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vendredi 4 juillet 2025

L’emprisonnement dans la collectivité

Casavant c. R., 2025 QCCA 20 

Lien vers la décision


[84]      Je rappelle que le crime d’agression sexuelle est grave et qu’il interpelle vivement, comme tous les crimes du reste, les objectifs de dénonciation et de dissuasion, mais également les autres objectifs de la peine qui sont énumérés au Code criminel. Dans les circonstances du dossier et afin de répondre aux différents objectifs de la peine, personne ne suggère que l’appelant mérite autre chose qu’une peine de prison; et il recevra une peine de prison.

[85]      La question est de savoir si cette peine peut être purgée dans la collectivité.

[86]      Le dilemme entre ces deux modalités de peine d’emprisonnement a été exposé dans l’arrêt Proulx qui reprenait l’idée exprimée d’une part, par feu le juge Rosenberg, dans l’arrêt R. v. Wismayer (1997), 1997 CanLII 3294 (ON CA), 115 C.C.C. (3d) 18 (C.A.O.) et, d’autre part, par un arrêt anglais. Avec sagesse, on rappelle que l’objectif de la peine d’emprisonnement dans la collectivité est de réduire le nombre de délinquants non dangereux en prison. On y a donc recours pour les délinquants qui autrement se retrouveraient derrière les barreaux, de sorte qu’elle n’est pas appropriée pour les délinquants qui mériteraient un autre type de peine que l’emprisonnement :

[56] Conjugué aux al. 718.2d) et e), l’art. 742.1 met les tribunaux en garde contre l’« extension de l’application » du régime d’emprisonnement avec sursis aux délinquants qui n’auraient autrement pas été emprisonnés (Gagnon, précité, à la p. 2645; McDonald, précité, aux pp. 437 à 439). Comme le dit le juge Rosenberg, dans Wismayer, précité, à la p. 42:

[TRADUCTION] L’objectif du législateur de réduire le nombre de délinquants non violents détenus en prison et d’accroître le recours aux sanctions communautaires sera contré si les tribunaux refusent de rendre des ordonnances d’emprisonnement avec sursis à l’égard des infractions qui donnent lieu normalement à des peines d’emprisonnement et n’y recourent que pour les infractions jusqu’ici sanctionnées par des mesures autres que l’emprisonnement.

La réalisation de l’objectif du législateur qui est de réduire le recours à l’emprisonnement pour les délinquants non dangereux pourrait être compromise si des ordonnances de sursis à l’emprisonnement étaient prononcées à tort.

[57] L’expérience des tribunaux anglais dans l’application d’une peine semblable, appelée « suspended sentence » (« conditional sentence » au Canada), illustre bien les préoccupations susmentionnées. Comme l’a expliqué le lord juge en chef Parker, au nom de la Cour d’appel (Division criminelle), dans R. c. O’Keefe (1968), 53 Cr. App. R. 91, aux pp. 94 et 95:

[TRADUCTION] Notre Cour tient à préciser, aussi catégoriquement que possible, qu’une condamnation avec sursis ne doit pas être prononcée lorsque, n’eût été le pouvoir d’infliger cette peine, une ordonnance de probation aurait été la décision appropriée. Après tout, la condamnation avec sursis est une peine d’emprisonnement…

Notre Cour estime donc que, avant de prononcer une condamnation avec sursis, le tribunal doit écarter toute autre sanction possible, comme l’absolution inconditionnelle, l’absolution sous condition, l’ordonnance de probation et l’amende, puis se demander s’il s’agit d’un cas commandant l’emprisonnement et, dans l’affirmative, s’il doit y avoir emprisonnement immédiat ou s’il est possible d’y surseoir?

R. c. Proulx2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, par. 56-57.

[87]      En clair, l’emprisonnement avec sursis est une peine de prison (d’une durée maximale de deux ans moins un jour, comme le prévoit le Code criminel) et non une « probation renforcée ou sévère ». Il ne faut donc pas se surprendre lorsque le candidat, n’eût été cette mesure, aurait été condamné à l’incarcération.

[88]      Il vaut de rappeler que le législateur a également codifié l’important principe de modération dans le recours à l’emprisonnement, comme le rappelle l’arrêt R. c. Bachou2022 QCCA 1145. Ce principe doit être envisagé à l’égard de tous les délinquants. Le juge Cournoyer, qui écrit pour la Cour, ajoute que « [c]e faisant, le législateur a "positionné l’emprisonnement comme une mesure de dernier recours" » : R. c. Bachou, 2022 QCCA 1145, par. 41, voir aussi 37-43.

[89]      Cela dit, il est vrai que, tant ce principe que l’arrêt Proulx reconnaissent qu’il faut examiner tous les objectifs de la peine et que, parfois, seule l’incarcération est celle qui permet d’atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion : R. c. Bachou2022 QCCA 1145, par. 43. Voici comment le juge Lamer exprime cette idée dans l’arrêt Proulx :

[114] Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d’objectifs correctifs. À l’inverse, selon de la nature des conditions imposées dans l’ordonnance de sursis, la durée de celle‑ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l’emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d’importance.

R. c. Proulx2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, par. 114 (je souligne).

[90]      Je conviens qu’atteindre l’équilibre n’est pas toujours simple. Après tout, lorsqu’on conclut que le crime mérite une peine de prison, le raisonnement pousse naturellement vers le choix de l’incarcération. Comme le rappelait la Cour suprême, « [l]a détermination d’une peine juste et appropriée est un art délicat » : R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 91.

[91]      D’abord, le juge tombe dans l’erreur évoquée par mon collègue le juge Doyon dans l’arrêt R. c. Lemieux, c’est-à-dire de s’appuyer sur des précédents inadéquats :

[107] D’autre part, il serait tout aussi erroné de déterminer la peine en insistant indûment sur les peines infligées depuis 2007. Il pourrait alors être trop facile de conclure, sur cette base, que les tribunaux imposent l’incarcération dans les cas d’agressions sexuelles. Une telle conclusion pourrait bien être erronée puisque l’emprisonnement avec sursis était prohibé jusqu’à récemment, ce qui ne laissait pas de place à cette alternative à l’incarcération.

R. c. Lemieux2023 QCCA 480, par. 107.

[92]      En effet, les décisions auxquelles le juge fait référence, et reprises plus haut au paragraphe [44], sont des décisions qui ont été prononcées alors que l’emprisonnement dans la collectivité n’était plus autorisé par la loi. En revanche, l’arrêt R. c. M.B.que cite le juge, est rendu à un moment où cette peine était possible. Cependant, les faits de cette affaire sont très éloignés des faits du présent dossier. Dans M.B., l’appelant était médecin de profession. Il avait été condamné pour des infractions sexuelles à l’égard d’enfants et d’une patiente. La Cour y note que « les facteurs aggravants sont par ailleurs particulièrement importants puisque deux chefs d’accusation comportent une atteinte à l’intégrité psychologique de deux jeunes enfants et que toutes les infractions se sont déroulées dans le cadre d’une relation médecin-patiente et ont donné lieu à des abus de confiance » : R. c. M.B.2000 CanLII 11365, par. 62 (C.A.Q.).

[93]      Évidemment, comme l’arrêt Tremblay le souligne, la relation médecin-patient place l’aiguille de l’abus de confiance à un niveau élevé et les agressions sexuelles sur les enfants ne font rien pour diminuer la lourde responsabilité du délinquant démontrée par la preuve.

[94]      Il est vrai que le présent dossier comporte des éléments aggravants, notamment la vulnérabilité de la plaignante, la pénétration vaginale et l’absence de protection. L’appelant a profité du sommeil de la plaignante pour l’agresser. En quelque sorte, ces éléments aggravants font déjà bouger l’aiguille vers la peine d’emprisonnement et en augmentent la durée, par opposition à une peine d’une autre nature ou d’une durée moindre.

[95]      Toutefois, afin d’écarter l’emprisonnement dans la collectivité, le juge s’appuie de manière erronée sur la dissuasion et sur la dénonciation.

[96]      Je rappelle ses propos cités plus haut, au paragraphe [46] des présents motifs, selon lesquels il faut « prioriser la dénonciation et la dissuasion générale afin de lancer un message clair » et que c’est « par une lourde peine que le message portera » afin « que ce genre de crime cesse ».

[97]      Je rappelle d’abord que l’arrêt Proulx reconnaît que la poursuite des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale n’est pas un obstacle dirimant à l’emprisonnement avec sursis : R. c. Proulx2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, par. 102 et 107.

[98]      Plus récemment, la Cour suprême a reconnu, à l’instar de notre Cour, qu’il faut infliger une peine juste et que le fait de l’augmenter uniquement pour atteindre les deux objectifs de dénonciation et de dissuasion est une erreur :

[51] Ainsi, « on ne peut infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi » (Nur, par. 45). De même, le juge Vauclair affirme avec justesse que « la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation » (Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 30 (CanLII), citant R. c. Paré2011 QCCA 2047, par. 48 (CanLII), le juge Doyon). La proportionnalité joue un rôle restrictif et, en ce sens, elle est garante d’une peine qui est individualisée, juste et appropriée.

R. c. Bissonnette2022 CSC 23, par. 51R. c. Sylvain-Bourgelas2024 QCCA 486, par. 91.

[99]      La dénonciation des comportements inacceptables débute avec le dépôt des accusations criminelles. Dans la mesure où la société a fermé les yeux devant des comportements de la nature de ceux en cause, ou les a banalisés, on peut affirmer que cette époque est définitivement révolue. La criminalisation des comportements et le stigmate rattaché au procès et à la condamnation participent à la dénonciation. La peine termine l’exercice. Mais à cette étape, il s’agit de punir de façon juste un crime et un délinquant. Seule une peine juste est acceptable. La gravité du crime, les circonstances dans lesquelles il est commis, et le délinquant font inéluctablement varier le résultat et doivent être reconnus.

[100]   Dans l’arrêt V.L., la Cour explique pourquoi les tribunaux ne devraient pas s’investir de la mission de faire cesser le crime. Pour la majorité, j’y écris :

[53] Le système de justice criminelle, dont les tribunaux ne sont qu’une composante, est justement cela, un système. Dans l’accomplissement de sa mission, les composantes du système, organismes gouvernementaux ou initiatives communautaires, collaborent dans leurs interventions sur les problèmes sociaux qui parfois, et malheureusement, se transforment en drames plus graves, trop graves. Chaque composante participe à sa manière à l’effort collectif pour agir, notamment, sur les comportements délinquants et sur l’aide apportée aux victimes. Il a été observé, avec raison selon moi, que l’orientation des tribunaux de juridiction criminelle semblent fondamentalement peu équipés pour intervenir efficacement à l’égard de ce dernier volet : voir Anne-Marie Boisvert, La création d'un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et de violence conjugale au Québec : vers une meilleure justice?, (2021) 26 Rev. Can. D.P. 269.

[54] Dans l’arrêt Lacelle Bélec, la Cour rappelait qu’il « est évident que le procès criminel et le processus de détermination de la peine ne parviendront jamais à soulager entièrement certaines victimes des souffrances qu’elles ont subies et qu’elles subissent parfois toujours » et « de là l’importance de l’accompagnement et de l’aide mis en place par l’État ou les groupes communautaires qui se réalisent dans un autre contexte qu’une salle de cour » : R. c. Lacelle Belec, 2019 QCCA 711, par. 70-71.

[55] Cela étant dit, la criminalisation d’un comportement, la mise en accusation de la personne délinquante, sa condamnation et l’attribution d’un casier judiciaire participent à la dénonciation et à la dissuasion. Il ne faut pas sous-estimer ces éléments. La punition n'est qu’un des maillons.

[56] La certitude d’être accusé s’avère beaucoup plus dissuasive que la sévérité de la peine elle-même : R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 137. La science sociale ne peut être ignorée à cet égard : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 53; R. c. Brais2016 QCCA 356, par.19-23.

[57] Comme le souligne l’auteure et professeure Anne-Marie Boisvert : « L'infliction de souffrance pour apaiser la souffrance n'est pas nécessairement une stratégie gagnante. Elle est même en contradiction avec elle-même. » : Anne-Marie Boisvert, La création d'un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et de violence conjugale au Québec : vers une meilleure justice? (2021) 26 Rev. Can. D.P. 269, p. 286 (références omises).

[58] J’ajoute que la juge de la peine saisit mal le propos de la Cour dans l’arrêt Laurendeau. La Cour explique qu’en matière de peine pour des crimes commis dans un contexte de violence conjugale, la peine « doit dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence conjugale et celui d'accroître la confiance des victimes et du public dans l'administration de la justice » : R. c. Laurendeau, 2007 QCCA 1593, par. 19.

[59] D’abord, comme je l’ai mentionné, il est vrai que l’action et la réponse du système pénal participent à la confiance du public, mais la criminalisation et la mise en accusation sont déjà des signaux importants que la société juge un comportement inacceptable. Le procès et la condamnation sont également des messages importants. Ensuite, il faut replacer ces propos dans le contexte où une absolution conditionnelle était demandée pour Laurendeau. La Cour explique que « si l'absolution conditionnelle n'est pas exclue en principe, elle ne sera indiquée que dans certains cas dont le présent ne fait pas partie » et elle convient plutôt que les circonstances particulières de l’affaire militaient en faveur d'une peine d'emprisonnement : Laurendeau, par. 18-20.

R. c. V.L.2023 QCCA 449, par. 53-59.

[101]   Cela dit, lorsque des personnes vulnérables sont victimes, le législateur a indiqué que les facteurs de dissuasion et de dénonciation doivent recevoir une attention particulière (art. 718.04 C.cr.). Si ce facteur rend plus rares les cas où l’emprisonnement ne sera pas la réponse au crime, il demeure que tous les objectifs doivent être considérés et que la possibilité d’une peine d’emprisonnement dans la collectivité ne peut être écartée.

Ce que constitue un abus de confiance et les conséquences sur la victimes doivent être prouvées pour être valablement considérées par le juge d'instance

Casavant c. R., 2025 QCCA 20 


[72]      Si le ministère public a raison de plaider que la jurisprudence semble reconnaître une interprétation théorique de l’abus de confiance qui est large, il omet, tout comme le juge, de bien l’évaluer concrètement dans la preuve. L’appelant a raison de dire que l’évaluation que fait le juge de l’abus de confiance est erronée et a eu une incidence sur la peine, d’autant qu’il relie l'abus de confiance aux conséquences importantes des gestes posés, retenant le tout comme un facteur extrêmement aggravant.

[73]       Puisque le choix d’imposer l’emprisonnement avec sursis se fonde en grande partie sur la présence ou l’absence de facteurs aggravants, leur incidence sur la peine ne fait aucun doute.

[74]      À mon avis, l’abus de confiance est un facteur beaucoup moins important que ce qu’en retient le juge. Il le qualifie de « facteur extrêmement aggravant » et il le relie à des séquelles psychologiques importantes, malgré, écrit-il, l’absence de preuve sur cette question. À cet égard, le juge tire une conclusion qui est déraisonnable en plus d’être erronée en droit.

[75]      Le juge oublie de calibrer adéquatement l’abus de confiance. Notre Cour a dit que si « la relation de confiance n’a pas à être forte pour être prise en compte […], le degré de cette relation pourra toutefois affecter le poids à lui donner dans la pondération globale des facteurs pertinents » : R. c. Lemieux2023 QCCA 480, par. 5455citant R. c. Pierre2023 QCCA 84, par. 35.

[76]      Dans l’arrêt Tremblay, la Cour réitérait ces principes en soulignant que l’importance du facteur varie selon que « la relation de confiance ou de dépendance, par sa nature, impose une forte obligation de protection et de soin (par exemple, une relation impliquant un parent, un enseignant ou un entraîneur) » : R. c. Tremblay2024 QCCA 543, par. 30-31. En reprenant les par. 126 à 130 de l’arrêt R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII), [2020] 1 R.C.S. 424, la Cour y rappelle que « [l]e spectre des relations de confiance est utile pour déterminer le degré de préjudice » et explique comment les relations étroites impliquant un degré de confiance élevé causent davantage de préjudice.

[77]      Dans l’affaire Tremblay, la Cour conclut que « la relation en l’espèce se situe dans la partie inférieure du spectre des situations de confiance et l’appelant ne convainc pas que l’erreur du juge a eu une incidence sur la détermination de la peine » : R. c. Tremblay, précité, par. 32. Selon la Cour, le très faible niveau d’abus de confiance dans cette affaire ne pouvait pas avoir influé sur la peine que le ministère public cherchait à réformer pour une peine d’incarcération. Aussi, la Cour était d’avis que l’omission de traiter de ce facteur n’avait pas eu d’incidence sur la peine d’emprisonnement avec sursis de 23 mois suivie d’une probation de trois ans qui avait été infligée par le juge sur un chef d’agression sexuelle.

[78]      Je doute qu’il y ait, en l’espèce, un abus de confiance au sens du Code criminel. À mon sens, ce facteur aggravant ne vise pas tous les crimes commis à l’égard de personnes qui se connaissent ou qui font connaissance lors d’une seule occasion. Une telle interprétation entraînerait la conclusion que seuls les crimes commis entre de parfaits étrangers n’impliquent aucun abus de confiance.

[79]      Toutefois, tout en acceptant que le juge pouvait conclure qu’une certaine confiance implicite était démontrée puisque la plaignante avait accepté de dormir chez l’appelant à la suite d’une fête arrosée, et plus particulièrement de s’installer dans son lit alors qu’il devait dormir sur le divan du salon, je ne peux me convaincre qu’il s’agit d’un « facteur extrêmement aggravant ». Je conviens donc avec l’appelant que le juge a erré en s’appuyant de façon aussi importante sur l’abus de confiance alors qu’il n’avait pas en réalité d’effet, similairement à l’arrêt Tremblay, précité. Or, contrairement à cette affaire, le juge en l’espèce a attribué un effet aggravant important à ce facteur et cela a eu une incidence sur la peine.

[80]      Se pose ensuite la seconde difficulté des conséquences pour la plaignante, en lien avec cet abus de confiance « extrêmement aggravant » et aussi celles découlant du crime, retenues par le juge.

[81]      Le juge écrit :

[40] Je n’ai pas reçu de preuve concernant les séquelles pour la victime. Mais tout comme je le mentionnais lors de l’étude sur la gravité du crime, les séquelles existent. De plus, la vulnérabilité et l’abus de confiance sont à souligner.

[82]      Il me semble non seulement que ce constat heurte le paragraphe 724(3) du Code criminel, mais que cela participe de la même erreur que celle relevée dans l’arrêt R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948. Dans cette affaire, le juge Sopinka écrit :

35 La façon dont la Cour d’appel a considéré le préjudice en l’espèce pose un autre problème en ce sens qu’elle a parfois semblé établir l’existence d’une présomption de préjudice psychologique à partir d’une agression sexuelle. Certes, la cour a, à d’autres occasions, analysé le risque de préjudice psychologique découlant d’une infraction comme montrant la gravité de l’infraction plutôt que l’existence du préjudice réel luimême. Pour illustrer cette ambiguïté, examinons le passage suivant (à la p. 173) :

[TRADUCTION] Nous voulons d’abord souligner que nous ne pouvons pas envisager une situation où des rapports sexuels non consensuels — vaginaux, anaux ou oraux — ne tomberaient pas dans la catégorie des agressions sexuelles graves. […] De plus, dans chaque cas, il existe également un risque très réel de préjudice psychologique. Par conséquent, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il n’est pas nécessaire que le ministère public prouve l’existence de ce genre de préjudice pour que la cour puisse qualifier de grave une agression sexuelle. L’existence d’un préjudice psychologique est présumée en l’absence de preuve contraire. [Je souligne.]

La cour ajoute, à la p. 174 :

[TRADUCTION] Autrement dit, le contrevenant se voit infliger une peine fondée sur l’existence d’une agression sexuelle grave, non pas parce que des conséquences psychologiques particulières ont résulté de l’attaque, mais plutôt à cause de sa nature et du fait qu’elle engendre un risque très réel de préjudice émotionnel ou psychologique à long terme. Le fait qu’aucun préjudice de ce genre ne puisse se concrétiser, fait qu’on ne pourrait peut‑être pas connaître tant que la vie de la victime ne se sera pas déroulée au complet, n’est pas un facteur atténuant. Cependant, ceci dit, cela ne signifie pas que les conséquences d’une agression sexuelle ne sont pas pertinentes. La gravité des actes accomplis peut être évaluée en fonction des conséquences probables à long terme de l’acte prohibé. Autrement dit, lorsque le préjudice psychologique est grave, cela peut bien constituer un facteur aggravant. Naturellement, lorsqu’on évoque un préjudice dépassant ce qui serait normalement présumé dans une affaire donnée, le ministère public doit présenter des éléments de preuve à l’appui. [Souligné dans le jugement.]

36 Ces passages ne sont pas très clairs. À un moment donné, la cour semble présumer qu’un préjudice psychologique résulterait d’une agression sexuelle, tandis que, à un autre moment, la cour semble non pas présumer l’existence d’un tel préjudice, mais seulement souligner, à juste titre selon moi, le risque qu’un préjudice psychologique résulte des actes de l’accusé. L’arrêt McCraw, précité, a établi qu’une menace de commettre une agression sexuelle équivalait à une menace de commettre une agression infligeant des lésions corporelles, à cause du risque élevé qu’un préjudice psychologique résulte d’une agression sexuelle, un risque dont la Cour d’appel a reconnu l’existence en l’espèce. Un tel risque n’établit pas cependant l’existence d’une présomption légale de préjudice dans des affaires où il est question d’agression réelle, plutôt que de menaces. Si le préjudice est un élément de l’infraction, le ministère public doit en prouver l’existence hors de tout doute raisonnable.

37 Dans la mesure où la Cour d’appel a conclu que le ministère public n’a pas à prouver l’existence d’un préjudice psychologique dans certains cas, mais plutôt que l’existence d’un tel préjudice peut être présumée, elle a commis une erreur. Comme nous l’avons vu, si le ministère public veut invoquer l’existence d’un préjudice psychologique, il devrait, à mon avis, porter des accusations fondées sur l’article du Code qui envisage le préjudice, soit l’al. 272c), et prouver l’existence de l’infraction. Si l’existence d’un élément de l’infraction, les lésions (psychologiques) corporelles, est présumée, le ministère public est déchargé à tort d’une partie du fardeau de la preuve, ce qui est contraire à la présomption d’innocence. Reconnaissant que le préjudice peut être un facteur aggravant en vertu de l’art. 271, notre Cour a conclu, dans l’arrêt R. c. Gardiner, 1982 CanLII 30 (CSC)[1982] 2 R.C.S. 368, que, dans une audience relative à la détermination de la peine, l’existence de chaque facteur aggravant doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Un tel point de vue a été confirmé par le législateur dans le nouvel al. 724(3)e) du Code criminel (modifié par L.C. 1995, ch. 22, art. 6). Si l’existence d’un préjudice psychologique peut être présumée, le ministère public se trouve dégagé à tort du fardeau de prouver l’existence d’un préjudice en tant que facteur aggravant, et l’accusé a alors le fardeau de réfuter le préjudice.

R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 35-37 (gras ajouté; souligné dans l’arrêt).

[83]      À mon avis, d’une part, les conséquences négatives présumées de l’agression sexuelle sont évoquées correctement par le juge si elles décrivent la gravité de l’infraction, mais en tenir compte au surplus dans les facteurs aggravants fait double emploi. D’autre part, s’il retient des conséquences négatives découlant de l’abus de confiance, il s’agit d’une erreur puisque rien n’indique en l’espèce qu’un abus de confiance significatif, c’est-à-dire suffisamment probant pour avoir un effet aggravant, a été démontré.

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