R. c. Berner, 2013 BCCA 188
[12] Les déclarations de la victime jouent un rôle important dans le processus de détermination de la peine. Elles ont été officiellement introduites dans le processus de détermination de la peine par voie législative en 1988. Bien qu’il y ait eu des incohérences entre les tribunaux quant à l’admissibilité de cet élément de preuve avant la codification, la tendance générale était l’acceptation. La question a été tranchée dans R. c. Swietlinski, 1994 CanLII 71 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 481, à la page 503, où le juge en chef Lamer a formulé l’observation suivante : « Il est bien connu que le témoignage de la victime est admissible lors de l’audition relative à la peine. » Le régime législatif actuel qui a été promulgué en 1995 est énoncé à l’art. 722 du Code criminel, qui est ainsi libellé (omis)
[13] Le paragraphe 722(2) oblige le juge chargé de déterminer la peine de prendre en considération la déclaration de la victime [TRADUCTION] « pour déterminer la peine ». Le contenu de la déclaration ne constitue qu’une description des « dommages — corporels ou autres — ou [d]es pertes causées à celle-ci par la perpétration de l’infraction ». En outre, le paragraphe 722(3) permet au juge chargé de déterminer la peine de prendre en considération « tout élément de preuve qui concerne la victime afin de déterminer la peine à infliger au délinquant ». Nous reviendrons sur cette disposition plus tard.
[14] Deux choses émanent de l’admission de déclarations de la victime. D’abord, la lecture de la déclaration de la victime en cour renforce concrètement dans l’esprit du délinquant les conséquences de ses gestes. Deuxièmement, le juge de première instance prend connaissance des dommages que la perpétration de l’infraction criminelle a causés aux victimes et donc, indirectement, dans la collectivité dans son ensemble. La déclaration de la victime aborde ainsi l’objectif du prononcé des peines énoncé à l’al. 718f), déjà reproduit.
[15] Il importe donc que le contenu de la déclaration de la victime ne détourne pas l’attention de la cour de son examen en bonne et due forme.
[16] Dans l’arrêt R. c. Bremner, 2000 BCCA 345, notre Cour a avalisé l’avis exprimé en Ontario dans R. c. Gabriel (1999), 1999 CanLII 15050 (ON SC), 137 C.C.C. (3d) 1, 26 C.R. (5th) 364 (C.S. Ont.). La juge Proudfoot a fait la déclaration suivante au nom de la Cour :
[TRADUCTION]
[26] Dans R. c. Gabriel […] le juge Hill a fait la déclaration suivante dans un jugement fort détaillé sur les divers volets de la déclaration de la victime prévue à l’art. 722 (au par. 22) :
[TRADUCTION]
Il ne s’agit pas de déprécier le moins du monde l’apport important des déclarations des victimes à l’octroi d’une place aux victimes dans le processus criminel, mais il faut se rappeler qu’un procès criminel, y compris la phase de détermination de la peine, n’est pas une procédure tripartite. Un condamné a commis un crime – un acte contre la société dans son ensemble. C’est l’intérêt public, et non un intérêt particulier, que doit servir la peine prononcée.
Je souscris à la déclaration générale du juge Hill selon laquelle les audiences de détermination de la peine ne constituent pas une procédure tripartite. Il s’agit plutôt d’une procédure opposant la société, représentée par le ministère public, et un condamné.
[27] Dans Gabriel, le juge Hill a énoncé le contenu qui devrait être soumis à la cour lorsque des déclarations des victimes sont déposées. Comme j’estime que cela est grandement utile, je le reproduis ici (aux par. 29 à 33) :
[TRADUCTION]
Il convient qu’une déclaration de la victime porte sur « les dommages – corporels ou autres – ou les pertes causées à celle-ci par la perpétration de l’infraction ». La déclaration ne doit contenir ni réprobation du délinquant, ni affirmations sur les faits de l’infraction, ni recommandations sur la sévérité du châtiment.
La réprobation du délinquant altère l’équilibre du système accusatoire et risque de donner l’impression d’une motivation par la vengeance.
Tenter d’articuler, de préciser sans doute, les faits de l’infraction usurpe sur les fonctions du procureur et risque de contredire ou d’étendre la preuve antérieure du procès, ou les faits convenus et portés au dossier au moment du plaidoyer de culpabilité. Tel a été le cas dans R. c. McAnespie (1993), 1993 CanLII 14716 (ON CA), 82 C.C.C. (3d) 527 (C.A. Ont.) (décision infirmée : (1994), 1993 CanLII 50 (CSC), 86 C.C.C. (3d) 191 (C.S.C.)), où la plaignante, dans sa déclaration de la victime, a ajouté à la divulgation relative à l’infraction.
Le procureur général représente l’intérêt public dans le cadre de la lutte contre le crime.
Les recommandations de sanctions sont à éviter sauf circonstances exceptionnelles, tels une demande accueillie par le tribunal ou un conseil autochtone de détermination de la peine. Elles peuvent, en outre, ressortir des observations du poursuivant indiquant que la victime sollicite la clémence de la cour pour le délinquant, ce qu’il n’était peut-être pas raisonnable d’attendre dans les circonstances. La liberté de réclamer des peines extraordinaires supérieures à ce qu’admettent les juridictions d’appel nourrit sans justification les attentes des victimes, donne l’impression de l’acceptation par les tribunaux de récriminations vengeresses, et détourne le système de la retenue qui s’impose dans le châtiment par privation de liberté (al. 718.2d) du Code; R. c. Gladue, précité, par. 40, 41, 57 et 93). Il a été avancé que, souvent, le peu de connaissance qu’a la victime du choix de peines qui s’offre à la justice peut l’amener à tabler sur des peines plus sévères (Rubel, H.C., « Victim Participation in Sentencing Proceedings » (1985-86), 28 C.L.Q. 226, p. 240 et 241). La neutralité libre de la magistrature exige que les tribunaux ne réagissent pas à l’opinion publique sur la sévérité des peines (R. c. Porter (1976), 1976 CanLII 1328 (ON CA), 33 C.C.C. (2d) 215 (C.A. Ont.), p. 220, le juge d’appel Arnup). [Notes en bas de page omises.]
[17] Aux commentaires du juge Hill, nous ajouterions que les déclarations de la victime ne devraient pas contenir d’énoncés qui semblent implorer le juge chargé de déterminer la peine d’attribuer une valeur à la vie de la victime ou d’imposer une peine sévère pour compenser un deuil.
[20] En toute déférence, nous ne pouvons accepter ce raisonnement. Nous reconnaissons que le juge chargé de déterminer la peine a le pouvoir discrétionnaire d’admettre, entre autres, une photographie de la victime en vertu du par. 722(3) du Code criminel, mais nous ne pouvons pas accepter que le volume et la nature des éléments de preuve supplémentaires constituaient un ajout acceptable à la déclaration de la victime.
[21] Dans R. c. Jackson (2002), 2002 CanLII 41524 (ON CA), 163 C.C.C. (3d) 451, la Cour d’appel de l’Ontario a été saisie d’une déclaration de la victime déposée par un policier qui avait été victime d’un échange de coups de feu. Sa déclaration comportait des éléments de preuve relatifs aux causes et à l’incidence du crime, à l’utilisation d’armes à feu et ainsi de suite. Lorsqu’il a conclu que la déclaration outrepassait les limites de ce qui est permis dans une déclaration de la victime, le juge Sharpe, s’exprimant au nom de la cour, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 53 à 56 :
[TRADUCTION]
Je n’accepte pas l’observation [du ministère public] selon laquelle une telle déclaration tombe sous le coup des dispositions du Code criminel régissant les déclarations de la victime. À la date du prononcé de la peine, le par. 722(3) était ainsi libellé :
La déclaration rédigée et déposée auprès du tribunal en conformité avec le paragraphe (2) ne porte pas atteinte à la liberté du tribunal de prendre en considération tout autre élément de preuve qui concerne la victime afin de déterminer la peine à infliger au contrevenant ou de décider si celui-ci devrait être absous en vertu de l’article 730.
Le [ministère public] invoque aussi le par. 723(2), qui oblige le tribunal à prendre connaissance « des éléments de preuve pertinents » relatifs à la détermination de la peine et le par. 723(3), qui est ainsi libellé :
Le tribunal peut exiger d’office, après avoir entendu le poursuivant et le délinquant, la présentation des éléments de preuve qui pourront l’aider à déterminer la peine.
À mon avis, ces dispositions n’aident pas [le ministère public]. Je n’interprète pas le par. 722(3) de façon à conférer au poursuivant ou à la victime la possibilité de soumettre une déclaration de la victime ou de faire une déclaration au tribunal immédiatement avant le prononcé de la peine. Il appert des références au dépôt d’une déclaration de la victime conformément au par. 722(2) et à des « éléments de preuve pertinents » que le par. 722(3) est subordonné au par. 722(2) et qu’il ne fait que compléter la procédure habituelle relative aux déclarations de la victime. Le paragraphe 722(3) ne prévoit pas un autre mode de présentation d’éléments de preuve relatifs aux répercussions sur la victime devant le tribunal. Pour ce qui est du par. 723(2), je n’interprète pas cette disposition d’une manière qui exige que le tribunal prenne en considération des éléments de preuve déposés d’une façon qui ne se conforme pas aux dispositions directement applicables du Code criminel régissant leur admissibilité. Enfin, je ne vois pas comment le par. 723(3) est pertinent en l’espèce puisque le tribunal n’a manifestement pas exigé d’office la présentation d’autres éléments de preuve.
En adoptant les dispositions sur la déclaration de la victime comme partie du processus de détermination de la peine, le législateur a souligné l’importance de prendre en considération les points de vue et les préoccupations des victimes et l’importance de traiter les victimes avec courtoisie, dignité et respect. Je peux certes comprendre pourquoi [la victime] avait des sentiments très forts au sujet de ce grave crime, qui avait mis sa vie en danger. Cependant, il importe de respecter les procédures énoncées dans le Code criminel relatives à la preuve sur les répercussions sur la victime. À mon avis, le Code criminel ne permet pas à une victime, notamment une victime qui n’a pas préparé de déclaration de la victime, de plaider elle-même pour une peine sévère après que tous les éléments de preuve ont été présentés et après que les avocats des deux parties ont présenté leurs observations. En demandant au tribunal de suivre cette procédure inhabituelle, l’avocat du ministère public et [la victime] ont donné lieu à une apparence d’iniquité à l’un des moments les plus cruciaux du processus.
[Le soulignement est de moi.]
[22] Nous souscrivons à cette interprétation de l’art. 722 avancée par la Cour d’appel de l’Ontario.
[26] Comme nous l’avons signalé précédemment, l’art. 722 du Code criminel précise que la déclaration de la victime est admissible « pour déterminer la peine à infliger ». Lorsqu’un doute plane quant à l’admissibilité d’une déclaration de la victime, le juge chargé de déterminer la peine devrait se pencher sur la question de savoir si la déclaration, ou une partie de celle-ci, favorise cet objectif en gardant à l’esprit le régime législatif dans son ensemble et, plus particulièrement, les principes du prononcé des peines énoncés à l’art. 718 du Code criminel.
[27] Avant de passer à autre chose, nous tenons à souligner que nous ne nous attendons pas à ce que les victimes et leur famille fassent ces distinctions. Il incombe à l’avocat du ministère public de communiquer avec les victimes et leur famille au sujet du contenu approprié des déclarations de la victime, de revoir les documents reçus et de ne pas tenter de présenter des déclarations qui dépassent le cadre de ces paramètres.
[28] Bien que nous ayons conclu que les documents supplémentaires n’auraient pas dû être admis en l’espèce, il nous est impossible de reconnaître qu’ils ont influé sur la peine infligée à l’appelante. Lorsqu’il a admis la vidéo et les photographies en preuve, le juge chargé de déterminer la peine a insisté sur le fait que le processus de détermination de la peine constitue un examen objectif relativement à ce qu’une peine indiquée devrait être et il a indiqué qu’il était disposé à rejeter toute tentative visant à convertir le processus en la condamnation et la persécution de l’appelante ou en un long hommage à la vie de l’enfant décédée.