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lundi 11 août 2025

Le profilage racial et l’art. 636 C.s.r.

Procureur général du Québec c. Luamba, 2024 QCCA 1387

Lien vers la décision


[194]   Selon la Cour, la preuve démontre également que l’effet préjudiciable causé par l’art. 636 C.s.r. renforce, perpétue et accentue le désavantage (historique et systémique) subi par les personnes noires.

[195]   Historiquement, les collectivités noires ont une perspective et une expérience différentes des pratiques policières tels que les contrôles « de routine » ou les interceptions routières « aléatoires ». Comme le souligne la CODP :

Peu de gens savent que les Noirs ont été considérés comme des « biens » jusqu’à tard dans les années 1800 ici au Canada. Le Canada a son propre passé esclavagiste, malgré l’appel lancé par le lieutenant‑gouverneur John Graves Simcoe en 1792 en vue de mettre fin à la « pratique » de l’esclavage. Des patrouilles sanctionnées par la Fugitive Slave Act de 1850 du Congrès américain poursuivaient les esclaves et surveillaient les Noirs en général, aussi loin au nord que le Canada.

C’est dans ce contexte historique que les relations des communautés noires avec la police se sont établies et ont initialement été définies.[281]

[196]   Il faut tenir compte de ce contexte pour bien comprendre comment l’art. 636 C.s.r. renforce, perpétue et accentue le désavantage subi par les personnes noires. Cela est d’autant plus important que l’expérience subjective des personnes noires interpellées ou interceptées à répétition par la police a tendance à être minimisée[282]. Les effets du profilage racial (et de la « surinterpellation ») ne sont pourtant pas anodins pour les personnes (et les collectivités) noires.

-      Les personnes noires « éprouvent souvent un sentiment d’humiliation, de peur, de colère, de frustration et d’impuissance en raison du profilage racial dont elles se sentent victimes »[284]. L’exposition fréquente à des interpellations, interceptions et fouilles policières peut avoir des conséquences négatives (et parfois durables) sur leur santé physique[285] et sur leur santé mentale[286];

-      Les personnes noires qui subissent du profilage racial peuvent par exemple développer des traumatismes (voire un syndrome de stress post‑traumatique)[287] ou souffrir de dépression ou d’anxiété[288];

-      De nombreuses familles racisées modifient « la façon dont [elles] élèvent leurs enfants afin de les préparer à réagir à de telles interactions avec la police, jugées inévitables »[289]. Plusieurs personnes développent par ailleurs des « stratégies » afin de se protéger contre le profilage racial et les interceptions arbitraires (p. ex. filmer les interceptions, éviter de se rendre dans certains quartiers ou de conduire certains modèles de voitures, faire preuve d’une extrême prudence et vigilance au volant, etc.)[290];

-      Le profilage racial mine la confiance des personnes noires envers la police et les institutions publiques[291]. Il crée un sentiment de méfiance, voire carrément d’hostilité[292], envers les forces de l’ordre et le système judiciaire[293];

-      La perte de confiance dans la légitimité, l’intégrité et l’objectivité de la police et du système judiciaire peut mener certaines personnes à refuser de collaborer avec la police[294], et même à développer des comportements antisociaux (p. ex. refus d’obéir à la loi ou participation au crime)[295]. En outre, les personnes qui craignent la police ou qui remettent en question sa légitimité sont moins susceptibles de faire appel à elle en cas de besoin[296], « ce qui renforce leur vulnérabilité et augmente leurs taux de victimisation »[297];

-      Le profilage racial a un effet négatif sur l’estime de soi des personnes noires[298] (ex. sentiment d’être un « criminel », un « déchet »[299], ou encore un « citoyen de seconde zone »[300]). Il peut aussi y avoir une incidence négative sur leur motivation à l’école ou au travail ainsi que sur leur accès à l’éducation ou à l’emploi[301];

-      Le profilage racial amenuise le sentiment d’appartenance des membres de la communauté noire à la société québécoise[302]. La surinterpellation des personnes noires « produit ou accentue […] un désengagement civique (Lerman & Weaver, 2014) et ultimement accroît le sentiment d’insécurité chez les membres de la population ciblée (Livingstone, Rutland & Alix, 2018; Livingstone, Meudec & Harim, 2020) »[303];

-      Le profilage racial peut amener les personnes noires à intérioriser des stéréotypes négatifs à propos d’elles-mêmes et de la communauté noire[304];

-      Le profilage racial « pav[e] la voie à une judiciarisation accrue »[305] des personnes noires et « renforce la marginalisation et l’exclusion sociale »[306] des communautés noires;

-      Dans certains cas, les interceptions peuvent « dérap[er] vers des abus physiques »[307]. Fait à noter, les personnes noires sont fortement surreprésentées dans les interactions violentes avec la police[308].

[198]   Ici encore, la preuve trouve écho dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Le, la Cour suprême reconnaît que « [l’]effet des interventions policières excessives à l’égard des minorités raciales et du fichage des membres de ces collectivités, en l’absence de tout soupçon raisonnable de la tenue d’une activité criminelle, constitue plus qu’un simple désagrément »[309]. Selon la Cour suprême, ce type de pratique « a un effet néfaste sur la santé physique et mentale des personnes visées et a une incidence sur leurs possibilités d’emploi et d’éducation », en plus de « contribue[r] à l’exclusion sociale continue des minorités raciales, [de] favorise[r] une perte de confiance dans l’équité du système de justice pénale et [de] perpétue[r] la criminalisation »[310].

[199]   Quant à l’effet discriminatoire de la distinction, la preuve démontre que le profilage racial a pour effet de perpétuer et de renforcer la discrimination à l’égard des personnes noires. L’expert Mulone décrit bien la dynamique qui sous-tend les interventions policières proactives (comme les interceptions routières sans motif requis) et la « logique de cercle vicieux » qui fait en sorte que les discriminations raciales vont engendrer d’autres discriminations raciales. Il vaut de reproduire ce long passage de son rapport d’expertise :

L’interpellation et l’interception (ainsi que l’ensemble des pratiques proactives policières) sont fondamentalement un exercice de prédiction. Il s’agit de prédire si l’individu qui suscite la suspicion chez le policier est vraiment en train de cacher quelque chose, de mériter une intervention policière, ou pas. Parfois la prédiction s’avère juste. Parfois fausse (et le biais de confirmation, discuté plus haut, tend à faire en sorte que l’on se rappelle beaucoup plus des bonnes prédictions que de celles qui ont échoué). Ce qui est sûr par contre, c’est que les outils de prédiction conduisent à ce que Bernard Harcourt appelle un « effet de cliquet » (Harcourt, 2007; 2011). Cette prophétie autoréalisatrice se construit de la manière suivante : les policiers cherchent à « viser » le plus juste possible dans leur intervention (intervenir auprès de quelqu’un qui a effectivement quelque chose à se reprocher); pour savoir qui doit être ciblé en priorité, ils peuvent se référer aux statistiques policières de la criminalité (mais également à leur propre vécu, à ce qui leur a été enseigné, à leurs préjugés ou à d’autres éléments comme les circulaires qui sont diffusées quotidiennement […]); or, ces statistiques montrent que certains groupes racisés sont plus criminalisés que d’autres, et cette caractéristique visible devient l’un des critères pour cibler les « bonnes personnes »; comme on surveille plus un groupe (considéré comme plus criminel), on attrape forcément plus souvent des individus en provenance de ce groupe; à la fin de l’année, en regardant les statistiques, on se rend compte qu’on avait bien raison de cibler en priorité tel groupe plutôt que tel autre; en fait, leur participation aux statistiques de la criminalité devrait même avoir augmenté; dès lors, on va mettre encore plus de ressources pour cibler cette communauté.

Cette dynamique est importante à mettre de l’avant, et ce, pour au moins deux raisons. D’une part, parce qu’elle obéit à une logique de cercle vicieux et qu’à ce titre, elle est extrêmement difficile à briser. Ensuite, parce que tant qu’on n’agit pas activement contre elle, elle va reproduire et accentuer des discriminations raciales existantes. De la même manière qu’il est logique d’imaginer qu’on cherche à augmenter les interventions policières dans les endroits où la criminalité est plus élevée et/ou sérieuse (Tiratelli, Quinton & Bradford, 2018), un accroissement des interpellations et des interceptions sur une population donnée va forcément accroître le nombre d’infractions criminelles détectées (Hinkle & Weisburd, 2008). Ainsi, des pratiques discriminatoires vont engendrer des discriminations à leur tour. Autrement dit, les discriminations raciales vont justifier d’autres discriminations raciales (Balibar, 2007; Bessone, 2013).[311]

[Soulignements ajoutés]

[200]   Dans le même ordre d’idées, la CDPDJ relève que :

[l]’application inégale et discriminatoire de la loi qui se fait dans le contexte de la sécurité publique donne une fausse image de la réalité. En conséquence, les personnes appartenant à une communauté « profilée » vont courir plus de risques d’être interpellées, arrêtées, traduites en justice et exposées à un traitement différent et inégal à toutes les étapes du processus judiciaire.[312]

[Renvoi omis]

[201]   Le juge de première instance souligne, à bon droit, que « [c]e n’est pas au demandeur que revient le fardeau d’expliquer pourquoi la règle de droit a cette cascade d’effets ou d’établir la raison pour laquelle les personnes noires au volant ont à subir un désavantage particulier »[313]. Il suffit de constater que la règle de droit contestée, parce qu’elle « ouvre la porte à un traitement différencié des personnes de race noire au volant »[314], a pour effet d’élargir l’écart entre les personnes noires (un groupe historiquement défavorisé) et le reste de la société[315].

[202]   Tout comme le juge, la Cour en vient à la conclusion que les intimés se sont acquittés du fardeau qui était le leur à la deuxième étape de l’analyse.

* * *

[203]   En résumé, une preuve abondante établit que l’art. 636 C.s.r. a pour effet de créer une distinction fondée sur un motif énuméré au par. 15(1), soit la race[316], et qu’il agit d’une manière qui a pour effet de renforcer, perpétuer ou accentuer le désavantage subi par les personnes de race noire. L’atteinte au droit à l’égalité garanti par le par. 15(1) est donc démontrée.

vendredi 15 septembre 2023

L'inopérabilité de l'article 636 Ccr

R. c. Maxwell, 2022 QCCQ 9020

Lien vers la décision


[16]      Luamba is a young black man who was randomly stopped by police officers while driving, on three occasions, within a period of fourteen months. On each of these occasions, Luamba did not receive a statement of offence. Luamba filed suit against the state, alleging that the common law rule articulated in the Supreme Court Ladouceur decision and the provision of the HSC that authorized random stops of motorists violated his constitutional rights[22] and could not be justified in a free and democratic society, within the meaning of s. 1 of the Charter. According to Luamba, the common law rule and the HSC provision at issue in this case have been diverted from their main purpose, highway safety, to allow for racial profiling. Thus, Luamba asked the Superior Court to invalidate both the common law rule and the HSC provision at issue in this case, pursuant to s. 52(1) of the Constitution Act of 1982[23].

[17]      In its analysis, the Superior Court acknowledged that the question raised by Luamba regarding the violation of his right not to be arbitrary detained, guaranteed by s. 9 of the Charter, had already been decided by the Supreme Court in the 1990 Ladouceur decision. In such circumstances, the vertical stare decisis rule requires that the lower court examine the decision rendered by the higher court to determine if the rationale adopted by the higher court (its ratio decidendi) is binding or distinguishable from the matter to be decided by the lower court. If the rationale adopted by the higher court is binding, the lower court must apply that rationale[24]. A lower court is, however, entitled to depart from the rationale adopted by a higher court if a new legal issue is raised, or if there is a significant change in the circumstances or evidence[25]. With that said, in the Luamba decision, the Superior Court found that the rationale adopted by the Supreme Court in the Ladouceur decision was binding. However, the Superior Court found that it was entitled to depart from that rationale because a new legal issue had been raised[26] and because the evidence adduced established a significant change of circumstances[27]. In Short, the Superior Court concluded that it could decide “anew” the issue raised by Luamba regarding the alleged violation of his right not to be arbitrary detained.

[18]      After reviewing the evidence, the Superior Court decided that the common law rule and the HSC provision at issue in this case resulted in an arbitrary detention and therefore violated s. 9 of the Charter[28], a finding which is consistent with the Supreme Court decision in Ladouceur. However, the Superior Court found that the common law rule and the HSC provision at issue in this case could not be justified in a free and democratic society, within the meaning of s. 1 of the Charter, a finding that departs from the Supreme Court decision in Ladouceur[29]. Consequently, the Superior Court invalidated the common law rule articulated in the Ladouceur decision and the provision of the HSC that authorized random stops of motorists[30].

[19]      A declaration of invalidity made pursuant to s. 52(1) of the Constitution Act of 1982, such as to one made by the Superior Court in the Luamba decision, means that the law, whether it be a common law rule or a statutory provision, is of no force nor effect to the full extent of its inconsistency with the Constitution[31]. Such a declaration has impacts beyond the case in which it was made. As stated by the Supreme Court: “to the extent that the law is unconstitutional, it is not merely inapplicable for the purposes of the case at hand. It is null and void and is effectively removed from the statute books”[32]. In a nutshell, if it were to be applicable to the matter at hand, the declaration of invalidity made in the Luamba decision would mean that the common law rule articulated in the Ladouceur decision and s. 636 of the HSC would no longer exist. Otherwise said, police officers would no longer have the authority to randomly stop motorists outside an organized “spot-check” or “checkpoint” program.

[20]      The Luamba decision was however appealed, and its conclusions are suspended pending the appeal. This means that as of today, the common law rule articulated in the Ladouceur decision and s. 636 of the HSC are still in force. Otherwise said, the law still authorises police officers to perform random stops of motorists, even if they are not participating in an organized “spot-check” or “checkpoint” program.

vendredi 29 septembre 2017

Immobilisation d’un véhicule pour vérification documentaire

Malenfant c. R., 2006 QCCS 7246 (CanLII)

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[18]            Lorsqu’il est rejoint par les policiers, l’appelant a déjà immobilisé son véhicule sur un terrain privé et en est même descendu.  En pareilles circonstances, les tribunaux reconnaissent le pouvoir d’interpellation de l’agent de la paix, indépendamment du fait que le véhicule soit en mouvement ou non.
[19]            En l’espèce, les actions subséquentes de l’agente Beaulieu sont dictées par les articles du Code de sécurité routière qui obligent le conducteur à être porteur de certains documents qu’il est tenu d’exhiber à l’agent de la paix sur demande.  Les articles 61(2)65 et 97stipulent les exigences de la loi relativement au permis de conduire pendant que les articles 35(1) et 36 énoncent des impératifs à peu près similaires relativement aux certificats d’immatriculation et d’assurance:
« 65.     Pour conduire un véhicule routier sur un chemin public, sur les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles ou entretenus par celui-ci, sur un chemin privé ouvert à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler, une personne doit être titulaire d’un permis de la classe appropriée à la conduite de ce véhicule tel que déterminé par règlement et comportant, le cas échéant, les mentions prescrites par ce règlement.
97.        La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle son permis.
            En outre des chemins publics, le présent article s’applique sur les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.
61.        La Société délivre les permis suivants autorisant la conduite de véhicules routiers : le permis d’apprenti-conducteur, le permis probatoire, le permis de conduire et le permis restreint.
            Le titulaire d’un permis n’est tenu de produire celui-ci qu’à la demande d’un agent de la paix ou de la Société et à des fins de sécurité routière uniquement.
35.               La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle le certificat d’immatriculation du véhicule, sauf dans les dix jours de l’immatriculation, ainsi que l’attestation d’assurance ou de solvabilité prévue par la Loi sur l’assurance automobile (chapitre A-25).
36.               La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit, à la demande d’un agent de la paix, lui remettre pour examen les pièces visées à l’article 35. »
(Nos soulignés)
[20]            Le Code de la sécurité routière (L.R.Q.c, C-24.2) précise de plus, à son article premier, que ces dispositions régissent l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et sur certains chemins et terrains privés dont ne fait pas partie l’allée du 65 Taché.
[21]            Pour recourir au pouvoir d’immobilisation au hasard d’un véhicule, l’agent de la paix n’est pas tenu d’avoir des motifs raisonnables et probables de croire à la commission d’une infraction au Code de sécurité routière.
[22]            En sauvegardant les dispositions législatives qui autorisent les agents de la paix à intercepter au hasard des automobilistes, à des fins de vérification, la Cour suprême constatait que, bien que ces interpellations violaient les garanties constitutionnelles de l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, ces atteintes étaient justifiables dans une société libre et démocratique comme la nôtre.
[23]            Monsieur le juge Cory écrit, dans l’arrêt Ladouceur :

« Reconnaître la validité de la vérification de routine au hasard, c’est se rendre à la réalité.  Dans la régions rurales, il sera impossible de mettre sur pied un programme structuré efficace.  Pourtant, les infractions en matière de circulation dans ces régions entraînent des conséquences tout aussi tragiques que dans les plus grands centres urbains.
(…)
Ceux qui conduisent des véhicules automobiles sur la route n’ont aucun droit civil de le faire.  Ils ne peuvent le faire que s’ils sont titulaires d’un permis à cette fin.  Cette exigence ne constitue pas une atteinte aux droits civils.  Il n’y a aucune raison pour laquelle un conducteur d’un véhicule automobile sur la route ne puisse être tenu de démontrer à l’agent d’un organisme chargé d’appliquer la loi qu’il possède un permis à cette fin.  Si la police a le pouvoir d’interroger le conducteur d’un véhicule automobile pour vérifier son droit de le conduire, le certificat d’immatriculation du véhicule et le nom et l’adresse du propriétaire et du conducteur, tous les pouvoirs d’arrestation draconiens dont nous avons discuté paraîtraient peu ou pas nécessaires.
Bien que le concept de ce qui peut constituer une violation des droits civils puisse être quelque peu différent de nos jours, la qualification par le juge McRuer de la nature de la conduite et la nécessité de la contrôler sont aussi valides aujourd’hui qu’elles l’étaient à ce moment-là.  Afin d’assurer un contrôle approprié, la société doit être en mesure d’exiger que des interpellations au hasard soient effectuées sans motif précis et en dehors de tout programme formel.
(Nos soulignés).
[24]            L’agent de la paix peut donc, ainsi, intercepter un véhicule de façon aléatoire et exiger de son conducteur de lui exhiber ses permis de conduire et certificats d’immatriculation ou d’assurance afin de s’assurer que l’usager de la route est en droit d’y opérer un véhicule qui répond à toutes les exigences de la loi et qu’il a avec lui tous les documents requis à cette fin.  L’automobiliste doit alors s’exécuter sous peine de sanctions pénales.
[25]            En agissant de cette façon, le policier se conforme non seulement aux pouvoirs que lui confère le Code de sécurité routière mais répond également à la mission qui est sienne en vertu de l’article 39.1 de la Loi de police (L.R.Q. c. P-19), soit celle de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité du public dans tout le territoire du Québec et d’y prévenir le crime et les infractions aux lois du Québec.
[26]            Monsieur le juge Cory exprime avec justesse, toujours dans l’arrêt Ladouceur, ce qui soutend un tel principe et qui justifie les interceptions aléatoires à des fins de vérifications documentaires :
« L’interception et la vérification des véhicules constituent le seul moyen de vérifier le bon fonctionnement des freins et des ceintures de sécurité.  Il est encore plus important de déterminer si un conducteur possède un permis et des assurances.  Encore une fois, cela ne peut se faire qu’en interceptant des véhicules.  Les statistiques démontrent que le conducteur sans permis constitue une menace sur la route.  En outre, un tel conducteur démontre un mépris de la loi et de l’irresponsabilité ainsi qu’une tendance marquée à être impliqué dans des accidents graves.  Tous ceux qui circulent sur les routes ont intérêt à ce que les conducteurs sans permis soient arrêtés et chassés de la route.  De même, la société dans son ensemble a intérêt à réduire les frais des services médicaux, d’hospitalisation et de réadaptation qui doivent être assurés aux victimes d’accidents ainsi que le préjudice émotionnel causé à leur famille.  Il est certain que le remède préventif que prévoit le par. 189a(1) et qui consiste à obliger les conducteurs à s’arrêter est préférable à la tragédie terminale incurable que représentent la victime d’un accident mortel et la victime handicapée de façon permanente.  Il vaut certainement mieux permettre les interpellations au hasard et empêcher qu’un accident ne survienne que refuser le droit d’interpeller et confirmer de façon répétée les tristes statistiques à la morgue et à l’hôpital. »

Pouvoir d’interpeller un automobiliste hors de la voie publique

Malenfant c. R., 2006 QCCS 7246 (CanLII)

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[27]            S’il est généralement admis que notre droit permet ces vérifications au hasard ou sans motif précis lorsque l’automobiliste circule sur la voie publique, est-ce si différent lorsque le conducteur ciblé a quitté le chemin public depuis quelques secondes pour se garer sur une propriété privée ?
[28]            Il nous semble que le sens commun dicte une réponse négative à la question et que les propriétés privées situées en bordure de nos routes ne devraient pas servir de refuge ou de havre d’immunité pour les conducteurs non détenteurs d’un permis valide ou pour les véhicules non immatriculés ou sans assurance, qui viennent tout juste de circuler sur un chemin public qu’ils ont quitté avec empressement à la vue ou à l’approche des forces de l’ordre.
[29]            D’un autre côté, il est tout aussi vrai que les pouvoirs policiers doivent être balisés pour se prémunir des interpellations et des interceptions dictées par un simple caprice, par la mauvaise foi ou par tout autre motif biaisé ou discriminatoire. Il est cependant tout aussi nécessaire que les pouvoirs de l’agent de la paix s’accompagnent des accessoires indispensables à leur exécution tel celui d’être autorisé suivre le véhicule ciblé hors de la voie publique, pour y compléter une vérification de routine décidée ou entreprise sur un chemin public.
[30]            Aussi, dans la mesure où un véhicule quitte la voie publique, avant que le policier qui l’y a vu circuler, ait eu l’opportunité de procéder à une vérification documentaire ou de signifier au conducteur visé de s’immobiliser pour ce faire, il doit pouvoir poursuivre son action dans un lieu privé où se réfugie le conducteur, même s’il s’agit d’un chemin privé.  De même, celui qui circule sur la voie publique avec un véhicule et qui, percevant l’approche policière, ne doit pas pouvoir esquiver ses obligations légales en se rangeant momentanément sur une propriété privée.
[31]            Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme dans le présent cas, l’agent de la paix perçoit raisonnablement la manœuvre du conducteur comme étant suspecte et destinée à se prémunir d’une interpellation policière qu’il craint.  Ici, c’est le comportement de Miguel Malenfant qui a incité la policière à s’introduire sur une propriété privée pour s’assurer du droit de ce dernier de circuler sur la voie publique.
[32]            En somme et assez paradoxalement, l’appelant, qui cherchait à se rendre invisible, a plutôt attiré sur lui la suspicion de la policière.
[33]            C’est d’ailleurs cette impossibilité d’agir, alors que le véhicule de l’appelant se trouve toujours sur la voie publique, qui distingue la présente affaire de l’arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans R. c. Caissie[8], affaire dans laquelle les policiers ont délibérément retardé l’intervention après avoir décidé d’intercepter le conducteur pour une vérification de routine.
[34]            Le Tribunal ne peut concevoir que, dans une société libre et démocratique comme la nôtre, un policier qui exerce le pouvoir légitime d’intercepter au hasard un automobiliste qu’il voit circuler sur une voie publique pour une fin reliée à la sécurité routière,  ne puisse intervenir pour protéger la vie des autres usagers de la route parce que le conducteur en question a réussi à trouver refuge sur une propriété privée avant que l’agent de la paix n’ait eu l’opportunité de vérifier son droit de circuler sur la route[9].
[35]            Dans l’arrêt Cotnoir, un des deux policiers qui intervenaient auprès de l’appelant agissait en pensant que celui-ci pouvait être en détresse, alors que l’autre soupçonnait la commission d’un crime.  L’Honorable juge Robert Pidgeon, alors juge à la Cour d’appel, écrit pour la majorité ce qui suit :
« Elle soulève uniquement la question de leurs pouvoirs d’enquête à titre de pouvoirs accessoires à leur obligation de secours et de prévention du crime.  Ici, la seule façon pour la policière de vérifier l’identité de la personne dans le véhicule automobile consistait à pénétrer sur cette propriété.  En outre, cette intrusion dans la cour de l’appelant ne portait pas atteinte de façon démesurée à l’inviolabilité de la propriété privée et était nécessaire dans les circonstances.  L’atteinte pourrait même être qualifiée de purement technique.  D’autre part, les agents pouvaient présumer détenir une autorisation implicite du propriétaire de pénétrer sur son terrain afin de prévenir la perpétration d’une infraction contre ses biens.  Enfin, comme l’a mentionné le juge Sopinka dans l’arrêt Belnavis « il existe une différence marquée en matière d’atteinte raisonnable en matière de vie privée [notes omises] selon que la personne qui l’invoque se situe dans sa résidence ou dans une automobile. »[10]
(Nos soulignés).
[36]            Partageant le même avis, monsieur le juge Chamberland ajoute ce qui suit à ce sujet :
« Pour l’un, il s’agissait donc de mettre un terme à la perpétration d’un crime, ou d’en prévenir la commission, pour l’autre, il s’agissait de porter secours à un concitoyen.  Dans ces circonstances, les agents Gougeon et Bélanger avaient, à mon avis, le droit de pénétrer sur le terrain où les évènements se déroulaient pour faire les vérification d’usage et, le cas échéant, enquêter ou porter assistance. »[11]
(Nos soulignés).
[37]            Le Tribunal est d’avis que ces réflexions empreintes de sagesse s’appliquent également aux circonstances de la présente affaire.
[38]            Il faut certes souligner que, contrairement à l’arrêt  Cotnoir, la preuve ne fait pas état, ici, de soupçons de commission d’une infraction criminelle avant l’interception de Miguel Malenfant mais la situation justifiait et nécessitait que la policière puisse compléter son travail de vérification d’un usager de la voie publique qui venait d’effectuer une manœuvre suspecte.
[39]            Dans les circonstances de l’espèce, l’agent de la paix n’a pas, de façon injustifiable, utilisé les pouvoirs découlant de son devoir de veiller à la sécurité des citoyens puisque le comportement de l’appelant lui permettait de croire raisonnablement que celui-ci cherchait à se soustraire d’une éventuelle vérification qu’il craignait.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Un stéréotype dans le contexte d’un procès pour agression sexuelle est une proposition générale fausse ou inexacte tirant sa source dans la discrimination et l’inégalité de traitement, qui est appliquée à une plaignante en particulier, sans égard aux caractéristiques ou circonstances propres à cette personne

R. c. Bik, 2025 QCCA 340 Lien vers la décision [ 14 ]        La Cour suprême a récemment expliqué le concept de mythes et stéréotypes à l’en...