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dimanche 9 juin 2024

Le privilège du secret professionnel ne s'applique pas aux conseils donnés par un expert-comptable à son client

Tower c. M.R.N. (C.A.F.), 2003 CAF 307

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[36]La Cour suprême du Canada a reconnu l'existence de deux sortes de privilèges légaux--un privilège «générique» et un autre qui «dépend des conditions de chaque cas» (voir R. c. Gruenke1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 263, à la page 286). Les contribuables insistent à dire que leurs communications confidentielles avec M. Butalia, une fois bien comprises, peuvent se ranger dans l'une ou l'autre de ces catégories. Ils affirment que, d'après les éléments de preuve, ils ont traité avec Dunwoody et particulièrement avec M. Butalia, en tenant pour acquis que les conseils fiscaux qu'ils recevraient étaient confidentiels. Ils allèguent que s'ils avaient su que ces conseils ne pouvaient être protégés que dans le cadre du privilège du secret professionnel de l'avocat, ils n'auraient pas consulté Dunwoody sur ces questions.

[37]En 1990, notre Cour a confirmé que le privilège du secret professionnel ne s'applique pas aux conseils donnés par un expert-comptable à son client en rapport avec les dispositions de la Loi [Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 231.3 (mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 121)] portant sur les perquisitions et saisies (voir Baron c. Canada1990 CanLII 13083 (CAF), [1991] 1 C.F. 688 (C.A.)). De l'avis des contribuables, il est temps aujourd'hui de reconnaître un privilège générique aux communications entre les experts-comptables et les clients auxquels ils donnent des conseils fiscaux dans le cadre d'une relation professionnelle, et ce privilège devrait s'étendre à toutes les catégories de conseils fiscaux, qu'il s'agisse d'impôt sur le revenu, de taxe d'accise, de taxe sur les produits et services, de taxe de vente ou de taxe foncière. Ils font valoir que les catégories de privilèges ne sont pas immuables et qu'elles peuvent évoluer avec le temps par l'identification d'une nouvelle catégorie fondée sur des principes (voir le juge en chef Lamer dans R. c. Gruenke, précitée, aux pages 289 et 290).

[38]Je ne vois rien dans les observations des contribuables qui milite contre la décision antérieure de cette Cour dans Baron c. Canada, précitée. Le privilège du secret professionnel de l'avocat, qui est essentiel à la bonne administration de la justice, est nécessaire pour que le client puisse, à la faveur d'avis confidentiels, ester en justice et défendre ses droits contre des réclamations indues (voir R. c. McClure2001 CSC 14 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 445, aux paragraphes 31 à 35). Les avocats sont tenus par la loi et par leur code de déontologie de préserver et de protéger l'intérêt public dans l'administration de la justice (voir Fortin c. Chrétien2001 CSC 45 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 500, au paragraphe 49). Les comptables, par contre, ne sont pas assujettis à ces obligations et ils ne donnent pas d'avis juridiques, sinon ils contreviendraient aux lois provinciales et territoriales régissant la profession juridique. D'après mon analyse, aucune considération de politique générale prépondérante ne permet d'assimiler au privilège de l'avocat les conseils obtenus de comptables.

[39]Quant au privilège fondé sur les circonstances de chaque cas, la Cour suprême du Canada a statué que les principes énoncés par le professeur Wigmore dans son traité américain sur la preuve fournissent un cadre général permettant de déterminer si une communication est privilégiée ou non. Dans ce cadre, les considérations de politique et les exigences relatives à l'établissement des faits peuvent être pesées et équilibrées suivant l'importance relative qu'elles revêtent dans chaque cas. Par conséquent, il y aurait toujours lieu d'aborder la question du privilège fondé sur les circonstances de chaque cas en s'appuyant sur des principes et en tenant compte de chacun des quatre critères et des circonstances particulières à chaque cas (voir R. c. Gruenke, précitée, aux pages 289 et 290).

[40]Les quatre critères de Wigmore sont les suivants:

[traduction]

1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seront pas divulguées.

2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties.

3) Les rapports doivent être de la nature de ceux qui selon l'opinion de la collectivité doivent être entretenus assidûment.

4) Les préjudices permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision. [Non souligné dans l'original.]

(Voir John Henry Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, McNaughton Revision. (Boston: Little, Brown, 1961), à la page 527.)

[41]En discutant du premier critère de Wigmore, la Cour suprême du Canada s'est prononcée en ces termes: «il est absolument crucial que l'on s'attende à ce que les communications soient confidentielles [. . .] Sans cette expectative de caractère confidentiel, le privilège n'a pas de raison d'être» (voir R. c. Gruenke, précitée, à la page 292). Bien qu'un comptable agréé soit tenu, en vertu de son code de déontologie, d'assurer le caractère confidentiel de ses communications avec ses clients, il sait, ou est censé savoir, que ce caractère confidentiel est limité par le pouvoir du ministre d'exiger la divulgation. Par conséquent, Dunwoody et les contribuables ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombe de prouver que les rapports en cause étaient censés être suffisamment confidentiels pour satisfaire au premier critère de Wigmore.

[42]De même, les contribuables n'ont pas démontré que le caractère confidentiel était un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant de leur relation avec M. Butalia de façon à répondre au deuxième critère de Wigmore. Le caractère confidentiel peut être souhaité, comme il en va pour tous les rapports personnels et professionnels, mais ceux dont il s'agit en l'occurrence ne dépendaient pas, pour exister, de l'élément de confidentialité. En fait, la preuve indique que si M. Kitsch avait cru qu'aucun caractère confidentiel n'entrait en ligne de compte, il se serait malgré tout adressé au même cabinet d'experts-comptables pour obtenir des conseils en matière d'affaires ou de finances.

[43]De plus, les contribuables n'ont pas démontré que leurs rapports avec les comptables fiscalistes étaient de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être assidûment entretenus au point de bénéficier d'un privilège. Bien que le caractère confidentiel soit préférable, la relation entre un expert-comptable et son client n'est pas aussi fondamentale pour la société et l'administration de la justice que l'est la relation d'un avocat avec le sien.

[44]Les rares situations où la portée d'un privilège en fonction de chaque cas a été étendue à certaines communications bien précises avaient trait aux relations de médecins avec leurs patients, de thérapeutes en matière d'agression sexuelle et de membres du clergé. Ces relations sont assidûment entretenues au point de bénéficier éventuellement d'un privilège dans certaines circonstances bien définies. La raison en est bien simple. La société canadienne attache une bien plus grande valeur à l'intégrité physique, mentale et spirituelle d'une personne qu'à sa fortune. Il est établi que le fait de dissuader quelqu'un de consulter un médecin, un thérapeute en matière d'agression sexuelle ou un membre du clergé peut causer un préjudice et des souffrances inutiles. Ce qui peut arriver de pire à une personne qu'on décourage de prendre conseil au sujet de l'impôt sur le revenu, c'est de rater une occasion d'épargner de l'impôt, ce qui est peut-être regrettable, mais qui ne menace en rien son bien-être physique, mental et spirituel.

[45]Considérant le quatrième critère de Wigmore, il faut déterminer si l'intérêt qu'il y a à soustraire des communications à la divulgation l'emporte sur celui de connaître la vérité et de bien trancher le litige (voir M. (A.) c. Ryan1997 CanLII 403 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 157, aux paragraphes 16 et 31). L'évaluation du préjudice que subit la relation, comparé à l'avantage que présente le règlement correct d'une affaire, met en jeu des considérations d'ordre public. Comme l'a conclu le juge en chef McLachlin, à ce stade de l'analyse, une injustice occasionnelle ne devrait pas être acceptée pour prix de l'extension du privilège de non-communication. Il est vrai que les catégories de privilège traditionnelles comportent nécessairement ce risque d'injustice occasionnelle. Cela ne veut pas dire qu'en se fondant sur de nouveaux privilèges, «les tribunaux devraient tolérer à la légère l'accroissement de leur portée». (M.(A.) c. Ryan, précitée, paragraphe 32). Le préjudice éventuel résultant de la divulgation de renseignements contestés a été décrit au paragraphe 30 de ce jugement comme celui qui:

[. . .] perpétue le désavantage que ressentent les victimes d'agression sexuelle qui sont souvent des femmes. La nature intime de l'agression sexuelle accentue les craintes que la victime éprouve au sujet de sa vie privée et est susceptible d'augmenter la difficulté d'obtenir réparation [. . .] La victime d'une agression sexuelle est alors défavorisée par rapport à la victime d'un autre méfait [. . .] Elle est alors pénalisée doublement, d'abord par l'agression sexuelle elle-même, ensuite par le prix qu'elle doit payer pour demander réparation--une réparation qui, dans certains cas, peut faire partie de son programme de thérapie.

La Cour a entériné, néanmoins, la divulgation de tous les documents à l'exception des notes personnelles d'un individu qui ne serait pas appelé à témoigner à l'instance et dont l'opinion est sans objet. La revendication infructueuse du privilège illustre, dans ce cas-là, le seuil élevé du préjudice nécessaire pour l'emporter sur l'avantage à retirer d'une juste décision.

[46]Les contribuables n'ont pas prouvé qu'un préjudice d'ordre public surviendrait si les communications avec leurs comptables continuent de faire l'objet d'examen par le ministre. D'innombrables relations entre des comptables et leurs clients se sont très bien déroulées dans le passé, nonobstant la possibilité pour le ministre de revoir leurs communications. Quel que soit le préjudice d'ordre public que craignent les contribuables, il n'a pas fait obstacle au maintien complet et satisfaisant de telles relations, malgré le pouvoir d'examen du ministre. Si la perspective d'un privilège au cas par cas devait hanter les communications entre les comptables et leurs clients, le préjudice touchant la vérification et l'application de la Loi serait considérable et l'emporterait sur tout autre dommage, que subiraient de telles relations. Dans l'ensemble, j'estime que l'intérêt du public pèse en faveur de la divulgation.

[47]Les communications en litige dans les présents appel et appel incident ne répondent à aucun des quatre critères de Wigmore et ne sont donc pas protégées par un privilège au cas par cas. Le juge des demandes a correctement statué que les documents requis par les demandes de production ne bénéficient ni d'un privilège générique ni d'un privilège au cas par cas.

samedi 1 juin 2024

L'octroi d'un sursis est l'exception lors de l'imposition d'une peine pour crime sexuel sur enfant

R. v. M.M., 2022 ONCA 441

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[15]      The Supreme Court’s instructions from Friesen could not be clearer: sentences for sexual offences against children must increase. There are no qualifications here. Sentences have been too low for too long. Denunciation and deterrence are of primary importance: R. v. Inksetter2018 ONCA 474, 141 O.R. (3d) 161, at para. 3. Those who commit sexual offences against children must understand that carceral sentences will ordinarily follow.

[16]      Conditional sentences for sexual offences against children will only rarely be appropriate. Their availability must be limited to exceptional circumstances that render incarceration inappropriate – for example, where it gives rise to a medical hardship that could not adequately be addressed within the correctional facility. It would not be appropriate to enumerate exceptional circumstances here and we make no attempt to do so. Suffice it to say that no exceptional circumstances are present in this case. A sentence of imprisonment should have been imposed.


Les paramètres jurisprudentiels régissant l'octroi d'un sursis

R. c. Proulx, 2000 CSC 5 

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 127                           Il serait utile à ce moment‑ci de résumer brièvement les présents motifs:

 

1.        Le projet de loi C‑41 en général et les dispositions créant la peine d’emprisonnement avec sursis en particulier ont été adoptés à la fois pour réduire le recours à l’incarcération comme sanction et pour élargir l’application des principes de la justice corrective au moment de la détermination de la peine.

 

2.        L’emprisonnement avec sursis doit être distingué des mesures  probatoires.  La probation est principalement une mesure de réinsertion sociale.  Par comparaison, le législateur a voulu que l’emprisonnement avec sursis vise à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale.  Par conséquent, une ordonnance de sursis à l’emprisonnement devrait généralement être assortie de conditions punitives restreignant la liberté du délinquant.  Des conditions comme la détention à domicile devraient être la règle plutôt que l’exception.

 

3.        Aucune infraction n’est exclue du champ d’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement à l’exception de celles pour lesquelles une peine minimale d’emprisonnement est prévue.  De plus, il n’existe pas de présomption d’applicabilité ou d’inapplicabilité du sursis à l’emprisonnement à certaines infractions données.

 


4.        L’exigence, à l’art. 742.1, que le juge inflige une peine d’emprisonnement de moins de deux ans ne signifie pas que celui‑ci doit d’abord infliger un emprisonnement d’une durée déterminée avant d’envisager la possibilité que cette même peine soit purgée au sein de la collectivité.  Bien que le texte de l’art. 742.1 suggère cette démarche, elle n’est pas réaliste et pourrait entraîner des peines inappropriées dans certains cas.  Il faut plutôt donner une interprétation téléologique à l’art. 742.1.  Dans un premier temps, le juge appelé à déterminer la peine doit avoir conclu que ni l’emprisonnement dans un pénitencier ni des mesures probatoires ne sont des sanctions appropriées.  Après avoir déterminé que la peine appropriée est un emprisonnement de moins de deux ans, le juge se demande s’il convient que le délinquant purge sa peine dans la collectivité.

 

5.        Comme corollaire de l’interprétation téléologique de l’art. 742.1, il n’est pas nécessaire qu’il y ait équivalence entre la durée de l’ordonnance de sursis à l’emprisonnement et la durée de la peine d’emprisonnement qui aurait autrement été infligée.  La seule exigence est que, par sa durée et les modalités dont elle est assortie, l’ordonnance de sursis soit une peine juste et appropriée.

 


6.        L’exigence, à l’art. 742.1, que le juge soit convaincu que la sécurité de la collectivité ne serait pas mise en danger si le délinquant y purgeait sa peine est un préalable à l’octroi du sursis à l’emprisonnement, et non le principal élément à prendre en considération pour décider si cette sanction est appropriée.  Pour évaluer le danger pour la collectivité, le juge prend en compte le risque que fait peser le délinquant en cause, et non le risque plus général évoqué par la question de savoir si l’octroi du sursis à l’emprisonnement mettrait en danger la sécurité de la collectivité en ne produisant pas un effet dissuasif général ou en compromettant le respect de la loi en général.  Deux facteurs doivent être pris en compte:  (1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive.  L’examen du risque que fait peser le délinquant doit inclure les risques créés par toute activité criminelle, et ne doit pas se limiter exclusivement aux risques d’atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de la personne.

 

7.        Dans tous les cas où les préalables prévus par l’art. 742.1 sont réunis, le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis en se demandant si pareille sanction est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2.  Cette conclusion découle du message clair que le législateur a lancé au tribunaux, savoir qu’il faut réduire le recours à l’incarcération comme sanction.

 

8.        L’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable.  En règle générale, plus l’infraction est grave, plus la durée de l’ordonnance de sursis devrait être longue et les conditions de celle‑ci rigoureuses.  Toutefois, il peut survenir des cas où le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur.

 


9.        L’emprisonnement avec sursis est généralement plus propice que l’incarcération à la réalisation des objectifs correctifs de réinsertion sociale des délinquants, de réparation par ceux‑ci des torts causés aux victimes et à la collectivité et de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

10.      Lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l’incarcération.  Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs.  Cependant, selon la nature des conditions imposées dans l’ordonnance de sursis, la durée de celle‑ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l’emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d’importance.

 

11.      Le sursis à l’emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes, quoique la présence de telles circonstances augmente le besoin de dénonciation et de dissuasion.

 


12.      Aucune partie n’a la charge d’établir si l’emprisonnement avec sursis est une sanction appropriée ou non dans les circonstances.  Le juge doit prendre en considération tous les éléments de preuve pertinents, peu importe qui les a produits.  Toutefois, il est dans l’intérêt du délinquant de faire la preuve des éléments militant en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement.

 

13.      Les juges disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour choisir la peine appropriée.  Les cours d’appel doivent faire montre de beaucoup de retenue à l’égard de ce choix.  Comme il a été expliqué dans M. (C.A.), précité, au par. 90:  «Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée».

Comment les troubles de santé mentale qui n’entraînent pas une déresponsabilisation pénale doivent être pris en compte lors de la détermination de la peine

Ricard-Perras c. R., 2023 QCCA 1333

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[13]      Les troubles de santé mentale qui n’entraînent pas une déresponsabilisation pénale doivent être pris en compte lors de la détermination de la peine si :

-      (a) ils ont affecté la commission du crime ou ont joué un rôle dans la commission de celui-ci;

-      (b) la peine serait d’une sévérité excessive pour le délinquant vu ses déficiences[4].

[14]      Les conclusions qui en découlent sont sujettes à déférence en appel[5].

[15]      La jurisprudence établit que les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite justifiant l’imposition d’une peine moins sévère[6].

[16]      En procédant à la détermination de la culpabilité morale du délinquant atteint d’une maladie mentale ou d’une autre forme de limite cognitive, les juges doivent se demander si l’état mental du délinquant a une incidence sur son degré de responsabilité. Ils ne devraient toutefois pas présumer que la culpabilité morale d’un délinquant est automatiquement moins élevée au motif qu’il souffre d’une maladie mentale ou d’une déficience cognitive[7].

[20]      L’agente de probation et le sexologue constatent que le requérant souffre d’une certaine déficience cognitive dont la juge prend acte. Par contre, il n’y a aucune expertise en preuve qui évalue cette déficience. Aussi, le requérant n’a jamais été suivi par un psychiatre ou un psychologue.

[21]      Plus encore, ni le rapport présentenciel ni l’expertise sexologique en délinquance n’établissent que les facteurs associés aux infractions découlent directement de la déficience intellectuelle du requérant. Les deux auteurs n’ignorent pas l’existence de cet état pour autant. En effet, ils émettent l’opinion selon laquelle certains de ces facteurs « pourraient s’expliquer » du fait de sa déficience intellectuelle. Par exemple, l’agente de probation écrit : « Nous ne pouvons passer sous silence la déficience intellectuelle légère du sujet qui pourrait expliquer sa tendance à s'identifier émotionnellement aux enfants adolescents. ». Quant à lui, l’expert en sexologie écrit : « Toutefois, son niveau d'empathie nous paraît limité. Ceci peut s'expliquer par sa déficience intellectuelle, son immaturité affective et le fait qu'il banalise la gravité de ses actes. ».

[22]      Le fardeau de prouver tout facteur atténuant repose sur le délinquant, tout comme la présence d’une maladie mentale ou d’une déficience cognitive[8].

[23]      En tout état de cause, la juge a considéré la déficience mentale du requérant. Elle a conclu que la preuve au dossier ne lui permettait pas de réduire la peine d’emprisonnement qu’elle lui aurait imposée, n’eût été sa déficience intellectuelle. À cet égard, la juge souligne que tant le rapport présentenciel que l’expertise sexologique constatent que la déficience cognitive du requérant n’entrave pas sa compréhension de l’illégalité de ses gestes et de sa déviance sexuelle. Au contraire, le requérant tente de dissimuler son attirance sexuelle pour les adolescents et use de manipulations pour attirer des victimes.

La présence d’une maladie mentale ne constitue pas automatiquement un facteur atténuant

Sa Majesté la Reine c. Pond, 2020 NBCA 54

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[38]                                                           La présence d’une maladie mentale ne constitue pas automatiquement un facteur atténuant. Il ne suffit pas de démontrer que le délinquant a souffert de maladie mentale dans le passé ou même souffrait d’une maladie mentale au moment de l’infraction. Le juge chargé de la détermination de la peine doit déterminer si et dans quelle mesure la maladie mentale d’un délinquant a contribué au comportement délictuel, et ainsi diminué sa culpabilité morale (Williams, par. 81; et Badhesa, par. 43).

 

[39]                                                           La nécessité d’établir un lien entre l’état mental du délinquant et sa culpabilité morale a récemment été réitérée par la majorité et la dissidence dans R. c. R.D.F., en faisant référence à J.M.O., (majorité au para 57 et dissidence au para 215). Dans J.M.O., la Cour a déclaré qu’il faut démontrer, et non seulement supposer, que la santé mentale a atténué ou diminué la culpabilité morale du délinquant. Dans l’ensemble, je suis d’avis que le juge Mainella, qui a écrit des motifs exhaustifs au nom de la Cour, l’a bien expliqué :

 

[TRADUCTION]

Au cœur de cet appel se trouve la question de l’effet juridique des limites cognitives de l’adolescent, et particulièrement le fait qu’il souffre de TNDLA. La culpabilité morale moins élevée pour les besoins de la détermination de la peine, que ce soit pour un adulte ou un adolescent, en raison d’une maladie mentale reconnue et correctement diagnostiquée ou en raison d’un autre état qui affaiblit le fonctionnement de l’esprit, se détermine au cas par cas [TRADUCTION] « selon les faits de l’espèce » plutôt que par l’application machinale d’une règle selon laquelle la maladie mentale ou la limite cognitive a nécessairement eu une incidence sur la commission du crime en question (voir R. c. Roulette2015 MBCA 102, au par. 7R. c. Friesen2016 MBCA 50, au par. 23R. c. Manitowabi2014 ONCA 301, aux par. 55 à 57R. c. Ellis2013 ONCA 739, aux par. 107 à 127R. c. Ramsay2012 ABCA 257, aux par. 33 à 39R. c. Branton2013 NLCA 61, au par. 35; et R. c. M.J.H., 2004 SKCA 171, au par. 29).

 

La détermination de la culpabilité morale d’un délinquant atteint d’une maladie mentale ou d’une autre forme de limite cognitive est un exercice empreint de tact et de considération. En procédant à cette détermination, les juges doivent éviter de commettre l’une des deux erreurs de principe évidentes décrites dans ce qui suit. La première est d’être indifférent à la question de savoir si la situation mentale d’un délinquant a une incidence sur son degré de responsabilité. L’autre erreur de principe est le cas inverse, c’est-à-dire de supposer que la culpabilité morale d’un délinquant pour une infraction est automatiquement moins élevée parce qu’il souffre d’une maladie mentale ou d’une autre déficience cognitive […] [par. 72 et 73]

[C’est moi qui souligne.]

 

[40]                                                           Je fais miennes les observations suivantes du juge Mainella qui suggère la démarche à suivre par les juges chargés de déterminer la peine lorsque la maladie mentale d’un délinquant est signalée :

 

[TRADUCTION]

Il est suggéré que, lors de la détermination de la peine des délinquants atteints d’une maladie mentale ou d’une autre forme de limite cognitive, comme une forme de l’ETCAF, les juges chargés de la détermination de la peine évaluent séparément et correctement les questions suivantes :

 

1.      Existe-t-il une preuve forte selon laquelle le délinquant souffre d’une maladie mentale reconnue ou d’une autre limite cognitive?

 

2.      Existe-t-il des éléments de preuve démontrant la nature et la gravité de la situation mentale du délinquant qui permettent de prendre une décision éclairée sur la relation, s’il en est, entre cette situation et le comportement criminel?

 

3.      En supposant que le dossier soit suffisant, le juge qui prononce la peine doit décider du degré de responsabilité du délinquant à l’égard de l’infraction en tenant compte du fait que la maladie mentale ou les limites cognitives ont joué un rôle dans la conduite criminelle et, le cas échéant, de la mesure dans laquelle elles ont joué un tel rôle.

 

Voir R. c. Ramsay2012 ABCA 257, aux par. 19 à 39R. c. Draper2010 MBCA 35, au par. 20; et Manitowabi, au par. 64. [par. 73]

 

[41]                                                           Le juge Mainella suggère également, et j’en conviens, que le ou la juge pourrait pallier les insuffisances du dossier en exigeant la présentation d’éléments de preuve selon l’article 723(3) du Code ou à défaut, tirer des conclusions, selon la charge de preuve requise par l’art. 724(3) du Code:

 

[TRADUCTION]

Pour remédier aux insuffisances du dossier, le juge chargé de la détermination de la peine peut exiger la présentation des éléments de preuve qui l’aideront à porter un jugement éclairé sur la pertinence de la situation mentale du délinquant (voir le par. 723(3) du Code ou l’article 34 de la LSJPA) ou, à défaut, qui l’aideront à établir les faits dans le dossier existant à la lumière du fardeau de preuve applicable (voir le par. 724(3) du Code et R. c. Kunicki2014 MBCA 22, aux par. 21 et 26). Pour un tribunal d’appel, ce qui est important, c’est de savoir si le juge chargé de la détermination de la peine a établi si la maladie mentale du délinquant ou une autre forme de déficience cognitive a eu une incidence sur le degré de responsabilité de celui-ci à l’égard de l’infraction et, le cas échéant, si le dossier appuie raisonnablement les conclusions du juge qui a prononcé la peine. [par. 74]

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Celui qui propose d'acheter une arme à feu ou de la drogue ne peut pas être reconnu coupable de trafic de cette chose

R. v. Bienvenue, 2016 ONCA 865 Lien vers la décision [ 5 ]           In  Greyeyes v. The Queen  (1997),  1997 CanLII 313 (SCC) , 116 C.C.C. ...