samedi 30 novembre 2013

Les perquisitions et les saisies de documents dans des cabinets d'avocats

R. c. Drummie, 2007 NBBR 241 (CanLII)


[10] L'article 488.1 du Code criminel prévoyait, pour les perquisitions et les saisies de documents dans des cabinets d'avocats, une méthode par laquelle devait être protégé le secret professionnel. La Cour suprême du Canada a annulé cette disposition du Code criminel, dont elle a conclu qu'elle était inconstitutionnelle dans Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général)2002 CSC 61 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 209; [2002] A.C.S. no 61. La juge Arbour, au nom des juges majoritaires, a statué ainsi au par. 46 :
46 Pour ces motifs, je conclus que l'art. 488.1 porte atteinte de façon plus que minimale au secret professionnel de l'avocat et qu'il équivaut donc à une fouille, à une perquisition et à une saisie abusives, contrairement à l'art. 8de la Charte. Les appelants n'ont présenté aucune observation sur la question de savoir si l'art. 488.1 pouvait être justifié par l'article premier de la Charte dans l'hypothèse où on le jugerait inconstitutionnel, comme je l'ai fait. Bien que la Cour ait prévu la possibilité que des violations des art. 7 et 8 puissent être justifiées par l'article premier dans des cas exceptionnels, il ne s'agit clairement pas d'un tel cas en l'espèce. Voir les arrêts suivants : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., précité; Hunter, précité, et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2002 CSC 1 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, par. 78. Voir également D. Stuart, Charter Justice in Canadian Criminal Law (3e éd. 2001), p. 24-25 et 245. En particulier, si, comme en l'espèce, la violation de l'art. 8 est jugée constituer une atteinte injustifiable au droit à la vie privée protégé par cette disposition, toute autre chose à part, il est difficile de concevoir que cette violation puisse résister au volet de l'atteinte minimale du critère de l'arrêt Oakes. Voir R. c. Heywood1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761, p. 802-803. Je conclus donc que l'art. 488.1 ne peut pas être justifié par l'article premier : bien que l'efficacité des enquêtes policières soit incontestablement une préoccupation de fond urgente, on ne peut pas dire que l'art. 488.1 prévoit des moyens proportionnés pour atteindre cet objectif dans la mesure où il porte atteinte au secret professionnel de l'avocat d'une façon plus que minimale.

[11] Cependant, la Cour suprême du Canada a formulé ensuite, au par. 49, des principes généraux régissant la légalité des perquisitions menées dans des bureaux d'avocats :

49 Entre-temps, je formule les principes généraux régissant la légalité, en common law, des perquisitions dans des bureaux d'avocats jusqu'à ce que le législateur juge bon d'adopter de nouvelles dispositions législatives sur la question. Ces principes généraux doivent aussi guider les choix législatifs que le législateur peut vouloir examiner à cet égard. Comme celles qui ont été formulées dans Descôteaux, précité [1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860], les lignes directrices qui suivent visent à refléter les impératifs constitutionnels actuels en matière de protection du secret professionnel de l'avocat et à régir à la fois l'autorisation des perquisitions et la manière générale dont elles doivent être effectuées; à cet égard, cependant, elles ne visent pas à privilégier une méthode procédurale particulière en vue de respecter ces normes. Enfin, je tiens à répéter que, si le législateur décide de nouveau d'adopter un régime procédural dont l'application se limite à la perquisition dans des bureaux d'avocats, les juges de paix auront, par voie de conséquence, l'obligation de protéger le secret professionnel de l'avocat en appliquant les principes suivants concernant la délivrance des mandats de perquisition :
1. Aucun mandat de perquisition ne peut être décerné relativement à des documents reconnus comme étant protégés par le secret professionnel de l'avocat.
2. Avant de perquisitionner dans un bureau d'avocats, les autorités chargées de l'enquête doivent convaincre le juge saisi de la demande de mandat qu'il n'existe aucune solution de rechange raisonnable.
3. Lorsqu'il permet la perquisition dans un bureau d'avocats, le juge saisi de la demande de mandat doit être rigoureusement exigeant, de manière à conférer la plus grande protection possible à la confidentialité des communications entre client et avocat.
4. Sauf lorsque le mandat autorise expressément l'analyse, la copie et la saisie immédiates d'un document précis, tous les documents en la possession d'un avocat doivent être scellés avant d'être examinés ou de lui être enlevés.
5. Il faut faire tous les efforts possibles pour communiquer avec l'avocat et le client au moment de l'exécution du mandat de perquisition. Lorsque l'avocat ou le client ne peut être joint, on devrait permettre à un représentant du Barreau de superviser la mise sous scellés et la saisie des documents.
6. L'enquêteur qui exécute le mandat doit rendre compte au juge de paix des efforts faits pour joindre tous les détenteurs potentiels du privilège, lesquels devraient ensuite avoir une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège et, si cette objection est contestée, de faire trancher la question par les tribunaux.

7. S'il est impossible d'aviser les détenteurs potentiels du privilège, l'avocat qui a la garde des documents saisis, ou un autre avocat nommé par le Barreau ou par la cour, doit examiner les documents pour déterminer si le privilège devrait être invoqué et doit avoir une occasion raisonnable de faire valoir ce privilège.
8. Le procureur général peut présenter des arguments sur la question du privilège, mais on ne devrait pas lui permettre d'examiner les documents à l'avance. L'autorité poursuivante peut examiner les documents uniquement lorsqu'un juge conclut qu'ils ne sont pas privilégiés.
9. Si les documents scellés sont jugés non privilégiés, ils peuvent être utilisés dans le cours normal de l'enquête.
10. Si les documents sont jugés privilégiés, ils doivent être retournés immédiatement au détenteur du privilège ou à une personne désignée par la cour.
Le secret professionnel de l'avocat constitue une règle de preuve, un droit civil important ainsi qu'un principe de justice fondamentale en droit canadien. Même si le public a intérêt à ce que les enquêtes criminelles soient menées efficacement, il a tout autant intérêt à préserver l'intégrité de la relation avocat-client. Les communications confidentielles avec un avocat constituent un exercice important du droit à la vie privée et elles sont essentielles pour l'administration de la justice dans un système contradictoire. Les atteintes au privilège injustifiées, voire involontaires, minent la confiance qu'a le public dans l'équité du système de justice criminelle. C'est pourquoi il ne faut ménager aucun effort pour protéger la confidentialité de ces communications.

[12] Il ne s'ensuit pas de l'annulation de l'article 488.1 du Code criminel une perte de compétence de notre Cour. Dans la deuxième édition deCriminal Pleadings & Practices in Canada, E. G. Ewaschuk écrit ce qui suit (1:0035) :
[TRADUCTION]
Une cour supérieure a compétence de première instance, et pleine compétence, en matière tant civile que pénale, à moins qu'une loi n'exclue expressément sa juridiction.
J'estime donc avoir compétence en l'espèce.

[13] Toutefois, avant de passer aux autres questions en litige, il convient que je m'arrête aux principes généraux de l'annulation d'un mandat. La présomption de validité du mandat de perquisition et de la dénonciation sur laquelle il repose est l'un de ces principes généraux (R. c. Collins 1989 CanLII 264 (ON CA), (1989), 48 C.C.C. (3d) 343).

[14] Ewaschuk traite du rôle que joue la cour supérieure qui examine la délivrance d'un mandat (3:1360) :
[TRADUCTION]
Le rôle d'une cour supérieure qui examine la délivrance d'un mandat de perquisition, lorsque aucune accusation n'a été portée, ne consiste pas à tenir une audience « de novo », mais plutôt à déterminer si les renseignements fournis au juge lui permettaient, dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour décerner le mandat de perquisition. Il n'appartient pas au juge de la cour supérieure de substituer son opinion à celle du juge qui a décerné le mandat. Un mandat de perquisition ne peut être annulé qu'en cas d'erreur de compétence.
[...]
Le tribunal de révision doit déterminer si, après avoir écarté les parties invalides de la dénonciation, il restait des éléments de preuve sur lesquels le juge aurait pu se fonder pour décerner le mandat. Le tribunal de révision doit tenir compte de la « totalité des circonstances » présentées au juge ayant décerné le mandat, [...] sans les éléments de preuve illégalement obtenus. En outre, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les « nouveaux éléments de preuve » présentés à l'audience sont tous des aspects pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer s'il « restait des éléments de preuve » capables de justifier la délivrance du mandat de perquisition.
[...]
Les « éléments entachés de violation de la Charte » doivent être supprimés de la dénonciation produite à l'appui de la demande de mandat de perquisition, mais les éléments trompeurs ou inexacts n'ont pas tous à être supprimés, sauf tromperie délibérée ou fraude. Il semble, par ailleurs, que le tribunal de révision puisse examiner une « preuve nouvelle » introduite lors de l'audience, de sorte qu'il détermine ensuite si l'autorisation pouvait être donnée compte tenu du « dossier complété », ou rectifié, à l'égard d'éléments non divulgués ou d'éléments trompeurs mais non frauduleux.
[...]

Ainsi, le tribunal de révision peut conclure à une erreur de compétence lorsque le dénonciateur a agi frauduleusement, en ce sens qu'il a fait délibérément de fausses déclarations, ou agi de façon abusive, en ce sens qu'il a fait des divulgations téméraires et trompeuses ou encore omis témérairement une divulgation substantielle.
[...]
En revanche, la non-divulgation de faits substantiels n'invalidera probablement pas le mandat en l'absence de mauvaise foi de la part du dénonciateur, [...] mauvaise foi manifestée par une intention délibérée de tromper le juge de paix ou par une insouciance téméraire à l'égard de la vérité.
(Les renvois à la jurisprudence ne sont pas reproduits.)

Perquisition et saisie dans un bureau d'avocats

[15] Il est permis d'affirmer que l'obtention d'un mandat autorisant à perquisitionner dans un bureau d'avocats requiert de satisfaire à des exigences plus rigoureuses qu'à l'ordinaire. Ewaschuk formule des observations sur ce point également (3:1620) :
[TRADUCTION]
Le secret professionnel de l'avocat constitue une « règle de preuve », un droit civil important ainsi qu'un principe de « justice fondamentale » en droit canadien.
[...]
Malgré que l'art. 488.1 soit inapplicable, un « mandat de perquisition ordinaire » peut octroyer une autorisation valide de perquisition et de saisie de documents dans un « bureau d'avocats ».
[...]

Les affidavits à l'appui de la demande de mandat, lorsqu'on sollicite l'autorisation de perquisitionner dans un bureau d'avocats, doivent fournir au juge saisi de la demande une « information honnête et suffisante ». Le juge est tenu de s'assurer que la demande démontre adéquatement « l'absence de solution de rechange raisonnable » et il doit définir des modalités d'exécution de la perquisition qui préservent le secret professionnel dans toute la mesure possible. Il faut, dans le contexte d'atteintes possibles, convaincre le juge que l'obligation de minimisation peut être respectée dans le cadre de la procédure envisagée. Exécuter le mandat durant les heures de bureau, en raflant une quantité considérable de documents, pourrait ne pas respecter l'obligation de minimisation. Le juge saisi de la demande d'autorisation a l'obligation d'imposer les « mesures utiles » pour limiter les atteintes au secret professionnel. Il faut se rappeler que le juge ne peut décerner un mandat de perquisition visant des « documents privilégiés », à moins que les documents que lui soumet le dénonciateur ne démontrent l'existence d'une exception à ce privilège.
(Les renvois à la jurisprudence ne sont pas reproduits.)

[16] L'arrêt Maranda c. Richer2003 CSC 67 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 193; [2003] A.C.S. no 69, est pertinent. Les faits diffèrent de ceux de l'espèce à certains égards. Le client de Me Maranda était soupçonné de blanchiment d'argent et de trafic de stupéfiants. Il était affirmé, dans l'affidavit de la police, qu'une perquisition au bureau de Me Maranda permettrait de trouver des informations relatives aux crimes de son client. L'affidavit ne comportait pas d'allégation de participation de Me Maranda aux crimes de son client.

[17] Sans avis préalable à Me Maranda, encore que le syndic du Barreau du Québec, alerté, fût présent, la police a procédé à une perquisition de treize heures et demie dans son bureau. Des boîtes et des livres comptables nombreux ont été emportés; des classeurs et des étagères ont été vidés de leur contenu. Il importe de noter que la police cherchait entre autres des pièces attestant la facturation d'honoraires par Me Maranda à son client. Il était admis que ces documents étaient protégés par le secret professionnel de l'avocat.

[18] La Cour supérieure du Québec entendait une requête en certiorari lorsque le ministère public a décidé de ne pas porter d'accusations contre le client de Me Maranda. Néanmoins, le juge Béliveau a décidé de poursuivre l'audition de la requête, vu son importance, et y a ensuite fait droit. La Cour d'appel du Québec a choisi d'entendre l'appel, malgré un débat désormais sans objet. Elle a infirmé la décision du juge Béliveau, mais la Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi formé par la suite. Le juge LeBel a confirmé l'arrêt prononcé par la juge Arbour, dans Lavallee, en ce qui concerne les principes à appliquer.

[19] Le juge LeBel a ajouté ce qui suit, aux par. 17, 19 et 20 :

17 L'existence de ce principe de minimisation doit se refléter dans la rédaction de la demande d'autorisation et, en particulier, dans celle des affidavits présentés à l'appui. L'affidavit doit comporter des allégations suffisamment précises et complètes pour permettre au juge de l'autorisation d'exercer sa compétence en connaissance de cause. À cet égard, les principes posés par notre Cour dans l'arrêt R. c. Araujo2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65, à propos des écoutes électroniques, où s'applique un principe de minimisation des atteintes à la vie privée, paraissent pertinents. Comme le rappelle cet arrêt, sans verser dans une prolixité inutile, ces affidavits doivent fournir au juge saisi de la demande d'autorisation une information honnête et suffisante, qui lui permette de remplir pleinement son rôle (voir Araujo, par. 46-47). Il lui appartient alors d'exercer sa compétence avec attention, pour s'assurer que la demande d'autorisation démontre adéquatement l'absence de solution de rechange raisonnable et pour définir des modalités d'exécution de la perquisition qui préservent le secret professionnel, dans toute la mesure possible. Il ne s'agit pas de remplir des formalités ou d'aligner des allégations rituelles. Il faut, dans le contexte de ces atteintes possibles, convaincre le juge que l'obligation de minimisation peut être respectée dans le cadre de la procédure envisagée.
19 On pourrait sans doute tolérer une procédure au cours de laquelle on obtiendrait de l'avocat une quantité relativement minime d'informations qui auraient pu être recueillies par d'autres moyens. Une procédure de saisie et de perquisition qui vise des informations qui, pour moitié, pouvaient être obtenues de façon différente viole l'obligation de minimisation. L'exécution de la perquisition durant les heures de bureau, en raflant une quantité considérable de documents, ne respectait pas non plus le principe de minimisation, alors que l'on affirmait ne rechercher qu'une information sur les honoraires et débours payés à Me Maranda et certains renseignements relatifs à la cession d'une automobile. L'absence de toute tentative de communication préalable avec l'avocat en cause aggravait encore cette violation.

20 Tel qu'indiqué plus haut, l'arrêt Lavallee, Rackel & Heintz a rappelé la nécessité de cette communication avec l'avocat visé par la procédure de saisie et de perquisition. Si utiles que paraissent le contact avec le Barreau et la présence de son représentant, l'obligation d'informer l'avocat et les intéressés demeure, dans l'objectif d'assurer la protection efficace du privilège avocat-client. En raison de l'existence de cette règle, la demande d'autorisation et cette dernière elle-même doivent prévoir une méthode d'information pour prévenir l'avocat de l'opération projetée dans son cabinet. Toutefois, des circonstances peuvent survenir où cette information compromettrait l'enquête criminelle en cours et la saisie projetée. En pareil cas, il reviendra au juge qui accorde l'autorisation d'exercer son pouvoir d'appréciation et de prévoir les mesures utiles pour limiter les atteintes au secret professionnel. Le Barreau auquel appartient l'avocat devra alors être informé en temps opportun, pour que son représentant puisse assister à la perquisition et faire les démarches nécessaires pour éviter une violation du privilège avocat-client. En l'espèce, aucun avis n'a été donné à Me Maranda. Rien dans la demande d'autorisation ne justifie pourquoi cette communication ne devait ou ne pouvait avoir lieu. Comme l'a conclu le juge Béliveau, ce vice affectait la validité de la procédure d'autorisation de la perquisition et l'exécution de celle-ci. Elle contribuait à donner à l'opération son caractère abusif et déraisonnable au sens de l'art. 8 de la Charte.

[20] Enfin, le juge LeBel a indiqué ce qui suit, aux par. 37 et 38 :
37 Malgré les circonstances dans lesquelles le juge de première instance a décidé de demeurer saisi de cette affaire, ses conclusions me paraissent conformes à l'orientation générale de la jurisprudence de notre Cour. Celle-ci demeure soucieuse de protéger le secret professionnel de l'avocat, qui joue un rôle fondamental dans la conduite de la justice pénale. La confidentialité des rapports entre l'avocat et son client demeure essentielle à la conduite de la justice pénale et à la protection des droits constitutionnels des accusés. Il importe d'éviter que le cabinet de l'avocat, tenu conformément à des normes déontologiques strictes, devienne un dépôt d'archives au service de la poursuite.

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