Bebawi c. R., 2023 QCCA 212
[55] L’article 8 de la Charte offre une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Il a pour objectif de « protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée » : Hunter et autres c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 160. Pour en réclamer l’application, la personne visée doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle « a des attentes raisonnables en matière de vie privée relativement à l’objet de l’action de l’État et aux renseignements auxquels cet objet donne accès » : R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 334, paragr. 34, repris dans R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608, paragr. 10. Tout est alors question d’attentes subjectives raisonnables évaluées à la lumière de l’ensemble des circonstances. Autrement dit, « l’accusé doit démontrer qu’il pouvait subjectivement, et de façon objectivement raisonnable, s’attendre au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la prétendue fouille » : R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320, paragr. 12.
[56] Il s’agit de savoir « si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi » : Hunter et autres c. Southam Inc., précité, p. 159-160. On recherche ainsi « un équilibre acceptable dans une société libre et démocratique entre les intérêts parfois contradictoires que constituent, d’une part, les intérêts en matière de respect de la vie privée nécessaires à la dignité et à l’autonomie de la personne, et, d’autre part, le besoin de vivre dans une société sûre et sécuritaire » : R. c. Mills, précité, paragr. 38.
[57] La légalité des opérations d’infiltration a été reconnue au Canada; elles ne constituent pas une fouille, ne briment pas une attente raisonnable au respect de la vie privée puisque la personne visée accepte volontairement de parler à l’agent d’infiltration et elles ne mettent donc pas en cause l’art. 8 de la Charte, sauf s’il y a enregistrement électronique de la conversation : R. c. Mills, précité, paragr. 42-43; R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30, p. 57; Contant c. R., 2008 QCCA 2514, paragr. 28 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 28 mai 2009, no 33038); Tremblay c. R., 2020 QCCA 1131, paragr. 31 et 35. Par conséquent, en principe, elles ne requièrent pas une autorisation judiciaire. Ajoutons que leur importance et leur légitimité ont également été reconnues : R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 94.
[58] La situation diffère lorsqu’il est question du rapport entre un avocat et son client alors que l’État « ne peut avoir accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat » : Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, précité, paragr. 24. Le motif sous-jacent à la recevabilité d’une preuve d’infiltration sans la nécessité d’une autorisation judiciaire (le consentement de la personne visée de parler aux policiers) ne s’applique pas sans restriction à l’avocat puisque celui-ci parlera vraisemblablement dans le contexte d’une relation privilégiée avec son client et qu’il ne pourra évidemment pas se relever lui-même de l’obligation de conserver le secret. Bref, le principe de l’absence de nécessité d’une autorisation judiciaire ne s’applique pas ici sans nuance.
[59] L’importance de ce privilège requiert des règles particulières, parfois sous forme de modalités d’exécution d’un moyen d’enquête (comme un mandat de perquisition au cabinet d’un avocat qui doit prévoir un mécanisme protégeant le privilège), parfois sous forme d’une obligation légale. Je n’ai aucune hésitation à formuler une telle obligation lorsqu’une opération policière cherche à infiltrer une relation client-avocat : tout citoyen possède un intérêt marqué en matière de vie privée lorsqu’il est question de ses interactions avec son avocat dans le cadre d’un mandat. C’est l’essence même du privilège du secret professionnel. Que ce mandat cache une activité légale ou illégale n’importe guère en ce qui a trait à l’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.
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