lundi 24 mai 2010

Analyse de ce que constitue la défense d'erreur de droit - le concept de l'erreur extra-pénale

R. c. Kairouz, 2010 QCCQ 2649 (CanLII)

[106] Rappelons, d'entrée de jeu, que la défense d'erreur de droit est en principe irrecevable en droit pénal canadien. Les professeurs Côté-Harper, Rainville et Turgeon expliquent pourquoi, aux pages 1071 et 1072 de leur ouvrage précédemment cité :

« L'erreur de droit ne peut en principe avoir aucune incidence sur la mens rea d'un individu. Cette règle se retrouve à l'article 19 du Code criminel, voulant que l'ignorance de la loi ne puisse constituer ni une excuse ni une justification pour la perpétration d'une infraction criminelle […]. »

[107] Cela dit, cette règle n'est pas absolue. Ainsi, dans Droit pénal, infractions, moyens de défense et peine (Collection de droit 2009-2010, École du Barreau et Les Éditions Yvon Blais Inc., Montréal, 2009), la juge Sophie Bourque, de la Cour supérieure, écrit-elle, aux pages 193 et 194 :

« Nul n'est censé ignorer la loi. L'article 19 C.cr. énonce que «l'ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n'excuse pas la perpétration de l'infraction». L'erreur quant à la loi, même sincère et honnête, n'est pas une excuse. Cependant, cette interdiction n'est pas absolue. Il faut faire attention de ne pas qualifier d'erreur de droit ce qui ne l'est pas et ainsi priver un accusé d'un moyen de défense par ailleurs valable […].

[…]

Les enseignements de l'arrêt Docherty [1989 CanLII 45 (C.S.C.), [1989] 2 R.C.S. 941] sont cependant toujours d'actualité lorsque la mens rea de l'infraction implique un élément de connaissance de certains faits. […]

[…]

Par ailleurs, une erreur quant à une notion de droit privé ou de droit civil est généralement une défense opposable à une accusation. […] »

[108] Or, les professeurs Côté-Harper, Rainville et Turgeon expliquent, aux pages 1082 à 1084 de leur ouvrage précité, que la défense d'erreur de droit fondée sur la méprise à l'égard d'une règle de droit civil ou de droit de la famille doit être traitée à la lumière des règles applicables à la défense d'erreur de fait :

« L'erreur extra-pénale est l'erreur commise au sujet d'une règle empruntée à une branche autre que le droit pénal et qui prévoit une incrimination. Il arrive, en effet, qu'un texte à caractère pénal incorpore des normes ou des notions empruntées à une autre branche du droit. Dans la plupart des cas, il s'agit de notions provenant du droit civil comme les notions de propriété ou de mariage. […] En ce qui concerne la bigamie, il faut prouver l'existence d'un premier mariage valide. Les auteurs ont estimé qu'il serait abusif de ne pas accepter l'erreur commise par rapport à une telle norme ou notion. Étant donné la complexité du droit civil, le citoyen ne devrait pas subir les conséquences d'une condamnation criminelle dans un tel cas.

[…]

En outre, la discrimination entre la loi pénale et la loi civile est tout à fait arbitraire si, en refusant de prendre en considération l'erreur de droit, on sanctionne l'indifférence des justiciables.

Pour acquitter l'accusé, les tribunaux n'invoqueront pas l'erreur de droit et jugeront qu'il y avait absence de mens rea ou assimileront cette erreur à une erreur de fait. C'est ainsi que la Cour suprême du Canada a admis, dans un jugement majoritaire, qu'une erreur portant sur une norme extra-pénale incorporée dans un texte d'incrimination pourrait être acceptée en défense sous la forme d'une erreur de fait. […]

[…]

L'assimilation d'une erreur extra-pénale à une erreur de fait ne constitue pas une solution souhaitable. Qualifier les éléments normatifs incorporés dans les textes d'incrimination comme des faits ne servira qu'à compliquer davantage les choses. La question principale sera déplacée une fois de plus. Au lieu de se demander si l'erreur de droit a été excusable ou raisonnable, on cherchera à déterminer si l'erreur porte sur un autre domaine du droit que le droit pénal.

Il faut quand même admettre que, jusqu'au moment où l'erreur de droit sera reconnue comme défense par le législateur canadien, le concept de l'erreur extra-pénale constitue une alternative préférable à la stricte application de la règle «nul n'est censé ignorer la loi ». »

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le processus que doit suivre un juge lors de la détermination de la peine face à un accusé non citoyen canadien

R. c. Kabasele, 2023 ONCA 252 Lien vers la décision [ 31 ]        En raison des arts. 36 et 64 de la  Loi sur l’immigration et la protection...