Poirier c. R., 2019 QCCA 131
[18] L’idée que les policiers ont le devoir de protéger la vie et la sécurité n’est pas controversée : voir notamment R. c. McDonald, 2014 CSC 3 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 37, par. 35. Même en l’absence d'un pouvoir législatif spécifique, les tribunaux ont reconnu que les policiers peuvent entrer sans mandat dans une maison d’habitation dans des situations urgentes où la sécurité d'une personne est en jeu : R. c. Lacasse, 2017 QCCA 808, par. 45.
[19] La conduite des policiers doit ensuite traduire un exercice nécessaire à l’accomplissement de ce devoir et particulièrement, il faut évaluer l’importance du devoir pour l’intérêt public, la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle pour l’accomplissement de ce devoir et l’ampleur de cette atteinte : R. c. McDonald, 2014 CSC 3 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 37, par. 36.
[20] L’arrêt Godoy en est l’illustration, dans un cas d’appel 9‑1‑1 soudainement interrompu. Évoquant l'importance du devoir qu'ont les policiers de protéger la vie, la Cour suprême a justifié l’entrée par la force dans la maison d’où avait été composé l’appel 9‑1‑1.
[21] Dans cet arrêt, le juge en chef Lamer, pour la Cour, écrivait que l’intervention motivée par la sécurité des personnes permettait légitimement, mais dans la mesure de ce qui est strictement nécessaire, la violation du droit à la vie privée :
… L’intérêt que présente pour le public le maintien d’un système d’intervention d’urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l’occupant. Cependant, j’insiste sur le fait que l’atteinte doit se limiter à la protection de la vie et de la sécurité. Les agents de police ont le pouvoir d’enquêter sur les appels au 911 et notamment d’en trouver l’auteur pour déterminer les raisons de l’appel et apporter l’aide nécessaire. L’autorisation donnée aux agents de police de se trouver dans une propriété privée pour répondre à un appel au 911 s’arrête là. Ils ne sont pas autorisés en plus à fouiller les lieux ni à s’immiscer autrement dans la vie privée ou la propriété de l’occupant.
R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 22.
[22] Il est de première importance de souligner que, dans la présente affaire, l’intervention policière n’est pas motivée par une enquête criminelle, une arrestation ou l’idée de préserver des éléments de preuve. Dans ces cas, un mandat est l’outil habituel nécessaire, sous réserve d’exceptions. Lorsque l’objectif est la sécurité des personnes, des soupçons raisonnables peuvent être suffisants, et la preuve doit démontrer une assise objective à la croyance subjective du policier voulant que la sécurité des personnes ou du public soit en jeu. Cette double exigence n’est pas nouvelle.
[23] S’agissant d’une résidence, il s’agit d’un lieu qui implique une attente considérable en matière de vie privée : R. c. McDonald, 2014 CSC 3 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 37, par. 26.
[24] Le fait que l’appel 9‑1‑1 ne provienne pas de la résidence est un élément contextuel qui n’est pas déterminant : R. c. Timmons, 2011 NSCA 39.par. 27.
[25] Clairement, les policiers n’ont pas à se satisfaire de la réponse reçue à la porte à leur arrivée : R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 20; R. c. Timmons, 2011 NSCA 39, par. 37.
[26] Toutefois, avant d’entreprendre une action contraire aux droits protégés par la Charte, et plus particulièrement l’entrée sans autorisation et la fouille d’une maison, les policiers doivent envisager des méthodes alternatives pour accomplir leur devoir de protéger la sécurité d’une personne visée par un appel 9‑1‑1 : R. c. Timmons, 2011 NSCA 39, par. 47; R. c. Jones, 2013 BCCA 345, par. 37.
[27] Cela dit, dans le doute, on s’attend que les policiers pèchent du côté de la sécurité : R. c. Jones, 2013 BCCA 345, par. 27; R. c. Serban, 2018 BCCA 382, par. 30.
[28] Le délai pour intervenir est également un élément contextuel pertinent, sans être déterminant. Dans un autre contexte, une enquête sur un crime, la Cour a également rejeté l’idée qu’un délai puisse en soi faire échec à l’exercice légitime d’un devoir : R. c. Grégoire, 2012 QCCA 846, par. 34; voir aussi R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 117 CCC (3d) 193 (C.A.O.).
[29] Plus récemment, l’arrêt Serban mettait en cause un appel 9‑1‑1 anonyme. Un individu avait placé l’appel d’une cabine téléphonique, dénonçant le fait qu’une personne âgée avait communiqué avec lui, que cette dernière se trouvait à une adresse et craignait pour sa sécurité en raison de bruits laissant croire à une introduction par effraction au sous-sol. Quatre policiers, dont un maître-chien, se sont rendus sur les lieux. En route, ils sont informés que l’adresse cache possiblement une production de cannabis. Cette information élève leurs craintes relativement à la sécurité des occupants. Sur les lieux, les policiers ont rapidement reconnu les indicateurs usuels d’une plantation de cannabis, mais il était évident que l’appel 9‑1‑1 était « faux ». Incapable d’écarter la question de sécurité de l’occupant, ils sont entrés et ont fouillé sommairement la résidence pour finalement placer l’appelant en état d’arrestation. La Cour a jugé l’entrée justifiée dans les circonstances et autrement, elle n’aurait pas exclu la preuve : R. c. Serban, 2018 BCCA 382.
[30] Au terme de l’analyse, comme le rappelait le juge en chef Lamer dans l’arrêt Godoy, « [c]haque affaire est un cas d'espèce et doit être évaluée en fonction de toutes les circonstances qui entourent l'événement » : R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 22. Bref, la légalité d’une entrée sans mandat pour une question de sécurité dépend des faits de chaque affaire et demeure une détermination factuelle.
*
[31] À n’en pas douter, le devoir qui incombe aux policiers de protéger la vie ne leur donne pas carte blanche pour entrer dans une maison d’habitation. L’appelant ne conteste pas ce devoir de protéger la vie. Il plaide essentiellement qu’à partir du moment où il est clair que personne ne se trouve dans la maison, les policiers ne peuvent plus prétendre exercer ce devoir d’assistance pour entrer. Sur ce point, l’appelant pourrait bien avoir raison, sauf que ce n’est pas ce que la preuve révèle. Celle-ci permettait au juge de retenir que les inquiétudes de Mme Lemire-Beaton étaient sérieuses, au point où les policiers ont cru nécessaire de la rappeler le lendemain pour la rassurer. Les policiers n’ont jamais nié qu’ils soupçonnaient la présence d’une production de cannabis à l’intérieur; cela a plutôt contribué à leurs propres inquiétudes devant le silence de l’occupant.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire