R. c. Sylvain, 2020 QCCA 1173
Lien vers la décision
[19] La juge note que les éléments essentiels d’une infraction ne peuvent, en soi, être considérés à titre de facteurs aggravants et elle affirme appuyer ce propos en isolant une seule phrase d’un jugement de cette cour dans l’arrêt Lacelle Belec[4]. Cette large proposition doit être considérée avec prudence puisqu’elle peut induire en erreur et, sans être nuancée, elle est inexacte pour deux raisons. Premièrement, la jurisprudence constante établit que dans des dossiers de voies de fait graves, la nature et l’importance des blessures subies par la victime sont pertinentes non seulement à l’égard de la détermination de la culpabilité, mais également à l’égard de la détermination d’une peine proportionnelle et appropriée. Deuxièmement, la jurisprudence reconnaît que la nature et l’importance d’une blessure doivent être prises en compte conjointement avec d’autres facteurs pertinents et objectifs dans la détermination d’une peine appropriée parce que l’importance des blessures, et donc la dénonciation et la dissuasion, ne peuvent être les seuls objectifs dans la détermination d’une peine appropriée. Il est vrai que la nature et l’importance des blessures subies dans une cause de voies de fait graves ne peuvent être invoquées afin d’aggraver d’avantage ce qui est déjà définit comme un facteur aggravant dans le libellé même de l’infraction. Cela dit, la jurisprudence ne supporte pas la large proposition avancée par la juge d’instance, tel que l’illustre le récent arrêt Lacelle Belec :
[84] Dans sa décision, il est indéniable que le juge mentionne le jeune âge de l’appelant au moment de l’accident, qu’il était sans antécédents judiciaires, avait un bon emploi et bénéficiait d’un bon encadrement. Le juge mentionne également la situation actuelle de l’appelant, soit sa vie familiale avec sa conjointe et un enfant de deux ans.
[85] Il est aussi indéniable que les blessures et les conséquences pour la victime représentent un facteur pertinent : Brais c. R., 2016 QCCA 356, par. 27; Silbande c. R., 2014 QCCA 1952; R. c. Michaud, 2012 QCCA 891, par. 20. Le Code criminel façonne d’ailleurs la sévérité de la peine en rapport avec la présence de blessures. En d’autres termes, la présence de lésions corporelles est déjà un élément de l’infraction et cela ne peut pas, en principe, devenir un élément aggravant distinct.
[86] Néanmoins, pour déterminer la peine appropriée à la faute, elle-même aggravée par la présence de lésions, la logique veut qu’il faille tenir compte de la nature et de l’étendue des lésions corporelles causées. Cela ne demeure toutefois qu’un facteur parmi d’autres. Il ne doit pas devenir déterminant au point d’occulter les autres, plus favorables.
[87] Avec égards pour le juge, l’appelant a raison et, en donnant à ce facteur un poids déterminant au détriment d’autres facteurs, le juge commet une erreur dont la portée est évidente au vu de ses motifs.
[20] Parmi les éléments essentiels de l’infraction de voies de fait graves figure l’exigence que l’agression « blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met[te] sa vie en danger ». Ces termes se recoupent à certains égards, mais ils ne sont ni synonymes ni interchangeables. Ils distinguent tous les voies de fait graves d’autres infractions de voies de fait prévues dans le Code. Il est également primordial de noter qu’ils envisagent tous des degrés variables de gravité. Ainsi, toutes les blessures ne sont pas aussi graves. Il s’ensuit que ces degrés variables de gravité doivent être pris en compte par les juges afin que la peine imposée soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de culpabilité morale du contrevenant[6]. Une peine qui fait défaut de prendre acte de ces différences pourrait être contestée au motif qu’elle est disproportionnée. La Cour l’a récemment rappelé :
[45] Il est entendu qu’un élément essentiel de l’infraction reprochée ne devrait pas être considéré comme une circonstance aggravante, puisqu’il participe déjà de la gravité objective de l’infraction et qu’il faut éviter de « punir doublement » l’accusé. D’autre part, la gravité des blessures subies par la ou les victimes est constamment retenue comme circonstance aggravante par la jurisprudence, incluant celle en matière de voies de fait graves, et la doctrine. De toute évidence, il y a des blessures plus ou moins graves qui répondent également à la définition des éléments de l’infraction. L’importance des blessures est hautement pertinente à la pondération de la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant. C’est l’essence de la proportionnalité.
[46] L’argument de l’appelant est fondé sur une prémisse erronée. Une blessure permanente n’est pas un élément essentiel de l’infraction de voies de fait graves. Celle-ci comprend par définition une blessure, une mutilation, une défiguration de la victime ou la mise en danger de sa vie. Si ces termes réfèrent tous à un niveau de gravité passablement élevé, rien n’exige des séquelles permanentes. Chaque infraction de voies de fait comprend des éléments distincts, mais chacune couvre une large variété de comportements et de conséquences qui justifieront des peines plus ou moins sévères selon le cas. La jurisprudence recèle d’exemples de voies de fait graves commises sans qu’il y ait de séquelles permanentes et même sans qu’il y ait de lésions corporelles quand l’application de la force crée un risque pour la vie.
[47] La nature, la gravité et les conséquences à long terme des blessures subies par la ou les victimes sont des considérations hautement pertinentes, parmi toutes les autres, pour déterminer quelle est la peine appropriée à imposer à un délinquant déclaré coupable d’une infraction qui implique une atteinte à l’intégrité physique.
[21] Bref, l’exclusion catégorique de l’évaluation de la gravité relative de la conduite de l’intimé constitue une erreur de principe, incluant la gravité des bleassures.
Les principes de dénonciation et de dissuasion
[22] La jurisprudence de cette cour indique clairement que les impacts de la dissuasion individuelle ou générale sont incertains, mais elle indique tout aussi clairement que, dans des cas de voies de fait graves, ces objectifs devraient être pris en compte par le juge qui prononce la peine dans son évaluation des divers objectifs de la peine, tout particulièrement dans un cas de violence gratuite. Par ailleurs, la dénonciation et la dissuasion, tout comme les autres objectifs, peuvent avoir un poids trop important ou insuffisant dans la détermination d’une peine proportionnée et appropriée. En l’espèce, la juge a mentionné ces deux objectifs, mais ses motifs n’indiquent pas le poids qu’elle attribue à l’un et l’autre d’entre eux, exception faite de son affirmation selon laquelle les perspectives de réhabilitation devraient être privilégiées. À cet égard, il y a une différence évidente entre tenir compte avec circonspection des objectifs de dénonciation et de dissuasion et ne pas en tenir compte du tout, et encore davantage lorsque le rapport présentenciel mentionne explicitement que les passages de l’intimé au sein du système de justice criminelle paraissent avoir eu peu d’impact dissuasif à son endroit[8].
[23] La dénonciation et la dissuasion sont souvent mentionnées du même souffle, comme en l’espèce, mais ces notions ne sont pas identiques. Bien que l’effet dissuasif d’une peine, et particulièrement la généralisation de cet effet, puisse être incertain, la jurisprudence a toujours affirmé que les cas de voies de fait graves exigent une expression suffisante, proportionnelle à la gravité de l’espèce et à la responsabilité morale du contrevenant, du principe de dénonciation[9]. Vu la conduite de l’intimé, il est excessivement ardu de voir en l’imposition d’une peine d’emprisonnement discontinue une expression du principe de dénonciation qui est commensurable à la gravité objective de l’infraction ou la responsabilité morale du contrevenant[10]. Cela, également, témoigne non seulement d’une erreur de principe, mais aussi d’une sous-évaluation marquée d’un facteur pertinent qui a eu un impact sur le prononcé de la peine. La juge, avec raison, a rappelé que les peines d’emprisonnement doivent être utilisées avec modération et même évitées si d’autres avenues permettent d’atteindre les principes et objectifs de la peine édictés par le Code et affirmés par la jurisprudence. Mais, ici également, tout est question de degré. Même la prise en compte la plus optimiste de la réhabilitation d’un contrevenant ne peut avoir une importance telle qu’elle supplante l’application des autres principes et objectifs essentiels à l’imposition d’une peine proportionnée. En l’espèce, la juge n’a aucunement tenu compte des antécédents judiciaires de l’intimée, qui incluent six inscriptions en tant qu’adulte entre 2001 et 2016. Le jugement omet de prendre en compte, à toutes fins utiles, le risque de récidive, ce qui, concurremment avec les autres facteurs pertinents, donne un poids exagéré et démesuré à l’objectif de réhabilitation[11]. La juge note que le rapport présentenciel décrit ce risque comme « présent ». Ce terme ne peut être considéré comme un synonyme d’« élevé », mais il est loin d’être neutre lorsqu’il est lu conjointement avec l’observation selon laquelle les accusations criminelles dont l’intimé a antérieurement fait l’objet avaient eu peu d’effet dissuasif.
Le principe d’harmonisation
[24] Quoique les principes de l’individualisation de la peine excluent l’uniformité entre et parmi les peines, un niveau de disparité acceptable milite en défaveur de l’imposition de peines qui sont radicalement différentes pour des infractions qui sont comparables et des contrevenants qui se trouvent dans des circonstances semblables. C’est là l’utilité des fourchettes qui ont été établies pour plusieurs types d’infractions. Ces fourchettes sont des lignes directrices qui indiquent la tendance de la jurisprudence pertinente et elles fournissent des points de repère qui permettent d’éviter des peines qui sont disproportionnellement sévères ou clémentes. Un écart par rapport à une fourchette de peines ne justifie pas l’intervention en appel, à moins que cet écart ne soit si important qu’il constitue une erreur de principe, telle une contravention au principe de proportionnalité, ou encore que la peine soit manifestement non indiquée[12].
[25] Cette cour a constamment reconnu que, si la gamme de sentences dans le cas de voies de fait graves est vaste, la plupart des affaires donneront lieu à l’imposition d’une peine d’emprisonnement d’une durée se situant entre quinze et vingt-quatre mois et une peine de pénitencier de trois à cinq ans pour les infractions plus graves[13]. Une peine d’emprisonnement discontinue est inhabituelle, quoique légale dans un cas approprié, mais l’imposition d’une telle peine exigerait une démonstration convaincante qu’elle est proportionnelle à la gravité objective de l’infraction et à la culpabilité morale du contrevenant. La peine imposée en l’espèce ne repose pas sur pareille démonstration.
[26] Certains éléments factuels du dossier pourraient justifier une réduction du quantum de la peine, dont la cessation apparente de la consommation d’alcool de l’intimé, sa thérapie pour la gestion de la colère, ses perspectives d’emploi et le soutien de sa famille immédiate. Ils ne peuvent aisément être qualifiés de facteurs atténuants dans la mesure où ils n’ont pas d’impact véritable sur l’évaluation de la gravité de l’infraction et de la responsabilité du contrevenant eu égard à cette infraction. Dans l’éventualité où ces facteurs pourraient être pertinents, à quelque égard, afin d’imposer, au final, une peine appropriée, ils ne peuvent non plus atténuer ou supplanter des facteurs qui sont essentiels à la détermination d’une peine proportionnée.
[27] L’agression en l’espèce était un acte violent, sévère et injustifié à l’endroit d’un inconnu. L’attaque de la victime l’a blessée, mutilée, défigurée ou mise en danger non pas parce que la victime a eu des séquelles permanentes, mais parce que le caractère intrinsèquement vicieux de l’attaque et ses conséquences étaient apparents au moment où elle a eu lieu et, pour ces raisons, doit être sanctionnée par une peine plus sévère. De plus, la peine doit tenir compte des antécédents judiciaires de l’intimé et du risque continu de récidive dont fait état le rapport présentenciel.