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lundi 19 mai 2025

Comment instruire un jury quant à la preuve d'identification & les questions les plus pertinentes à se poser afin de bien apprécier ce type de preuve

R. v. Jack, 2013 ONCA 80

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[12]      The jurisprudence is replete with guidance about how the jury should be instructed in cases where identity is the issue and where, as here, the Crown’s ability to satisfy the jury that it was the accused who committed the crime depends on eyewitness identification.

[13]      The dangers inherent in eyewitness identification evidence and the risk of a miscarriage of justice through wrongful conviction have been the subject of much comment: see for example R. v. Goran2008 ONCA 195, 234 O.A.C. 283, at para. 19. Such evidence, being notoriously unreliable, calls for considerable caution by a trier of fact: R. v. Nikolovski1996 CanLII 158 (SCC), [1996] 3 S.C.R. 1197, at pp. 1209-10; R. v. Bardales1996 CanLII 213 (SCC), [1996] 2 S.C.R. 461, pp. at 461-62; R. v. Burke1996 CanLII 229 (SCC), [1996] 1 S.C.R. 474, at p. 498.

[14]      It is essential to recognize that it is generally the reliability, not the credibility, of the eyewitness' identification that must be established.  The danger is an honest but inaccurate identification: R. v. Alphonso2008 ONCA 238, [2008] O.J. No. 1248, at para. 5Goran, at paras. 26-27.

[15]      The jury must be instructed to take into account the frailties of eyewitness identification as they consider the evidence relating to the following areas of inquiry.  Was the suspect known to the witness?  What were the circumstances of the contact during the commission of the crime including whether the opportunity to see the suspect was lengthy or fleeting? R. v. Carpenter[1998] O.J. No. 1819 (C.A.) at para. 1. Was the sighting by the witness in circumstances of stress? Nikolovski, at 1210; R. v. Francis (2002), 2002 CanLII 41495 (ON CA), 165 O.A.C. 131, at 132. 

[16]      As well, the jury must be instructed to carefully scrutinize the witnesses’ description of the assailant.  Was it generic and vague, or was it a detailed description that includes reference to distinctive features of the suspect? R. v. Ellis2008 ONCA 77, [2008] O.J. No. 361, at paras. 5, 8; R. v. F.A. (2004)2004 CanLII 10491 (ON CA), 184 O.A.C. 324, at para. 64R. v. Richards, (2004) 2004 CanLII 39047 (ON CA), 70 O.R. (3d) 737, at para. 9R. v. Boucher2007 ONCA 131[2007] O.J. No. 722, at para. 21.  In some cases, a failure to mention distinctive characteristics of a suspect is sufficiently important, especially where there is no other inculpatory evidence, to reduce the case from one of identification effectively to one of no identification.

[17]      Finally, the charge must caution the jury that an in-dock or in-court identification is to be given negligible, if any, weight: R. v. Hibbert2002 SCC 39 (CanLII), [2002] 2 S.C.R. 445, at pp. 468-69; R. v. Tebo (2003), 2003 CanLII 43106 (ON CA), 172 O.A.C. 148, at para. 19.

dimanche 18 mai 2025

Définition des aides au jury & Cadre applicable lorsqu’il s’agit de permettre l’utilisation d’aides au jury dans la salle du jury

R. c. Pan, 2025 CSC 12

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b)            Définition des aides au jury

[121]                     Les aides au jury sont des outils permettant de comprendre la signification d’un élément ou d’un ensemble d’éléments de preuve testimoniale, documentaire ou matérielle. Elles comprennent des cartes, des échéanciers, des listes de protagonistes, des tableaux et des diaporamas. Alors que les éléments de preuve testimoniale, documentaire et matérielle [traduction] « donnent au juge des faits la possibilité d’avoir une impression directe significative », les aides au jury remplissent une fonction secondaire, à savoir « aider le jury à interpréter, à comprendre ou à analyser » ces éléments de preuve (S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 23.1).

[122]                     Contrairement à la preuve, les aides au jury ne fournissent pas un fondement justifiant à lui seul des conclusions de fait ou de droit. Leur utilité repose entièrement sur la question de savoir si le juge des faits accepte de façon indépendante la preuve sur laquelle elles reposent (R. c. Scheel (1978), 1978 CanLII 2414 (ON CA), 42 C.C.C. (2d) 31 (C.A Ont.), p. 34; voir aussi R. c. Kanagasivam2016 ONSC 225029 C.R. (7th) 201par. 41R. c. Shaw2004 NBBR 260, 277 R.N.‑B. (2e) 306, par. 8).

[123]                     Les aides au jury prennent différentes formes et leur sophistication varie, et la distinction entre les aides au jury et la preuve peut parfois être difficile à établir (voir Hill, Tanovich et Strezos, § 23.1). Dans certains cas, des outils qui peuvent être à juste titre classés comme des aides au jury seront néanmoins admis en preuve par l’entremise d’un témoin et déposés comme pièces conformément aux règles ordinaires de preuve. La présente espèce ne concerne pas la pratique consistant à admettre des aides au jury en preuve conformément à ces règles.

[124]                     La question soulevée est plutôt de savoir dans quelles circonstances des aides au jury peuvent être autorisées à aller dans la salle du jury en dehors des règles normales de preuve pour être utilisées par le jury au cours de ses délibérations. À la Cour d’appel, le juge Nordheimer a fait remarquer que, normalement, seules deux catégories d’éléments matériels iront dans la salle du jury : les pièces déposées au procès et les aides au jury présentées sur consentement (par. 114). Comme il l’a souligné à juste titre, malgré le consentement des parties, le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas envoyer une aide au jury dans la salle du jury et, inversement, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de permettre qu’une aide contestée aille dans la salle du jury en certaines circonstances. Je vais maintenant examiner ces circonstances.

c)            Cadre applicable lorsqu’il s’agit de permettre l’utilisation d’aides au jury dans la salle du jury

[125]                     Sur le plan théorique, le pouvoir discrétionnaire de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury relève du domaine des pouvoirs de gestion du juge du procès, lesquels découlent de la compétence inhérente ou implicite du tribunal de contrôler sa propre procédure et de « garantir le bon fonctionnement des rouages de la cour » (R. c. Samaniego2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71par. 20; voir aussi R. c. Anderson2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167, par. 58).

[126]                     La partie qui demande à ce qu’une aide au jury aille dans la salle du jury devrait communiquer celle‑ci à la partie adverse dès qu’il est raisonnablement possible de le faire après qu’elle a été préparée et présenter une demande au tribunal en vue d’offrir cette aide. Lorsque la partie adverse s’oppose à ce que l’aide aille dans la salle du jury, le juge du procès devrait solliciter des observations. Les aides qui satisfont aux critères énoncés ci‑après devraient être autorisées à aller dans la salle du jury et devraient porter une marque formelle de façon à les distinguer de la preuve.

[127]                     Si une aide est autorisée à être utilisée par le jury, il incombe au juge du procès de donner des directives au jury sur les utilisations appropriées et inappropriées de l’aide (voir, p. ex., R. c. Hovila2013 CarswellAlta 2965 (B.R.), par. 20). Comme exemple d’une mise en garde bien formulée, je citerais les directives du juge du procès en l’espèce, lesquelles sont reproduites plus loin. Des directives appropriées sont essentielles pour garantir que le jury ne se fie pas à une aide comme [traduction] « raccourci pratique » au lieu d’examiner la preuve (R. c. Belcourt2012 BCSC 2128, par. 10).

[128]                     La détermination des mécanismes procéduraux et des directives qui sont nécessaires dans les circonstances dépendra de la nature de l’aide, de son objet et des points de vue des parties. Par exemple, une aide au jury simple comme une carte ou une liste de protagonistes peut commander une approche simplifiée ou informelle. En revanche, une aide complexe ou obscure peut exiger que la partie qui l’offre appelle un témoin à expliquer et à authentifier l’aide. Le juge du procès devrait prendre des décisions dans l’optique de prévenir l’iniquité, de maintenir l’efficacité du procès et d’améliorer la capacité de recherche de la vérité du jury.

[129]                     En ce qui concerne les critères substantiels, je suis d’accord avec le juge Nordheimer pour dire que le juge du procès a commis une erreur en se fondant sur une déclaration tirée de l’arrêt R. c. Bengert (1980), 1980 CanLII 321 (BC CA), 15 C.R. (3d) 114 (C.A. C.‑B.), selon laquelle [traduction] « les membres du jury [ont] droit à tout ce qui peut les aider à traiter la preuve de manière raisonnable, intelligente et rapide » (p. 160). Ce critère est trop large et ne tient pas compte du préjudice potentiel découlant du recours excessif aux aides.

[130]                     J’adopterais plutôt le critère énoncé par le juge Nordheimer de la Cour d’appel, avec quelques légères modifications. Avant de permettre qu’une aide au jury aille dans la salle du jury au cours des délibérations, le juge du procès doit être convaincu que l’aide est raisonnablement nécessaire, exacte et équitable. Ces critères servent à mettre en balance la valeur que sont susceptibles de revêtir ces aides dans la compréhension de la preuve avec leur capacité à distraire le jury ou à l’induire en erreur. Il y a lieu de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury si le premier élément l’emporte sur le second.

[131]                     Le premier critère est que l’aide doit être raisonnablement nécessaire pour que le jury comprenne la preuve. Une aide sera raisonnablement nécessaire lorsque la preuve qu’elle inclut est tellement vaste, complexe ou de nature technique qu’un jury aurait du mal à parvenir à la comprendre sans aide ou sans consacrer des efforts et un temps déraisonnables. Le juge du procès n’a pas à être convaincu qu’il serait impossible pour le jury de s’acquitter de sa tâche sans l’aide; il suffit de démontrer qu’il serait déraisonnablement lourd, ou déraisonnablement long, pour le jury de passer en revue les points de données pertinents nécessaires à la compréhension de la preuve sans l’aide. Comme la juge Fairburn (maintenant juge en chef adjointe de la Cour d’appel) l’a expliqué dans la décision Kanagasivam, au par. 42 :

      [traduction] L’utilisation d’aides démonstratives de cette nature peut servir à raccourcir ce qui pourrait autrement prendre des jours d’audience à développer. Elle peut également faciliter la tâche du jury en abrégeant ce qui pourrait être d’innombrables heures passées à revoir et à distiller des données au cours du processus de recherche des faits.

[132]                     Les jurys ne sont pas censés [traduction] « trouver des aiguilles dans des bottes de foin » (Kanagasivam, par. 48). Cependant, lorsque l’aide ne fait que reformuler la preuve déjà accessible d’une manière plus attrayante ou pratique, le critère de la nécessité ne sera pas rempli.

[133]                     Deuxièmement, l’aide doit résumer la preuve avec exactitude. Elle ne peut déformer, rapporter incorrectement ou occulter aucun élément de preuve, que ce soit intentionnellement ou non (Kanagasivam, par. 52). Dans l’arrêt R. c. Poitras (2002), 2002 CanLII 23583 (ON CA)57 O.R. (3d) 538 (C.A.), le juge Doherty a décrit comme suit l’impératif d’exactitude, au par. 48 :

      [traduction] Toute inexactitude ou insuffisance dans les documents écrits, ou toute confusion ou iniquité créée par ces documents, est susceptible d’avoir une incidence importante sur la validité de tout verdict rendu par le jury. La grande importance accordée au fait d’assurer l’exactitude et l’impartialité des documents écrits ne devrait pas décourager l’utilisation des documents écrits, mais devrait encourager une préparation minutieuse de tout document écrit destiné au jury.

Une aide qui pourrait être trompeuse en soi peut être considérée suffisamment exacte si elle est accompagnée d’autres aides qui complètent le portrait de la preuve. Toutefois, des préoccupations relatives à l’équité peuvent entrer en jeu si on attend des parties qu’elles répondent aux aides unilatérales au jury, comme je l’explique ci‑dessous.

[134]                     En outre, une aide peut être considérée inexacte si elle ne tient pas compte de la complexité de la preuve. Pour rappeler la mise en garde formulée par le juge Conlan dans la décision Woods c. Jackiewicz2019 ONSC 2069, [traduction] « nous devons prendre soin d’éviter de trop simplifier la preuve technique par l’utilisation d’une aide démonstrative » (par. 13(vi)). Il n’est pas toujours possible d’abréger sans sacrifier l’exactitude.

[135]                     Troisièmement et enfin, le juge du procès doit être convaincu qu’il serait équitable de permettre que l’aide aille dans la salle du jury. L’appréciation de l’équité comporte un examen global de la valeur explicative et de l’effet préjudiciable de l’aide (voir Jackiewicz, par. 13(iii)). Une considération clé est la mesure dans laquelle l’aide reflète la thèse d’une partie, bien qu’il n’existe aucune condition préalable stricte voulant qu’une aide soit totalement exempte du point de vue de la partie qui l’offre. Si l’aide reflète la thèse d’une partie, la partie adverse devrait avoir la possibilité de soumettre sa propre aide, ou de soumettre des modifications ou des ajouts à l’aide. Les aides neutres qui ne reflètent pas le point de vue de l’une ou l’autre des parties répondront plus facilement aux exigences de l’équité.

[136]                     En exerçant leur pouvoir discrétionnaire à l’égard des aides au jury, les juges de première instance devraient viser à préserver le fonctionnement approprié et équitable du système contradictoire. Les juges de première instance doivent être conscients des déséquilibres sur le plan des ressources et ne devraient pas permettre qu’une aide unilatérale aille dans la salle du jury lorsqu’il serait trop lourd pour la partie adverse de produire des éléments matériels concurrents. Une considération importante est la rapidité avec laquelle une aide peut raisonnablement être communiquée après avoir été préparée. Certaines aides devront peut‑être être mises à jour tout au long du procès pour pouvoir satisfaire au critère de l’exactitude ou représenter équitablement l’ensemble de la preuve. Naturellement, il sera plus lourd pour une partie de fournir des éléments matériels concurrents si l’aide originale est communiquée pour la première fois peu de temps avant sa présentation au jury.

[137]                     Les objectifs ultimes de ces critères sont d’empêcher un raisonnement inapproprié de la part du jury et d’éviter l’apparence d’iniquité. La décision d’envoyer ou non une aide au jury à la salle du jury est, en fin de compte, une décision discrétionnaire qui appartient au juge du procès. À titre de décision relative à la gestion de l’instance, elle commande la déférence en l’absence d’une erreur de principe ou d’un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire (Samaniego, par. 26).

La vraisemblance d'un moyen de défense : revue du droit et norme de contrôle en appel

R. c. Pan, 2025 CSC 12 

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(2)         Norme de contrôle

[35]                          La décision d’un juge de première instance sur la vraisemblance est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (R. c. Tran2010 CSC 58[2010] 3 R.C.S. 350, par. 40R. c. Alas2022 CSC 14[2022] 1 R.C.S. 283, par. 3).

[36]                          Le ministère public insiste sur le fait que, bien que cette question soit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, [traduction] « lorsqu’aucune erreur n’est relevée, une certaine déférence s’impose à l’égard de la décision du juge du procès » (m.a., par. 73). Le ministère public invoque certains arrêts de cours d’appel intermédiaires faisant état d’une incertitude sur la nature de la déférence à accorder au juge du procès dans ce contexte (voir, p. ex., R. c. Land2019 ONCA 39145 O.R. (3d) 29, par. 71R. c. Paul2020 ONCA 25963 C.R. (7th) 377, par. 26‑27R. c. Suthakaran2024 ONCA 50433 C.C.C. (3d) 175, par. 15).

[37]                          Il est vrai qu’il y a eu de l’incertitude par le passé au sujet de la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y avait vraisemblance (voir, p. ex., R. c. Thibert1996 CanLII 249 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 37, par. 33). Dans des affaires telles Thibert, la question n’a pas été caractérisée comme une question de droit contrôlable selon la norme de la décision correcte. Cependant, maintenant qu’il a catégoriquement été établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, cela a pour effet d’éliminer tout besoin de déférence. La décision correcte signifie que « les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance » (Housen c. Nikolaisen2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8). Les juges de première instance doivent trancher la question de la vraisemblance correctement, à défaut de quoi ils commettent une erreur de droit susceptible de contrôle (voir Cinous, par. 55). Je rejetterais l’invitation du ministère public de nous écarter du sens établi de la norme de la décision correcte dans ce contexte. Introduire un certain degré de déférence en l’espèce ne ferait que créer de la confusion et des complications inutiles dans le droit en matière de norme de contrôle.

[38]                          Ma collègue parvient à une interprétation différente de la norme de contrôle. Elle affirme que le juge du procès est le mieux placé pour statuer sur la vraisemblance (par. 187) et que la déférence à l’égard de l’évaluation limitée de la preuve par le juge du procès peut aisément coexister avec la norme de la décision correcte pour ce qui est de la décision ultime (par. 184). Cependant, comme l’a conclu notre Cour dans l’arrêt R. c. Buzizi2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248, « le juge d’instance ne jouit aucunement d’une “position privilégiée” pour déterminer la vraisemblance d’un moyen de défense, ce qui est une question de droit » (par. 15). De plus, dans des affaires comme la présente qui reposent sur une preuve circonstancielle, une évaluation limitée de la preuve par le juge du procès sera coextensive à son examen de la vraisemblance. La décision du juge du procès en l’espèce montre qu’il est futile d’essayer d’isoler le processus d’évaluation limitée par rapport à la décision selon laquelle il y a vraisemblance de telle sorte qu’une norme de contrôle puisse s’appliquer au premier et une autre à la seconde. Il n’a établi aucune distinction de la sorte.

[39]                          Ma collègue fait une analogie avec des affaires où les tribunaux font preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge du procès, mais n’en font pas en ce qui a trait à la question de droit ultime à laquelle ces conclusions se rattachent (par. 185). Soit dit en tout respect, je ne puis voir la pertinence de ces affaires en ce qui concerne la question en l’espèce. Une caractéristique centrale du critère de la vraisemblance et de l’opération d’évaluation limitée est le fait que le juge du procès n’est pas autorisé à tirer des conclusions de fait (Cinous, par. 54). La constatation des faits est une opération fondamentalement différente. Comme l’a reconnu la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Paul, l’évaluation limitée commande [traduction] « nécessairement moins » de déférence que la constatation des faits, car certaines des raisons qui justifient la déférence envers les juges de première instance, par exemple leur position privilégiée pour apprécier la crédibilité, ne sont d’aucune pertinence à l’égard d’une évaluation limitée (par. 30, citant Housen, par. 15‑18). En conséquence, bien que je convienne avec ma collègue que les conclusions de fait du juge du procès commandent la déférence, cela n’appuie pas la conclusion selon laquelle la déférence s’impose en l’espèce.

[40]                          Il ressort clairement d’arrêts comme Paul et Land que la confusion dans ce domaine a généré de la [traduction] « complexité » pour les cours d’appel (Land, par. 71). Notre Cour peut résoudre cette complexité et il est dans l’intérêt de la justice de le faire.

(3)         Principes régissant le critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses

[41]                          Notre Cour a traité en profondeur de la question de savoir dans quelles circonstances un moyen de défense devait être soumis à l’appréciation du jury et, dans ce contexte, elle a formulé le critère de la vraisemblance avec précision et clarté (voir, p. ex., R. c. Osolin1993 CanLII 54 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Park1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836; R. c. Davis1999 CanLII 638 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 759; Cinous). Le critère de la vraisemblance a également été appliqué, à la fois par notre Cour et par d’autres cours d’appel, pour déterminer dans quelles circonstances une infraction incluse peut être soumise à l’appréciation du jury (voir, p. ex., R. c. Aalders1993 CanLII 99 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 482; RonaldChacon-PerezTenthoreyR. c. Nason2015 NBCA 34, 437 R.N.‑B. (2e) 259; R. c. Chalmers2009 ONCA 268243 C.C.C. (3d) 338). Bien que le critère de la vraisemblance soit constamment utilisé à cette fin, peu de choses ont été dites sur la manière dont l’approche appliquée à l’égard du critère peut différer et sur les considérations inédites qui peuvent entrer en jeu lorsqu’il est question d’infractions incluses et non pas de moyens de défense. Le présent pourvoi offre l’occasion de se pencher directement là‑dessus.

a)            Considérations concurrentes du critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses

[42]                          Le critère de la vraisemblance vise à établir un équilibre entre deux considérations concurrentes. D’une part, les thèses farfelues qui n’ont aucun fondement probatoire doivent être exclues de l’examen du jury. Proposer ces thèses au jury ne servirait aucun objectif de recherche de la vérité et ne ferait que créer de la confusion, qu’inciter à faire des compromis inacceptables et qu’allonger inutilement l’exposé du juge (voir Park, par. 11Osolin, p. 683; voir aussi R. c. Matchett, 2018 BCCA 117, 359 C.C.C. (3d) 363, par. 23).

[43]                          L’importance de ne pas soumettre à l’appréciation du jury des thèses insoutenables est amplifiée dans le contexte des infractions incluses. Alors que le fait de donner des directives au jury sur un moyen de défense insoutenable fait courir le risque d’un acquittement non étayé par la preuve, le fait de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse insoutenable fait courir le risque d’une déclaration de culpabilité déraisonnable, qui est « l’erreur qui est peut‑être la plus grave de toutes » (R. c. Biniaris2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 26).

[44]                          D’autre part, en fixant le seuil de preuve à un niveau peu élevé, le critère de la vraisemblance garantit que toutes les thèses valables sont soumises à l’examen attentif du jury. De cette manière, le critère facilite l’exercice du droit de la personne accusée d’être jugée par un jury, si elle le désire, plutôt que par un juge siégeant seul (voir Osolin, p. 690, citant P. Hogg, Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), vol. 2, p. 48‑15; R. c. Fontaine2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, par. 58‑60). Les juges de première instance doivent faire attention de ne pas compromettre ce choix protégé en statuant sur des questions qui relèvent à juste titre du jury.

[45]                          Bien que les infractions incluses ne soient pas complètement analogues aux moyens de défense, la question de savoir s’il convient de soumettre ces infractions à l’appréciation du jury fait également intervenir le droit de présenter une défense pleine et entière dans la mesure où les soumettre à cette appréciation donne au jury une voie additionnelle permettant de conclure que l’accusé n’est pas coupable de l’infraction principale. D’ailleurs, notre Cour a reconnu que ne pas soumettre un verdict réaliste à l’appréciation du jury présente le risque que le jury, appelé à choisir entre une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale et un acquittement, rende un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale simplement parce qu’un acquittement serait « prononcé à contrecœur » (R. c. Haughton1994 CanLII 73 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 516, p. 517).

[46]                          Ces considérations concurrentes font ressortir une caractéristique unique des infractions incluses. Alors que les moyens de défense sont purement disculpatoires, les infractions incluses possèdent à la fois une dimension disculpatoire — en ce sens qu’elles sont disculpatoires à l’égard de l’infraction principale — et une dimension inculpatoire évidente. En conséquence, alors que les moyens de défense sont invoqués par l’accusé, la partie qui cherche à faire soumettre une infraction incluse à l’appréciation du jury sera différente d’une affaire à l’autre.

[47]                          Une norme juridique comme le critère de la vraisemblance ne varie pas en fonction de la partie qui soutient que le critère est respecté; toutefois, lorsque c’est l’accusé plutôt que le ministère public qui soutient qu’il y a lieu de soumettre l’infraction incluse à l’appréciation du jury, le tribunal doit être conscient que sa décision influera sur le droit de l’accusé de contrôler sa propre défense. La même considération n’entrera pas en jeu lorsque c’est le ministère public qui prétend que l’infraction incluse devrait être soumise à l’appréciation du jury.

[48]                          En gardant ces considérations à l’esprit, j’examine d’abord ce que signifie le fait qu’une infraction incluse soit vraisemblable. J’explique ensuite comment la façon d’aborder la preuve peut varier selon les différents types de cas, malgré le fait que le critère reste fondamentalement le même. Enfin, je précise le type d’évaluation de la preuve qui est permis pour trancher la question de savoir s’il y a vraisemblance au vu de la preuve.

b)            Critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses

[49]                          Un accusé inculpé d’une infraction peut être acquitté de cette infraction, mais néanmoins être déclaré coupable d’une infraction incluse, même si le chef d’accusation ne fait pas expressément mention de l’infraction incluse. Une infraction est dite « incluse » à cet effet lorsqu’elle est définie comme telle dans le Code criminel ou lorsque ses éléments font partie de l’infraction imputée « telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation » lui‑même (art. 662; voir R. c. G.R.2005 CSC 45[2005] 2 R.C.S. 371, par. 25 et 29‑33; voir aussi M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 34.51‑34.53; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶11.21).

[50]                          Lorsqu’une infraction est à juste titre une infraction incluse conformément à ces principes, la question distincte de savoir si cette infraction devrait être soumise à l’appréciation du jury se pose. Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si, et seulement si, elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse (voir R. c. Wolfe2024 CSC 34, par. 50Joseph c. R.2018 QCCA 1441, par. 19R. c. Smith2023 NBCA 20par. 33R. c. Iyamuremye2017 ABCA 276, 355 C.C.C. (3d) 289, par. 82; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.27‑33.28).

[51]                          Pour décider s’il s’agit d’une possibilité réaliste, le juge du procès doit se demander s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire d’avoir un doute raisonnable à l’égard d’éléments de l’infraction principale qui la distinguent de l’infraction incluse, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction incluse (R. c. Wong (2006), 2006 CanLII 18516 (ON CA)209 C.C.C. (3d) 520 (C.A. Ont.), par. 12Ronald, par. 46Tenthorey, par. 63Chacon-Perez, par. 162). L’enquête exige que le juge examine la preuve dans son ensemble et qu’il garde à l’esprit que, conformément à la présomption d’innocence, un jury peut toujours rejeter des éléments de preuve ou refuser de tirer des inférences particulières (Ronald, par. 48Joseph, par. 25).

c)            L’application du critère est contextuelle

[52]                          La notion de « vraisemblance » intervient dans plusieurs contextes distincts. La question, d’une manière générale, est toujours de savoir si les inférences de fait nécessaires sont possibles sur le fondement d’une interprétation raisonnable de la preuve. Cependant, l’approche différera naturellement selon les types d’inférences en cause ou, autrement dit, selon la conclusion dont on dit qu’elle est vraisemblable.

[53]                          L’appréciation de la question de savoir si un moyen de défense positif est vraisemblable, par exemple, exige que le tribunal examine les inférences de fait distinctes qui forment ensemble les éléments juridiques du moyen de défense. L’analyse comporte un examen contextuel du dossier visant à rechercher des éléments de preuve qui peuvent étayer ces inférences distinctes (voir CinousOsolinPark; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23).

[54]                          En revanche, dans certains cas, les inférences de fait exigées pour rendre un verdict de culpabilité relativement à une infraction incluse seront simplement un sous‑ensemble des inférences nécessaires pour rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale. La seule véritable question dans de tels cas est de savoir si les inférences distinctives sont factuellement isolables de telle sorte qu’un jury pourrait avoir un doute raisonnable uniquement à l’égard de ces inférences. La question n’est pas de savoir s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour les étayer (voir RonaldTenthorey). Il s’agit de questions distinctes sur le plan analytique.

[55]                          Les faits de l’affaire Ronald en sont un exemple. Dans cette affaire, afin de déclarer l’autrice principale coupable de meurtre au premier degré, le jury devait être convaincu hors de tout doute raisonnable qu’elle avait intentionnellement tué la victime, en ce qu’elle avait au préalable prémédité le meurtre. Le fondement factuel d’une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré pour cette accusée était le même, mais sans la préméditation et le propos délibéré. Dans ce dossier, la question était simplement de savoir si le jury aurait pu de manière réaliste avoir un doute raisonnable relativement à l’élément de la préméditation et du propos délibéré qui distingue le meurtre au premier degré du meurtre au deuxième degré tout en acceptant hors de tout doute raisonnable les autres éléments qui constituent le meurtre au deuxième degré (par. 61).

[56]                          La simplicité de l’enquête dans l’arrêt Ronald explique la remarque formulée par le juge d’appel Doherty, au par. 47, selon laquelle aucun [traduction] « fardeau de présentation » n’incombe à la partie qui demande à ce qu’une infraction incluse soit soumise à l’appréciation jury :

     [traduction] Lorsque la défense, ou le ministère public, prétend qu’un jury devrait recevoir des directives sur la possibilité d’une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré, il n’est pas essentiel que la partie qui demande ces directives fasse état d’éléments de preuve pouvant étayer des inférences qui sont incompatibles avec la préméditation et le propos délibéré. Contrairement à ce qu’il en est pour les moyens de défense positifs, aucun fardeau de présentation n’incombe à la défense, ou au ministère public, pour mettre « en jeu » la possibilité d’une déclaration de culpabilité pour l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré. Il suffit qu’au vu de l’ensemble de la preuve, un jury raisonnable puisse ne pas être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré. Cette incertitude possible peut servir de fondement à un verdict approprié de non‑culpabilité de meurtre au premier degré, mais de culpabilité relativement à l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré.

[57]                          J’interprète la remarque du juge Doherty comme indiquant que le juge du procès n’a pas besoin de rechercher des éléments de preuve contredisant l’inférence distinctive — c’est‑à‑dire qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des éléments de preuve étayant une autre version des faits —, mais qu’il doit plutôt examiner « l’ensemble de la preuve » pour déterminer si un doute raisonnable sur ce seul élément est réalistement possible. Dans l’arrêt Ronald, l’inférence distinctive était la préméditation et le propos délibéré, et le juge Doherty a correctement expliqué que le jury avait le droit d’avoir un doute raisonnable en ce qui concerne cette inférence. Il a fait observer qu’établir la viabilité de l’infraction incluse en l’espèce n’imposait pas réellement un « fardeau de présentation » à l’accusé en ce sens qu’il n’exigeait pas que le jury accepte des inférences de fait additionnelles.

[58]                          Toutefois, dans d’autres cas, particulièrement ceux qui sont compliqués par des questions de responsabilité à titre de participant, la voie menant à une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse peut en effet exiger des inférences de fait additionnelles, et non pas simplement moins d’inférences de fait. Pour que ce type d’infraction incluse soit soumis à l’appréciation du jury, il doit y avoir un fondement solide permettant au jury d’avoir un doute raisonnable à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, tout en n’ayant aucun doute de la sorte en ce qui a trait à l’ensemble des inférences, y compris les inférences de fait additionnelles, qui confirment l’infraction incluse.

[59]                          La présente affaire est un bon exemple. Comme l’a reconnu la Cour d’appel, [traduction] « dans les affaires comme celle‑ci [. . .], la voie menant à une infraction incluse ne se présente pas nécessairement dès qu’il existe un doute raisonnable concernant la préméditation et le propos délibéré » (par. 64). Pour certains des intimés, la voie menant à la responsabilité à l’égard de l’infraction principale de meurtre au premier degré passe par la responsabilité en tant que participant prévue au par. 21(1) du Code criminel. Pour déclarer ces intimés coupables de l’infraction principale, le jury doit reconnaître qu’ils ont apporté leur aide ou leur encouragement dans le meurtre prémédité de Mme Pan. En revanche, la voie menant à la responsabilité pour les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable passe par la responsabilité fondée sur l’intention commune en vertu du par. 21(2). Pour les déclarer coupables de meurtre au deuxième degré, par exemple, le jury doit reconnaître que les intimés ont formé le dessein de tuer M. Pan, et qu’ils savaient que la réalisation de leur plan aurait pour conséquence probable la mort de Mme Pan. Une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, repose sur des inférences de fait différentes, et non pas simplement moins d’inférences de fait.

[60]                          Le juge du procès, dans des cas comme celui‑ci, doit se demander si, au vu de l’ensemble de la preuve, un jury raisonnable pourrait avoir un doute raisonnable sur l’un ou l’autre des éléments distinctifs de l’infraction principale, et également si le jury pourrait de manière réaliste accepter les inférences de fait sous‑jacentes à une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. En ce sens, de tels cas ressemblent à des cas de défense parce qu’il ne suffit pas de simplement conclure que le jury pourrait avoir un doute raisonnable concernant les inférences distinctives tout en n’ayant pas un tel doute à l’égard des inférences restantes.

[61]                          Il n’est pas surprenant que la façon d’aborder la preuve varie selon les différents types de cas. La question de savoir s’il y a un fondement probatoire à un moyen de défense distinct diffère de la question de savoir si un jury pourrait avoir un doute isolable à l’égard de l’élément distinctif d’une infraction principale, question qui, pour sa part, diffère de celle de savoir si des types plus complexes d’infractions incluses sont soutenables au vu du dossier. À la base, cependant, décider s’il y a vraisemblance impliquera toujours un examen contextuel visant à déterminer si le dossier peut de manière réaliste étayer le raisonnement proposé (voir Chacon-Perez, par. 164Ronald, par. 43). Que l’analyse soit décrite comme imposant un fardeau de présentation dans le contexte des moyens de défense, ou simplement comme une appréciation de l’ensemble de la preuve dans le contexte des infractions incluses, la question primordiale est la même.

[62]                          En somme, une infraction incluse sera vraisemblable s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse et un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale. Le juge du procès doit se demander non seulement si l’interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre d’avoir un doute à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, mais aussi si la même interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre au jury de conclure que tous les éléments de l’infraction incluse sont établis. Cela soulève la question de savoir si une interprétation donnée de la preuve est raisonnable à cette fin.

d)            Seuil de preuve et « évaluation limitée »

[63]                          Comme c’est le cas pour tout examen concernant la vraisemblance, le seuil de preuve énoncé dans l’arrêt Cinous constitue un point de départ utile. Le seuil consiste à se demander « s’il existe une preuve ou quelque élément de preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, s’il y ajoutait foi » (par. 83). Lorsque cet énoncé est adapté au contexte des infractions incluses, la question pertinente est de savoir s’il existe des éléments de preuve qui permettraient à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de rendre un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale tout en rendant un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. Comme l’a expliqué le juge Doherty dans l’arrêt Ronald, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des éléments de preuve étayant le doute. Au vu de l’ensemble de la preuve, un doute raisonnable à l’égard des inférences distinctives doit plutôt être compatible sur le plan fonctionnel avec une absence d’un tel doute en ce qui a trait aux inférences nécessaires restantes.

[64]                          Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une « évaluation limitée » de la preuve (R. c. Arcuri2001 CSC 54[2001] 2 R.C.S. 828, par. 23voir aussi Cinous, par. 90). Cette opération est nécessaire, car « la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés » (Arcuri, par. 23). Dans le cadre du processus d’évaluation limitée, le juge du procès ne tire pas d’inférences de fait, mais il arrive plutôt « à une conclusion concernant les inférences de fait qui pourraient raisonnablement être faites » (Cinous, par. 91). En d’autres mots :

      . . . le juge doit s’abstenir « de se prononcer sur la crédibilité des témoins, d’apprécier la valeur probante de la preuve, de tirer des conclusions de fait ou de faire des inférences de fait précises », peu importe jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente pour lui. En fait, il doit, à cette étape des procédures, tenir pour vrai tous les témoignages rendus. Néanmoins, s’il l’estime opportun, le juge peut se livrer à une évaluation limitée de la preuve considérée dans son ensemble, comme il le ferait pour décider du renvoi à procès à l’issue de l’enquête préliminaire. [Je souligne; notes en bas de page omises.]

      (Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23)

[65]                          Les inférences de fait qui découlent raisonnablement de la preuve doivent être mises à la disposition du jury même lorsque le juge du procès estime que d’autres inférences plus plausibles pourraient être tirées. Autrement dit, l’opération d’« évaluation limitée » ne fait pas de comparaison entre des inférences concurrentes. Cette forme d’analyse comparative est un exemple d’évaluation substantielle, qui dépasse de la portée du critère de la vraisemblance (Cinous, par. 90R. c. Pappas2013 CSC 56[2013] 3 R.C.S. 452, par. 26).

[66]                          Lorsqu’il effectue une évaluation limitée de la preuve, le juge du procès n’est pas autorisé à apprécier la crédibilité ou la fiabilité (Cinous, par. 90). L’exception étroite à la règle selon laquelle la preuve doit être tenue pour vraie est qu’une simple assertion, sans plus, peut être insuffisante pour établir la vraisemblance (Aalders, p. 505; Park, par. 20).

[67]                          Un exemple d’évaluation limitée autorisée consiste à se demander si le raisonnement proposé entre en conflit avec des éléments de preuve qui ne sont pas sérieusement contestés. Selon la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Park« [l]orsque, examinée d’un œil réaliste, la preuve en faveur de l’accusé qui est sérieusement contestée est manifestement et logiquement inconciliable avec la preuve qui n’est pas sérieusement contestée, on peut conclure alors, tant sur le plan du droit que sur celui de la logique, à l’invraisemblance du moyen de défense auquel se rapportent les contradictions constatées sur le plan de la logique » (par. 29 (soulignement omis)). Il en va de même pour les infractions incluses.

[68]                          Par exemple, dans l’affaire Aalders, l’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré après s’être introduit par effraction dans la résidence de la victime, l’avoir guettée pendant quelque quatre heures et lui avoir tiré dessus à huit reprises. Les balles ont toutes pénétré dans le torse et le cou de la victime, à l’exception d’une balle qui a pénétré dans sa jambe. Il existe une déduction conforme au bon sens selon laquelle une personne veut les conséquences de ses actes délibérés (R. c. Tatton2015 CSC 33[2015] 2 R.C.S. 574, par. 27). Au vu de l’ensemble de la preuve dans cette affaire, et malgré la déclaration de l’accusé selon laquelle il n’avait pas l’intention de tuer la victime, mais seulement de la blesser, l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable n’était pas vraisemblable. Une simple assertion qui allait à l’encontre de tous les autres éléments de preuve n’aurait pas permis à un jury de raisonnablement rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse tout en rendant un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale (Aalders, p. 505; Park, par. 20).

[69]                          L’obligation du juge du procès de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse dépendra non seulement de la preuve présentée, mais également des questions juridiques soulevées et des thèses avancées (voir R. c. Sarrazin2010 ONCA 577259 C.C.C. (3d) 293par. 62, conf. par 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505; Chalmers, par. 52‑53). Dans l’affaire Wong, par exemple, l’accusé a prétendu avoir agi accidentellement ou, subsidiairement, avoir agi en légitime défense, lorsqu’il a blessé le collègue de son colocataire. Il a été accusé de voies de fait graves pour avoir infligé une blessure, mais il a été déclaré coupable par le jury de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles. Le juge Doherty a statué que l’infraction incluse n’aurait pas dû être soumise à l’appréciation du jury parce que l’élément distinctif de l’infraction principale — la nature de la blessure subie — n’était pas contesté. En conséquence, les seuls verdicts qui auraient dû pouvoir être rendus par le jury étaient une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction principale ou un acquittement complet (par. 12‑14).

[70]                          Il faut aussi tenir compte des cas dans lesquels la seule question que le jury devait trancher est celle de l’identité du contrevenant (voir, p. ex., Chacon-Perez). Les interprétations de la preuve dont dispose raisonnablement le jury dans de tels cas seront généralement soit que l’accusé a commis l’infraction principale, soit que quelqu’un d’autre l’a commise, aucun de ces scénarios n’étant compatible avec la déclaration de culpabilité de l’accusé pour une infraction incluse. En conséquence, ces cas justifieront généralement des accusations « tout ou rien », lesquelles exigent du jury qu’il rende soit un verdict de culpabilité en ce qui a trait à l’infraction principale, soit un verdict d’acquittement.

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