R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852
Le témoignage d'expert est admissible pour aider le juge des faits à faire des inférences dans des domaines où l'expert possède des connaissances ou une expérience pertinentes qui dépassent celles du profane. Il est difficile pour le profane de comprendre le syndrome de la femme battue.
Le témoignage d'expert concernant la capacité d'une accusée de percevoir un danger présenté par son partenaire peut être pertinent relativement à la question de savoir si elle avait des "motifs raisonnables pour appréhender" la mort ou quelque lésion corporelle grave à une occasion déterminée. Le témoignage d'expert touchant la question de savoir pourquoi une accusée est restée dans sa situation de femme battue peut être pertinent pour apprécier la nature et le degré de la violence qui lui aurait été infligée. En expliquant pourquoi une accusée ne s'est pas enfuie quand elle croyait sa vie en danger, le témoignage d'expert peut en outre aider le jury à apprécier le caractère raisonnable de sa conviction que tuer son agresseur était le seul moyen de sauver sa propre vie.
La preuve d'expert n'enlève pas au jury, ni ne peut lui enlever, sa tâche de décider si, en fait, les perceptions et les actes de l'accusée étaient raisonnables. Mais, dans l'intérêt de l'équité et de l'intégrité du procès, il faut que le jury ait la possibilité d'entendre l'opinion de l'expert.
Quand une preuve d'expert est produite dans des domaines tels que le génie ou la pathologie, l'insuffisance des connaissances du profane n'est pas contestée. Il est depuis longtemps reconnu que le témoignage psychiatrique ou psychologique constitue également une preuve d'expert parce qu'on s'est rendu compte que, dans certaines circonstances, la personne moyenne peut ne pas avoir une connaissance ou une expérience suffisante du comportement humain pour pouvoir tirer des faits qui lui ont été présentés une conclusion appropriée. On en trouve un exemple dans l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, où notre Cour approuve le recours aux témoignages de psychiatres dans le cas de contrevenants dangereux. À la page 366, le juge La Forest fait remarquer que "la preuve psychiatrique se rapporte clairement à la question de savoir s'il est vraisemblable qu'une personne se comportera d'une certaine manière et cette preuve est même probablement relativement supérieure à cet égard aux témoignages d'autres cliniciens et de profanes".
Le moyen de défense prévu au par. 34(2) du Code comporte deux éléments qui méritent l'examen en l'espèce. Il y a d'abord le lien temporel qu'établit l'al. 34(2)a) entre l'appréhension de la mort ou de lésions corporelles graves et l'acte qu'on prétend avoir commis en légitime défense. Or, au moment où Rust quittait la chambre, l'appelante avait‑elle "des motifs raisonnables pour appréhender [. . .] la mort ou quelque lésion corporelle grave" infligée par lui? En second lieu, il y a l'appréciation, prévue à l'al. 34(2)b), du degré de force employé par l'accusée. Est‑ce pour des "motifs raisonnables" qu'elle a cru ne pouvoir "se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves" qu'en tirant sur Rust?
Les alinéas 34(2)a) et b) ont ce point commun qu'ils imposent une norme objective du raisonnable à l'appréhension de la mort et à la nécessité de recourir à la force meurtrière pour repousser l'attaque
Aux termes de l'al. 34(2)a), un accusé qui cause intentionnellement la mort ou une lésion corporelle grave en repoussant une attaque est justifié s'il a "des motifs raisonnables pour appréhender [. . .] la mort ou quelque lésion corporelle grave".
Il faut noter que l'al. 34(2)a) ne porte pas expressément que l'accusé doit appréhender un danger imminent quand il accomplit l'acte. La jurisprudence a néanmoins interprété ce moyen de défense comme comportant une telle exigence
Le cycle de violence répétée comporte trois phases distinctes: (1) l'accroissement de la tension, (2) l'incident de violence grave et (3) la contrition assortie de manifestations d'amour
Vu l'analyse qui précède, je résumerais ainsi les principes qui président à l'admission régulière du témoignage d'expert dans des cas comme celui qui se présente en l'espèce:
1.Le témoignage d'expert est admissible pour aider le juge des faits à faire des inférences dans des domaines où l'expert possède des connaissances ou une expérience pertinentes qui dépassent celles du profane.
2.Il est difficile pour le profane de comprendre le syndrome de la femme battue. On croit communément que les femmes battues ne sont pas vraiment battues aussi sévèrement qu'elles le prétendent, car sinon elles auraient mis fin à la relation. Certains estiment d'autre part que les femmes aiment être battues, qu'elles ont des tendances masochistes. Chacun de ces stéréotypes peut jouer défavorablement dans l'examen de l'allégation d'une femme battue qu'elle a agi en légitime défense quand elle a tué son partenaire.
3.La preuve d'expert peut aider le jury en détruisant ces mythes.
4.Le témoignage d'expert concernant la capacité d'une accusée de percevoir un danger présenté par son partenaire peut être pertinent relativement à la question de savoir si elle avait des "motifs raisonnables pour appréhender" la mort ou quelque lésion corporelle grave à une occasion déterminée.
5.Le témoignage d'expert touchant la question de savoir pourquoi une accusée est restée dans sa situation de femme battue peut être pertinent pour apprécier la nature et le degré de violence qui lui aurait été infligée.
6.En expliquant pourquoi une accusée ne s'est pas enfuie quand elle croyait sa vie en danger, le témoignage d'expert peut en outre aider le jury à apprécier le caractère raisonnable de sa croyance que tuer son agresseur était le seul moyen de sauver sa propre vie.
Je crois qu'aux fins de la présente analyse le fondement de l'arrêt Abbey peut se réduire aux propositions suivantes:
1.Une opinion d'expert pertinente est admissible, même si elle est fondée sur une preuve de seconde main.
2.Cette preuve de seconde main (ouï‑dire) est admissible pour montrer les renseignements sur lesquels est fondée l'opinion d'expert et non pas à titre de preuve établissant l'existence des faits sur lesquels se fonde cette opinion.
3.Lorsque la preuve psychiatrique consiste en une preuve par ouï‑dire, le problème qui se pose est celui de la valeur probante à accorder à l'opinion.
4.Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion.
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