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dimanche 26 janvier 2025

L'appréciation de la vitesse face à une accusation de conduite dangereuse

R. c. Chung, 2020 CSC 8 

Lien vers la décision


[19]                          Premièrement, je conviens avec la Cour d’appel que l’importance indue qu’a accordée le juge de première instance au caractère momentané de l’excès de vitesse révèle qu’une erreur de droit a été commise. Un excès de vitesse momentané à lui seul peut clairement établir la mens rea de la conduite dangereuse lorsque, eu égard à toutes les circonstances, il permet de conclure que la façon de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’aurait respectée une personne raisonnable dans la même situation (Roy, par. 41).

[20]                          Bien qu’il ait reconnu qu’un comportement momentané puisse constituer un écart marqué, le juge du procès a affirmé que son analyse reposait de façon [traduction] « crucial[e] » sur le fait que la vitesse de M. Chung était indiscutablement momentanée (par. 117). Le fait que le juge se fondait sur un principe juridique, plutôt que de tirer une conclusion de fait, est étayé par son renvoi à l’arrêt Willock et par le fait qu’il a établi une distinction avec d’autres affaires où la vitesse et l’accélération excessives s’étaient produites sur de plus longues périodes ou en combinaison avec un comportement dangereux additionnel (par. 103‑107 et 118). Lus dans leur ensemble, ses motifs indiquent que, selon lui, lorsqu’elle était momentanée, la vitesse excessive ne pouvait à elle seule établir la mens rea de la conduite dangereuse.

[21]                          Le juge de première instance a commis une erreur en se concentrant sur le caractère momentané du comportement de M. Chung, plutôt que de se demander si la personne raisonnable aurait prévu les dangers que le comportement momentané présentait pour le public. Une brève période de changements rapides de voie et d’accélération vers une intersection n’est pas comparable aux erreurs momentanées que peut commettre tout conducteur raisonnable, par exemple le virage au mauvais moment sur une autoroute dans Roy, la perte de conscience momentanée dans R. c. Beatty2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, ou la perte de contrôle soudaine dans Willock.

[22]                          Bien que notre Cour dans les arrêts Roy et Beatty ait statué que les inattentions et erreurs de jugement momentanées n’engagent pas habituellement la responsabilité criminelle, c’est parce ces manquements momentanés résultent souvent de la « nature automatique et réactive de la conduite d’un véhicule automobile » (Beatty, par. 34) ou de « [l]a simple imprudence que même les conducteurs les plus prudents peuvent à l’occasion commettre » (Roy, par. 37). Il s’agit là d’exemples de comportements qui, lorsqu’ils sont appréciés en totalité au regard de la norme de la personne raisonnable, ne représentent qu’un simple écart par rapport à la norme. Un comportement momentané ne s’apprécie pas différemment d’autres comportements dangereux. Un comportement qui se produit sur une brève période et qui crée des risques prévisibles et immédiats de conséquences graves peut néanmoins constituer un écart marqué par rapport à la norme (Beatty, par. 48). Une personne raisonnable aurait prévu que l’accélération rapide en direction d’une intersection importante à une vitesse élevée crée un risque bien réel de collision dans les secondes qui suivent. C’est ce qui s’est effectivement produit dans le cas de M. Chung. Un comportement risqué à une vitesse excessive peut, de manière prévisible, entraîner des conséquences immédiates. En conséquence, le fait que les conséquences prévisibles se produisent peu de temps après qu’une personne se soit livrée à un comportement hautement dangereux ne saurait empêcher une conclusion de mens rea de conduite dangereuse.

[23]                          Deuxièmement, je conclus que le juge de première instance n’a pas appliqué le bon critère juridique énoncé dans RoyDans ses motifs, le juge n’a pas déterminé si une personne raisonnable dans la même situation que M. Chung aurait prévu le risque qu’il y avait à accélérer rapidement et à s’engager à toute vitesse dans cette intersection importante et aurait pris les mesures pour l’éviter. Il ne s’agit pas simplement d’une omission du juge de consigner son processus de réflexion par écrit, mais plutôt du fait qu’il ne s’est pas penché sur la question fondamentale en cause, à savoir « si la façon dangereuse de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation » (Roy, par. 36 (je souligne)). Il ressort des motifs du juge, interprétés dans leur ensemble, qu’il n’a pas procédé à cette analyse.

[24]                          Bien que les juges de première instance n’aient pas l’obligation d’exposer leur analyse d’une façon en particulier, les deux questions posées dans Roy, au par. 36, sont utiles et mettent en évidence la nécessité de comparer le comportement de la personne accusée au comportement d’une personne raisonnable dans la même situation qu’elle, eu égard à tous les éléments de preuve pertinents. Cela est essentiel pour déterminer la mens rea objective. À un moment donné dans l’analyse relative à la mens rea, les juges doivent travailler avec les faits tels que constatés et se demander si, eu égard à toutes les circonstances, une personne raisonnable aurait prévu le risque et agi de la même façon que la personne accusée. Ce n’est qu’une fois avoir activement pris en compte le tableau complet de ce qui s’est produit que les juges peuvent trancher la question de savoir si le comportement de la personne accusée représentait un écart marqué par rapport au comportement d’un conducteur raisonnable et prudent.

[25]                          Plutôt que de se concentrer sur ce qu’une personne raisonnable aurait prévu et fait dans les circonstances, le juge du procès s’est livré à un raisonnement axé sur le type (l’excès de vitesse) et la durée (le caractère momentané) du comportement de M. Chung, à l’exclusion du tableau global. Son analyse a porté principalement sur l’établissement de distinctions entre des affaires où il a été jugé que l’excès de vitesse représentait un écart marqué et les circonstances en l’espèce, plutôt que sur l’examen des risques créés par l’excès de vitesse de M. Chung. Autrement dit, le juge s’est concentré sur ce que M. Chung n’avait pas fait par rapport à ce qui avait été fait dans ces autres affaires, au lieu de se poser la bonne question juridique et d’apprécier les risques qu’une personne raisonnable aurait prévus en conséquence de l’excès de vitesse momentané de M. Chung dans les circonstances.

[26]                          Si le juge de première instance avait examiné pleinement et en particulier les circonstances de la présente affaire, il aurait pris en compte le fait que M. Chung avait non seulement commis un excès de vitesse momentané, mais avait en outre évité de justesse un autre véhicule qui tournait à droite devant lui, doublé dans la voie en bordure du trottoir et accéléré en direction d’une intersection importante alors qu’il avait conscience de la présence d’au moins deux véhicules dans l’intersection. Le juge a conclu que M. Chung n’était pas inattentif pendant qu’il conduisait, mais il n’a pas pris en considération comment la conscience qu’avait celui‑ci de son environnement contribuait à faire en sorte que son comportement constituait un écart marqué par rapport au comportement d’une personne raisonnable. Une analyse complète en l’espèce aurait porté sur la durée de l’excès de vitesse, ainsi que sur la maîtrise qu’avait l’accusé de la voiture (il a changé de voie, puis accéléré), sur l’ampleur de l’excès de vitesse (presque trois fois la limite de vitesse), sur l’endroit de l’excès de vitesse (à l’approche d’une intersection importante) et sur le fait que l’accusé avait conscience de la présence d’au moins deux véhicules à l’intersection en s’approchant de celle‑ci. Le juge devait ensuite se demander si, eu égard à ces faits tels que constatés, une personne raisonnable aurait prévu le risque de mettre en danger le public en se livrant à ce comportement et pris les mesures pour l’éviter, vraisemblablement en ne conduisant pas aussi vite.

[27]                          La durée et la nature du comportement de l’accusé ne sont que quelques‑uns des facteurs à examiner avec l’ensemble des circonstances dans l’analyse relative à la mens rea. Ce ne sont pas des facteurs qui peuvent être pris hors contexte. Il est concevable que, dans certains contextes, même une vitesse nettement excessive ne puisse établir un écart marqué par rapport à la norme de diligence, alors que dans d’autres circonstances, la vitesse n’a peut‑être pas besoin d’être nettement excessive pour représenter quand même un écart marqué. Les tribunaux doivent prendre soin de ne pas restreindre l’analyse énoncée dans Roy en adoptant des règles absolues sur la question de savoir quand des facteurs isolés représenteront ou non des écarts marqués. Bien que la jurisprudence puisse être utile en fournissant des exemples de ce qui a déjà été jugé être un écart marqué, les tribunaux doivent quand même analyser les gestes de la personne accusée par rapport à ceux de la personne raisonnable dans les circonstances particulières en cause.

dimanche 12 janvier 2025

La norme du lien de causalité exige que la conduite de l’intimé ait contribué de façon appréciable aux lésions corporelles de la victime

R. c. Collin, 2019 QCCA 887 

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[8]           La détermination du lien de causalité est une question de fait : R. c. Nette2001 CSC 78 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 488, par. 72. Cependant, le juge se méprend, à deux reprises, sur principe juridique qui doit guider la détermination du lien causal, ce qui constitue une question de droit : R. c. J.M.H.2011 CSC 45 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 197, par. 29-30. Par ailleurs, il est également possible d’affirmer ici que l'effet juridique des faits prouvés et acceptés par le juge soulève une question de droit : R. c. J.M.H., [2011] 3 R.C.S. 197, par. 28.

[9]           Dans l’arrêt Sarazin, le juge Healy rappelle que la norme du lien de causalité exige que la conduite de l’intimé ait contribué de façon appréciable aux lésions corporelles de la victime, rien de plus, ce qui n’est pas un critère très élevé : R. c. Sarazin2018 QCCA 1065, par. 21R. c. Maybin2012 CSC 24 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 30; R. c. Nette2001 CSC 78 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 488. La cause qui « contribue de façon appréciable » est l’équivalent, selon la Cour suprême, de celle « ayant contribué de façon plus que mineure » : R. c. Nette, [2001] 3 R.C.S. 488, par. 72.

[10]        Le lien causal recherché n’est pas physique ou mécanique, mais lié à la culpabilité morale du délinquant, ce qui n’est pas un exercice machinal ou mathématique. Il faut se demander si un accusé doit être tenu responsable en droit des conséquences de son geste, ici des lésions corporelles, afin de ne pas punir des personnes moralement innocentes : R. c. Nette2001 CSC 78 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 488, par. 83R. c. Maybin2012 CSC 24 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 30, par. 16R. c. K.L., 2009 ONCA 141R. c. Romano2017 ONCA 837.

[11]        La question n’était donc pas de savoir si la conduite dangereuse de l’intimé était la cause, comme l’écrit le juge. Il devait déterminer si cette dernière avait contribué de façon appréciable aux lésions corporelles.

mercredi 9 octobre 2024

Les principes généraux en lien avec la causalité, revus par la Cour d'appel de l'Ontario

R. v. Malkowski, 2015 ONCA 887

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[14]      We begin with the following general principles concerning causation:

        the causation standard in motor vehicle offences involving death is the same standard that applies in cases of culpable homicide, namely that the accused’s conduct be at least a contributing cause of the deceased’s death, outside the de minimis range; the accused’s conduct need not be the sole contributing cause of death, provided it contributed beyond de minimis to that death;[1]

        in deciding whether an accused should be held responsible for causing a death, it needs to be determined whether the accused caused the death, both in fact and in law; 

        legal causation is the inquiry into “whether the accused should be held criminally responsible for the consequences that occurred.” Legal causation is “based on concepts of moral responsibility”, and informed by legal considerations, such as the wording of the offence-creating provision and the principles of criminal justice, such as that the morally innocent should not be punished;[2] 

        the doctrine of novus actus interveniens or intervening act, is part of the analysis of whether legal causation is established, and whether an accused should be legally accountable for the death; 

        in R. v. Maybin, the Supreme Court discussed two different approaches to determining whether an intervening act has broken the chain of causation – i.e. 1.) considering whether the intervening act was “reasonably foreseeable”; or 2.) considering whether the accused’s actions were “effectively overtaken by the more immediate causal action of another party acting independently”. Importantly, the Court noted that these two approaches are only “analytical aids” that may be useful depending on the factual context. They are not new standards of legal causation. The test remains whether the accused’s dangerous and unlawful acts are a significant and contributing cause of the victim’s death.[3]    

mercredi 24 juillet 2024

L’actus reus & la mens rea de l'infraction de conduite dangereuse

R. c. Roy, 2012 CSC 26

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[33]                          Selon l’arrêt Beatty, l’actus reus de la conduite dangereuse est celui décrit à l’al. 249(1)a) du Code, c’est-à-dire conduire « d’une façon “dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances,  y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu” » (par. 43).

[34]                          Pour déterminer si l’actus reus a été établi, il faut déterminer si la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances.  L’enquête doit être axée sur les risques créés par la façon de conduire de l’accusé, et non sur les conséquences, comme un accident dans lequel il aurait été impliqué.  Comme l’a déclaré la juge Charron au par. 46 de Beatty, « [l]e tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence.  Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire » (je souligne).  Une façon de conduire peut à juste titre être qualifiée de dangereuse lorsqu’elle met en danger le public.  L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur.  Dans cet examen portant sur la façon de conduire, il importe de se rappeler que la conduite est une activité fondamentalement dangereuse, mais elle n’en est pas moins une activité légale dotée d’une valeur sociale (Beatty, par. 31 et 34).  Les accidents résultant de la matérialisation des risques inhérents à la conduite d’un véhicule ne devraient habituellement pas entraîner des déclarations de culpabilité.

[35]                          En résumé, l’analyse relative à l’actus reus de l’infraction doit porter sur la façon de conduire le véhicule à moteur.  Le juge des faits ne doit pas simplement tirer de conclusions sur la façon dangereuse de conduire en se fondant sur les conséquences.  Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire.

         (4)     La mens rea

[36]                          L’analyse relative à la mens rea doit être centrée sur la question de savoir si la façon dangereuse de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 48).  Il est utile d’aborder le sujet en posant deux questions.  La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible.  Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.

[37]                          La simple imprudence que même les conducteurs les plus prudents peuvent à l’occasion commettre n’est généralement pas criminelle.  Tel qu’indiqué précédemment, la juge Charron a formulé ainsi cette idée au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Beatty : « [s]’il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu’en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables » (par. 34).  La Juge en chef a exprimé un point de vue semblable : « même les bons conducteurs ont à l’occasion des moments d’inattention qui peuvent, selon les circonstances, engager leur responsabilité civile ou donner lieu à une condamnation pour conduite imprudente.  Mais en général, ces moments d’inattention ne vont pas jusqu’à l’écart marqué requis pour justifier une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse » (par. 71).

[38]                          L’exigence minimale en matière de faute réside dans l’écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation — un critère objectif modifié.  L’application de ce critère objectif modifié signifie que, bien que la personne raisonnable soit placée dans la situation de l’accusé, la preuve des qualités personnelles de l’accusé (telles que son âge, son expérience et son niveau d’instruction) n’est pas pertinente, sauf si elles visent son incapacité d’apprécier ou d’éviter le risque (par. 40).  Certes, la preuve d’une mens rea subjective — c’est-à-dire, conduire délibérément de façon dangereuse — justifierait une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse, mais cette preuve n’est pas requise (la juge Charron, par. 47; voir aussi la juge en chef McLachlin, par. 74-75, et le juge Fish, par. 86).

dimanche 15 octobre 2017

La conduite dangereuse, l'analyse du lien de causalité et la théorie de l'acte intermédiaire

Truchon c. R., 2016 QCCA 1396 (CanLII)

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[14]        Il est maintenant acquis que les motifs d'un jugement pour être considérés comme suffisants n'ont qu'à permettre un examen valable en appel de la justesse de la décision. C'est le cas en l'espèce.
[15]        Le juge a pris soin de résumer de façon exhaustive tous les faits pertinents de la cause. Il s'est ensuite inspiré des enseignements pertinents dégagés des arrêts NetteBonin et Quesnel aux fins de trancher la question de la causalité. Finalement, il a conclu qu'il était « évident que la conduite de l'accusé constitu[ait] une cause substantielle de la collision qui nous concerne, et ce, en dépit des éléments contributifs attribuables à Mme Villeneuve [la conductrice du véhicule Honda] ».
[16]        L'appelant plaide la théorie de l'acte intermédiaire (clignotant indiquant que le véhicule Honda allait se ranger à droite pour ensuite effectuer un virage en « U » vers la gauche) pour soutenir qu'il y aurait eu rupture du lien de causalité entre sa conduite dangereuse et les conséquences subies par les victimes.
[17]        Dans l'arrêt Maybin, la Cour suprême mentionne que cette théorie ainsi que celle de la prévisibilité raisonnable de l'acte intermédiaire ne sont que des outils permettant d'analyser la causalité juridique. En définitive, la question pertinente qui se pose en matière de lien de causalité se résume à déterminer si la conduite dangereuse a contribué de façon appréciable à la mort ou aux blessures d’une victime.
[18]        En l'espèce, le juge n'a pas conclu que l'acte intermédiaire invoqué contre la conductrice du véhicule Honda avait supplanté la conduite dangereuse de l'appelant. Après analyse, il a plutôt déterminé que celle-ci avait été une cause appréciable de la collision à la suite de laquelle est survenu le décès de la conductrice du véhicule Honda ainsi que des lésions corporelles à sa passagère.
[19]         L’appelant aurait souhaité que le juge traite précisément de la question du lien de causalité juridique en des termes explicites. Une lecture attentive du jugement fait cependant voir qu’il n’a pas ignoré cette notion alors que le choix des mots pour exprimer son raisonnement sur cette question lui appartenait.
[20]        Par ailleurs, l'hypothèse proposée par l'appelant et admise par l'expert selon laquelle l'accident se serait produit même s’il avait respecté la limite de vitesse est sans pertinence. La Cour dans l'arrêt Bonin a été appelée à traiter du lien de causalité applicable aux paragraphes 249(3) et (4) C.cr. en ces termes :
[31]      Avec égards, à l’instar de la juge de première instance, la Cour est d’avis que la thèse des experts sur des scénarios possibles, si l’appelant avait agi autrement, n’est pas pertinente. Comme le déclare la Cour suprême dans R. c. Nette2001 CSC 78 (CanLII)[2001] 3 R.C.S. 488, par. 49, « [l]e droit criminel ne reconnaît pas la négligence contributive et ne comporte aucun mécanisme de partage de la responsabilité relative au préjudice résultant d'une conduite criminelle, sauf dans le contexte de la détermination de la peine une fois que l'existence d'un lien de causalité suffisant a été établie ».
[32]      Sur le lien requis, la Cour d’appel de l’Ontario énonce dans l’arrêt R. c. Kippax2011 ONCA 766 (CanLII)286 O.A.C. 144, par. 24, que lors d’une accusation sous les par. 249(3) ou 249(4) C.cr., la poursuite se doit de démontrer, hors de tout doute raisonnable, « that an accused’s conduct was a significant contributing cause [cause ayant contribué de façon appréciable] of the death or injuries ».
[33]      En l’espèce, il est indéniable que la conduite de l’appelant a été une cause appréciable des décès de Yann De Courcy et AlexandreDe Courcy-Laplante ainsi que des blessures subies par N… D…, nonobstant la conduite du conducteur de la Hyundai. En effet, l’appelant circulait, en partie, dans la voie inverse au moment de la collision et il n’a effectué aucune manœuvre d’évitement.
[Références omises.]
[21]         L'élément déterminant en cette matière est le risque de dommages ou de préjudices qu'engendre la façon de conduire et non celui auquel aurait pu être exposé le public si l'appelant avait choisi de respecter la loi. Nous reviendrons sur cette question au moment de discuter du moyen d’appel portant sur le verdict déraisonnable.
[22]        En conclusion sur ce premier moyen, le dossier d’appel fait voir que l'enquête a porté sur les bons éléments et que le juge a procédé à un examen sérieux de la façon de conduire de l'appelant, avant de conclure que celle-ci avait contribué de façon appréciable aux conséquences mises en preuve par la poursuite. L’appelant ne démontre pas que le juge s’est mal dirigé en droit sur cette question.

La théorie de l'accident en matière d'infraction de conduite automobile

R. c. Girard, 2017 QCCQ 1275 (CanLII)

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[49]        Dans le présent cas, la défense soumet aussi en quelque sorte une défense d'accident, laquelle soulèverait à tout le moins un doute raisonnable tant en ce qui concerne l'élément matériel des infractions reprochées que l'élément moral de celle-ci.
[50]        Il faut distinguer toutefois entre le caractère volontaire d'un acte et celui de la conséquence ; dans sa plus simple expression, cela peut se traduire par le propos suivant : oui je l'ai frappé, mais je ne voulais pas le tuer ou j'ai tiré un coup de fusil en sa direction, c'était pour faire une blague, mais je n'ai jamais voulu l'atteindre. Dans ces cas, à une accusation d'homicide involontaire ou négligence criminelle, la théorie de l'accident dans le sens de celui reconnu par notre droit quant au caractère volontaire du geste, ne serait très probablement pas applicable.
[51]        L'auteur Hugues Parent définit l'accident comme « un événement soudain et inattendu qui se produit sans participation de la volonté de l'agent ».
[52]        Pour sa part, la Cour d'appel du Québec dans la décision Fils c. La Reine précise que la caractéristique fondamentale de l'accident réside dans l'imprévisibilité d'un événement qui survient inopinément hors du contrôle d'une personne.
[53]        Les propos suivants de l'auteur Parent pour l'appréciation de la défense d'accident nous paraissent pertinents:
Ce n'est donc pas parce que l'accident empêche la constatation de l'intention spécifique de tuer qu'il liquide automatiquement la culpabilité de l'agent. Au contraire, « si cette intention est absente, mais que l'accident cause la mort au moyen d'un acte illégal, le seul verdict possible est alors celui de l'homicide involontaire coupable ». 
[54]        La Cour suprême, par la plume de madame la juge Charron, donne aussi des exemples de ce qui constitue un moyen de défense qui se rapproche de celui de l'accident, mais qui nie l'intention coupable de la conduite dangereuse comme de la négligence criminelle. Ainsi, la maladie ou incapacité physique soudaine d'un conducteur ou encore une conduite dangereuse causée par l'absorption de médicament dont le conducteur n'a pas été averti des effets dangereux et du risque pour la conduite automobile.
[55]        De telles circonstances peuvent constituer un moyen de défense à l'encontre d'une accusation comme celle dont doit répondre l'accusé dans le présent cas. Madame la juge Charron cite le juge McIntyre dans R. v. Tutton :
Si un accusé aux termes de l'art. 202 a une croyance sincère et raisonnablement entretenue en l'existence de certains faits, cela peut être une considération pertinente quant à l'appréciation du caractère raisonnable de sa conduite.  Prenons par exemple un soudeur engagé pour travailler dans un espace restreint, et qui se fit à la parole du propriétaire des lieux qu'aucune matière combustible ou explosive ne se trouve à proximité; lorsque son chalumeau provoque une explosion qui entraîne la mort d'une personne et qu'il est accusé d'homicide involontaire coupable, il devrait pouvoir faire part au jury de sa perception quant à la présence ou l'absence de matières dangereuses là où il travaillait.
[56]        En matière de conduite de véhicule à moteur ou de bateau, cet événement imprévisible, soudain, inattendu et indépendant de toute participation du conducteur peut aussi s'illustrer de façon plus simpliste par un bris mécanique, inattendu, imprévisible, tel le bris de la direction, une crevaison causant une perte de contrôle et un impact fatal ou encore un impact avec un débris dont la présence est totalement imprévisible dans un cours d'eau balisé. Sont aussi des exemples de circonstances niant l'intention coupable, celles d'un malaise soudain du conducteur tel un infarctus ou un décollement de la rétine.
[57]        D'une part, dans la présente affaire se pose la question de savoir s'il est survenu un événement imprévisible, soudain, hors du contrôle et de la participation de l'accusé pour ensuite examiner le cas échéant la question du lien de causalité également soulevé par la défense. En fait, si la preuve soulève un doute raisonnable sur ces questions aussi, l'accusé doit être acquitté. 

Les règles de droit applicables à la conduite dangereuse

R. c. Girard, 2017 QCCQ 1275 (CanLII)

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[36]        Comme pour toutes les infractions criminelles celles reprochées à l'accusé comportent un élément matériel, actus reus, et un élément moral, la mens rea.
[37]        La preuve doit démontrer et convaincre le Tribunal hors de tout doute raisonnable qu'objectivement (critère objectif modifié), l'accusé a conduit son bateau d'une manière dangereuse pour le public eu égard aux circonstances y compris la nature et l'état des eaux (ou mer) et l'usage qui au moment considéré en est ou pourrait raisonnable en être fait.
[38]        À ce stade de l'analyse, la conséquence de l'acte quoique pertinente n'a pas d'incidence sur la détermination de la dangerosité de la conduite de l'accusé.
[39]        En ce qui concerne l'élément moral, le Tribunal doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la conduite objectivement dangereuse de l'accusé résulte d'un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation.
[40]        Dans l'arrêt Roy, la Cour suprême du Canada suggère la méthode d'analyse suivante en deux questions:
La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible. Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.
[41]        Puisqu'il s'agit de l'élément moral, souvent subjectif pour de nombreuses infractions criminelles, ici pour cette infraction comme pour la négligence criminelle, l'élément moral repose sur un critère objectif modifié, c'est-à-dire celui de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Ce faisant, les qualités caractéristiques personnelles de l'accusé tels l'âge, l'expérience, l'instruction et les habiletés ne sont pas pertinentes.
[42]        Cependant, l'état d'esprit de l'accusé, surtout si ce dernier donne une explication, doit être considéré pour déterminer si une personne raisonnable dans les mêmes circonstances aurait dû être consciente du risque et du danger inhérent : « La norme par rapport à laquelle le comportement doit être apprécié reste toujours la même  il s'agit du comportement auquel on s'attend de la part d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances », affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Beatty.
[43]        En d'autres mots, est-ce que la preuve démontre que la façon de conduire de l'accusé était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances, et ce faisant, est-ce que cette conduite créait des risques pour la sécurité du public. Comme l'affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Roy«  L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur ».Le public ici inclut les passagers.
[44]        La Cour suprême n'a cessé de rappeler dans ses décisions phares qu'il est important de distinguer la simple imprudence, la négligence civile de la négligence criminelle ou la conduite dangereuse au sens du Code criminel qui sont des infractions graves de sorte que l'intention ne peut se déduire seulement de la dangerosité de la conduite, il faut que celle-ci révèle un écart marqué par rapport à celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.
[45]        Mais cet élément moral de l'infraction peut être tiré des inférences que permettent les circonstances prouvées.
[46]        Rappelons que dans le présent cas l'accusé donne une version des événements qui consiste somme toute à dire qu'il ne peut s'expliquer ce qui s'est passé lors de l'accident, qu'il n'a pas prévu, s'appuyant en cela sur le témoignage des experts de la défense qui expliquent la réaction du bateau sur le plan physique, voire scientifique.
[47]        Les décisions de la Cour suprême dans les affaires Beatty et Roy illustrent le cas où, malgré les conséquences tragiques d'une conduite d'ailleurs soudainement très dangereuse, tel un véhicule qui traverse un terre-plein d'autoroute et va frapper un véhicule dans la voie opposée, la preuve ne démontre pas l'intention coupable requise. Ainsi dans Beatty, la Cour suprême affirme :
Il n’y a en l’espèce aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route… En fait, la preuve limitée qui a été présentée à propos de l’état mental véritable du conducteur tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée.
[48]        Il en est de même dans l'arrêt Roy où un conducteur s'arrête à l'approche d'une traverse d'autoroute et repart pour traverser alors qu'un véhicule semi-remorque circule perpendiculairement et frappe le véhicule de l'accusé causant la mort du passager de ce dernier. L'accusé ayant perdu connaissance n'a pu donner d'explication. Ici encore la Cour suprême constate que l'accident a été causé par une conduite certes dangereuse, mais manifestée lors d'une seule erreur momentanée de jugement aux conséquences tragiques, ce qui ne permet pas de conclure en l'existence de la preuve de l'intention coupable de l'accusé c'est-à-dire la conscience du risque et le choix de le prendre ou de l'éviter.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La théorie de l'objet à vue (plain view)

R. c. McGregor, 2023 CSC 4   Lien vers la décision [ 37 ]                          L’admission des éléments de preuve inattendus découverts ...