du témoin et à déposer des pièces. Le témoin doit confirmer qu’il adopte le contenu de sa déclaration assermentée. La déclaration assermentée doit être brève et sobre. Le Tribunal se réserve la possibilité de refuser, au cas par cas, le dépôt d’une déclaration assermentée si les intérêts de la justice le requièrent. Les accusés peuvent ensuite contre-interroger le témoin s’ils le jugent opportun, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir la permission du Tribunal.

[51]        Cette façon d’administrer la preuve favorise l’efficacité du procès et s’accorde avec les impératifs d’une saine administration de la justice. Par ailleurs, cette solution ne présente aucun préjudice réel pour les accusés, quelles que puissent être leurs défenses respectives. Le droit à une défense pleine et entière est préservé, car les accusés pourront contre-interroger les témoins. Cette mesure comporte même des avantages pour les accusés. La preuve de la Couronne sera réduite à l’essentiel et pourrait donc avoir moins d’effet auprès du jury. Surtout, le procès sera écourté conformément au droit des accusés d’être jugés dans un délai raisonnable.

R. c. Dancause2018 QCCS 1565, par. 50-51.

[Je souligne]

*

[84]      En appel, les appelants plaident essentiellement que la décision a compromis l’équité du procès. Ils rappellent que les déclarations sous serment relataient des propos tenus par les accusés aux investisseurs. Elles touchaient possiblement des aspects pertinents par rapport aux éléments essentiels des infractions et ne portaient pas sur des éléments secondaires ou périphériques. Enfin, le juge n’aurait donné aucune directive quant à la façon d’apprécier la fiabilité ou la crédibilité de ces témoins dans ce contexte particulier.

[85]      Si l’intimé accepte que les témoignages ne portaient pas sur des aspects périphériques, il soutient que les déclarations se limitaient à établir le contexte des investissements et des remboursements. Au surplus, il ajoute que c’était une preuve largement répétitive et non controversée. Selon l’intimé, les appelants ne parviennent pas à démontrer une véritable atteinte à leur droit à une défense pleine et entière. Ceux-ci invoquent un préjudice hypothétique en alléguant que les témoins auraient pu dévoiler des faits inattendus et inconnus à ce jour à l’occasion d’un interrogatoire principal.

[86]      En définitive, j’ai compris à l’audience qu’outre le constat que les témoignages ne portaient pas sur des faits périphériques, en présentant une preuve écrite, le ministère public aurait été autorisé à guider ses témoins et à offrir des déclarations minimalistes, sans risquer de placer devant le jury les difficultés susceptibles de résulter des témoignages, en lien entre autres avec la capacité des témoins d’observer, de se rappeler et de relater les faits.

*

[87]      D’emblée, la façon de contrer ce moyen d’appel laisse en partie songeur. À force d’insister sur le caractère répétitif de la preuve proposée, l’intimé semble faire la démonstration que le juge aurait dû la refuser, tout simplement. En fait, j’ai expliqué que le juge y avait songé, mais l’intimé l’avait convaincu que cette preuve était nécessaire. Un juge peut certainement et prudemment prévenir la répétition de la preuve : R. c. Candir2009 ONCA 915. Il le peut certainement lorsque les délais sont sur le point de devenir déraisonnables. En effet, lorsque les délais anticipés approchent la limite du raisonnable, que celle-ci soit déterminée par les plafonds ou par l’évaluation d’un dépassement raisonnable, un juge peut s’immiscer avec prudence dans les pouvoirs discrétionnaires de la poursuite : R. c. Auclair2014 CSC 6 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 83; R. c. Anderson2014 CSC 41 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 167, par. 60.

[88]      Les paramètres entourant les pouvoirs de gestion des juges sont encore en évolution. L’arrêt Felderhof, généralement approuvé dans l’arrêt R. c. Samaniego2022 CSC 9 (par. 22 [j. Moldaver], par. 125-131 [juges Côté et Rowe]), offre toujours une réflexion nuancée sur la question : R. c. Felderhof (2003), 2003 CanLII 37346 (ON CA), 180 C.C.C. (3d) 498 (C.A.O.).

[89]      Toutefois, bien après le jugement du juge d’instance et les décisions sur lesquelles il s’appuie, la Cour suprême, a rappelé les limites des pouvoirs de gestion :

[24]   Garantir l’efficience ne peut toutefois se faire au détriment des règles de preuve. Monsieur Samaniego soutient que les décisions relatives à la gestion de l’instance et en matière de preuve doivent toujours rester distinctes pour garantir que des décisions erronées en cette dernière matière ne puissent revêtir le vernis de la gestion de l’instance lors d’un examen en appel. Bien que je ne souscrive pas à l’avis selon lequel les décisions relatives à la gestion de l’instance et en matière de preuve doivent toujours rester distinctes, je conviens que la gestion de l’instance ne peut pas servir à légitimer les décisions erronées en matière de preuve.

R. c. Samaniego2022 CSC 9, par. 24.

[90]      Ces pouvoirs ne peuvent pas s’exercer au détriment de l’équité et des règles de preuve et devenir la solution privilégiée lorsque le mur des délais s’avance en raison d’une difficulté prévisible pour l’administration de la preuve. En ce sens, le juge a raison d’écrire : « [b]ien entendu, les pouvoirs de gestions d’instance ne sont pas illimités. Le juge doit veiller à respecter le canevas de notre système accusatoire et ne pas intervenir indûment dans les débats (R. c. John2017 ONCA 622, par. 48-51) » : R. c. Dancause2018 QCCS 1565, par. 42.

[91]      Dans l’arrêt Rice, et que reprend le juge, la Cour explique que les juges « doivent être novateurs tout en demeurant soucieux de l’équité des procédures » : R. c. Rice2018 QCCA 198, par. 62. L’affaire R. c. Charron2017 QCCS 688, était alors citée et dans laquelle le juge Cournoyer, maintenant à notre Cour, avait autorisé le ministère public à déposer des déclarations sous serment pour établir des faits périphériques « par rapport aux véritables enjeux du procès si cela ne met pas en jeu le droit à une défense pleine et entière de l’accusé. » : R. c. Charron, précité, par. 66.

[92]        Comme la juge L’Heureux-Dubé l’écrivait à propos des réparations constitutionnelles dans l’arrêt O’Connor, les pouvoirs de gestion entre les mains des juges s’apparentent davantage au scalpel qu’à la hache : R. c. O’Connor1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 69.

[93]      La question est encore plus délicate lorsque la preuve vise des déclarations imputées à des accusés, comme en l’espèce, et qui ne porte pas sur des faits périphériques. Cela n’est d’ailleurs pas contesté. Comme c’était le cas dans l’affaire Auclair, j’estime qu’il faut alors des circonstances sérieuses, voire exceptionnelles, pour qu’un juge adopte des mesures qui touchent aux prérogatives des parties ou, comme l’écrit un des appelants, « s’immisce[nt] dans la conduite du procès et de la stratégie des parties ». Cette proposition reprend les propos de la Cour suprême dans R. c. Anderson2014 CSC 41 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 167, au par. 59.

[94]      Sans contredit, la décision de gestion est hautement discrétionnaire et doit répondre aux particularités de l’affaire. Comme le souligne la Cour suprême, « il importe, en appel, que les décisions relatives à la gestion de l’instance soient examinées dans le contexte du procès dans son ensemble, plutôt que comme des incidents isolés. Les décisions relatives à la gestion de l’instance […] font appel au pouvoir discrétionnaire du juge. En l’absence d’une erreur de principe ou d’un exercice déraisonnable de ce pouvoir, les décisions qui en sont le fruit commandent la déférence » : R. c. Samaniego2022 CSC 9, par. 26.

[95]      Ce rappel étant fait, je suis d’avis que, même si le juge a soupesé avec minutie les enjeux et qu’il a, en définitive, utilisé le scalpel pour élaborer la solution, il commet une erreur en autorisant la poursuite à introduire en preuve, par le truchement de déclarations sous serment, des déclarations imputées à des accusés. Ces éléments de preuve sont en principe des éléments importants de la preuve incriminante qui sont mieux administrés de vive voix, ce qui permet de contre-interroger les témoins après un témoignage principal non directif.

[96]      Cela dit, j’accepte l’argument de l’intimé qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit au sens de 686(1)b)iii) C.cr. Si les préoccupations des appelants évoquées plus haut sont légitimes, leurs griefs demeurent essentiellement théoriques. Ils ne démontrent aucune atteinte à l’équité du procès ou un préjudice à leur droit à une défense pleine et entière.

[97]      Je rappelle que le juge était ouvert à revoir sa décision au cas par cas et à refuser le dépôt d’une déclaration sous serment si les intérêts de la justice le requéraient. Les appelants ne se sont jamais prévalus de ce mécanisme additionnel et déterminant pour pallier tout préjudice individuel qu’un d’eux pouvait anticiper avec un témoin. En appel, devant une preuve écrasante de leur participation à la fraude, les appelants n’apportent rien de concret pour soutenir une erreur ou une injustice.

[98]      Je propose d’appliquer la disposition réparatrice pour rejeter ce moyen.

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