lundi 16 mars 2015

Une personne morale ou ses dirigeants ont-ils droit à la protection de la Charte contre des effets auto‑incriminants?

British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 RCS 3, 1995 CanLII 142 (CSC)


39               Le droit de ne pas s'incriminer est un droit personnel qui sert à protéger le droit à la liberté d'un particulier.  Une personne morale ou ses dirigeants ont-ils droit à la protection de la Charte contre des effets auto‑incriminants?  Nous ne croyons pas qu'un droit de ne pas s'incriminer puisse s'appliquer utilement à des entités morales.  C'est contre l'effet auto‑incriminant de la contrainte que la Charte protège.  C'est une protection physique qui ne peut pas aisément être étendue aux personnes morales.  Les propos que tient le juge Sopinka dans l'arrêt Amway, précité, à la p. 40, sont pertinents:

                  Appliquant à l'al. 11c) une interprétation fondée sur l'objet visé, je suis d'avis que cette disposition vise à protéger l'individu contre toute atteinte à sa dignité et à sa vie privée, inhérente à une pratique qui permet à la poursuite d'obliger la personne inculpée à témoigner elle‑même.  Bien qu'il y ait mésentente quant au fondement du principe interdisant l'auto‑incrimination, j'estime que ce facteur joue un rôle dominant.

                  Aux États‑Unis, c'est ce facteur qui explique en grande partie le refus d'appliquer la protection du Cinquième amendement aux sociétés.  La situation américaine est résumée dans le passage suivant de Paciocco, Charter Principles and Proof in Criminal Cases, à la p. 459:

                  [TRADUCTION]  Sous réserve de cet obstacle de taille, il appert que la façon la plus logique de régler les litiges que soulève l'application des dispositions de la Charte aux sociétés est de les interpréter en fonction de leur objet.  Même si l'on procède ainsi, on ne devrait pas conclure que l'article 13 s'applique aux sociétés en considérant que certains de leurs dirigeants sont la société aux fins de témoigner.  Et ce, parce que le principe qu'un accusé ne devrait jamais être conscrit contre lui‑même par son adversaire pour le vaincre ne s'étend pas aux sociétés d'une manière significative.  Comme on l'affirme dans Wigmore on Evidence en rappelant la position américaine selon laquelle le privilège de ne pas s'incriminer ne s'applique pas aux sociétés «(c)e sentiment [. . .] est presque entièrement réservé aux personnes physiques.»  Pourquoi?   Parce qu'il se rapporte à la valeur intrinsèque des êtres humains et à la nécessité de leur accorder un droit significatif à la vie privée jusqu'à ce que soit soulevée la perspective réelle de leur culpabilité afin qu'ils soient véritablement libres. «(U)ne société, contrairement à un individu, ne peut subir les affronts qui sont interdits par la protection qu'offre l'amendement à la personne de l'accusé et à ses pensées».  [Nous soulignons.]

40               Il est maintenant bien établi qu'une société ne peut se prévaloir de la protection offerte par l'art. 7 de la Charte.  Dans l'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général)1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 927, notre Cour affirme que le terme «Chacun», à l'art. 7, exclut les sociétés et toute autre entité morale qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et ne comprend que les êtres humains.  Cependant, comme nous l'avons déjà mentionné dans notre analyse de la contrainte à témoigner, Branch et Levitt, en tant que représentants de la société en cause, peuvent bénéficier d'une immunité dans la mesure où ils sont personnellement compromis par leur propre témoignage.  En conséquence, tout dépend de la nature de la contrainte.

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