Badaro c. R., 2021 QCCA 1353
[111] Cela dit, un bref retour sur le contexte procédural entourant le rejet de la requête de l’appelant s’impose aux fins de mieux cerner le véritable enjeu lié à ce moyen d’appel.
[112] En septembre 2015, l’appelant et des coaccusés présentent une requête de type Garofoli. Ils demandent aussi l’autorisation de contre-interroger l’auteur des déclarations sous serment déposées au soutien de deux demandes d’autorisation judiciaires obtenues par la police. Avant la date prévue pour l’audition de ces requêtes, l’appelant élargit sa demande pour requérir la communication de l’intégralité de toute la documentation produite dans le cadre de ces demandes d’autorisation.
[113] La juge décide de tenir une audition ex parte pour réviser la partie caviardée de l’information déjà communiquée par la poursuivante. Au terme de son enquête, la juge transmet à l’appelant un résumé judiciaire amendé qui décrit notamment la nature des informations qui doivent demeurer biffées. De plus, après avoir révisé leur contenu, la juge ordonne une seconde communication des déclarations sous serment incluant les parties dont elle autorise le rétablissement. Pour le reste, la juge se dit d’avis « que la version amendée du résumé judiciaire indiqu[ait] suffisamment aux accusés la nature des éléments écartés et permet[tait] de passer à la dernière étape de la procédure Garofoli »[76].
[114] L’appelant a renoncé à contre-interroger l’affiant comme il le demandait au départ. Il a toutefois maintenu ses demandes d’informations entourant les rapports des sources, de sorte à pouvoir « alimenter de potentielles nouvelles requêtes »[77], le cas échéant.
[115] Il est maintenant acquis en jurisprudence que le rapport des sources et les notes des contrôleurs de sources font partie du dossier d’enquête des policiers. En principe, ces informations doivent être communiquées à la défense. Notre Cour dans l’arrêt Vaillancourt c. R. a fait sienne la position de la Cour supérieure de justice de l’Ontario[78] sur cette question :
[56] Notamment, dans l'affaire R. v. McKenzie, la Cour supérieure de justice de l'Ontario écrit en 2016, dans le contexte d'une requête de type Garofoli, que « [t]he state of the jurisprudence on the subject of disclosure of the contents of the "investigative file" against the accused in this context may be fairly described as diverse, evolving and unsettled ». Lors de la conférence préparatoire du 16 juin 2017, l'avocate de l'intimée faisait vraisemblablement référence à l'arrêt R. v. McKay rendu en 2016 par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique qui écrit que : « SDRs [Source Debrief Reports] the affiant has read and relied upon must be disclosed » (dans le cadre d'une requête de type Garofoli). En février 2017, dans R. c. Antoine, la Cour supérieure résume les principes applicables à la communication de la preuve dans le cadre d'une contestation de type Garofoli, indiquant notamment que : « [l]es comptes-rendus des contacts avec l'informateur que le dénonciateur a lus et auxquels il s'est fié doivent être divulgués ».[79]
[Renvois omis]
[116] En somme, dès lors que l’information provenant d’une source ou d’un contrôleur de cette source sert à l’obtention d’une autorisation judiciaire utilisée dans le cadre d’une enquête menée contre un accusé, cette information devient pertinente et doit être communiquée. Les notes des contrôleurs de sources seront donc qualifiées de pertinentes à la condition d’avoir été communiquées à l’affiant et de faire partie de l’information déposée au soutien de la demande d’autorisation.
[117] Cette précision s’impose du fait que la requête de l’appelant ratissait large en demandant la communication de toute information, même indirecte, portant sur des personnes ou des faits liés à l’enquête. Or, la poursuivante n’était tenue de communiquer que la preuve pertinente, c’est-à-dire les informations provenant des sources et les notes de leurs contrôleurs remises à l’affiant aux fins de la demande d’autorisation[80], et ce, sous réserve bien entendu d’un privilège pouvant être rattaché à ces mêmes informations.
[118] La protection accordée à l’identité des indicateurs de police constitue un de ces privilèges susceptibles d’être levés que si son maintien met en péril l’innocence de l’accusé[81].
[119] Comme je l’ai indiqué précédemment, l’appelant a renoncé à contre‑interroger l’affiant. Il a donc choisi de se priver d’un moyen efficace en mesure d’établir la pertinence de la preuve recherchée par la démonstration d’une possibilité raisonnable d’utiliser les informations caviardées sans quoi son droit à une défense pleine et entière serait compromis[82].
[120] Plus précisément, concernant la protection des sources, la juge a conclu sur la base d’une preuve demeurée non contredite que la divulgation des notes et des rapports des contrôleurs de sources violerait le privilège relatif aux indicateurs de police :
[48] Lors du voir-dire, la poursuivante a fait témoigner deux experts, le sergent Alain Belleau et la caporale Caroline Lanctôt, qui ont expliqué les risques importants qu'entraînerait la divulgation des rapports de sources et des notes des contrôleurs de sources pour les indicateurs de police. Ces témoins-experts ont notamment affirmé que la divulgation des rapports de sources et des notes des contrôleurs de sources pouvait mettre en péril la sécurité des indicateurs de police compte tenu de l'utilisation des informations reliées aux sources, par les organisations criminelles. La structure de ces documents pourrait par exemple être révélatrice de l'identité des indicateurs. Or, le privilège relatif aux indicateurs de police protège toute l'information susceptible de révéler, ne serait-ce qu'implicitement, l'identité des sources.
[…]
[50] Soulignons que la programmation d'algorithmes permet de regrouper d'infimes informations, ce qui rend encore plus sensible la divulgation lorsqu'il s'agit d'informations reliées ou provenant d'indicateurs.[83]
[Soulignement ajouté]
[121] Et d’ajouter :
[51] David Badaro n’a pas démontré que la levée de ce privilège était requise pour que son innocence puisse être établie. La preuve au dossier ne révèle aucun « motif de conclure que la divulgation de l’identité de l’indicateur est nécessaire pour démontrer l’innocence de l’accusé ». Rien ne justifie donc de faire exception à l’application de ce privilège en l’espèce.[84]
[Renvoi omis]
[122] Je souligne au passage que l’appelant n’a pas demandé l’autorisation pour se pourvoir sur une question mixte de droit et de fait de sorte qu’il ne peut contester en appel les déterminations factuelles de la juge. Sa prétention selon laquelle « la preuve ne permettait pas de conclure que la divulgation des documents aurait permis l’identification des indicateurs de police »[85] ne peut donc se vérifier.
[123] De toute façon, la juge a expressément conclu dans le sens contraire :
[47] La communication des rapports des sources et des notes des contrôleurs de sources porterait, au contraire, indéniablement atteinte au privilège des indicateurs de police de ce dossier.[86]
[124] La requête de l’appelant ne visait pas le dévoilement d’informations caviardées pour réfuter une preuve quelconque déjà communiquée par la poursuivante, pour permettre la présentation d’un moyen de défense potentiel ou encore pour décider de l’opportunité ou pas de présenter une preuve[87]. En appel, on ignore toujours en quoi le résumé judiciaire amendé fait par la juge s’avère insuffisant et pourquoi les parties caviardées des déclarations sous serment partiellement rétablies par sa décision ne répondent pas aux attentes de l’appelant.
[125] Puisque l’appelant n’explique pas en quoi l’information déjà transmise ne contient déjà pas tous les renseignements pertinents inhérents aux sources et à leur contrôleur, il me faut alors conclure que sa procédure voyait plus grand et demandait purement et simplement le dévoilement de l’identité des sources au détriment du privilège relatif aux indicateurs de police.
[126] La juge a expressément conclu à l’inexistence d’une preuve appuyant un tant soit peu l’idée selon laquelle la levée de ce privilège était requise pour soulever un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’appelant[88].
[127] La demande de communication des rapports des sources et des notes de ceux qui les contrôlent était manifestement vouée à l’échec tant sur le plan de la pertinence qu’en vertu du privilège entourant l’identité des sources. Pour tout dire, cette demande comportait tous les attributs d’une expédition de pêche à laquelle la juge n’a pas voulu se prêter.
[128] En résumé, il n’a pas été démontré une possibilité raisonnable que sans la communication de l’information recherchée, le droit de l’appelant à une défense pleine et entière allait être compromis[89]. De plus, le dévoilement de cette information mettait en péril l’anonymat des sources impliquées sans qu’il soit démontré la nécessité d’écarter ce privilège pour permettre à l’appelant de soulever un doute raisonnable à l’égard des accusations portées contre lui.