R. c. Bobilier, 2008 CanLII 31540 (QC C.M.)
[30] La preuve est circonstancielle, comme le soulignent les procureurs. Est-elle suffisante cette preuve pour satisfaire à la règle découlant de l’arrêt Hodge auquel la poursuite réfère le Tribunal (1938, 2 Lewin C.C. 227, 168 E.R. 1136). La poursuite soumet également au Tribunal l’arrêt Boucher de la Cour suprême (1954 CanLII 3 (S.C.C.), [1955] S.C.R. 16; 1954 CanLII 3 (S.C.C.)) arrêt dans lequel la Cour, sous la plume du juge Taschereau, rappelle la règle de Hodge. Cette règle veut que le jury, lorsqu’il analyse ce genre de preuve, doit, afin de trouver l’accusé coupable, être satisfait que non seulement les circonstances soient compatibles avec sa culpabilité, mais qu’elles soient aussi incompatibles avec toute autre conclusion rationnelle.
[31] En matière de preuve circonstancielle, la preuve est généralement complexe, composée de plusieurs éléments, souvent sans lien apparent entre eux. La preuve est généralement difficile à faire par la poursuite, comme elle est ardue à évaluer par le Tribunal.
[32] Ceci dit, il semble au Tribunal que cette règle dite de Hodge ne doit plus être interprétée avec le même rigorisme que celui d’antan. Le Tribunal n’a ainsi plus à être convaincu que la culpabilité du défendeur est la seule conclusion logique, sans autre déduction logique possible. Il doit néanmoins être convaincu de la culpabilité du défendeur hors de tout doute raisonnable (Jara c. La Reine, AZ-93011106; J.E. 93-399 (C.A.)).
[33] Le juge Dubé qui rédige le jugement unanime de la Cour d’appel dans Jara rappelle la règle de Hodge, telle que rafraîchie par la Cour suprême en 1978 dans l’arrêt Cooper (R. c. Cooper, 1977 CanLII 11 (C.S.C.), [1978] 1 R.C.S. 860). Il écrit :
« Avec respect, je suis d’avis que l’appelant a mal interprété l’arrêt Cooper (…) En effet, cet arrêt exige une interprétation beaucoup moins rigoureuse de la règle de Hodge, qui voulait qu’avant d’accepter une preuve circonstancielle, il fallait que cette preuve démontre la culpabilité de l’accusé sans qu’aucune autre déduction logique soit possible. Depuis Cooper, il suffit d’expliquer aux jurés qu’ils doivent simplement être convaincus hors de tout doute raisonnable. » (soulignement ajouté)
[34] Le juge Dubé reprend ensuite ainsi à son compte les propos du juge Ritchie dans Cooper lorsque ce dernier écrit :
« Cela ne veut pas dire que la formule énoncée par le baron Alderson doit nécessairement être incorporée mot pour mot aux directives du juge lorsque la question litigieuse porte sur l’identification de l’accusé. Il suffit d’expliquer clairement aux jurés qu’avant de fonder un verdict de culpabilité sur une preuve indirecte, ils doivent être convaincus hors de tout doute raisonnable que la culpabilité de l’accusé est la seule conclusion logique qui puisse être tirée des faits prouvés. » (soulignement ajouté)
[35] Concluant que la présidente du Tribunal d’instance s’était convenablement acquittée de son devoir d’instruire convenablement le jury en droit, la Cour d’appel rejette l’appel. Pourtant, la preuve révélait que d’autres personnes que l’accusé Jara pouvaient disposer des clés du local où la victime est trouvée gisant dans son sang, que celle-ci par la quantité de drogue dont elle disposait le soir ou la nuit de son décès pouvait faire l’envie d’autres trafiquants peu scrupuleux au fait de la chose, et que les empreintes de sang laissées par des espadrilles dans le local où gisait la victime ne correspondaient pas avec les empreintes des espadrilles trouvées chez Jara.
[36] Il découle également de l’arrêt Cooper que la poursuite qui a le fardeau de la preuve n’a cependant pas à prouver hors de tout doute raisonnable chaque élément de sa preuve circonstancielle. Un ou plusieurs éléments peuvent ne pas être parfaitement clairs. Des éléments de la preuve peuvent être interprétés autrement. Cela ne doit pas empêcher un tribunal de se former une opinion hors de tout doute raisonnable de la culpabilité du défendeur.
[37] Reprenant ce principe, les tribunaux supérieurs nous rappellent constamment qu’en matière de preuve circonstancielle, c’est globalement qu’il faut évaluer les éléments établis, sans morceler la preuve (R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (C.S.C.), [1988] 2 R.C.S. 345, [1988] A.C.S. no 80; R. c. Huddle, [1989] A.J. no 1061, (1989) 21 M.V.R. (2d) 150 (Alta. C.A.); R. c. Bouchard, 2007 QCCS 4170 (CanLII), 2007 QCCS 4170).
[38] Quels sont donc les éléments de cette preuve circonstancielle? Quelle importance chaque élément de cette preuve a-t-il per se, et surtout, quel effet global accorder à l’ensemble de ces éléments dont la preuve est faite ?
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