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dimanche 9 novembre 2025

Ce ne sont pas tous les rapports sexuels nettement répréhensibles entre un médecin et sa patiente qui seront criminalisés; seulement ceux où il y a absence de consentement ou consentement vicié

Lapointe c. La Reine, 2001 CanLII 39803 (QC CA)

Lien vers la décision


11  L'actus reus de l'agression sexuelle consiste en des attouchements sexuels sur une personne qui n'y consent pas; la mens rea se rapporte à l'intention de se livrer à ces attouchements, tout en sachant que cette personne n'y consent pas, ou encore en faisant montre d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à l'égard de cette absence de consentement: R. c. Ewanchuk 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330 , 346 et 347.

L'actus reus

12  En l'espèce, c'est la question du consentement de la plaignante qui, au niveau de l'actus reus, devenait déterminante.

13  Or, comme le premier juge pouvait facilement conclure à un consentement apparent de la plaignante pour la plupart des relations sexuelles reprochées, il devait se demander dans le contexte de cette cause si ce consentement était libre et éclairé ou si plutôt il n'avait pas été donné en raison de l'exercice de l'autorité. En effet, le par. 265(3) du Code criminel expose que ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison de l'exercice de l'autorité.

14  Un consentement tacite ne peut pas être invoqué comme moyen de défense: ou la plaignante consent ou elle ne consent pas ( R. c. Ewanchuk , précité, p. 349). Ce consentement doit être donné librement, ce qui signifie que le droit s'attache aux raisons qu'a la plaignante de décider de participer ou de consentir apparemment aux relations sexuelles: R. c. Ewanchuk , précité, p. 352: c'est l'état d'esprit de la plaignante qui est pris en compte pour décider de la validité du consentement.

15  Quant à savoir, comme en l'espèce, si le consentement est vicié en raison de l'exercice de l'autorité, le législateur n'a pas défini ce concept: il y a donc lieu de s'en remettre à l'interprétation qu'en propose la jurisprudence.

16  Des arrêts Norberg c. Wynrib 1992 CanLII 65 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 226 , R. c. Litchfield 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333 , St-Laurent c. Hétu , (1994), 1993 CanLII 4380 (QC CA), R.J.Q. 69 (C.A.), se dégagent les principes suivants: le tribunal doit procéder à un examen attentif de la nature de la relation entre les parties afin de déterminer (1) l'existence d'une inégalité de rapport de force et de dépendance, (2) l'exploitation de cette inégalité, et (3) l'effet causal de cet exercice de l'autorité sur le consentement de la plaignante.

17  Ces principes ont été repris par le premier juge qui les expose comme suit:

Le Tribunal conclut de ces faits et de l'ensemble de la preuve hors de tout doute raisonnable, à l'existence d'une inégalité écrasante du rapport de force entre les parties.

Quant à l'exploitation de cette inégalité écrasante du rapport de force, le Tribunal retient, en plus des faits ci-avant énoncés, les éléments de preuve suivants:

1) L'accusé est celui qui a initié les contacts physiques avec la plaignante dès la première semaine d'hospitalisation.

2) L'accusé est celui qui a initié les contacts de nature sexuelle avec la plaignante.

3) La très grande majorité des activités sexuelles sont survenues à l'hôpital, au département de psychiatrie ou à la clinique externe, dans un bureau dont l'accusé avait le contrôle, à titre de médecin pratiquant sa profession à l'hôpital Charles-Lemoyne.

4) Les activités sexuelles sont survenues à l'occasion des rapports professionnels qu'entretenait l'accusé avec la plaignante. Il est important de considérer que les relations sexuelles se sont déroulées dans le cadre des consultations médicales et plus particulièrement en connexité étroite avec la partie psychothérapeutique du traitement prodigué par l'accusé.

De l'avis du Tribunal, cette confusion des rôles amant-médecin que l'accusé a volontairement entretenue à l'égard de la plaignante démontre qu'il cherchait à tirer profit et avantage de l'inégalité écrasante qui caractérisait sa relation avec elle.

Le Tribunal en conclut que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'accusé a exploité à son propre avantage l'inégalité écrasante de son rapport de force avec la plaignante.

Enfin, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable, compte tenu des particularités de la maladie dont était affligée la plaignante qui comportait une vulnérabilité certaine en matière de relations interpersonnelles et de relations intimes que son consentement apparent aux activités sexuelles a été donné en raison de l'exercice abusif de l'autorité par l'accusé.

Avant de conclure, le Tribunal rejette l'argument de l'accusé à l'effet que sa propre vulnérabilité psychologique à l'endroit des femmes dépressives qui refusent son aide devrait soulever un doute raisonnable sur sa volonté d'exercer l'autorité sur la plaignante.

Cette vulnérabilité constitue assurément une caractéristique personnelle de l'accusé. Au plus, est-elle un facteur que le Tribunal doit considérer dans l'analyse du rapport de force qui existait entre les parties. Mais de l'avis du Tribunal, il ne s'agit pas d'un élément déterminant qui n'affecte en rien la conclusion précédemment tirée à l'effet qu'il existait une inégalité écrasante dans le rapport de force qui caractérisait sa relation avec la plaignante.

De plus, le Tribunal est incapable de voir en quoi, cette vulnérabilité psychologique spécifique puisse avoir un lien logique avec le fait que l'accusé ait tiré avantage et qu'il ait exploité indûment l'inégalité du rapport de force qu'il avait avec la plaignante en se livrant à des activités sexuelles avec elle.

Au contraire, il semble logique de croire que la sensibilité particulière de l'accusé à l'égard des femmes dans la même situation que la plaignante aurait dû l'amener à chercher à l'aider davantage, plutôt que de profiter de sa faiblesse pour servir ses intérêts personnels.

18  Le dispositif du jugement traite plus spécifiquement de la mens rea:

Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que durant la période s'étendant entre le mois de novembre 1983 et septembre 1985, l'accusé a eu des rapports sexuels avec la plaignante sachant qu'elle n'y consentait pas de façon libre, volontaire et éclairée.

La preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'accusé était, dans les faits de l'espèce, en situation d'autorité au sens légal du terme et qu'il a exercé cette autorité pour obtenir que la plaignante se soumette, ne résiste pas et même participe à des activités sexuelles avec lui.

Conséquemment, l'accusé, Pierre Lapointe est acquitté de l'accusation telle que portée mais déclaré coupable de l'infraction incluse qui se lit ainsi:

Entre le mois de novembre 1983 et le mois de septembre 1985, à Greenfield Park, district de Longueuil, a agressé sexuellement M.V. (53-03-19), commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 271-1-A du Code criminel. (Je souligne)

19  En conclusion, j'estime que le premier juge s'est bien dirigé en droit sur les notions de consentement et de l'exercice de l'autorité qui peut vicier le consentement.

Moyen d'appel 4: l'erreur de fait ou la croyance sincère mais erronée au consentement

21  Ce moyen d'appel, contrairement aux moyens 1 et 2 qui s'attaquent à l'actus reus, concerne la mens rea. L'appelant reproche au premier juge d'avoir refusé de considérer le moyen de défense de l'erreur de fait ou la croyance sincère, erronée ou non, au consentement de la plaignante.

22  Il est acquis qu'à l'égard de la mens rea de l'agression sexuelle, l'inculpé peut invoquer, comme moyen de défense, son erreur de fait liée à sa croyance sincère, bien qu'erronée, au consentement de la plaignante: R. c. Ewanchuk , précité, p. 353. C'est donc une perception erronée des faits que l'inculpé fait valoir en plaidant qu'il a agi erronément: Pappajohn c. La Reine 1980 CanLII 13 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 120 , p. 148 (propos repris dans R. c. Ewanchuk , précité, p. 354). Ce ne sont pas toutes les croyances invoquées qui peuvent disculper, comme celles qui sont imputables à l'aveuglement volontaire ou à l'insouciance: R. c. Ewanchuk , précité, p. 347.

23  Cela dit, la proposition de l'appelant surprend. Comment peut-il, à l'égard de sa mens rea, invoquer une perception viciée par son propre fait? ( R. c. Ewanchuk , précité, p. 361). Pour s'interroger sur sa mens rea, il faut d'abord être satisfait de l'actus reus. Or, à cet égard, il a été conclu que le consentement a été vicié par le fait de l'appelant: il m'apparaît impensable qu'il puisse faire valoir une défense d'erreur imputable à sa propre faute.

24  De deux choses l'une. Si, quant à l'actus reus, le premier juge conclut à un consentement valide, l'infraction n'est pas commise et l'examen de la mens rea n'est pas requis. Par ailleurs, dans un cas comme en l'espèce où pour décider de l'actus reus le premier juge conclut que le consentement est vicié par le fait de l'inculpé («l'exercice de l'autorité»), il serait à tout le moins contradictoire qu'il puisse faire bénéficier l'inculpé d'une défense invoquant une croyance sincère à un consentement vicié par son propre fait.

Le moyen 3: le verdict déraisonnable

25  J'aborde maintenant la seule difficulté qu'à mon avis ce pourvoi soulève: la conclusion de culpabilité du premier juge pour l'ensemble des relations sexuelles survenues au cours de l'hospitalisation de la plaignante s'appuie-t-elle sur la preuve?

26  Avec égards, je ne peux souscrire qu'en partie à la conclusion de culpabilité.

27  Tout au long de ce procès, l'appelant n'a jamais tenté de justifier, d'un point de vue médical ou de sa responsabilité professionnelle, les rapports sexuels dans cette relation médecin-patient. Il est difficile d'imaginer plus grave manquement à ses obligations déontologiques et d'ailleurs l'appelant a été l'objet d'une radiation très sévère infligée par un comité de discipline, après avoir d'ailleurs reconnu sa faute.

28  Cela dit, il ne s'ensuit pas que tous les rapports sexuels nettement répréhensibles entre un médecin et sa patiente seront criminalisés. Comme l'écrivait le juge Doyon de la Cour du Québec ( R. c. Blondin 1998 CanLII 10866 (QC CQ)REJB 1998-06070, 16 février 1998, Montréal), «ce n'est pas le fait d'avoir des rapports sexuels avec une personne vulnérable ou dans un état d'infériorité qui constitue l'infraction (d'agression sexuelle), mais bien d'avoir des rapports sexuels avec une personne qui ne consent pas ou dont le consentement est vicié, par exemple, par sa vulnérabilité et son incapacité de le former ou qui est incitée par l'accusé à l'activité sexuelle par l'exercice d'un abus de confiance ou de pouvoir. C'est dans ce contexte que la vulnérabilité ou l'abus de confiance et de pouvoir, de même que toutes les circonstances de l'espèce, dont l'inégalité du rapport de force, sont pertinentes à la détermination de l'existence ou de l'inexistence d'un consentement valide.» Cette proposition résume bien l'état du droit que j'ai exposé précédemment et se dégage notamment des arrêts Norberg c. Wynrib , précité, R. c. Audet 1996 CanLII 198 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 171 et R. c. Matheson , [1999] 134 C.C.C. (3d) (C.A. Ont.), 289, p. 322, approuvant St-Laurent c. Hétu , précité.

29  Ainsi, dans R. c. Matheson , précité, la Cour d'appel a confirmé la conclusion du premier juge caractérisant l'exercice par le thérapeute de son autorité en ces termes:

There is overwhelming evidence in my view that the exercise of authority in each one of the charges incorporated a slow, gradual seduction, a conditioning, and a manipulation. It could be called a brainwashing of two extremely vulnerable women who were totally fenced in by an intentional exercise of power and authority which was calculated, intentional blatant, deceptive, persistent and consistent. Each of these women, Y and X, being seriously disturbed mentally, being under stress to a great extent, went to the accused for therapy and not for sex. Knowing that, the accused intentionally abused and exercised his superior position of power and authority, and he did that, I am satisfied it is proven, not for any aspect of professional therapy, but for sexual intercourse and to satisfy his own sexual lust. I find the accused guilty on both counts. (p. 302)

30  Dans le même sens, les situations évoquées dans Norberg c. Wynrib , précité, et W.(B.) c. Mellor , [1989] B.C.J. no 1393 (C.S.) cité dans Norberg, où la patiente consent à des relations sexuelles avec un médecin qui lui procure des médicaments en échange peuvent se traduire par l'exploitation du médecin d'un état de dépendance qui vicie le libre arbitre de la patiente prête à s'engager dans la relation: il s'agit du cas d'une domination d'une personne vulnérable pour assouvir ses besoins sexuels.

mercredi 22 octobre 2025

Il n’existe pas de défense de consentement tacite en matière d’agression sexuelle en droit canadien & comment apprécier si les voies de fait reprochées sont de nature sexuelle

R. c. Leclerc, 2018 QCCA 236

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[8]           Notre Cour, dans l’arrêt Grey[7], rappelle précisément que :

[…] pour déterminer si les voies de fait reprochées sont de nature sexuelle, le juge des faits doit se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut percevoir le contexte sexuel ou charnel de l’agression. Il s’agit d’un critère objectif s’attachant à l’intégrité sexuelle de la victime.

[11]        Nous croyons bon de formuler une observation relativement à un commentaire particulier du juge. Lorsqu’il analyse la situation à l’égard du consentement de la plaignante, il affirme « qu’il y a eu consentement, même passif, à des relations sexuelles ».

[12]        Ce commentaire est, pour le moins, étonnant. D’abord parce qu’il va à l’encontre de la conclusion du juge selon laquelle il n’y a pas eu de consentement à l’emploi de la force contre la plaignante et que les articles 265 (3) et 273.1 du Code criminel sont applicables à la situation.

[13]        Ensuite, parce que l’arrêt Ewanchuk, suivi et appliqué par les cours canadiennes depuis 1999, enseigne que :

[…] le juge des faits ne peut tirer que l’une ou l’autre des deux conclusions suivantes: la plaignante a consenti ou elle n’a pas consenti. Il n’y a pas de troisième possibilité. Si le juge des faits accepte le témoignage de la plaignante qu’elle n’a pas consenti, même si son comportement contredit fortement cette prétention, l’absence de consentement est établie et le troisième élément de l’actus reus de l’agression sexuelle est prouvé. Dans notre jurisprudence de common law, la doctrine du consentement tacite a été reconnue dans divers contextes, mais pas dans celui de l’agression sexuelle. Il n’existe pas de défense de consentement tacite en matière d’agression sexuelle en droit canadien.[8]

[Soulignements ajoutés]

Les éléments constitutifs de l’infraction d’agression sexuelle

Roy c. R., 2021 QCCA 619

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[20]      Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Ewanchuk : « [l]’infraction consiste en des voies de fait visées par l’une ou l’autre des définitions du par. 265(1) du Code, et qui sont commises dans des circonstances de nature sexuelle telles qu’il y a atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime »[4]. L’actus reus d’une agression sexuelle est prouvée lorsqu’une personne commet un geste énuméré aux paragraphes 265(1) a) et b) à caractère sexuel sur une autre personne sans le consentement de celle-ci. Le standard à appliquer pour déterminer si les gestes comportent la nature sexuelle requise est celui de la personne raisonnable tenant compte de toutes les circonstances[5].

[21]      Bien qu’un grand nombre de cas de voies de fait et d’agression sexuelle implique des attouchements physiques, le paragraphe 265(2) du Code criminel rend applicable toutes les modalités de l’infraction de voies de fait visées aux paragraphes 265(1)a) et b) à des circonstances sexuelles[6]. Le paragraphe 265(1)b) dispose qu’il y a agression lorsque l’accusé « tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein ». Force est de constater que cette disposition reconnaît explicitement la distinction entre l’emploi actuel de force physique contre une autre personne et un emploi de force appréhendé tel que défini dans le paragraphe. 

[22]      La jurisprudence de la Cour suprême ou de cette cour n’impose aucune règle voulant que l’actus reus d’une agression sexuelle, ou de toute autre voie de fait, ne puisse être démontré que par la preuve d’attouchements physiques. Une telle règle supposerait que la Cour suprême a, par ses arrêts, abrogé les paragraphes 265(1) et (2) du Code criminelLorsque la Cour dit dans l’arrêt Ewanchuk qu’un attouchement physique est un élément de l’actus reus de l’infraction de voies de fait, elle ne fait qu’affirmer qu’un attouchement physique est un élément suffisant aux fins de l’application du paragraphe 265(1). À aucun moment la Cour n’affirme-t-elle que l’attouchement physique est un élément strictement nécessaire à l’infraction. Cela va de soi, puisque la disposition en question prévoit explicitement d’autres modalités d’exécution qui sont également suffisantes pour conclure à la culpabilité.

dimanche 19 octobre 2025

Quel degré de force est requis pour constituer une agression?

R. c. Bernier, 1997 CanLII 9937 (QC CA)

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Le premier juge indique que la preuve ne révèle pas le caractère hostile propre à une agression et qu'il ne peut, pour cette raison, conclure à la culpabilité de l'intimé.  Les attouchements reprochés auraient été posés dans un contexte qui s'apparente beaucoup plus à une mauvaise plaisanterie qu'à la violence.

 

Une agression suppose-t-elle nécessairement le recours à la force physique ou à une forme quelconque d'hostilité physique?  N'existe-t-il pas des situations où un agresseur n'a pas besoin d'utiliser sa force pour porter atteinte à l'intégrité physique ou sexuelle de sa victime?

 

Comme l'indique son appellation, l'agression sexuelle (sexual assault) exige d'abord et avant tout une agression (assault).  Ce terme est défini au paragraphe 265(1) C.cr., tandis que  le paragraphe 265(2) prévoit que cette définition s'applique à tous les types d'agressions sexuelles:

 

  265. (1) [Voies de fait]  Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas:

a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

b) ...

c) ...

      (2) [Application] Le présent article s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles...

 

Le sous-paragraphe 265(1)a) stipule que l'emploi intentionnel de la force, directement ou indirectement, est nécessaire pour commettre une agression.  Toutefois, le terme force souffre d'imprécision.  Quel degré de force est requis pour constituer une agression?  S'agit-il d'une force physique extrême ou négligeable?

 


À cet égard, la Common law a adopté une approche souple pour définir la force.  Les auteurs Smith et Hogan adoptent la notion de "intentional touching... without consent and lawful excuse"[4]:

 

An assault is an act by which D, intentionally or recklessly, causes P to apprehend immediate and unlawful personal violence (...).  But "violence" here includes any unlawful touching of another, however slight, for, as Blackstone wrote:

 

"the law cannot draw the line between different degrees of violence, and therefore prohibits the first and lowest stage of it; every man's person being sacred, and no other having a right to meddle with it, in any the slightest manner."

 

As Lane LCJ put it:

 

"An assault is any intentional touching of another person without the consent of that person and without lawful excuse.  It need not necessarily be hostile, or rude, or aggressive, as some of the cases seem to indicate."

(soulignements ajoutés et références omises)

 

Selon cette définition, tout toucher intentionnel sans excuse légitime est donc une agression.

 


D'ailleurs dans un contexte d'agression sexuelle, l'agression qui revêt un caractère sexuel ne présente pas toujours le caractère hostile d'une agression au sens commun du terme[5].  De fait, la composante agression de l'agression sexuelle provient plutôt de l'absence de consentement de la victime en regard du toucher:

 

In indecent assaults D's attitude to P will frequently not be "hostile" in the ordinary sense, but unduly affectionate!  "Hostile", it is submitted, cannot mean more than against the will of P.[6]

(soulignements ajoutés)

 

Dans l'affaire Boucher c. La Reine[7], notre Cour indique qu'elle rejette la proposition qui veut que l'agression sexuelle se limite aux situations où la victime avait été l'objet d'un acte de violence.

 

 L'utilisation de la force n'est qu'un facteur parmi d'autres pour déterminer si la conduite reprochée comporte une connotation sexuelle.  La Cour suprême a clairement indiqué sa position dans Chase[8]:

 

La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s'est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l'acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents.

(soulignements ajoutés)

 


Finalement, dans l'affaire R. c. Pitt[9], la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario a refusé d'ordonner un nouveau procès suite à la directive du premier juge concernant la notion de force dans un contexte d'agression sexuelle:

 

Force simply means physical contact.  There can be force without any violence.  In other words, this ingredient is proved if you are satisfied, beyond a reasonable doubt, that Roderick Pitt, the accused, touched C.B., the victim.

(soulignements ajoutés)

 

Plus tard, la Cour suprême confirmait la majorité[10].

 

Je conclus que le premier juge s'est mal dirigé en droit.  La culpabilité de l'intimé ne dépendait pas d'une preuve susceptible d'établir le caractère hostile de l'agression.  L'intimé a utilisé la force au sens des articles 271 et 265 du Code en se livrant volontairement à des attouchements à caractère sexuel sur des bénéficiaires sachant qu'ils n'y consentaient pas ou encore, qu'ils n'étaient vraisemblablement pas en mesure de consentir, élément sur lequel je reviendrai plus tard.

dimanche 5 octobre 2025

Un stéréotype dans le contexte d’un procès pour agression sexuelle est une proposition générale fausse ou inexacte tirant sa source dans la discrimination et l’inégalité de traitement, qui est appliquée à une plaignante en particulier, sans égard aux caractéristiques ou circonstances propres à cette personne

R. c. Bik, 2025 QCCA 340

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[14]      La Cour suprême a récemment expliqué le concept de mythes et stéréotypes à l’endroit des plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle dans son arrêt R. c. Kruk :

[37]      Les mythes et stéréotypes à l’endroit des plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle englobent des idées et des croyances très répandues qui ne sont pas vraies empiriquement — comme les notions désormais discréditées que les infractions sexuelles sont généralement commises par des personnes que la victime ne connaît pas, ou que les crimes de ce type sont plus susceptibles que les autres infractions de faire l’objet de fausses allégations. Les mythes, en particulier, véhiculent des histoires et des visions du monde traditionnelles concernant ce qui, aux yeux de certains, constitue de la « véritable » violence sexuelle et ce qui n’en constitue pas. Certains mythes impliquent le discrédit en bloc de la véracité des propos des femmes et de leur fiabilité, tandis que d’autres conceptualisent une victime idéalisée ainsi que ses caractéristiques et ses actions avant, pendant et après l’agression. Par le passé, tous les mythes et stéréotypes de ce genre se reflétaient dans les règles de preuve qui ne régissaient que le témoignage des plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle et avaient invariablement pour effet de dévaluer et de rabaisser leur statut en cour.[5]

[15]      Un stéréotype dans le contexte d’un procès pour agression sexuelle est une proposition générale fausse ou inexacte tirant sa source dans la discrimination et l’inégalité de traitement, qui est appliquée à une plaignante en particulier, sans égard aux caractéristiques ou circonstances propres à cette personne[6]. Comme l’a écrit la Cour suprême dans l’arrêt R. v. D.D., « il n’existe aucune règle immuable sur la façon dont se comportent les victimes de traumatismes comme une agression sexuelle »[7]. Se fonder sur des mythes ou stéréotypes à l’endroit des plaignantes dans une affaire d’agression sexuelle pour discréditer leur témoignage constitue une erreur de droit[8].

[16]      Comme expliqué ci-dessous, la juge a recouru à un raisonnement inadmissible s’appuyant sur des mythes et des stéréotypes.

[17]      Le refus de la juge de croire qu’immédiatement après l’agression sexuelle alléguée, la plaignante se soit levée de la table sans se couvrir et ait marché complètement nue en est le premier exemple. La juge tient le raisonnement suivant : le témoignage de la plaignante selon lequel sa nudité l’embarrassait, pris avec le risque qu’un autre patient pénètre dans la salle d’attente, rend peu plausible l’assertion qu’elle ait « marché toute nue de son plein gré » au lieu de remettre ses sous-vêtements ou d’attraper une serviette (« Si sa nudité l’embarrassait, elle pouvait remettre ses sous-vêtements, à tout le moins, elle en était libre comme elle était libre de prendre une serviette derrière la porte du cabinet »[9]).

[18]      Il convient de noter que la plaignante a témoigné qu’elle était en état de « internal panic » [panique interne], que son corps avait cessé de fonctionner et était figé et qu’elle n’avait rien dit directement à l’intimé concernant l’agression par peur d’aggraver la situation. Lorsqu’elle est descendue de la table de massage, l’intimé lui a demandé de marcher devant lui, ce qu’elle a fait, alors que tout ce qu’elle avait à l’esprit était : « I need to get out of here » [Il faut que je sorte d’ici].

[19]      En concluant que le témoignage de la plaignante sur son comportement immédiatement après l’agression sexuelle alléguée n’était pas crédible, la juge a apprécié ce comportement à l’aune de celui qu’elle s’attendait à voir[10]. L’inférence tirée ici est que compte tenu du témoignage de la plaignante selon lequel sa nudité la mettait mal à l’aise, une réaction rationnelle et attendue aurait été de se couvrir lorsqu’elle s’est levée. Bien évidemment, la juge était libre de ne pas croire l’allégation d’agression sexuelle, mais elle ne pouvait pas le faire sur la base d’une incohérence dans le témoignage de la plaignante trouvant sa source dans un préjugé sur ce que la plaignante aurait dû faire – ou être en mesure de faire – dans les minutes suivant l’agression sexuelle alléguée.

[20]      Cette hypothèse erronée sur le comportement attendu d’une victime d’agression sexuelle est une erreur de droit qui a conduit la juge à considérer que le comportement de la plaignante n’était pas plausible et la discréditait.

[21]      Deuxièmement, la juge tient le raisonnement fautif que la plaignante ne pouvait être crue lorsqu’elle a affirmé que lorsqu’elle a senti la succion sur ses mamelons, elle est tout d’abord restée figée et a fermé les yeux, alors qu’elle a été en mesure de faire cesser l’agression sexuelle en saisissant le poignet de l’intimé lorsque celui-ci lui a touché sa vulve et a tenté de la pénétrer avec un doigt. La juge déclare : « Si elle dit être capable de prendre le poignet de l’accusé afin qu’il cesse de la masser dans la région pelvienne et de lui dire qu’elle est là pour son dos, elle peut aussi ouvrir les yeux lors de l’épisode des cônes, ce qu’elle ne fait pas ».

[22]      Selon la juge, s’il était véridique que la plaignante avait agi pour mettre fin aux gestes de son agresseur lorsqu’il a tenté une pénétration digitale, il n’est pas plausible (sinon incroyable) qu’elle ait été dans l’incapacité d’ouvrir les yeux ou qu’elle les ait gardés fermement clos pendant qu’il lui manipulait les seins quelques minutes plus tôt. Ce raisonnement est fondé sur la fausse prémisse qu’une victime d’agression sexuelle qui réussit à résister à son agresseur à un moment donné de l’agression pouvait nécessairement lui résister à un autre moment de l’agression.

[23]      Là encore, le raisonnement de la juge s’appuie sur une hypothèse générale erronée à l’endroit des victimes d’agression sexuelle qui fait fi de la réalité bien établie que chaque victime est susceptible de réagir différemment[11]. Cela a conduit la juge à conclure erronément qu’il n’était pas plausible pour une victime de pouvoir réagir et faire cesser une agression sexuelle alors qu’elle était restée figée au début de l’agression.

[24]      Apprécier à tort les actions de la plaignante pendant et après une agression sexuelle à l’aune d’un comportement préconçu normalement attendu d’une victime dans les circonstances est exactement ce que la jurisprudence qualifie de raisonnement inadmissible fondé sur des mythes et des stéréotypes. Comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Kruk, il s’agit là d’une erreur de droit[12].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...