mercredi 8 septembre 2010

Lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l’incarcération

R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61

109 Bien que l’incarcération puisse produire des effets dénonciateurs et dissuasifs plus grands que l’emprisonnement avec sursis, cette dernière mesure sera généralement plus propice à la réalisation des objectifs correctifs de réinsertion sociale des délinquants, de réparation des torts causés et de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités. Comme l’a mentionné notre Cour dans Gladue, précité, au par. 43, «[l]es objectifs correctifs ne concordent habituellement pas avec le recours à l’emprisonnement». Il ne faut pas sous‑estimer l’importance de ces objectifs, car ils sont le principal facteur d’abaissement du taux de récidive. En conséquence, lorsque les objectifs de réinsertion sociale, de réparation des torts causés et de prise de conscience des responsabilités peuvent réalistement être atteints dans le cas d’un délinquant donné, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement la sanction appropriée, sous réserve de la prise en compte des considérations de dénonciation et de dissuasion exposées plus tôt.

110 Je vais maintenant examiner certains exemples de conditions tendant à la réalisation de ces objectifs. Un juge peut assortir une ordonnance d’une multitude de conditions visant à la réinsertion sociale du délinquant. Des ordonnances de participation obligatoire à un traitement peuvent être rendues, notamment en matière de counseling psychologique et de désintoxication. Il est notoire que le fait de condamner un délinquant à l’incarcération par suite d’une infraction reliée à la dépendance à la drogue sans s’attaquer à ce problème n’aboutira probablement pas à la réinsertion sociale de l’intéressé. Dans le Rapport final de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales (1973), on a fait l’observation suivante, aux pp. 55 et 56:

Ces effets néfastes de la prison sont particulièrement manifestes dans le cas des délits relatifs aux stupéfiants. D’après nos recherches, les stupéfiants sont très répandus dans les établissements pénitentiaires, les détenus s’y asservissent davantage à leur habitude et dans nombre de cas ils font même la découverte de nouveaux emplois de la drogue. La prison ne coupe pas le détenu du monde de la drogue, mais l’expose au contraire à l’influence de toxicomanes et d’usagers des drogues dangereuses.

111 La détention à domicile est une autre mesure qui peut contribuer, dans une certaine mesure, à la réinsertion sociale du délinquant, en ce qu’elle l’empêche de maintenir ses fréquentations antisociales en plus de favoriser des comportements socialement souhaitables tels que l’assiduité au travail ou aux cours: voir Roberts, «The Hunt for the Paper Tiger: Conditional Sentencing after Brady», loc. cit., à la p. 65.

112 L’emprisonnement avec sursis peut aussi favoriser l’atteinte de l’objectif de réparation des torts causés à la victime et à la collectivité, et de l’objectif de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. Dans certains cas, par exemple, l’ordonnance de sursis peut être assortie de l’obligation de dédommager la victime. En outre, le fait d’imposer au délinquant une ordonnance de service communautaire peut l’aider à réparer les torts qu’il a causés à la collectivité et l’amener à prendre conscience de ses responsabilités. À cet égard, constituerait une possibilité intéressante une ordonnance l’obligeant à parler en public des conséquences malheureuses de sa conduite, dans la mesure où le délinquant est ouvert à une telle condition. Non seulement une telle ordonnance pourrait‑elle amener le délinquant à prendre conscience de ses responsabilités et à reconnaître les torts qu’il a causés, mais elle pourrait également favoriser la réalisation de l’objectif de dissuasion générale, comme je l’ai indiqué précédemment. À mon avis, il y a lieu d’encourager le recours aux ordonnances de service communautaire, dans la mesure évidemment où il existe des programmes appropriés pour le délinquant dans la collectivité concernée. Si les tribunaux recourent davantage aux ordonnances de service communautaire, le public considérera que les délinquants s’acquittent de leur dette envers la société. Une telle mesure aura également pour effet d’aider à accroître le respect de la loi par le public.

113 En résumé, au moment de décider si l’octroi du sursis à l’emprisonnement est conforme à l’objectif essentiel et aux principes de la détermination de la peine, le juge qui détermine la peine doit se demander quels sont les objectifs qui apparaissent prépondérants au regard des faits du cas dont il est saisi. Lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l’incarcération. Pour décider s’il est possible de réaliser des objectifs correctifs dans une affaire donnée, le juge doit étudier les chances de réinsertion sociale du délinquant, notamment en tenant compte de tout plan de réadaptation proposé par ce dernier, de l’existence de programmes appropriés de service communautaire et de traitement dans la collectivité, de la question de savoir si le délinquant reconnaît ses torts et manifeste des remords, ainsi que des souhaits exprimés par la victime dans sa déclaration (que le tribunal doit prendre en considération suivant l’art. 722 du Code). Cette liste n’est pas exhaustive.

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