Maranda c. Richer, 2003 CSC 67
33 En droit, lorsqu’il s’agit d’autoriser une perquisition dans un cabinet d’avocats, le fait même du montant des honoraires doit être considéré comme un élément d’information protégé, en règle générale, par le privilège avocat-client. Sans pour autant entraîner la création d’une catégorie nouvelle d’informations privilégiées, une telle présomption apportera une précision nécessaire aux méthodes de mise en application du privilège avocat-client, qui se situe dans les privilèges génériques, comme on se le rappellera. En raison des difficultés inhérentes à l’appréciation de la neutralité des informations contenues dans les comptes d’avocats et de l’importance des valeurs constitutionnelles que mettrait en danger leur communication, la reconnaissance d’une présomption voulant que ces informations se situent prima facie dans la catégorie privilégiée assure mieux la réalisation des objectifs de ce privilège établi de longue date. Elle respecte aussi cette volonté de réduire au minimum les atteintes au privilège avocat-client, que notre Cour exprimait encore récemment avec force dans l’arrêt McClure, précité, par. 4-5.
34 Ainsi, lorsque le ministère public estimera que la communication de cette information ne porterait aucune atteinte à la confidentialité de la relation, il lui appartiendra de l’alléguer de manière suffisante dans sa demande d’autorisation d’un mandat de saisie et de perquisition. Le juge devra s’en assurer par un examen attentif de la demande, sous réserve de la révision éventuelle de sa décision. Par ailleurs, certaines informations demeureront accessibles à partir d’autres sources, comme la banque du client qui conserverait les chèques ou documents constatant le paiement de comptes d’honoraires. En principe, toutefois, on ne pourra forcer l’avocat à fournir cette information dans une enquête ou lors de la présentation de la preuve contre son client. Dans le présent dossier, le ministère public n’a ni allégué ni démontré que la communication du montant des comptes d’honoraires de Me Maranda ne porterait pas atteinte au privilège qui protégeait sa relation professionnelle avec M. Charron. Ces informations devaient alors demeurer confidentielles comme l’a décidé le premier juge.
3. L’exception de crime
35 Comme dernier motif pour justifier la communication du montant des honoraires et débours de l’avocat dans ce dossier, la Cour d’appel a invoqué l’application de l’exception de crime. Ce motif surprend et n’aurait pas dû être soulevé en appel. Le dénonciateur n’avait pas allégué cette exception. Le ministère public ne l’a pas plaidée en Cour supérieure. Contrairement à l’opinion de la Cour d’appel, il est difficile de trouver dans l’affidavit soumis par le dénonciateur au soutien de la demande d’autorisation, les éléments d’information justifiant l’application de cette exception. Pour y parvenir, il faudrait conclure que cette exception s’applique dès qu’un avocat est consulté par un client au sujet d’une infraction du même type que celle visée par les dispositions de l’art. 462.31 C. cr., relatives à des biens dits infractionnels. En l’espèce, l’affidavit ne prétend certes pas que Me Maranda aurait été lié de quelque manière aux actes dont on voulait accuser son client.
36 La jurisprudence reconnaît l’existence de cette exception (voir Amadzadegan-Shamirzadi c. Polak, 1991 CanLII 3002 (QC CA), [1991] R.J.Q. 1839 (C.A.)). Son régime juridique, tant au stade d’une mesure d’enquête comme une perquisition qu’au procès, mériterait un examen attentif. Celui-ci ne se justifierait pas dans le présent dossier où il suffit de constater que les allégations et faits nécessaires pour y recourir faisaient défaut. Sur ce point, donc, aussi, le pourvoi est bien fondé.
37 Malgré les circonstances dans lesquelles le juge de première instance a décidé de demeurer saisi de cette affaire, ses conclusions me paraissent conformes à l’orientation générale de la jurisprudence de notre Cour. Celle-ci demeure soucieuse de protéger le secret professionnel de l’avocat, qui joue un rôle fondamental dans la conduite de la justice pénale. La confidentialité des rapports entre l’avocat et son client demeure essentielle à la conduite de la justice pénale et à la protection des droits constitutionnels des accusés. Il importe d’éviter que le cabinet de l’avocat, tenu conformément à des normes déontologiques strictes, devienne un dépôt d’archives au service de la poursuite.