lundi 26 février 2024

La preuve circonstancielle peut établir hors de tout doute raisonnable l'identité du conducteur d'un véhicule

Bakalis c. R., 2021 QCCS 3990 

Lien vers la décision


[7]           Une agente de police témoigne qu’elle est en patrouille avec une collègue lors du quart de nuit du 7 juillet 2019. À 4 h 01, les policières reçoivent un appel au sujet d’un accident de la route survenu sur l’autoroute 15 Nord, aux alentours du boulevard Cartier, à Laval. Les policières se rendent sur les lieux de l’accident en urgence. Elles y arrivent à 4 h 16. Elles constatent alors qu’un véhicule endommagé est immobilisé dans l’accotement de gauche, au niveau d’un terre-plein central, et qu’un homme seul, qui s’avère être M. Bakalis, se tient à proximité.

[8]           Une policière s’adresse à M. Bakalis pour s’enquérir de sa condition et des circonstances de l’accident (les déclarations faites par M. Bakalis à ce moment sont jugées inadmissibles à la suite d’un voir-dire). M. Bakalis est poli et coopératif. Il semble un peu ébranlé, bien qu’il ne soit pas blessé. Il dégage une légère odeur d’alcool et ses yeux sont rouges.

[9]           Par ailleurs, selon les policières, l’accident est vraisemblablement contemporain à l’appel reçu, car, bien souvent, ce genre d’appel est logé par des automobilistes qui signalent immédiatement ce qu’ils voient. Aussi, les policières notent que la circulation est « presque nulle » à ce moment.

[19]        En matière de preuve circonstancielle, l’arrêt R. c. Villaroman2016 CSC 33 de la Cour suprême du Canada enseigne que l’analyse consiste à examiner les inférences raisonnables pouvant être tirées de la preuve circonstancielle pour déterminer si ces inférences établissent la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. L’examen doit être fondé sur la logique et le bon sens. Ainsi, il importe de se mettre en garde contre le risque de combler les vides ou de sauter trop rapidement aux conclusions. De même, il faut se demander si la preuve circonstancielle supporte d’autres thèses ou possibilités raisonnables que la culpabilité, car un doute raisonnable peut émaner d’une inférence raisonnable incompatible avec la culpabilité. Cependant, une telle inférence disculpatoire doit être raisonnable, c’est-à-dire logiquement fondée sur la preuve ou sur une lacune dans la preuve. Les conjectures et hypothèses imaginaires ne peuvent pas susciter un doute raisonnable (voir aussi R. c. Mayuran2012 CSC 31, para. 38R. c. Griffin2009 CSC 28, para. 33R. c. Cooper1977 CanLII 11 (CSC)[1978] 1 RCS 860, p. 881; Sheikh c. R., 2020 QCCA 1266, para. 37, motifs dissidents approuvés à 2021 CSC 13; McClelland c. R., 2020 QCCA 324, para. 64-68Proulx c. R., 2016 QCCA 1425, para. 78-80R. c. Robinson2017 BCCA 6, para. 20-30).

[20]        M. Bakalis plaide que la preuve circonstancielle présentée au procès était insuffisante. Il soutient que le fait que la preuve n’a pas révélé qu’il était en possession des clés du véhicule au moment de son interpellation. Aussi, il reproche au juge d’avoir fait montre d’incohérence en affirmant, d’une part, que le conducteur ne pouvait être personne d’autre que M. Bakalis considérant la faible densité de la circulation à cette heure matinale et, d’autre part, qu’il n’a pas pu s’écouler une longue période avant que l’accident soit signalé par un automobiliste passant par là. Par ailleurs, il est acquis que l’appel à la police constituait du ouï-dire et ne prouvait ni l’accident ni le moment de celle-ci.

[21]        Il demeure que la situation de M. Bakalis, telle que décrite par la policière ayant témoigné, permettait amplement au juge du procès d’inférer hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule. Ensuite, cette preuve, bien qu’elle n’établissait pas l’heure précise de l’accident, permettait au juge d’inférer hors de tout doute raisonnable que cet accident était récent. La preuve du délai de deux heures pouvait être faite sans prouver exactement le moment de la cessation de la conduite. Au passage, mentionnons que le para. 320.31 (4) du Code criminel prévoit que l’alcoolémie dans ce délai peut être déterminée au moyen d’un rétrocalcul. Rappelons que M. Bakalis a été trouvé au petit matin, au milieu d’une autoroute, à Laval, à côté d’un véhicule accidenté enregistré à son adresse de résidence. Tout scénario disculpatoire relève de la spéculation ou de l’hypothèse imaginaire.

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