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dimanche 16 novembre 2025

Arrêt de principe de la Cour suprême sur la portée du certiorari

R. c. Awashish, 2018 CSC 45


A.           Dans quels cas peut‑on recourir au certiorari?

[10]                          Les appels permis en matière criminelle sont prévus par la loi; sauf exceptions limitées, il n’y a pas d’appel interlocutoire (Code criminel, art. 674; Mills c. La Reine, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863, p. 959; R. c. Meltzer1989 CanLII 68 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1764, p. 1774; Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, p. 857). La loi prévoit peu d’exceptions et les recours extraordinaires, notamment le certiorari, permettent d’obtenir réparation en certaines circonstances particulières. D’après la règle générale, « les instances pénales ne doivent pas être fragmentées par des procédures interlocutoires qui deviennent des instances distinctes » (R. c. DeSousa, 1992 CanLII 80 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 944, p. 954). La fragmentation des instances criminelles résultant des appels interlocutoires risque de mener au règlement de questions en l’absence d’un dossier de preuve complet, ce qui constitue une source importante de retards et une utilisation inefficace des ressources des tribunaux (R. c. Johnson (1991), 1991 CanLII 7174 (ON CA), 3 O.R. (3d) 49 (C.A.), p. 54).

[11]                          L’accès aux recours extraordinaires est balisé par des considérations du même ordre (Procureur général du Québec c. Cohen, 1979 CanLII 223 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 305, p. 310). Le Code criminel et la common law limitent donc strictement l’utilisation du certiorari pour empêcher qu’il serve à contourner la règle interdisant les appels interlocutoires (R. c. Robertson (1988), 1988 ABCA 87 (CanLII), 41 C.C.C. (3d) 478 (C.A. Alb.), p. 480). Par exemple, lors d’une enquête préliminaire, il faut démontrer l’existence d’une erreur de compétence pour avoir droit au certiorari. Cela se produit entre autres lorsque le juge présidant l’enquête préliminaire renvoie l’accusé à procès en l’absence de toute preuve concernant un élément essentiel de l’infraction (Skogman c. La Reine1984 CanLII 22 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 93, p. 104) ou enfreint les règles de justice naturelle (Patterson c. La Reine, 1970 CanLII 180 (CSC), [1970] R.C.S. 409, p. 414, le juge Hall; Forsythe c. La Reine, 1980 CanLII 15 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 268, p. 272; Dubois c. La Reine, 1986 CanLII 60 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 366, p. 377; R. c. Deschamplain2004 CSC 76, [2004] 3 R.C.S. 601, par. 17).

[12]                          Les tiers peuvent se prévaloir du certiorari dans un éventail plus large de circonstances que les parties, vu qu’ils n’ont aucun droit d’appel. En plus de pouvoir recourir au certiorari pour faire contrôler des erreurs de compétence, un tiers peut le demander pour contester une erreur de droit manifeste à la lecture du dossier, telle une interdiction de publication qui limite de manière injustifiée les droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (voir Dagenais) ou une décision rejetant la demande pour cesser d’occuper présentée par un avocat (R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331). L’ordonnance doit avoir un caractère définitif et contraignant vis‑à‑vis le tiers (R. c. Primeau1995 CanLII 143 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 60, par. 12).

[13]                          En l’espèce, il s’agit notamment de savoir si une partie alléguant une erreur de droit manifeste à la lecture du dossier peut se voir accorder le certiorari, tout particulièrement dans une décision en matière de preuve. Des opinions divergentes ont été exprimées à ce sujet. Dans son traité sur l’utilisation des brefs de prérogative en matière criminelle, le professeur Gilles Létourneau (plus tard juge de la Cour d’appel fédérale) a exprimé l’avis que [traduction] « les jugements ou ordonnances rendus par un tribunal au cours d’un procès criminel ne peuvent être annulés en raison d’une erreur de droit manifeste à la lecture du dossier » et que l’omission du Parlement de prévoir des appels interlocutoires dénote « l’intention qu’il n’y ait aucun contrôle, sauf peut‑être dans les cas extrêmes comme ceux d’erreurs de compétence » (The Prerogative Writs in Canadian Criminal Law and Procedure (1976), p. 152‑153).

[14]                          La Cour d’appel de l’Alberta a jugé que les parties peuvent se prévaloir du certiorari tant pour des erreurs de compétence que pour des erreurs de droit manifestes à la lecture du dossier [traduction] « [s]i l’ordonnance est telle qu’elle dispose d’un droit sur‑le‑champ et de manière définitive » (R. c. Black, 2011 ABCA 349, 286 C.C.C. (3d) 432, par. 25). Selon la Cour d’appel de l’Alberta, pareille erreur de droit manifeste à la lecture du dossier fournit à la cour supérieure un motif valable de casser la décision. La Cour d’appel du Québec semble partager cet avis lorsqu’elle affirme qu’« [u]n accusé peut faire réviser une décision interlocutoire lorsque le juge a agi sans compétence ou si ce dernier a commis une erreur de droit manifeste à la face du dossier » (par. 29). La cour a cependant estimé par la suite que :

                        La décision interlocutoire du juge du procès d’ordonner ou non au ministère public de communiquer des renseignements ne soulève généralement pas une question d’absence ou d’excès de compétence, mais elle constitue une décision prononcée dans l’exercice de sa compétence, auquel cas le recours au certiorari n’est pas ouvert. Pour respecter l’objectif primordial de limiter l’intervention des tribunaux supérieurs pendant un procès et les délais susceptibles d’en résulter, il faut éviter de voir dans toute ordonnance de divulgation de renseignements une violation irréparable d’un droit fondamental. Le juge Dionne a appliqué un test erroné. Il devait se demander si l’ordonnance de divulgation violait un droit fondamental de [Mme Awashish], et ce, de façon irréparable et non pas se demander si l’ordonnance interlocutoire avait sur ce dernier un caractère contraignant et définitif. [Je souligne; par. 39.]

[15]                          Dans son argumentation devant notre Cour, la procureure générale de l’Ontario propose une troisième opinion, soit que l’on devrait pouvoir recourir au certiorari pour contrôler une erreur de droit manifeste à la lecture du dossier lorsque : premièrement, l’erreur fait intervenir une question d’importance primordiale pour l’administration de la justice; et, deuxièmement, l’erreur en est une qui ne se concrétise habituellement pas en appel. Il s’agirait de « causes types » servant à régler des questions épineuses qui reviennent sans cesse mais qui n’ont pas tendance à être abordées en appel.

[16]                          Certaines affirmations faites par notre Cour aux p. 864 et 865 de l’arrêt Dagenais et au par. 57 de l’arrêt Cunningham ont été interprétées par des juridictions inférieures comme signifiant que les erreurs de droit manifestes au vu du dossier permettent d’accorder le certiorari tant aux parties qu’aux tiers. C’est l’interprétation qu’a retenue la Cour d’appel de l’Alberta dans Black, par. 27. Compte tenu de la jurisprudence des cours d’appel (voir ci‑dessus aux par. 10‑12) et des considérations de politique générale qui la sous‑tendent, je ne partage pas le point de vue exprimé par la Cour d’appel de l’Alberta. L’approche qu’elle adopte dans Black va à l’encontre de la règle générale interdisant les appels interlocutoires et de l’objectif législatif de l’art. 674 du Code criminel qui abolit les appels sauf dans les cas prévus au Code.

[17]                          Si l’on permet aux parties d’obtenir, par voie de certiorari, le contrôle d’une erreur de droit — même une erreur qui « dispose d’un droit sur‑le‑champ et de manière définitive » — cela risque de fragmenter des procès criminels et d’entraîner par le fait même une inefficacité, des retards et le règlement de questions sur la base d’un dossier incomplet. Une telle règle serait en opposition directe avec la méthode énoncée dans R. c. Jordan2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, pour rendre justice promptement en matière criminelle. Pour ces motifs, je ne ferais pas mienne l’interprétation plus large retenue par la Cour d’appel du Québec au par. 29, où elle a laissé entendre que les parties pourraient recourir au certiorari pour faire corriger des erreurs de droit manifestes à la lecture du dossier (voir ci‑dessus au par. 14).

[18]                          Enfin, bien qu’elle n’ouvre pas la porte aussi grande, l’approche proposée par la procureure générale de l’Ontario irait aussi néanmoins à l’encontre de l’interdiction des appels interlocutoires dans les instances criminelles. Même si elle est davantage circonscrite que le droit général au certiorari décrit dans Black, cette approche donnerait probablement lieu à de nombreux débats pendant que les cours supérieures définissent les pourtours de cette approche. Pour les avocats, les questions qui mettent en cause les intérêts de leurs clients revêtent souvent une importance primordiale pour l’administration de la justice. Je refuse donc d’adopter l’une ou l’autre de ces trois approches.

[19]                          Le fait d’autoriser le recours au certiorari pour prévoir des appels interlocutoires de facto en matière criminelle établirait une distinction injustifiée entre les procès en cour provinciale et ceux en cour supérieure. Comme il n’est pas possible de recourir au certiorari à l’encontre d’une cour supérieure (Dagenais, p. 865), les décisions interlocutoires des cours provinciales seraient susceptibles de contrôle, mais non celles des cours supérieures.

[20]                          Donc, pour résumer, les parties à une instance criminelle ne peuvent recourir au certiorari que s’il y a erreur de compétence d’un juge de la cour provinciale (voir ci‑dessus au par. 11). Quant aux tiers, ils peuvent s’en prévaloir pour faire contrôler des erreurs de compétence ainsi que des erreurs manifestes à la lecture du dossier concernant une décision qui a un caractère définitif et contraignant à leur égard (voir ci‑dessus au par. 12).

[21]                          En obiter, la juge Thibault a mentionné que l’on pourrait recourir au certiorari lorsqu’une décision porte atteinte de façon irrémédiable aux droits fondamentaux de l’accusé et lorsque l’appel n’offre aucune réparation adéquate. Elle a donné l’exemple du tribunal qui ordonne à l’accusée d’enlever son niqab lors de son témoignage. Je remets à une autre occasion l’examen de la question de savoir si une demande de certiorari peut être accueillie en pareilles circonstances.

B.            Peut-on recourir au certiorari en l’espèce?

[22]                          Le ministère public prétend que la juge Paradis a également commis deux erreurs de compétence dans son analyse de la requête de type McNeil. Tout d’abord, elle a fait abstraction à tort de la décision de la juge Lavoie d’accueillir la première requête en certiorari du ministère public. Ensuite, la teneur de l’ordonnance de la juge Paradis excédait sa compétence parce qu’un tribunal ne peut ordonner au ministère public de s’enquérir de l’existence de documents avant que l’accusé n’ait démontré qu’ils existent, qu’ils sont pertinents et qu’il est possible pour le ministère public de les obtenir.  

[23]                          Or, ni l’une ni l’autre de ces erreurs n’en est une de compétence. En matière criminelle, il y a erreur de compétence lorsque le tribunal ne se conforme pas à une disposition impérative d’une loi ou transgresse les principes de justice naturelle : voir Skogman. L’omission de donner effet à l’autorité de la chose jugée n’est pas une question de compétence : c’est une erreur de droit. Cela dit, je doute qu’il y ait eu pareille erreur. L’ordonnance de la juge Lavoie n’empêchait aucunement la juge Paradis d’ordonner au ministère public de s’enquérir de l’existence des documents. En fait, la juge Lavoie n’a pas conclu que les documents étaient dénués de pertinence; elle a simplement estimé que Mme Awashish n’avait pas démontré leur pertinence. De plus, une erreur sur le point de savoir si l’accusé s’est acquitté de son fardeau de preuve à l’égard d’une demande de communication est non pas une erreur de compétence, mais uniquement une erreur de droit.

samedi 29 octobre 2016

La juridiction de la Cour supérieure relativement à une violation de la Charte

R. c. Bois, 1991 CanLII 3662 (QC CA)

Lien vers la décision


Dans l’arrêt Mills c. R. de la Cour suprême, les juges de la majorité mentionnent qu’on ne peut déduire des termes de l’article 24(1) de la Charte que la négation d’un droit ou l’atteinte à un droit garanti par la Charte dans le cadre des poursuites judiciaires entraîne inévitablement la perte de compétence de la juridiction de première instance. Le juge Laforest affirme qu’en règle générale la juridiction de jugement devrait être privilégiée comme source de compétence initiale et de surveillance pour traiter des allégations de violation de la Charte. Cette préférence pour cette juridiction est fondée en grande partie sur le fait que le juge du procès qui finit par entendre l’affaire n’est pas limité à une preuve par affidavit, il a une meilleure connaissance des faits et il sera mieux placé pour donner suite à l’intention exprimée dans la Charte. Dans certaines circonstances cependant, la Cour supérieure pourrait exercer sa compétence lorsque le requérant peut se décharger du fardeau de démontrer que la juridiction de jugement ne constitue pas un tribunal plus convenable. Le juge de la Cour supérieure, dans sa discrétion, était donc justifié de refuser d’exercer son pouvoir de surveillance pour traiter de l’allégation de violation de l’article 11 b) de la Charte.

vendredi 15 janvier 2016

Le recours au bref de prohibition pour attaquer la partialité du juge

Belkadi c. Massignani, 2015 QCCS 402 (CanLII)


[20]        Il est acquis au débat que les paroles ou les gestes d’un juge présidant un procès qui dénotent une forme de partialité, réelle ou appréhendée, constituent un excès de compétence. Un nouveau procès doit, advenant le cas, être ordonné.
[22]        Comme le fait d’attaquer l’impartialité du juge qui instruit un procès met en cause son intégrité en même temps que celle du système judiciaire tout entier, les tribunaux encadrent donc étroitement les procédures visant à attaquer l’intégrité et l’impartialité d’un juge.
[23]        Aussi les tribunaux reconnaissent-ils une forte présomption d’intégrité judiciaire qui ne peut être repoussée que par une preuve convaincante évaluée selon un critère objectif, soit celui de la personne sensée, raisonnable et bien informée.
[24]        La preuve doit révéler une probabilité réelle de partialité. La preuve d’un comportement ou des paroles déplacées ne suffit pas (Kelly c.Palazzo2008 ONCA 82 (CanLII), par 82). Le fait qu’un juge soit trop dirigiste, fasse preuve d’impatience ou même d’impolitesse à l’endroit d’un avocat ne suffit pas non plus à renverser la présomption d’impartialité (R. c. Carrier, 2012 QCCA 594 (CanLII).
[26]        Comme le rappelle le juge Vauclair, siégeant alors à la Cour supérieure, dans R. c. Garneau2013 QCCS 5526 (CanLII) :
[28]      […] toute remarque, même celle qui inspire l’inquiétude, doit être replacée dans son contexte, dans l’ensemble des procédures et analysée en tenant compte de toutes les circonstances connues ou censées de l’être de la personne raisonnable.
(référence omise)
[27]        On doit ajouter qu’en l’espèce une clarification de la situation avec l’intimé ou encore la présentation devant lui d’une requête en récusation eut été souhaitable.
[28]        En effet, les cas où l’intérêt de la justice requiert une intervention immédiate de la Cour supérieure par un bref de prohibition sont rares. Dans Hurens c. R.2013 QCCA 1700 (CanLII), la Cour d’appel mentionne à ce sujet :
[2]         Il est reconnu que les recours en révision judiciaire, qu'ils soient de la nature d'un certiorari ou de la prohibition, sont à proscrire lorsqu'ils portent sur des jugements interlocutoires rendus en matière criminelle et pénale : Forest c. La Reine2010 QCCA 861 (CanLII);Chun et al c. La Reine, 2009 QCCA 612 (CanLII). En effet, ces décisions sont susceptibles d'être éventuellement reformées en appel, de sorte qu'il existe un autre moyen efficace de les contester : P.G. Canada c. Gagné2009 QCCS 1614 (CanLII), et la fragmentation des procédures en matière criminelle doit être évitée en raison de tous les désavantages qui lui sont associés : La Reine c. Magnotta2013 QCCS 4395 (CanLII)R. v. Duvivier(1991), 1991 CanLII 7174 (ON CA)64 C.C.C. (3d) 20 (C.A. Ont)R. c. Mills1986 CanLII 17 (CSC),[1986] 1 R.C.S. 863.
[3]         Ainsi, la Cour supérieure devrait généralement refuser d'exercer sa compétence en la matière […]

jeudi 26 novembre 2015

La partialité affecte la compétence du juge



91.              Pour mériter le respect et la confiance de la société, le système de justice doit faire en sorte que les procès soient équitables et qu’ils paraissent équitables aux yeux de l’observateur renseigné et raisonnable. Tel est le but fondamental assigné au système de justice dans une société libre et démocratique.

92.              C’est un principe bien établi que tous les tribunaux juridictionnels et les corps administratifs sont tenus d’agir équitablement envers les parties qui ont à comparaître devant eux. Voir à titre d’exemple Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities)1992 CanLII 84 (CSC)[1992] 1 R.C.S. 623, à la p. 636. Afin de remplir cette obligation, le décideur doit être impartial et paraître impartial. La portée de cette obligation et la rigueur avec laquelle elle s’applique varieront suivant la nature du tribunal en question.

96.              Habituellement, c’est l’accusé qui, dans un procès criminel, allègue la partialité, réelle ou apparente, du tribunal.  Toutefois, rien n’empêche le ministère public de faire une allégation similaire. Il y est même tenu lorsque les circonstances l’exigent. Même s’il ne fait pas l’objet d’une protection constitutionnelle explicite, c’est un important principe de notre système juridique que le procès doit être équitable pour toutes les parties -- pour le ministère public comme pour l’accusé. Voir à titre d’exemple R. c. Gushman[1994] O.J. No. 813 (Div. gén.). Dans l’arrêt Curragh, précité, notre Cour a récemment maintenu une allégation de crainte de partialité suscitée par la conduite du juge du procès envers un substitut du procureur général.  Dans un contexte légèrement différent, on a conclu que si le juge forme ou paraît former une opinion partiale contre un témoin du ministère public, par exemple la victime d’une agression sexuelle, il y a possibilité que le procès soit inéquitable envers le ministère public: arrêt Wald, précité, à la p. 336.

99.              Si les paroles ou la conduite du juge suscitent une crainte de partialité ou dénotent réellement sa partialité, il excède sa compétence. Voir les décisions Curragh, précitée, au par. 5; Gushman, précitée, au par. 28. On peut remédier à cet excès de compétence en présentant une requête en récusation adressée au juge présidant l’instance si celle-ci se poursuit, ou en demandant l’examen en appel de la décision du juge. Dans le cadre de l’examen en appel, on a jugé récemment que la «conclusion correctement tirée qu’il existe une crainte raisonnable de partialité mène habituellement, de façon inexorable, à la décision qu’il doit y avoir un nouveau procès»: arrêt Curragh, précité, au par. 5.

100.            S’il y a crainte raisonnable de partialité, c’est l’ensemble des procédures du procès qui sont viciées et la décision subséquente aussi bien fondée soit-elle ne peut y remédier. Voir l’arrêt Newfoundland Telephone, précité, à la p. 645; voir aussi l’arrêt Curragh, précité, au par. 6. Ainsi, le simple fait que le juge paraît, sur certains points, avoir tiré des conclusions justes quant à la crédibilité ou qu’il arrive à un résultat correct ne peut dissiper les effets de la crainte raisonnable de partialité que d’autres paroles ou actes du juge ont pu susciter. Dans le contexte d’une requête en récusation du juge siégeant dans une poursuite donnée, on a statué que lorsqu’il y a crainte raisonnable de partialité, «on ne peut rendre une décision finale à partir de conclusions sur la crédibilité formulées dans de pareilles conditions»: Blanchette c. C.I.S. Ltd.1973 CanLII 3 (CSC)[1973] R.C.S. 833, à la p. 843. Toutefois, si les paroles ou la conduite du juge, eu égard au contexte, ne suscitent pas de crainte raisonnable de partialité, ses conclusions n’en seront pas entachées, quelque inquiétantes qu’elles puissent être.

101.            Par conséquent, si l’appelant a raison de dire que les cours d’appel ont, avec sagesse, adopté une norme d’examen fondée sur la retenue en ce qui concerne l’analyse des conclusions factuelles des tribunaux d’instance inférieure, dont les conclusions relatives à la crédibilité des témoins, il est quelque peu trompeur de définir la question en litige dans le présent pourvoi comme se ramenant à une question de crédibilité. Si les conclusions du juge Sparks sur la crédibilité étaient entachées de partialité ou de crainte de partialité, elles avaient été tirées sans compétence, et elles ne justifiaient pas le respect de la cour d’appel. Par contre, si ses conclusions n’étaient pas entachées de partialité, alors l’affaire portait entièrement sur lesdites conclusions et la cour d’appel ne devait pas les modifier, sauf si elles étaient manifestement déraisonnables ou ne s’appuyaient pas sur la preuve. Voir à titre d’exemple R. c. W. (R.)1992 CanLII 56 (CSC)[1992] 2 R.C.S. 122, aux pp. 131 et 132.

mardi 24 novembre 2015

La requête visant la continuation des procédures suivant la suspension des procédures

Canada (Procureur général) c. Gagné , 2009 QCCS 1614 (CanLII)

Lien vers la décision


[18]            Le Procureur général du Canada demande la continuation du procès de M. Gagné selon l'article 25 des Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle.
[19]            L'article 25 des Règles de procédure prévoit ce qui suit:
25. La signification de la requête opère sursis de toutes les procédures devant le tribunal, le juge ou le fonctionnaire visé mais le juge peut, en tout temps, en ordonner la continuation.
[20]            Dans la mesure où le juge qui détermine s'il doit ordonner la continuation d'un procès en vertu de l'article 25 des Règles de procédureest appelé à surseoir au sursis automatique prévu par l'article 25, il doit appliquer les critères de l'arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd.
[21]            Dans la décision RJR - Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), les juges Sopinka et Cory énoncent le critère applicable à une demande de suspension d’instance :
L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire.  Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger.  Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée.  Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.
[22]            Les critères de l’arrêt Metropolitain Stores ont été appliqués par la Cour d’appel dans Boutin c. Mayrand.  Dans cette affaire, on demandait à la Cour d’appel de surseoir à la tenue du procès devant la Cour supérieure pendant l’audition de l’appel à l’encontre d’une décision à l’égard d’un bref de certiorari qui contestait des décisions du juge ayant présidé l’enquête préliminaire.
[23]            En l'espèce, le Tribunal ne se prononce pas sur la demande de prohibition présentée par M. Gagné mais uniquement sur la requête de la poursuite visant la continuation des procédures.


B – L'application des trois critères
a) Question sérieuse à juger
[24]            Selon l’arrêt RJR - Macdonald, la détermination du caractère sérieux de la question soulevée exige un examen préliminaire du fond de l’affaire, mais pas un examen prolongé «en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire».  L’analyse du deuxième et du troisième critère doit être effectuée même si le demandeur sera probablement débouté lors de l’audition sauf dans les cas où la question est futile ou vexatoire.
[25]            La question de la partialité d'un juge est une question sérieuse même si la décision de la Cour suprême dans Bande indienne Wewaykum c. Canada affaiblit, dans une certaine mesure, une partie de l'argumentation présentée par M. Gagné.
b) Préjudice irréparable
[26]            À l’étape de l’analyse du préjudice irréparable, «la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire». 
[27]            Le requérant doit «convaincre la cour qu'il subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement.  Le terme "irréparable" a trait à la nature du préjudice et non à son étendue».
[28]            La question de la partialité pourra être soulevée en appel si M. Gagné est condamné.  Il n'est donc pas en mesure d'établir un préjudice irréparable si le Tribunal ordonne la continuation de son procès.
c) La prépondérance des inconvénients et l’intérêt public
[29]            L’arrêt RJR – MacDonald énonce que: «le troisième critère applicable à une demande de redressement interlocutoire [est] un critère qui consiste «à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond».
[30]            Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Fishing Vessel Owners' Association of B.C., la Cour d'appel fédérale écrit ce qui suit: «[l]orsqu'on empêche un organisme public d'exercer les pouvoirs que la loi lui confère, on peut alors affirmer, en présence d'un cas comme celui qui nous occupe, que l'intérêt public, dont cet organisme est le gardien, subit un tort irréparable». 
[31]            Ce passage est cité par la Cour suprême tant dans Metropolitan Stores que dans RJR – MacDonald
[32]            Dans RJR – MacDonald, la Cour suprême affirme que dans «le cas d'un organisme public, le fardeau d'établir le préjudice irréparable à l'intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l'organisme public et, en partie, de l'action qu'on veut faire interdire.  On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés.  Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public».
[33]            En matière criminelle, normalement il n'y a pas d'appels interlocutoires.  Même si le recours en prohibition n'est pas un appel interlocutoire, il a le même effet.
[34]            Dans R. c. Arcand(2005), 2004 CanLII 46648 (ON CA)192 C.C.C. (3d) 57 (Ont. C.A), la Cour d'appel de l'Ontario examine des questions similaires à celles posées par le recours en prohibition de M. Gagné et la demande de continuation du procès de la poursuite.
[35]            Le juge Rosenberg écrit ce qui suit:
At common law, certiorari and prohibition are discretionary remedies and the superior court should generally decline to grant the remedy where there is an adequate appellate remedy. As Doherty J.A. said in R. v. Duvivier (1991), 1991 CanLII 7174 (ON CA)64 C.C.C. (3d) 20 (Ont. C.A.), at 23-4:

The jurisdiction to grant that relief, either by way of prerogative writ or under s. 24(1) of the Charter, is discretionary. It is now firmly established that a court should not routinely exercise that jurisdiction where the application is brought in the course of ongoing criminal proceedings. In such cases, it is incumbent upon the applicant to establish that the circumstances are such that the interests of justice necessitate the immediate granting of the prerogative or Charter remedy by the superior court…

After referring to a number of cases supporting this proposition, Doherty J.A. continued as follows:

These cases dictate that issues, including those with a constitutional dimension, which arise in the context of a criminal prosecution should routinely be raised and resolved within the confines of the established criminal process which provides for a preliminary inquiry (in some cases), a trial, and a full appeal on the record after that trial.

Those same cases identify the policy concerns which underline the predilection against resort to the superior court for relief during criminal proceedings. Such applications can result in delay, the fragmentation of the criminal process, the determination of issues based on an inadequate record, and the expenditure of judicial time and effort on issues which may not have arisen had the process been left to run its normal course. The effective and efficient operation of our criminal justice system is not served by interlocutory challenges to rulings made during the process or by applications for rulings concerning issues which it is anticipated will arise at some point in the process. [Emphasis added.]

Those policy concerns apply not only to criminal cases but also to proceedings under the Provincial Offences ActSee R. v. Felderhof2002 CanLII 41888 (ON SC)[2002] O.J. No. 4103 (Ont. S.C.J.) at paras. 11-16, aff'd (2003), 2003 CanLII 37346 (ON CA)180 C.C.C. (3d) 498 (Ont. C.A.). Thus, for example, at the time the respondent brought his application for prohibition there was an incomplete record. Mr. Rickey had not testified and so the complete picture of what occurred with the Montgomery Binder was not before the application judge. The result of the application was to delay and fragment the trial. As A. Campbell J. said in R. v. Felderhof at para. 14:

The appellate search for hypothetical error in the middle of a trial defeats not only the integrity of the trial process but also the efficacy of the appeal process. The only efficient way to deal with alleged errors, and the fairest way to both sides, is to wait until the trial is over and then to appeal. From a practical point of view, trials would be endless if mid-trial rulings could be appealed or reviewed.

The limitation on intervention in on-going proceedings applies even where the accused or defendant claims that a ruling by the trial court has breached constitutional rights. Duvivier and Felderhof make clear that is not every erroneous ruling on an alleged Charter violation causes the trial court to lose jurisdiction. As was said by this court in R. v. Corbeil (1986), 27 C.C.C. (3d) 245 (Ont. C.A.), at 254 "only in special and exceptional circumstances can it be said that the denial of a constitutional right has resulted in a loss of jurisdiction so as to justify the extraordinary remedies of certiorari and prohibition". The court described those circumstances as involving "a palpable infringement of a constitutional right that has taken place or is clearly threatened".

(Nous soulignons)

[36]            Dans R. v. 1353837 Ontario Inc. (2005), 2005 CanLII 4189 (ON CA)193 C.C.C. (3d) 468 (C.A. Ont.), le juge Laskin de la Cour d'appel de l'Ontario énonce ce qui suit au sujet des recours extraordinaires durant un procès criminel:
However, the court's discretion to refuse a prerogative remedy goes beyond s. 141(4). Even if a preliminary ruling or a ruling during a hearing denies a party natural justice, the court or tribunal retains discretion to deny prerogative relief and insist that the hearing proceed. The debate over whether a preliminary ruling denying procedural fairness entitles the aggrieved party to prerogative relief virtually as a right or whether the relief may be denied because there is an adequate alternative remedy -- for example, an appeal -- is a familiar one in administrative law. In administrative proceedings, the Supreme Court of Canada has favoured allowing the hearing to proceed. See Harelkin v. University of Regina1979 CanLII 18 (CSC)[1979] 2 S.C.R. 561 (S.C.C.)Canadian Pacific Ltd. v. Matsqui Indian Band1995 CanLII 145 (CSC)[1995] 1 S.C.R. 3 (S.C.C.); and see also the decision of this court in Howe v. Institute of Chartered Accountants (Ontario) (1994), 1994 CanLII 3360 (ON CA)19 O.R. (3d) 483 (Ont. C.A.).

The typical reasons given for refusing judicial review at the beginning of or during a hearing in the face of an otherwise reviewable wrong include maintaining the integrity of the process, avoiding fragmenting or delaying the proceedings, and the availability of an appeal on a full record.

(…)

Despite these policy considerations favouring a non-interventionist approach, the rare case will arise where a court is justified in intervening before or during a POA proceeding. A judge's erroneous ruling may make the proceedings so unfair that the interests of justice require the court to intervene and grant prerogative relief. The court may conclude that stopping the proceedings before the trial starts or at an early stage of the trial may be less costly and more efficient than to permit the flawed proceedings to go forward. In Duvivier, at 24-25, Doherty J.A. put it this way:
I stress, however, that this limitation on resort to Charter or extraordinary remedy relief during criminal proceedings has been judicially imposed and cannot be taken as the equivalent of an absolute privative clause barring all such applications. Where the circumstances are such that the interests of justice require immediate intervention by the superior court, that jurisdiction can and will be exercised.

(Nous soulignons)
[37]            On peut donc constater que le pouvoir d'intervention de la Cour supérieure est limité.  Il n'est pas souhaitable que la Cour supérieure intervienne durant la tenue d'un procès devant la Cour du Québec et qu'elle entende des recours de nature interlocutoire à l'égard de questions qui peuvent faire l'objet d'un appel.
[38]            Les principes énoncés dans les arrêts Arcand et 1353837 Ontario Inc s'appliquent à la demande de continuation des procédures de la poursuite.  Si le procès ne pouvait continuer, un préjudice plus grand serait causé à l'intérêt public, de même qu'au droit de M. Gagné d'être jugé dans un délai raisonnable.
[39]            Comme le juge McIntyre l'écrit dans l'arrêt Mills c. La Reine «l'expérience démontre qu'une requête ou un appel interlocutoire occasionne bien trop souvent des délais».

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...