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mercredi 3 décembre 2025

Il est erroné d'inviter le jury à scinder sa démarche et à ne retenir que la preuve qu'il considère crédible et fiable, car le doute raisonnable peut résulter autant d'une preuve que le jury rejette ou ne croit pas, que de celle qu'il retient (erreur de type « Miller »)

Hunt c. R., 2022 QCCA 805



[33]      Il va de soi que les directives doivent être analysées selon une approche fonctionnelle qui tient compte tant de la preuve que des plaidoiries et de l’ensemble des directives pour vérifier si le jury a été correctement instruit en droit.

[34]      Or, lorsque la crédibilité est au centre du litige, le jury doit comprendre qu’un doute raisonnable peut émaner d’un témoignage, même s’il ne le retient pas comme vrai. En d’autres termes, même s’il ne peut affirmer que le témoignage est vrai, celui-ci peut néanmoins susciter un doute raisonnable. Si cette règle s’applique à la version de l’accusé : R. c. W.(D.), 1991 CanLII 93 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 742; R. c. Avetysan2000 CSC 56, [2000] 2 R.C.S. 745; R. v. Reid, 2003 CanLII 14779 (Ont C.A.), rien ne permet de croire qu’elle ne s’applique pas à la version d’un témoin sur laquelle se fonde la défense et vitale à celle-ci. C’est d’ailleurs ce que proposent les auteurs Martin Vauclair et Tristan Desjardins, dans Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et de procédure pénales, 28e éd., Montréal, Yvon Blais, 2021, p. 1229, paragr. 34.41, note 159 :

L'approche de l'arrêt R. c. W. (D.)1991 CanLII 93 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 742 s'applique non seulement lorsque l'accusé témoigne, mais aussi lorsque, comme dans l'arrêt R. v. D. (B.) (2011), 2011 ONCA 51 (CanLII), 266 C.C.C. (3d) 197 (C.A.O.), repris dans les arrêts R. c. Phillips (2017), 355 C.C.C. (3d) 141, 2017 ONCA 752 (par. 257), R. c. M.P. (2018), 363 C.C.C. (3d) 61, 2018 ONCA 608 (par. 60), et R. c. Brown (2018), 361 C.C.C. (3d) 510, 2018 ONCA 481 (par. 68), lorsqu'il y a conflit sur une question cruciale entre la thèse de la poursuite et les témoins produits par la défense ou ceux de la poursuite qui appuient la thèse de la défense (par. 114). […]

[35]      Plus précisément, voici ce qu’écrit la juge Epstein dans R. v. Brown :

[68] The requirement of a W.(D.) instruction applies where, on a vital issue, there are credibility findings to be made between conflicting evidence and the trial judge must relate the concept of reasonable doubt to those credibility findings: R. v. B.D.2011 ONCA 51, 273 O.A.C. 241, at para. 114. The trial judge must make clear that it is not necessary for the jurors to believe the defence evidence on the issue in order to acquit; it is sufficient if “viewed in the context of all of the evidence – the conflicting evidence leaves them in a state of reasonable doubt as to the accused’s guilt”: B.D.at para. 114.

[36]      Dans Durette c. R., 2013 QCCA 1791, au paragr. 46, la Cour cite avec approbation ce passage de R. v. B.D.2011 ONCA 51 :

[114] What I take from a review of all of these authorities is that the principles underlying W.(D.) are not confined merely to cases where an accused testifies and his or her evidence conflicts with that of Crown witnesses.  They have a broader sweep.  Where, on a vital issue, there are credibility findings to be made between conflicting evidence called by the defence or arising out of evidence favourable to the defence in the Crown's case, the trial judge must relate the concept of reasonable doubt to those credibility findings.  The trial judge must do so in a way that makes it clear to the jurors that it is not necessary for them to believe the defence evidence on that vital issue; rather, it is sufficient if – viewed in the context of all of the evidence – the conflicting evidence leaves them in a state of reasonable doubt as to the accused's guilt:  Challice.  In that event, they must acquit.

[37]      Or, même si la deuxième étape du modèle décrit par le juge Cory dans R. c. W.(D.), précité, (« deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement ») ne constitue pas un dictat immuable qui doit obligatoirement être répété sans nuance et sans en changer un iota, il reste que sa substance doit être transmise au jury. Il faut en livrer l’essentiel : R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, paragr. 13, et il est donc nécessaire de rappeler au jury que l’acquittement n’est pas tributaire d’une conclusion de crédibilité de la version de l’accusé (ou, comme ici, du témoin de la défense). L’essentiel du message requérait en l’espèce une information que le jury n’a pas eue, comme je le démontrerai plus loin.

[38]      Selon R. c. Lifchus1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320, à la page 337, le doute raisonnable « […] doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve ». En ce sens, il n’est évidemment pas requis d’accepter comme vrai le témoignage de l’accusé pour entretenir un doute raisonnable. En d’autres mots, un juré peut très bien ne pas retenir la version de l’accusé, ne pas être en mesure d’affirmer qu’il dit la vérité, mais néanmoins entretenir un doute raisonnable en raison de cette version.

[39]      Même s’il a adéquatement expliqué la règle du doute raisonnable ailleurs dans ses directives, le juge de première instance n’a pas indiqué au jury qu’il pouvait acquitter l’appelant même s’il ne croyait pas Mme Binette, à la condition évidemment que son témoignage engendre néanmoins un doute raisonnable. Face à l’importance de ce témoignage pour la défense, le jury devait comprendre que l’accusé avait droit à l’acquittement si ce témoignage soulevait un doute raisonnable et pas seulement s’il était cru.

[40]      Le juge a bien décrit la norme au début des directives et il en répétera ensuite l’essence. Par contre, le problème survient lorsqu’il aborde précisément les moyens de défense. Est alors exclue de ses directives la possibilité d’un doute raisonnable même si la crédibilité du témoin n’est pas établie ou que son témoignage n’est pas cru. Voici ce que le juge dit au jury :

Les témoignages de Rachel Wickenheiser et de Mélanie Binette relativement à ce qui s’est passé dans le boisé doivent être au centre de votre analyse. Ces témoignages doivent être évalués à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve matérielle. Si vous retenez le témoignage de Mélanie Binette, cela pourrait vous amener à conclure à une défense de nécessité, dans la mesure où vous considérez que les conditions prévues par la loi sont satisfaites. Si vous rejetez le témoignage de Mélanie Binette, cela devrait vous amener à rejeter la défense de nécessité dans la mesure où les conditions prévues par la loi ne sont pas satisfaites. Aussi, il vous faudra analyser chacune des conditions d’application de cette défense en tenant compte de ce que je vous ai expliqué et de l’ensemble de mes directives.

                                                                                                               [Je souligne]

[41]      Il est vrai que le juge renvoie à l’ensemble de ses directives, mais il reste que le jury peut très bien avoir compris que s’il rejetait le témoignage de Mme Binette, il devait rejeter ce moyen de défense, et ce, même s’il entretenait un doute raisonnable en raison de ce témoignage. Vu sous un autre angle, il ne pouvait acquitter l’appelant que s’il retenait le témoignage de Mme Binette, ce qui est erroné en droit.

[42]      La directive est identique en ce qui a trait à la légitime défense :

Encore une fois, les témoignages de Rachel Wickenheiser et de Mélanie Binette relativement à ce qui s’est passé dans le boisé doivent être au centre de votre analyse. Ces témoignages doivent être évalués à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve matérielle. Si vous retenez le témoignage de Mélanie Binette, cela pourrait vous amener à conclure à une défense de légitime défense dans la mesure où vous considérez que les conditions prévues par la loi sont satisfaites. Si vous rejetez le témoignage de Mélanie Binette, cela devrait vous amener à rejeter la défense de légitime défense dans la mesure où les conditions prévues par la loi ne sont pas satisfaites.

                                                                                                               [Je souligne]

[43]      En somme, ce n’est pas une fois, de manière isolée, mais bien deux fois que le jury entend le juge insister erronément sur la nécessité de retenir le témoignage de Mme Binette pour être en mesure d’acquitter l’appelant. En outre, à un autre moment, le juge dira au jury :

Si vous retenez l’un de ces moyens [nécessité et légitime défense], l’accusé doit être acquitté […]. Si vous ne retenez pas l’un des moyens, vous devez poursuivre votre analyse […].

                                                                                                               [Je souligne]

[44]      La directive décrite plus haut s’apparente à une erreur de type « Miller », selon l’arrêt R. v. Miller (1991), 1991 CanLII 2704 (ON CA), 68 C.C.C. (3d) 517 (Ont. C.A.), expression reprise par la Cour notamment dans R. c. Leblanc2001 CanLII 12528 et R. c. Ranwez2004 CanLII 20539, alors que le juge Proulx écrit :

[31] Puisqu'un jury doit apprécier toute la preuve et non seulement celle qu'il retient, notre Cour fut d'avis que cette manière d'apprécier la preuve était inappropriée, nous fondant sur l'arrêt Miller: «It [is] a misdirection to instruct the jury to examine the evidence in a first stage, to eliminate all evidence except that which the jurors accepted as true and reliable (a lower standard than proof beyond a reasonable doubt), and then to consider only the residual in arriving at their verdict».

[…]

[35] L'appréciation de la preuve et l'application de la norme de preuve requièrent que le jury ait d'abord compris ce que constitue la preuve ou son contenu : une erreur de type Miller tend donc à vicier l'ensemble du processus.

[36] Il est donc erroné d'inviter le jury à scinder sa démarche et à ne retenir que la preuve qu'il considère crédible et fiable. Le doute raisonnable peut résulter autant d'une preuve que le jury rejette ou ne croit pas, que de celle qu'il retient […].

[45]      Dans Miller, la Cour d’appel de l’Ontario ajoute, à la page 543 :

[…] evidence which is neither rejected nor accepted should survive to the final stage of the jury’s determination on the crucial application of reasonable doubt.

[46]      La directive dans le présent dossier n’est bien sûr pas identique à celle analysée dans Miller, mais elle transmet le même message : il faut retenir le témoignage pour qu’il puisse fonder un doute raisonnable : voir par exemple R. c. Subramaniam2022 BCCA 141, paragr. 63 à 65.

[47]      Cette erreur n’est pas anodine ou sans conséquence.

Une accusation pendante d'un témoin de la défense n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à sa crédibilité, sauf si la Poursuite peut en démontrer la pertinence

Hunt c. R., 2022 QCCA 805



[59]      L’appelant se plaint que la poursuite a été autorisée à contre-interroger Mme Binette sur les accusations pendantes auxquelles elle devait faire face. Selon lui, cela lui a causé un préjudice sérieux, portant même atteinte à l’équité du procès, surtout que, dès après le contre-interrogatoire, le juge a indiqué au jury qu’il pouvait en tenir compte pour évaluer sa crédibilité :

Alors, je vais maintenant vous donner une directive relativement aux causes pendantes du témoin Mélanie Binette. Je vais profiter de ce moment qui suit le témoignage entendu de madame Mélanie Binette. Je ne vous ai pas donné de semblables directives jusqu’à maintenant. Alors voici la directive, Mélanie Binette a témoigné à l’effet qu’elle avait des causes pendantes.

Une première cause pendante concernant deux (2) chefs de meurtre au premier degré et un (1) chef de tentative de meurtre pour un événement du premier (1er) décembre deux mille seize (2016). Une deuxième cause pendante du dix-sept (17) avril deux mille dix-sept (2017) pour une possession de stupéfiants dans le but de trafic.

Une troisième cause pendante du quatre (4) décembre deux mille dix-huit (2018) pour une entrave à la justice. Je vous indique qu’une cause pendante n’est pas une condamnation. Madame Mélanie Binette bénéficie de la présomption d’innocence pour chacune de ces causes pendantes. Une (1) ou des causes pendantes peuvent vous servir à évaluer la crédibilité du témoignage d’un témoin et la valeur à y accorder.

Une (1) ou des causes pendantes ne rendent pas nécessairement peu crédible ou digne de foi la preuve présentée par le témoin. Elles ne constituent que l’un des nombreux facteurs que vous devez tenir compte pour évaluer le témoignage de madame Mélanie Binette. Alors, c’était ma directive en droit.

[60]      Comme telle, une accusation pendante n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à la crédibilité, sauf lorsque l’on peut en démontrer la pertinence, par exemple, si elle permet de croire que le témoin pourrait avoir intérêt à favoriser une partie : Titus c. R., 1983 CanLII 49 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 259, à la page 263. Par ailleurs, les faits sous-jacents à une accusation pendante peuvent parfois être pertinents à l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, s’il ne s’agit  évidemment pas de l’accusé. Ainsi, dans Poitras c. R.2011 QCCA 1677, la Cour cite avec approbation ce passage de R. v. Gonzague1983 CanLII 3541 (ON CA), [1983] O.J. No. 53, (Ont. C.A.) :

[…] Clearly, the fact that a person is charged with an offence cannot degrade his character or impair his credibility, but an ordinary witness unlike an accused may be cross-examined with respect to misconduct on unrelated matters which has not resulted in a conviction: see R. v. Davison, DeRosie and MacArthur (1974), 1974 CanLII 787 (ON CA), 20 C.C.C. (2d) 424 at 443-4, O.R. (2d) 103. Consequently, counsel was entitled to cross-examine the witness, Charbonneau, on the facts underlying the 15 charges of fraud in order to impeach his credibility.

[61]      Les arrêts R. v. John2017 ONCA 622, paragr. 59, et R v. Pascal2020 ONCA 287, paragr. 109-110, vont dans le même sens.

[62]      Il va de soi que le juge a commis une erreur en permettant un tel contre-interrogatoire alors qu’il n’y avait aucun fondement démontrant sa pertinence et qu’il ne portait pas sur des faits sous-jacents qui auraient pu être pertinents à l’évaluation de la crédibilité. Il a aussi erré en instruisant le jury de la sorte immédiatement après le contre-interrogatoire. En revanche, j’estime qu’aucun tort important n’a été causé à l’appelant. Je m’explique.

[63]      Premièrement, l’opposition de l’appelant au contre-interrogatoire ne portait pas précisément sur l’existence d’accusations pendantes, mais bien sur le danger que ce contre-interrogatoire « devienne une façon détournée de mettre en preuve que madame a eu une implication dans un comportement post délictuel qui est en… évidemment, qui n’a pas été amené... ». La préoccupation de la défense portait sur la possibilité de mettre en preuve, de façon détournée, un comportement postdélictuel de l’appelant sous prétexte que Mme Binette y aurait participé. C’est à cette préoccupation que répond le juge en avisant les parties, hors jury, de ne pas présenter une preuve susceptible d’impliquer l’appelant dans l’une des causes pendantes de Mme Binette :

[…] le Tribunal doit prendre des précautions en ce sens que je veux m’assurer que le témoin n’amène pas un sujet qui pourrait être un sujet qui impliquerait monsieur Hunt dans une cause pendante.

[64]      Deuxièmement, dans ses directives finales, même en parlant précisément du témoin Mélanie Binette, le juge ne fait aucunement mention des accusations pendantes. Il ne traite que des condamnations antérieures. Voici ce qu’il dit :

Vous avez entendu que David Binette, Sean Lee et Mélanie Binette ont été dans le passé reconnus coupables d’infractions criminelles. Vous pouvez utiliser cette ou ces condamnations pour vous aider à décider jusqu’à quel point vous accordez foi à leur témoignage. Concernant les témoins David Binette et Mélanie Binette, ces derniers ont indiqué avoir été condamnés plusieurs fois. […]

Concernant Mélanie Binette, cette dernière a admis avoir été condamnée en 2008 pour trafic de stupéfiants. En 2011, pour trafic de stupéfiants. En 2014, pour vol de plus de cinq mille (5 000$). En 2015, pour possession de stupéfiants dans le but de trafic, complot et bris de conditions et une peine de deux ans d’emprisonnement lui a été infligée. 

Certaines condamnations, par exemple, celles comportant un élément de malhonnêteté peuvent être plus pertinentes que d’autres. De plus, une condamnation plus ancienne pourrait être moins pertinente qu’une condamnation plus récente. Une condamnation antérieure ne rend pas nécessairement le témoignage de ces témoins non crédible ou digne de foi. Ce n’est qu’un des nombreux facteurs dont vous devez tenir compte dans votre évaluation de leur témoignage.

[65]      Rien sur les causes pendantes.

[66]      Troisièmement, les causes pendantes de meurtres et de tentative de meurtre ne risquaient pas vraiment de causer préjudice à l’appelant, malgré l’importance de Mme Binette pour sa défense. Comme celle-ci, au début du procès, était coaccusée, le jury était d’emblée au courant des accusations de meurtres et de tentative de meurtre portées contre elle, de sorte que, de toute façon, le jury connaissait déjà l’existence de ces causes pendantes. En ce sens, rappeler ce fait lors du contre-interrogatoire était inoffensif et n’a pu avoir quelque incidence sur le verdict.

[67]      Quatrièmement, Mme Binette était accusée dans un dossier de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic depuis 2017. Dans la mesure où il a aussi été mis en preuve qu’elle avait des antécédents judiciaires de trafic, possession simple et possession de stupéfiants dans le but d’en faire le trafic entre 2011 et 2015 , l’ajout d’une cause pendante du même type à une époque contemporaine n’a pu avoir de réelle incidence sur l’évaluation de sa crédibilité par le jury. Et cela est sans compter ses condamnations antérieures de vol de plus de 5 000 $, de bris d’engagement et de complot, qui avaient également été mis en preuve et dont l’impact sur sa crédibilité pouvait être encore plus grand que celui d’infractions en rapport avec des stupéfiants (selon les mots mêmes du juge : « Certaines condamnations, par exemple, celles comportant un élément de malhonnêteté peuvent être plus pertinentes que d’autres »).

[68]      Cinquièmement, compte tenu des nombreux antécédents judiciaires de Mme Binette, de sa relation avec l’appelant, du fait que le juge n’a pas rappelé au jury l’existence d’accusations pendantes dans ses directives finales, se limitant aux condamnations antérieures, il est difficile de voir comment le simple fait de mettre aussi en preuve l’existence d’une autre accusation pendante d’entrave à la justice a pu avoir une réelle incidence sur le verdict.

[69]      Bref, à mon avis, ce moyen d’appel doit être rejeté.

La requête de type Corbett a pour objectif de restreindre le contre-interrogatoire de la poursuite sur les antécédents de l'accusé

Pallagi c. R., 2024 QCCA 1694

Lien vers la décision


[14]      L’appelant a un long casier judiciaire, ayant notamment été déclaré coupable de tentative de meurtre, d’enlèvement, de vol à main armée, de possession et utilisation d’une arme à feu prohibée et arme à autorisation restreinte, de vol, d’évasion d’une garde légale, de violation des conditions, de méfait, d’entrave au travail d’un officier de police, et de possession de drogues, parmi d’autres.

[15]      L’appelant ayant choisi de témoigner au procès pour démentir avoir commis les vols qualifiés et pour suggérer qu’un tiers en était l’auteur, il a présenté une requête de type Corbett sollicitant une ordonnance restreignant le contre-interrogatoire de la poursuite sur ses antécédents à ceux qui n’impliquaient pas de violence physique, d’arme à feu ou de vol qualifié[10].

[16]      Le juge a accueilli en partie la requête, en interdisant toute mention des déclarations de culpabilité pour tentative de meurtre et enlèvement pendant le contre-interrogatoire. Toutefois, il a autorisé la poursuite à poser des questions sur toutes les autres condamnations, y compris celles pour vol qualifié.

[17]      L’appelant fait appel en ce qui concerne ses condamnations antérieures pour vol qualifié. Il ne nie pas que sa crédibilité est l’une des questions au cœur du procès[11]. Il reconnaît également que les condamnations antérieures sont admissibles en preuve et que leur exclusion est l’exception[12]. Il reconnaît en outre que le vol qualifié peut être assimilé à une conduite malhonnête [traduction] « dans la mesure où la duperie est implicite dans l’élément de vol de cette infraction »[13]. Toutefois, il prétend, vu que les condamnations antérieures pour vol qualifié visent des gestes de même nature que les accusations pesant contre lui au procès, qu’il existe un risque réel que le jury interprète ces condamnations antérieures comme la preuve d’une propension à commettre des vols qualifiés[14]. Par conséquent, l’appelant soutient que le juge de première instance a erré en concluant que l’effet préjudiciable des condamnations antérieures pour vol qualifié ne l’emportait pas sur leur valeur probante.

[18]      Le juge de première instance a expliqué en ces termes sa décision de ne pas exclure les condamnations pour vol qualifié[15] :

[traduction]

[50]      À l’issue de son interrogatoire principal, M. Pallagi a demandé à la Cour de reconsidérer sa décision sur la requête de type Corbett. Il a demandé que ses condamnations pour vol qualifié soient présentées comme des condamnations pour vol. La Cour a confirmé sa décision pour les motifs suivants :

50.1.     Tenant pour acquis que la décision sur la requête de type Corbett peut être modifiée à ce stade, je confirme toutefois cette décision.

50.2.     Il n’y a pas lieu d’exclure les condamnations pour vol qualifié. La valeur probante de ces condamnations l’emporte encore sur leur effet préjudiciable. La preuve de la défense ne s’écarte pas nettement de ce qui a été divulgué. Les antécédents criminels de M. Pallagi demeurent d’une grande utilité pour apprécier sa crédibilité, à la lumière de tous les facteurs pertinents, dont la nécessité de ne pas présenter un portrait déformé de la réalité au jury, étant donné que le témoignage de M. Pallagi suggère que d’autres individus ont perpétré les vols qualifiés.

[…]

[54]      En effet, la crédibilité de M. Pallagi est l’une des questions en litige. Il proclame son innocence et désigne un tiers responsable des braquages de banque dont il est accusé. Le jury a le droit d’apprécier sa crédibilité à la lumière de toute l’information pertinente. Exclure ses condamnations pour des infractions graves contre la personne brosserait un portrait déséquilibré et trompeur de la réalité. L’extrait suivant des motifs du juge en chef Dickson dans l’arrêt Corbett, aux paragraphes 35 et 36, s’applique bien à la présente situation :

35.        Il y a peut‑être le risque que le jury, si on lui apprenait que l’accusé a un casier judiciaire, attache à ce fait plus d’importance qu’il ne le devrait. Cependant, la dissimulation du casier judiciaire d’un accusé qui témoigne prive le jury de renseignements se rapportant à sa crédibilité et crée un risque sérieux que le jury obtienne une description trompeuse de la situation.

36.        À mon avis, la meilleure façon de réaliser l’équilibre et d’atténuer ces risques est de fournir au jury des renseignements complets, mais de lui donner, en même temps, des directives claires quant à l’usage limité qu’il doit faire de ces renseignements. Les règles qui imposent des restrictions aux renseignements pouvant être portés à la connaissance du juge des faits devraient être évitées sauf en dernier recours. Il vaut mieux s’en remettre au bon sens des jurés et leur donner tous les renseignements pertinents, à condition que ceux‑ci soient accompagnés de directives claires dans lesquelles le juge du procès précise les limites de leur valeur probante en droit.

[55]      Qui plus est, le mépris persistant de l’accusé pour la loi est pertinent pour apprécier sa crédibilité. Ses nombreuses condamnations, notamment pour des crimes violents, pourraient témoigner de son manque de respect pour les lois, les règles de la société et la vérité (Tremblay c. R., 2006 QCCA 75, paragr. 18R. v. Saroya,1994 CanLII 955 (C.A. Ont.), paragr. 10R. v. Charland1996 ABCA 30, paragr. 36confirmé par R. c. Charland[1997] 3 R.C.S. 10061997 CanLII 300R. v. Ivey2003 CanLII 29755 (Q.C. Qué.), paragr. 14).

[56]      Plus particulièrement s’agissant des condamnations pour vol qualifié, bien que violentes par nature, ces infractions impliquent aussi une certaine malhonnêteté. Ce facteur plaide pour leur admission aux fins de l’appréciation de la crédibilité (LSJPA—10372010 QCCA 1627, paragr. 155; voir également Gabriel c. R.2020 QCCA 1210, paragr. 88). S’il est vrai que ces infractions sont semblables aux infractions visées par l’acte d’accusation, les exclure minimiserait indûment la gravité et la constance du casier judiciaire de M. Pallagi (R. v. Clarke2014 ONCA 777, paragr. 4-11).

[19]      Conformément à ces conclusions, dans ses directives au jury, le juge de première instance a expliqué aux jurés qu’ils ne devaient pas considérer les condamnations antérieures de l’appelant comme une preuve de sa propension à commettre des vols qualifiés, mais qu’ils devaient tenir compte de ces condamnations exclusivement pour évaluer la crédibilité de son témoignage[16].

[traduction]

(E) condamnations antérieures

[66]      Vous avez entendu que M. Pallagi a déjà été déclaré coupable d’un certain nombre d’infractions criminelles. La défense a choisi de divulguer d’emblée le casier judiciaire de M. Pallagi. L’avocat de la poursuite l’a également interrogé à cet égard. Vous ne devez pas considérer le fait que M. Pallagi a commis des crimes par le passé comme une preuve qu’il a commis les crimes dont il est accusé.

[67]      Vous ne pouvez tenir compte des condamnations antérieures que pour vous aider à déterminer quel poids donner au témoignage de M. Pallagi. Prenez en considération le nombre, la nature et les dates des condamnations antérieures. Certaines condamnations, par exemple celles pour des infractions impliquant une certaine malhonnêteté, pourraient être plus pertinentes que d’autres. De la même façon, une condamnation plus ancienne pourrait être moins importante qu’une condamnation plus récente.

[68]      L’existence de condamnations antérieures ne rend pas forcément le témoignage de M. Pallagi non crédible ou non fiable. Ce n’est que l’un des nombreux facteurs à prendre en compte dans l’appréciation du témoignage de M. Pallagi.

[69]      J’insiste : vous ne devez pas vous appuyer sur la preuve des condamnations antérieures pour conclure que M. Pallagi est une personne de mauvaise moralité et qu’il est par conséquent probable qu’il a commis les crimes dont il est accusé.

(F) Interdiction de la preuve de mauvaise moralité et de la preuve de propension contre l’accusé

[70]      Il est possible que vous pensiez, vu la preuve, que M. Pallagi a un mode de vie douteux, un comportement répréhensible ou des relations discutables.

[71]      Dans notre système de justice, nous jugeons les accusés pour les chefs énumérés dans l’acte d’accusation, et non pour quelque autre conduite répréhensible passée ou présente, leur mode de vie, leur réputation, leur mauvaise moralité ou leur disposition. Vous ne pouvez pas inférer que M. Pallagi est coupable du fait qu’il est le genre de personne qui est susceptible de commettre une infraction criminelle. Un tel raisonnement est injuste, inutile et trompeur et n’a pas sa place dans une cour de justice.

[72]      Et, comme je viens de le dire, le casier judiciaire de M. Pallagi ne doit servir qu’à évaluer la crédibilité de son témoignage.

[20]      Nous ne voyons aucune erreur dans le raisonnement du juge de première instance.

[21]      Comme la Cour l’a statué dans l’arrêt Tremblay c. R.[17], un mépris persistant des lois est pertinent dans l’appréciation de la crédibilité d’un témoin. Bien qu’il puisse exister des situations dans lesquelles un tribunal de première instance estime souhaitable de priver le jury d’informations sur des condamnations antérieures, chaque cas doit être décidé sur la base des faits propres à l’espèce, étant entendu que l’admissibilité des condamnations antérieures devrait être favorisée plutôt que leur exclusion, comme le notait le juge en chef Dickson dans l’arrêt Corbett[18] :

Je suis d’accord avec mon collègue le juge La Forest pour dire que les règles fondamentales du droit de la preuve comportent un principe d’inclusion en vertu duquel il est permis de produire en preuve tout ce qui sert logiquement à prouver un fait en litige, sous réserve des règles d’exclusion reconnues et des exceptions à celles‑ci. Pour le reste, c’est une question de valeur probante. La valeur probante d’un élément de preuve peut être forte, faible ou nulle. En cas de doute, il vaut mieux pécher par inclusion que par exclusion et, à mon avis, conformément à la transparence de plus en plus grande de notre société, nous devrions nous efforcer de favoriser l’admissibilité, à moins qu’il n’existe une raison très claire de politique générale ou de droit qui commande l’exclusion.

[Soulignement ajouté]

[22]      En l’espèce, l’appelant a décidé de témoigner tant pour démentir son implication dans les vols qualifiés que pour orienter les soupçons vers un tiers. Ce faisant, il a fait de sa crédibilité un élément central du procès. Dans ce contexte, le juge de première instance n’a commis aucune erreur révisable en admettant les condamnations antérieures pour vol qualifié, ses directives au jury étant une manière adéquate de gérer l’effet préjudiciable des condamnations en ce qui a trait à la propension.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...