[14] À mon avis, le seul fait de regarder au moyen d’un navigateur Web une image stockée sur un site hébergé dans l’Internet ne permet pas d’établir le degré de contrôle nécessaire pour conclure à la possession. La possession d’images illicites exige qu’il y ait possession, d’une façon ou d’une autre, des fichiers de données sous‑jacents. La simple visualisation d’images en ligne constitue le crime distinct d’accès à de la pornographie juvénile, créé par le législateur au par. 163.1(4.1) du Code criminel.
[15] Pour l’application du Code criminel, la « possession » définie au par. 4(3) s’entend de la possession personnelle, de la possession imputée et de la possession commune. Seules les deux premières de ces trois formes de possession fautive sont pertinentes en l’espèce. Nul ne conteste que la connaissance et le contrôle constituent des éléments essentiels de ces deux types d’infraction.
[16] Dans le cas d’une allégation de possession personnelle, le critère de la connaissance est formé des deux éléments suivants : l’accusé doit savoir qu’il a la garde physique de la chose donnée et il doit connaître la nature de cette dernière. Il faut en outre que ces deux éléments soient conjugués à un acte de contrôle (qui ne procède pas d’un devoir civique) : Beaver c. The Queen, 1957 CanLII 14 (SCC), [1957] R.C.S. 531, p. 541‑542.
[17] Il y a possession imputée lorsque l’accusé n’a pas la garde physique de l’objet en question, mais qu’il l’a « en la possession ou garde réelle d’une autre personne » ou « en un lieu qui lui appartient ou non ou qu’[il] occupe ou non, pour son propre usage ou avantage ou celui d’une autre personne » (Code criminel, al. 4(3)a)). Il y a donc possession imputée quand l’accusé : (1) a connaissance de la nature de l’objet, (2) met ou garde volontairement l’objet dans un lieu donné, que ce lieu lui appartienne ou non, et (3) a l’intention d’avoir l’objet dans ce lieu pour son « propre usage ou avantage » ou celui d’une autre personne.
[36] Selon moi, la mise en cache automatique d’un fichier sur le disque dur, sans plus, n’emporte pas la possession. Bien que le fichier mis en cache soit en un « lieu » sous le contrôle de l’utilisateur, il faut aussi, pour prouver la possession, satisfaire aux exigences concernant la mens rea ou la faute. Par conséquent, il faut démontrer que l’utilisateur a sciemment stocké et conservé le fichier dans la mémoire cache.
[37] En l’espèce, l’accusation ne repose pas sur la possession de pornographie juvénile dans la mémoire cache que l’accusé aurait utilisée à cette fin. Cela n’est guère surprenant, car la plupart des utilisateurs ne connaissent ni le contenu de la mémoire cache de leur ordinateur, ni son fonctionnement, ni même son existence. Sans cette connaissance, ils n’ont pas l’élément mental ou fautif requis pour être reconnus coupables de la possession des images se trouvant dans la mémoire cache. Cela dit, dans de rares cas, la mémoire cache pourrait être utilisée sciemment pour stocker des copies de fichiers images dans l’intention d’en conserver la possession.
[38] La juge Deschamps a présenté une conception plus large de la possession, selon laquelle il suffit, dans certains cas du moins, de regarder une image pour en avoir la possession. Comme je vais maintenant l’expliquer, même si l’on adoptait le point de vue de ma collègue, la dénonciation en l’espèce n’établit pas l’existence de motifs raisonnables et probables pouvant étayer la fouille contestée de l’ordinateur de l’appelant.
[64] La présence des deux liens intitulés « Lolita » dans les favoris permet certainement l’inférence raisonnable que l’accusé a visité un site Web présentant des images à caractère sexuel explicite d’adolescentes de moins de 18 ans. De plus, en l’absence de preuve contraire, il n’est pas déraisonnable de conclure de leur simple présence dans l’ordinateur de l’appelant que ces liens ont été ajoutés sciemment par lui.
[65] Une telle conclusion ne suffit toutefois pas à établir la possession. Premièrement, comme je l’ai déjà expliqué, le simple fait de visiter un site Web ou de visualiser des images à l’écran n’emporte pas possession. De même, le fait de placer un signet dans l’ordinateur ne permet pas d’établir la possession du matériel contenu dans le site Web : les signets ne font que permettre un accès facile et rapide aux sites Web indiqués. En effet, un clic sur un signet peut présenter du matériel ajouté ou ne rien donner d’autre qu’un message annonçant que le matériel précédemment affiché dans le site Web a été supprimé, que l’adresse du site Web n’est plus valide — ou que le site Web n’existe plus.
[66] Ainsi, pour être coupable de l’infraction de possession (contrairement à l’infraction d’accès), la personne doit sciemment acquérir les fichiers de données sous‑jacents et les garder dans un lieu sous son contrôle. La présence des icônes est susceptible d’éveiller des soupçons quant à la possession, mais elle ne peut à elle seule étayer raisonnablement l’inférence selon laquelle l’appelant n’a pas seulement accédé au site Web et sciemment regardé des images illicites qui s’y trouvaient, mais a également pris le contrôle des fichiers de données sous‑jacents, notamment en les sauvegardant sur le disque dur de son ordinateur.