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samedi 14 juin 2025

Le cas des sources policières - comment un juge doit apprécier l’information provenant d’un informateur

Brûlé c. R., 2021 QCCA 1334

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[173]   Les informations reçues d’indicateur imposent un devoir particulier au déclarant. Le déclarant doit croire que les faits de sa dénonciation sont crédibles et fiables, et il doit convaincre le juge autorisateur que c’est le cas. Pour ce faire, il ne peut pas se limiter à affirmer que la source est fiable. Il doit établir, dans la dénonciation, les faits qui permettent de conclure que les informations de la source sont fiables, crédibles et corroborées. Ces trois facteurs doivent être évalués ensemble, ce qui veut dire que la faiblesse de l’un peut être compensée par la force des autres: R. c. Debot1989 CanLII 13 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1140, 1168.

[174]   Un déclarant peut pallier l’absence d’expériences passées avec une source, et donc son absence de fiabilité, par des informations détaillées, pertinentes et corroborées. Inversement, « le fait qu’une source soit codée permet de lui attribuer un certain indice de fiabilité aux yeux de la jurisprudence : R. c. Greffe1990 CanLII 143 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 755, p. 776. » : R. c. Zalat2019 QCCA 1829, par. 26.

[175]   Dans l’arrêt Garofoli, notamment, la Cour suprême a expliqué que l’information provenant d’un informateur ne pouvait pas d’emblée, à elle seule, établir le caractère raisonnable des motifs invoqués :

(i) Les déclarations d'un informateur qui constituent du ouï dire peuvent établir l'existence de motifs raisonnables et probables justifiant une fouille ou une perquisition.  Cependant, en soi, la preuve d'un renseignement provenant d'un informateur est insuffisante pour établir l'existence de motifs raisonnables et probables.

(ii) La fiabilité du renseignement doit être évaluée en fonction de « l'ensemble des circonstances ».  Il n'existe pas de formule structurée pour le faire.  Au lieu de cela, la cour doit examiner divers facteurs dont:

a) le niveau de détail du renseignement;

b) les sources de l'informateur;

c) les indices de la fiabilité de l'informateur, comme son expérience antérieure ou la confirmation des renseignements par d'autres sources.

(iii) Les résultats d'une fouille ou d'une perquisition ne peuvent, ex post facto, apporter la preuve de la fiabilité des renseignements.

R. c. Garofoli1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1421, 1457.

Le privilège des techniques d’enquête & le soin particulier devant être à tout renseignement permettant de déduire l’identité de la source ou de réduire le nombre des personnes qui pourraient être cette source

Brûlé c. R., 2021 QCCA 1334

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[137]   Or, les techniques d’enquête peuvent être privilégiées et il appartient au tribunal de soupeser, au cas par cas, la pertinence du privilège en tenant compte du droit à une défense pleine et entière : R. c. Dancause2018 QCCS 1981, par. 25-33R. c. Meuckon (1990), 1990 CanLII 10991 (BC CA), 57 C.C.C. (3d) 193, 200 (C.A.C.-B.); R. c. Trang (2002), 2002 ABQB 19 (CanLII), 168 C.C.C. (3d) 145 (C.B.R.A.); Bureau des enquêtes indépendantes c. Robitaille2019 QCCS 4313R. c. Perron2019 QCCS 775. Manifestement, aucun exercice du genre n’a été fait. À la décharge du juge, l’appelant n’avait contextualisé ni sa demande ni la réponse attendue du juge.

[140]   Comme je l’ai mentionné, j’accepte qu’il soit difficile de déterminer si, dans un contexte précis, un renseignement permettrait à un accusé ou à toute autre personne qui a notamment vécu l’événement ou la situation qui est décrit d’en déduire l’identité de la source ou de réduire le nombre des personnes qui pourraient être cette source. Encore une fois, je reconnais que le risque d’identification des sources est toujours sérieux et que les difficultés inhérentes reliées à la protection du privilège ne sont pas toujours simples : Groupe de la Banque mondiale c. Wallace, 2016 CSC 15 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 207, par. 129, même si ce commentaire de la Cour suprême dans Wallace visait des documents en possession de tiers et auxquels le déclarant n’avait pas eu accès.

dimanche 1 juin 2025

Le privilège relatif au secret professionnel, le privilège relatif au litige et la renonciation à ces privilèges légaux

R. c. Morin, 2024 QCCS 1092

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[23]        Le privilège du secret professionnel de l’avocat garantit de manière stricte la confidentialité d’une communication orale ou écrite : 1) entre un client et son avocat agissant es qualité; 2) qui a pour but d’obtenir ou de rendre un conseil juridique; 3) que le client considère confidentielle[25].

[24]        Le secret professionnel ne s’attache pas uniquement aux communications par lesquelles les avocats fournissent des conseils juridiques à un client ou par lesquelles un client demande un conseil juridique à l’avocat. Le secret professionnel, étant un droit constitutionnel garanti[26], doit recevoir une interprétation large afin de couvrir toute communication entre l’avocat et le client qui fait partie du continuum de communications visant à obtenir l’information afin que les conseils juridiques puissent être obtenus et/ou rendus[27].

[25]        Le privilège du secret professionnel assure la confiance du public dans l’administration de la justice et doit être aussi étanche que possible pour demeurer pertinent[28]. Toute communication, autant avec les conseillers internes qu’avec les conseillers externes, est protégée par le privilège du secret professionnel de l’avocat[29].

[26]        Dans le cadre d’une enquête conduite par un avocat, sont protégées par le secret professionnel toutes les communications : 1) faites par le client ou ses représentants; 2) à un enquêteur interne ou externe retenu par les avocats; 3) pour que celui-ci collige et transmette des informations aux avocats; et 4) afin que ces derniers rendent des conseils juridiques au client[30].

[27]        Le secret professionnel protège la communication dans son entièreté[31], s’attachant également aux pièces jointes de courriels et aux informations factuelles, financières et/ou administratives transmises par le client à l’avocat afin de permettre à ce dernier de le conseiller juridiquement[32].

[28]        Dans les circonstances de l’espèce, toute information contenue dans ces neuf (9) échanges courriel s’inscrit dans le continuum de communications visant à tenir informés les conseillers juridiques internes et externes de SNC-Lavalin inc. afin que des conseils juridiques puissent être obtenus et rendus[33].

[29]        Cette conclusion est appuyée par la présence de Me Fontaine, un avocat externe, qui démontre le besoin existant à l’époque pour des conseils juridiques spécialisés, ainsi que la mention « CONFIDENTIEL ET PRIVILÉGIÉ » sur plusieurs des communications, indiquant l’intention d’en maintenir la confidentialité[34].

[30]        Les neuf (9) échanges de courriels sont donc protégés par le secret professionnel.

Le privilège relatif au litige

[31]        Le privilège relatif au litige existe en dehors du cadre de la relation avocat-client[35]. L’objet du privilège relatif au litige est de fournir une « zone protégée » afin de faciliter l’enquête et la préparation d’un dossier en vue de l’instruction[36].

[32]        Dans l’arrêt Lizotte, la Cour suprême du Canada a qualifié le privilège relatif au litige comme étant un privilège générique. Pour avoir recours à ce privilège, deux conditions doivent être satisfaites afin qu’un document ou une communication soit considéré prima facie inadmissible : 1) l’objet principal est la préparation d’un litige; et 2) le litige est en cours ou peut être raisonnablement appréhendé.[37]

[33]        Bien que l’objet principal du document doive être la préparation du litige, le litige n’a pas à être le seul objet visé[38].

[34]        En l’espèce, SNC-Lavalin inc. soutient que les deux conditions sont présentes pour invoquer le privilège relatif au litige. Au moment où la GRC l’informe de l’enquête sur les possibles incidents d’abus de confiance le 14 novembre 2013, un litige était raisonnablement appréhendé.

[35]        Le Tribunal conclut que les neuf (9) échanges de courriel sont intervenus entre avocats, internes et/ou externes, et une employée de SNC-Lavalin inc. dans le contexte où un des principaux enjeux était en lien avec le risque de poursuites civiles et/ou criminelles et la préparation de celles-ci s’avéraient nécessaires[39].

[36]        Les neuf (9) échanges de courriels sont donc protégés par le privilège relatif au litige.

Absence de renonciation aux privilèges légaux

[37]        Une fois les conditions d’existence d’un privilège établies, le fardeau est reversé et il revient à la partie qui veut écarter ce privilège de démontrer que le privilège ne s’applique pas[40].

[38]        Une renonciation aux privilèges légaux doit être clair et non-équivoque[41]. La renonciation ne se présume pas et le détenteur du privilège n’a pas à prouver l’absence de renonciation[42].

[39]        Une renonciation au privilège peut être partielle. Cela signifie que la production d’un document privilégié d’un dossier n’emporte aucunement la renonciation automatique à tous les documents privilégiés de ce même dossier.

[40]        SNC-Lavalin inc. soutient qu’elle n’a pas renoncé aux privilèges légaux qui s’appliquent « aux communications juridiques ou qui s’inscrivent dans un continuum des communications juridiques avec ses conseillers internes et/ou conseillers externes en lien avec le présent dossier ou l’enquête AGRAFE. » SNC-Lavalin inc. concède qu’elle y a uniquement eu renonciation au privilège de l’enquête interne « Case Watch » dont les documents ont été communiqués et divulgués[43].

[41]        SNC-Lavalin inc. fait valoir que les neuf (9) courriels visés par la requête prédatent l’enquête interne « Case Watch »[44] et ne s’inscrivent donc pas dans le cadre de cette enquête ni font l’objet d’une renonciation.

[42]        Par ailleurs, il n’y a pas d’exceptions aux privilèges applicables en l’espèce.

[43]        Aucun avantage indu ni d’idée trompeuse n’est perpétué par la non-divulgation des neuf (9) échanges de courriel par SNC-Lavalin inc.[45]. De plus, il ne constitue pas une situation où ce dernier essaie de défendre sa conduite derrière ses conseils juridiques.

[44]        L’exception de l’innocence de l’accusé n’est pas non plus engagée par ces communications privilégiées. Contrairement à ce que prétend l’accusé quant à l’existence d’une exception lorsque le droit d’un accusé à une défense pleine et entière est mis en cause[46], la Cour suprême du Canada rejette expressément une telle exception qui met en balance les intérêts[47]. Le cadre du privilège générique relatif au litige ne peut faire l’objet d’une mise en balance, ce qui le réduirait à un privilège au cas par cas. Le droit à une défense pleine et entière n’est pas équivalent à l’exception basée sur la démonstration de l’innocence de l'accusé.

Les Privilèges Génériques et les Privilèges Circonstanciés

R c. Emery Martin, 2021 NBBR 67 



95.         Dans la considération du bien-fondé d’un privilège quelconque, il est important de cerner, en partant, s’il s’agit d’un privilège générique ou d’un privilège circonstancié (ou « cas par cas »).  Je réitère les propos du juge Vauclair dans R c. Auger2013 QCCS 2490 que « si tous les privilèges sont une entrave à la recherche de la vérité, [le privilège générique] l’est davantage en raison d’une présomption d’inadmissibilité ».

96.         La nature et les caractéristiques du privilège générique ont fait l’objet de discussions dans plusieurs jugements (voir R c. Gruenke 1991 CanLII 40 (CSC)[1991] S.C.J. No. 80, au paragraphe 27R c. National Post2010 CSC 16, au paragraphe 42; et Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada 2016 CSC 52, au paragraphe 32).

97.         Ainsi, une fois l’existence d’un privilège générique établie, le privilège doit être appliqué à moins que la partie contestant son existence ou bien-fondé démontre qu’une exception doive être appliquée.

98.         Le privilège circonstancié, aussi une règle d’exclusion, repose sur la présomption que les renseignements ne sont pas privilégiés, et donc admissibles, à moins de démontrer qu’un intérêt supérieur milite en faveur de ne pas les divulguer dans un cas particulier. Dans l’affaire R c. Auger, précitée, le juge Vauclair écrit au paragraphe 41 :

« 41.     Pour l’application du privilège circonstancié, rappelons d’abord qu’il revient à la partie qui le revendique de démontrer son existence par une preuve prépondérante que les quatre critères de Wigmore sont satisfaits, et plus spécifiquement :

 

(1)           que les communications ont été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées;

 

(2)           que le caractère confidentiel est un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties;

 

(3)           que les rapports sont de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment, évoquant ainsi l’idée de l’application constante et la persévérance;

 

(4)           le préjudice permanent causé aux rapports par la divulgation des communications est plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision. »

99.         Comme le fait remarquer le juge Vauclair, dans le contexte d’un procès criminel, les privilèges circonstanciés ne s’appliqueront que lorsque l’intérêt de garder l’information secrète l’emporte sur l’intérêt d’une défense pleine et entière. Un tribunal doit soupeser différents facteurs comme l’importance des accusations et la valeur probante des éléments que l’on cherche à obtenir et, de l’autre côté, l’intérêt public à ce que l’information soit gardée secrète (voir le paragraphe 48).

A.2      Le Privilège du Secret Professionnel de l’Avocat – Un Privilège Générique

100.      Le privilège du secret professionnel de l’avocat est un privilège générique dont les critères d’application ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans Solosky c. R., 1979 CarswellNat 630, au paragraphe 28 :

 

« 28      […] le privilège ne peut être invoqué que pour chaque document pris individuellement, et chacun doit répondre aux critères du privilège: (i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle. Le juge doit lire les lettres afin de décider si le privilège s'y rattache, ce qui exige, à tout le moins, qu'elles relèvent de la juridiction d'un tribunal. Enfin, le privilège vise à empêcher leur utilisation ou divulgation injustifiée et non simplement leur ouverture. »

(les soulignés sont de moi)

101.      Il incombe à la partie qui revendique le privilège d’établir, selon une preuve prépondérante, que les critères pour l’application du privilège sont réunis dans chaque instance où le privilège est revendiqué (voir Redhead Equipment Equipment v. Canada (Attorney General), 2016 SKCA 115R. v. Husky Energy Inc., 2017 SKQB 383). 

102.      Quoique la défense prétend le contraire, dans l’affaire R c. Campbell1999 CanLII 676 (CSC)[1999] 1 R.C.S. 565, la Cour suprême confirmait que les communications d’avis juridiques entre la police et les avocats du gouvernement peuvent faire l’objet d’un privilège du secret professionnel de l’avocat:

« 49.     Le secret professionnel de l’avocat est fondé sur les besoins fonctionnels de l’administration de la justice. Vu sa complexité, le système juridique nécessite une expertise professionnelle.  L’accès à la justice est mis en péril lorsqu’il est impossible d’obtenir des conseils juridiques. Il est donc extrêmement important que la GRC soit capable d’obtenir des conseils juridiques professionnels relativement à des enquêtes criminelles sans devoir subir l’effet paralysant de la divulgation potentielle de confidences à l’occasion de procédures ultérieures.  […] La consultation donnée au capl. Reynolds par M. Leising du ministère de la Justice cadre parfaitement avec cette définition fonctionnelle, et le fait que M. Leising soit à l’emploi d’un service juridique gouvernemental «interne » ne change rien à l’égard de la création ou de la nature du privilège. »

 

(les soulignés sont de moi)

(voir aussi R v. Belcourt2012 BCSC 234)

103.      Et, dans R c. Oland2018 NBBR 254 la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, aux prises avec une demande de divulgation des discussions ayant mené au refus de la Couronne de consentir à procéder devant juge seul dans un procès de meurtre, confirmait que le privilège du secret professionnel de l’avocat s’étendait aux documents et communications internes, entre différents avocats au sein du gouvernement :

« 59   […] Dans la présente demande, la défense sollicite la divulgation des dossiers, documents et communications internes concernant le refus de consentir (les « dossiers du ministère public »). […] la défense invoque comme motif de sa demande le fait que le refus de consentir est injuste, déraisonnable et inspiré par des motifs inavoués ou répréhensibles. Le ministère public a refusé de produire ses dossiers et a invoqué deux motifs pour son refus de les divulguer:

 

a)         les dossiers du ministère public se rapportent directement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et ne sont pas sujets à examen ou à divulgation, sauf si la défense a démontré par prépondérance des probabilités un abus de procédure;

b)         les dossiers du ministère public sont protégés par le secret professionnel de l'avocat.

 

            […]

 

61         Comme je l'ai mentionné, la défense ne conteste pas la revendication du secret professionnel de l'avocat faite par le ministère public au sujet de ses dossiers. Soit dit en passant, même si la défense n'avait pas admis ce privilège, j'aurais conclu que la demande liée au secret professionnel de l'avocat est prouvée, compte tenu des principes énoncés dans la décision R. c. Ahmad2008 CarswellOnt 9529. […] »

(les soulignés sont de moi)

104.      Une partie qui veut faire écarter le privilège peut soulever une renonciation au privilège ou encore une exception permettant la levée du privilège. 

105.      Toute partie qui fait valoir qu’une renonciation au privilège est survenue à le fardeau d’établir que tel est le cas. Les critères qui doivent être réunis pour qu’il y ait renonciation au privilège sont énoncés dans l’affaire Husky (paragraphes 29 à 35)

106.      Il y a peu d’exceptions qui permettent la levée du privilège du secret professionnel de l’avocat: (i) le contenu des renseignement caviardés révèle une activité criminelle; (ii) si le dé-caviardage des renseignements est rendu nécessaire en raison d’un danger imminent; ou (iii) lorsque le dé-caviardage des renseignements constitue le seul moyen de démontrer l’innocence de l’accusé.  Une fois l’existence du privilège établie, le fardeau de preuve repose sur la partie qui veut faire lever le privilège de démontrer l’existence d’une exception permettant que le privilège soit levé.

A.3      Le Privilège Relatif au Litige – Un Privilège Générique

107.      Le privilège relatif au litige crée une immunité de divulgation pour les documents et communications dont l’objet principal est la préparation d’un litige (Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada2016 CSC 52, paragraphe 19).

108.      Dans l’affaire Lizotte, supra, la Cour suprême du Canada décrit la nature et conditions d’application du privilège comme suit au paragraphe 33:

« 33      À mon avis, le privilège relatif au litige se qualifie de privilège générique. Une fois établies les conditions de son application, c'est-à-dire une fois que l'on est en présence d'un document dont « l'objet principal [...] est la préparation du litige » (Blank, par. 59) et que ce litige ou un litige connexe est encore en cours « ou peut être raisonnablement appréhendé » (par. 38), il y a une « présomption à première vue d'inadmissibilité » […]

(les soulignés sont de moi)

 

109.      Bien que souvent confondus, il y a des distinctions marquées entre le privilège du secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige, lesquelles ont été résumées par la Cour suprême dans l’affaire Blank c. Canada (Ministre de la Justice)2006 CSC 39 :

« 27      Par ailleurs, le privilège relatif au litige n'a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client. Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d'une partie non représentée, entre celle-ci et des tiers. Il a pour objet d'assurer l'efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l'avocat et son client. Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d'une communication prématurée.

 

28         R. J. Sharpe (maintenant juge de la Cour d'appel) a particulièrement bien expliqué les différences entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l'avocat :

 

[TRADUCTION] Il est crucial de faire la distinction entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l'avocat. Au moins trois différences importantes, à mon sens, existent entre les deux. Premièrement, le secret professionnel de l'avocat ne s'applique qu'aux communications confidentielles entre le client et son avocat. Le privilège relatif au litige, en revanche, s'applique aux communications à caractère non confidentiel entre l'avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d'une communication. Deuxièmement, le secret professionnel de l'avocat existe chaque fois qu'un client consulte son avocat, que ce soit à propos d'un litige ou non. Le privilège relatif au litige, en revanche, ne s'applique que dans le contexte du litige lui-même. Troisièmement, et c'est ce qui importe le plus, le fondement du secret professionnel de l'avocat est très différent de celui du privilège relatif au litige. Cette différence mérite qu'on s'y arrête. L'intérêt qui sous-tend la protection contre la divulgation accordée aux communications entre un client et son avocat est l'intérêt de tous les citoyens dans la possibilité de consulter sans réserve et facilement un avocat. Si une personne ne peut pas faire de confidences à un avocat en sachant que ce qu'elle lui confie ne sera pas révélé, il lui sera difficile, voire impossible, d'obtenir en toute franchise des conseils juridiques judicieux.

 

Le privilège relatif au litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige. Son but ne s'explique pas valablement par la nécessité de protéger les communications entre un avocat et son client pour permettre au client d'obtenir des conseils juridiques, soit l'intérêt que protège le secret professionnel de l'avocat. Son objet se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire. Le privilège relatif au litige est basé sur le besoin d'une zone protégée destinée à faciliter, pour l'avocat, l'enquête et la préparation du dossier en vue de l'instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif au litige vise à faciliter un processus (le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l'avocat vise à protéger une relation (la relation de confiance entre un avocat et son client). […] »

 

(les soulignés sont de moi)

110.      Comme dans le cas du privilège du secret professionnel de l’avocat, il incombe d’abord à la partie qui invoque le privilège d’en établir l’existence, selon la prépondérance des probabilités, en démontrant que l’objet principal du renseignement est la préparation du litige.  L’évaluation du privilège par le tribunal exige un examen de chaque document; si un document a été préparé à des fins mixtes, le tribunal doit déterminer l’objectif dominant de sa préparation.  La nature du document et le moment de sa création sont des facteurs importants dans cette détermination tout comme le sont la pratique ou la politique habituelle d'un plaideur en matière de collecte d'informations à la suite d'un incident (voir Husky, aux paragraphe 25 et 26).

111.      De plus, dans Husky, le tribunal résumait les circonstances selon lesquelles un tribunal pourrait conclure que l’objectif principal du document n’est pas la préparation au litige :

« 27      The mere prospect of litigation at the time a document is created is not enough to trigger litigation privilege. Also, if the document in question is prepared in the ordinary course of business, or would have come into existence regardless of the litigation, it does not fall under the protection of litigation privilege: TransAlta CorporationCanada Southern Petroleum Ltd. v. Amoco Canada Petroleum Co. (1995), 1995 CanLII 9236 (AB KB)35 Alta. L.R. (3d) 42 (Alta. Q.B.) [Canada Southern]. Documents which are always produced, as a matter of policy, in response to a certain type of incident cannot be said to be created for the dominant purpose of litigation simply because there is, in the particular instance at hand, a reasonable prospect of litigation.

 

28         There must be sufficient evidence before the court to establish the dominant purpose of the creation of the communication or document in question, in order to support a claim of litigation privilege. The evidence must lift the claim's foundation from the general to the particular: Corrier v. Seely2009 NBCA 3307 D.L.R. (4th) 78 (N.B. C.A.). That said, the evidence provided need only permit the judge hearing the application to determine whether a prima facie claim of privilege exists. It does not need to be so detailed as to enable the opposing party to indirectly discover the content of the privileged documents: Brewster v. Quayle Agencies Inc., 2008 SKQB 137332 Sask. R. 192 (Sask. Q.B.). »

112.      Il appert de la jurisprudence que le travail de la police en préparation au procès peut faire l’objet d’un privilège relatif au litige. C’est le cas si les documents en question ont été préparés par la police à la demande de la poursuite (R v. Basi2008 BCSC 1858, paragraphes 72 et 73) ou même indépendamment de l’existence d’une demande de la part de la poursuite (voir R v. Trang2002 ABQB 19, aux paragraphes 94 à 97).

113.      Dans l’affaire R v. Belcourt2012 BCSC 234, le tribunal faisait une mise en garde relativement à des références censurées qui, à première vue, semblent inoffensives.  Au paragraphe 22, le tribunal énonçait :

« 22      Counsel for the accused contends that the importance of the content of any communications between the Crown and police respecting communications apparently falling within the ambit of litigation privilege is an important factor for me to consider. I was initially attracted by the suggestion that some of the redacted references relate to seemingly innocuous steps or contact respecting the preparation of the case for trial but, on reflection, accept the Crown's submission that the zone of privacy described in Basi and other cases should not be manipulated by trying to articulate a more exacting test. In any event, the record of innocuous steps in a police officer's notes, for example, the delivery to the Crown or the receipt from the Crown of a document related in some way to preparation for trial, is clearly irrelevant and unrelated to the accused's need to make full answer and defence. »

114.      La partie qui prétend qu’il y a eu renonciation au privilège porte le fardeau d’établir telle renonciation. De même, les renseignements qui font l’objet d’un privilège relatif au litige ne seront pas divulgués à moins que la partie qui revendique leur divulgation démontre qu’une exception au privilège doit s’appliquer. Ces exceptions ont été énoncées par la Cour suprême du Canada dans les affaires Lizotte et Blank, et reprises dans l’affaire Husky, au paragraphe 23:

« 23      Despite these differences, litigation privilege, like solicitor-client privilege, is a class privilege. Documents which fall into that class (i.e.those whose dominant purpose is preparation for litigation) will be protected by immunity from disclosure unless an exception applies. The exceptions to litigation privilege are narrow and clearly defined. They include those which apply to solicitor-client privilege (i.e. criminal communications, innocence of an accused person, and public safety), as well as circumstances where the communication or document in question is evidence of abuse of process or similarly blameworthy conduct on the part of the claimantLizotteBlank. » 

 

(les soulignés sont de moi)

A.4      Le Privilège Relatif aux Techniques Sensibles d’Enquête – Un Privilège Circonstancié

115.      Dans R c. Allie2014 QCCS 2381, la Cour supérieure du Québec reconnaissait que plusieurs aspects du travail policier peuvent faire l’objet d’un privilège circonstancié, dont des communications touchant les méthodes d’enquête ou encore celles pouvant mettre en cause la sécurité de tiers, notant que ces renseignements bénéficient d’un privilège de common law et, qu’il appartient au tribunal de soupeser, au cas par cas, le maintien de cette confidentialité en prenant en considération le droit de l’accusé à une défense pleine et entière (voir le paragraphe 15).  Il a également été reconnu dans R c. Auger que le ministère public peut se prévaloir du privilège de la technique d’enquête pour soustraire de toute divulgation des informations qui pourraient compromettre une méthode utilisée par les policiers pour mener leurs enquêtes (voir le paragraphe 46).

116.      De plus, dans R c. Allie, supra, le tribunal énonçait qu’il n’est pas nécessaire pour la poursuite d’établir que la divulgation entraînerait nécessairement l’effet appréhendé :

« […] Évidemment, une simple affirmation du Ministère public à l’effet que la divulgation de renseignements risquerait de dévoiler une technique d’enquête ou de compromettre la sécurité d’un témoin est insuffisante.  Une preuve doit être faite à cet effet.  Il convient cependant de remarquer que cette dernière n’a pas à démontrer qu’une communication de l’information entraînerait nécessairement l’effet pervers appréhendé. […] » 

 

(voir le paragraphe 19)

117.      Le point de départ de l’analyse est toujours la pertinence des renseignements. Dans R v. J.(J.)[2010] O.J. No 3238, le tribunal énonçait au paragraphe 4  que l’importance du privilège peut varier selon les circonstances.

118.      Dans R c. Garofoli 1990 CanLII 52 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 1421, la Cour suprême a formulé la question à se poser une fois la pertinence des renseignements caviardés établie :

« [L]a divulgation révélerait-elle des techniques secrètes d’obtention de renseignements, mettant ainsi en danger ceux qui les pratiquent et compromettant la tenue d’enquêtes ultérieures sur des crimes semblables et l’intérêt public en matière d’application de la loi et des détections des crimes? »

 

(paragraphe 78, page 1460)

119.      À titre d’exemple, dans R c. Minisini2008 QCCA 2188R c. Boucher2006 QCCA 668; et R c. Pearson 2002 CanLII 41201, la Cour d’appel du Québec a maintenu une ordonnance de non-divulgation quant à certaines mesures de protection d’un témoin repenti.  Je note, par ailleurs, que l’article 11 de la Loi sur le Programme de protection des témoins, L.C. 1996, ch. 15 (la « LPPT »), interdit la communication de tout renseignement concernant les moyens et les méthodes de protection des personnes protégées selon cette loi.

120.      Les renseignements privilégiés n’ont pas besoin d’être aussi sensibles que des renseignements quant à l’existence, la nature et l’étendue des mesures de protection consenties ou proposées à un témoin repenti.  Ainsi les tribunaux ont refusé le dé-caviardage de renseignements afférents à l’endroit où se situait  un poste d’observation utilisé par un policier lors de sa surveillance (voir R v. Richards1997 CanLII 3364 (ONCA); des renseignements afférents à la nature d’un dispositif GPS, la méthode et l’endroit d’installation (voir R v. Gerrard2003 CanLII 32592); des renseignements afférents aux modes et aux circonstances d’installation  d’une caméra, de même que toute information concernant le mode de retransmission des images captées par cette caméra (voir R c. Allie); et des renseignements afférents à l’endroit où avait été posé un dispositif de surveillance satellite sur un bateau (voir R v. Guilbride2003 BCPC 176).

A.5      Le Privilège Relatif à la sécurité d’Autrui - Les Renseignements Personnels

121.      Le privilège relatif à la sécurité d’autrui est un privilège reconnu en common law.  Dans Stinchcombe, la Cour suprême du Canada reconnaissait que la poursuite était en droit de refuser la divulgation de l’identité de certaines personnes pour les protéger contre le harcèlement ou les lésions corporelles :

 

« […] Ce pouvoir discrétionnaire, qui est d’ailleurs susceptible de contrôle, devrait s’étendre notamment à l’exclusion des éléments qui ne sont manifestement non pertinents, à la non-divulgation de l’identité de certaines personnes afin de les protéger contre le harcèlement ou des lésions corporelles, ou à l’application du privilège relatif aux indicateurs [1991] »

 

(voir le paragraphe 16, à la page 336)

122.      Dans R c. Auger, le juge Vauclair énonçait aux paragraphes 47 et 51 :

« 47.     Le ministère public peut aussi invoquer un privilège d’intérêt public pour assurer la sécurité des personnes, un privilège dont l’objectif est évident. 

 

[…]

 

51.        Chacun de ces éléments est déjà protégé par un privilège de common law : privilège de l’informateur, privilège de la technique d’enquête, privilège de l’enquête en cours, privilège pour assurer la sécurité des personnes, et voire même un privilège d’intérêt public qui viserait les connaissances policières ou les communications sensibles entre policiers. »

123.      Je réitère que la démarche initiale est d’abord de déterminer si les documents sont pertinents; s’ils ne sont pas pertinents, ils ne seront pas divulgués.  Si le tribunal n’est pas convaincu de la non-pertinence des renseignements, il doit soupeser les intérêts de la poursuite et ceux de l’accusé; c’est-à-dire que le tribunal doit déterminer si la balance doit pencher en faveur de l’intérêt public ou en faveur de l’accusé.  Dans le cas où l’intérêt public l’emporte sur les intérêts de l’accusé, les renseignements ne seront pas divulgués.

124.      Dans le cas de renseignements personnels, ce sont l’intérêt à la vie privée des tiers et l’impact de la divulgation sur leur sécurité qui gouvernent l’intérêt public.  A cet effet, la poursuite soutient que le tribunal doit tenir comme évident l’existence d’un risque réel qu’une personne mal intentionnée en possession de renseignements personnels d’un témoin ou policier puisse faire une utilisation néfaste des renseignements divulgués.  La poursuite soutient également que lorsque la demande de dé-caviardage teste les limites de la pertinence, l’intérêt public au maintien de la sécurité d’autrui prime sur le droit de l’accusé de formuler une défense pleine et entière.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les prescriptions inhérentes à la présentation d'une requête par un accusé alléguant la violation de l'un des ses droits constitutionnels

R. c. Lecompte, 2019 QCCS 5099 Lien vers la décision E-          La réponse de la poursuite à une requête sous le par. 24(2) de la Charte [ ...