jeudi 3 décembre 2009

La déclaration incriminante qui fait l’objet du voir-dire est survenue alors que les interlocuteurs étaient au téléphone. Y a-t-il alors détention?

R. c. Desgagnés, 2009 CanLII 51756 (QC C.M.)

[20] L’arrêt R. c. Mann, 2004 CSC 52 (CanLII), [2004] 3 R.C.S., 59 indique au paragraphe 19 :

« Au Canada, il a été jugé que le terme « détention » vise un large éventail de contacts entre les policiers et les citoyens.»

[21] Et plus loin, au même paragraphe :

« Cependant, les droits constitutionnels reconnus par les art. 9 et 10 de la Charte n’entrent pas en jeu lorsque le retard n’implique pas l’application de contraintes physiques ou psychologiques appréciables. »

[22] J’estime que lorsque l’agent Clément informe le défendeur, lors de son appel téléphonique, qu’elle veut procéder à son arrestation, le défendeur se voit alors appliquer une contrainte psychologique appréciable.

[23] À cet effet, un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, R. v. Harris, [2007] O.J. 3185, indique au paragraphe 17 :

« A person is detained when physically restrained by the police. Psychological restraint will also constitute detention. A person who complies with a police direction or command reasonably believing that he or she has no choice is detained for the purposes of ss. 9 and 10 of the Charter: R. v. Therens 1985 CanLII 29 (S.C.C.), (1985), 18 C.C.C. (3d) 481 at 505 (S.C.C.); R. v. Mann 2004 SCC 52 (CanLII), (2004), 185 C.C.C. (3d) 308 et 319 (S.C.C.)

[24] L’article 7 de la Charte prévoit en faveur d’un défendeur le droit de garder le silence.

[25] En faisant référence à l’arrêt R. c. Hébert, 1990 CanLII 118 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 151, le juge Pierre Béliveau, j.c.s., indique dans le TRAITÉ GÉNÉRAL DE PREUVE ET DE PROCÉDURE PÉNALES, Édition 2008, Les Éditions Thémis, au paragraphe 1031 :

« Comme on peut le constater, cela implique qu’il peut y avoir violation du droit au silence de l’accusé même si celui-ci avait un esprit conscient, puisque l’analyse se fait non pas en fonction de ce qu’a vécu le détenu, mais eu égard au caractère équitable de la conduite des policiers. Comme le dit la juge McLachlin, il faut apprécier la situation objectivement, et non subjectivement. Cela s’explique par le fait que l’objet premier de la règle de confession en est un de fiabilité, alors que l’objet premier de la garantie du droit au silence en est un d’équité.»

[28] Un des paragraphes les plus importants de l’arrêt R. c. Grant est certainement le paragraphe 44 qui énonce :

« En résumé, nous arrivons aux conclusions suivantes :

1. La détention visée aux art. 9 et 10 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer.

2. En l’absence de contrainte physique ou d’obligation légale, il peut être difficile de savoir si une personne a été mise en détention ou non. Pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation conclurait qu’elle a été privée par l’État de sa liberté de choix, le tribunal peut tenir compte, notamment, des facteurs suivants :

a) Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers fournissaient-ils une aide générale, assuraient-ils simplement le maintien de l’ordre, menaient-ils une enquête générale sur un incident particulier, ou visaient-ils précisément la personne en cause dans le cadre d’une enquête ciblée?

b) La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes et la durée de l’interaction.

c) Les caractéristiques ou la situation particulière de la personne, selon leur pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou son degré de discernement. »

[29] L’arrêt R. c. Suberu réitère l’arrêt R. c. Grant en faisant spécifiquement référence au paragraphe 25, à l’ensemble du paragraphe 44 de l’arrêt Grant.

[30] L’arrêt Suberu réitère également la définition « détention » au paragraphe 21 comme suit :

« Dans l’arrêt Grant, nous avons donné une définition téléologique de la « détention » et nous avons statué qu’une « détention », pour l’application de la Charte, s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable de la part de l’État. Reconnaître que la détention peut se manifester sous une forme physique ou psychologique est compatible avec notre opinion selon laquelle les mesures prises par les policiers peuvent être assez coercitives pour que la personne visée bénéficie de la protection offerte par les art. 9 et 10 de la Charte, même si elle n’est ni incarcérée ni menottée. »

[31] Il est évident que pour la Cour suprême, lorsque les événements constituant l’interaction entre un policier représentant de l’État et un citoyen se cristallisent pour conclure objectivement en une détention, l’article 10b) de la Charte entraîne l’obligation pour l’agent de la paix d’informer le citoyen de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat.

[32] Au paragraphe 41 de l’arrêt Suberu, la Cour suprême interprète l’expression « sans délai » comme suit :

« Dès le début de la détention, le détenu se trouve dans un état de vulnérabilité face à l’État. Par conséquent, les problèmes de l’auto-incrimination et de l’entrave à la liberté auxquels l’al. 10b) tente de répondre se posent dès la mise en détention.

Si l’on veut protéger une personne contre le risque d’auto-incrimination auquel elle est exposée du fait que l’État la prive de sa liberté et l’aider à recouvrer sa liberté, il est tout à fait logique que l’expression « sans délai » doive être interprétée comme signifiant « immédiatement ». Pour que le droit à l’assistance d’un avocat, garanti par l’al. 10b), atteigne son objectif qui consiste à atténuer le désavantage et le risque juridiques découlant de la mise en détention et à aider les détenus à recouvrer leur liberté, les policiers doivent les informer immédiatement de leur droit à l’assistance d’un avocat, dès la mise en détention. »

[33] Dans un tel contexte, l’arrêt R. c. Grant exige d’examiner s’il y a lieu d’écarter les éléments de preuve obtenus en violation de droits garantis par la Charte. En effet, cette analyse élaborée se retrouve entre les paragraphes 59 et 128 de l’arrêt Grant.

[35] En examinant tous les facteurs dont doit tenir compte un décideur tels qu’énumérés par l’arrêt Grant, j’estime que le paragraphe 95 de cet arrêt est fort révélateur en mentionnant :

« […] L’omission d’informer le détenu de son droit de consulter un avocat porte atteinte à son droit de décider utilement et de façon éclairée s’il parlera aux policiers, à son droit connexe de garder le silence et, plus fondamentalement à la protection contre l’auto-incrimination testimoniale dont il jouit. Ces droits protègent l’intérêt qu’ont les individus d’être libres et autonomes; leur violation tend à militer en faveur de l’exclusion des déclarations. »

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