lundi 9 décembre 2013

Le vol de données informatiques

Cormier c. R., 2013 QCCA 2068 (CanLII)


[82]        Par ailleurs, contrairement au point de vue adopté par le juge Chamberland, j’estime que les faits à l’origine de l’accusation de vol sont sans lien avec la notion de données informatiques. Selon la trame factuelle acceptée en preuve par la juge de première instance, l’acte criminel concerné, s’il en est un, ne peut se rapporter qu’au détournement frauduleux par l’appelant de documents décrivant le projet Fil d’Ariane. Il s’ensuit que les biens, objets du vol allégué, doivent être qualifiés de tangibles et, pour les raisons qui vont suivre, de non confidentiels.
[83]        Cela dit, je suis d’accord pour reconnaître, selon le contexte, que les données informatiques sont de par leur nature des choses intangibles. Cependant, dès le moment où une chose intangible est fixée sur support papier – comme c’est le cas en l'espèce – j’estime que cette chose devient désormais tangible.
[84]        C’est d’ailleurs ce que soulignait le juge Lamer dans l’arrêt Stewart :
La « prise » d’une chose intangible ne peut se produire que lorsque cette chose fait corps avec un objet tangible, par exemple un chèque, un certificat d’actions ou une liste contenant des renseignements. Toutefois, il ne s’agirait pas alors de la prise de la chose intangible elle-même, mais plutôt de l’objet matériel qui en constate l’existence.
[Soulignement ajouté]
[85]        La preuve fait voir que l’appelant a participé de manière importante à l’élaboration du projet Fil d’Ariane dont il en est en partie le concepteur. Son mandat, en sa qualité de consultant, a été d’en faire la promotion auprès des utilisateurs potentiels. Dans ce contexte, il n’y a rien d’anormal à ce que le produit d’une construction de l’esprit soit rangé dans un fichier électronique pour ensuite, le cas échéant, être reproduit sur support papier.
[86]        C’est pour cette raison que la poursuite a insisté pour dire que l’acte répréhensible visé par l’accusation ne concernait pas tant le caractère informatique de l’information détenue par l’appelant, ni d’ailleurs sa nature confidentielle, mais résidait plutôt dans l’appropriation illégale à des fins personnelles du projet en cause. Bref, elle soutient que le seul objet de ce pourvoi quant à l’accusation de vol consiste à décider si la preuve administrée en première instance démontrait hors de tout doute raisonnable que l’appelant avait détourné à son propre usage le projet Fil d’Ariane.

[89]        Aussi, il n’a pas été démontré que le résultat des travaux de l’appelant et de son groupe était de nature confidentielle. Comme le font voir les pièces déposées en preuve en première instance, avant même la rencontre avec le témoin Desmarais, cette information était déjà dans certains milieux l’objet d’une large diffusion, ayant été aussi le sujet d’une présentation dans un centre universitaire.
[90]        Quant à la matérialité de cette preuve, elle fait aucun doute dans la mesure où le témoin Desmarais atteste avoir reçu de l’appelant des documents associés au projet Fil d’Ariane.
[91]        Bref, j’estime que l’objet du vol dont a été accusé l’appelant, en l’occurrence le projet Fil d’Ariane, était un bien tangible représenté par des documents susceptibles d’être connus de la part d’un public ciblé. D’ailleurs, ces constats ne me semblent pas remis en question par les parties. Or, une fois ces conclusions tirées, la preuve d’un vol de « données informatiques » est tout simplement lacunaire.
[92]        Si maintenant on accepte d’analyser l’accusation de vol selon la thèse défendue par la poursuite, il faut alors se demander si la preuve démontrait hors de tout doute raisonnable que l’appelant avait détourné à son usage le projet Fil d’Ariane dans l’intention de priver la Commission scolaire de la Jonquière et sa créature, le Centre des services aux entreprises, de l’intérêt que ces institutions détiennent dans ce projet.
[93]        Dans l’arrêt Stewart, le juge Lamer affirme que le fait de copier des renseignements ne peut constituer un vol puisque le propriétaire ne se voit privé ni de l’usage ni de la possession de ces renseignements.

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