mardi 25 août 2009

Exposé exhaustif de ce que constitue une entrave

R. c. Ahooja, 2004 CanLII 58319 (QC C.M.)

CXXX. C’est l’arrêt R c. Westlie qui a énoncé les éléments essentiels de l’offense d’entrave.

Trois éléments doivent être prouvés :

1. l’entrave;

2. le statut d’agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions; et

3. le caractère volontaire de l’entrave.

CXXXI. Le statut d’agent de la paix n’étant pas contesté dans ce présent dossier, nous concentrons notre analyse de la jurisprudence sur la définition d’entrave et le caractère volontaire de celle-ci.

Définition d’entrave


CXXXII. L’article 129 du Code criminel ne définit pas l’entrave, c’est la jurisprudence qui la définit. La décision R. c. Rousseau nous dit qu’une entrave est un geste qui est susceptible d’entraver, de nuire, de déranger un agent de la paix dans l’accomplissement de sa tâche.

CXXXIII. Les décisions R. c. Worrell et R. c. Gabriel ajoutent que ce geste doit être volontaire, commis en sachant ou en prévoyant que l’effet sera de nuire au travail de l’agent de la paix ou de le rendre plus difficile.

CXXXIV. Le jugement Protection de la jeunesse no 679 explique que la jurisprudence permet de conclure que de simples gestes ou paroles peuvent constituer une entrave sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’il y a eu quelque forme d’agressivité ou de violence. « Entraver signifie rendre plus difficile le travail des policiers, peu importe le résultat. » C’est d’ailleurs la conclusion de l’arrêt R. c. Tortolano, soit qu’il n’est pas nécessaire que l’on ait réussi à empêcher l’agent de la paix d’accomplir le devoir qu’il accomplissait au moment de l’infraction pour que soit prouvée l’infraction d’entrave.

Caractère volontaire de l’infraction

CXXXV. L’arrêt R. c. Westlie , référant à R. c. Goodman, définit le mot « volontairement » :

« [...] as applying to a state of circumstances where the person charged knows what he is doing and intends to do what he is doing, and is a free agent. »

CXXXVI. Tel qu’il a été établi dans R. c. Rousseau :

« [...] les différentes décisions rendues à ce jour réfèrent à une intention générale au sens donné à cette expression par la Cour suprême du Canada dans la décision de R. c. Georges; entraver volontairement un agent de la paix signifie de façon délibérée, de façon consciente ...

[...] poser un geste à l’égard d’un agent de la paix qui agit dans l’exécution de ses fonctions, sachant que ce geste est susceptible d’entraver, de nuire, de déranger cet agent de la paix dans l’accomplissement de sa tâche. »

CXXXVII. R. c. Huard explique ce qu’est la mens rea de l’infraction d’entrave :

« [...] est la prévisibilité de cette conséquence pour l’auteur des gestes intentionnels qui devient l’élément mental requis pour que l’offense soit complète, en d’autres termes, c’est la négligence de l’accusé. »

CXXXVIII. L’arrêt Protection de la jeunesse no 962 a précisé que le mot « volontairement » utilisé à l’article 129 a) du Code criminel doit être interprété :

« Comme exigeant la présence d’une intention en relation directe avec le but prohibé et qu’il faut donc, en conséquence, que le contrevenant ait eu ce but prohibé à l’esprit lorsqu’il a posé le geste reproché. »

Le but prohibé étant dans cet arrêt de nuire au travail des policiers lorsqu’ils procédaient à l’arrestation d’un ami.

CXXXIX. Dans R. c. Rousseau, le président d’une unité de négociations fut reconnu coupable d’entrave parce qu’il refusait, en toute connaissance de cause, de quitter les lieux malgré les demandes des policiers de se retirer du périmètre de sécurité délimité par des barricades.

CXL. Tel qu’expliqué dans R. c. Bouchard :

« Le fait de défier sciemment une ordonnance de se disperser faite par les policiers constitue une entrave au sens de l’article 129 du Code criminel. Voir à cet effet, R. c. Watkins, (1972) 7 C.C.C. (2d) 513, Cour provinciale d’Ontario, juge Macdonald, (permission d’en appeler à la Cour d’appel d’Ontario refusée 08-06-1972). »

Dans ce jugement, le juge a décidé que le fait de s’asseoir dans le milieu de la rue et de se tenir les uns aux autres ainsi que de rendre la tâche des policiers plus difficile lors de l’arrestation en se roulant sur soi-même constituent, dans ces deux cas, de l’entrave.

CXLI. Par contre, un policier qui n’a pas le pouvoir d’arrêter un contrevenant, soit en vertu de la common law ou de la loi ne peut l’arrêter pour refus d’obtempérer à l’ordre de mettre fin au comportement interdit par un règlement municipal tel que décidé dans l’arrêt R. c. Sharma. L’honorable juge Iacobucci réfère au paragraphe 33 de cet arrêt aux propos écrits par Mme la juge Louise Arbour, alors juge à la Cour d’appel de l’Ontario, à la page 170 de son jugement qui se lisent comme suit :

« [TRADUCTION] À mon avis, un policier ne peut éluder le choix délibéré du législateur de ne pas permettre l’arrestation pour ce genre d’infraction municipale, en ordonnant à l’accusé de mettre fin au comportement qui constitue un manquement au règlement et, de ce fait, exposer l’accusé à la responsabilité de l’infraction d’entrave prévue au Code criminel et déclencher ainsi l’exercice des pouvoirs d’arrestation prévus à l’art. 495 du Code ... »

CXLII. Par ailleurs, il faut également noter que l’article 48 de la Loi sur la police, L.R.Q., chapitre P-13.1 stipule :

« 48. [Mission] Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50 et 69, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs. »

CXLIII. R. c. Watkins a d’ailleurs décidé que le refus d’obéir à l’ordre de dispersion des policiers dans un délai de cinq minutes constituait une entrave, car les policiers agissaient en vertu de leur pouvoir de common law de préserver la paix.

CLXXVIII. Contrairement à la décision R. c. Sandford citée par la défense, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable, compte tenu du contexte dans lequel le sit-in sur le boulevard René-Lévesque Ouest a été fait, que les accusés qui ont participé à ce sit-in ont voulu volontairement entraver le travail des policiers et sont donc coupables d’entrave.

CLXXX. Tel qu’il a été décidé dans R. c. Watkins et R. c. Bouchard, le fait de refuser d’obtempérer à l’ordre de dispersion et en plus de s’asseoir dans le milieu de la rue, les uns collés aux autres pour former une chaîne humaine, en face des policiers en rang devant eux, constituent une entrave.

CLXXXII. De plus, l’élément mental découle des gestes posés. En effet, l’élément mental découle de l’élément matériel pour les crimes d’intention générale, sauf circonstances exceptionnelles. D’ailleurs, l’arrêt R. c. Roberge a clairement souligné qu’une preuve d’intention peut être tout à fait circonstancielle.

CLXXXIII. Finalement, leur défense à l’effet qu’ils n’avaient pas l’intention d’entraver les policiers ne peut être retenue par le Tribunal vu leur comportement, soit leur changement d’attitude lors de leur témoignage sur ce sujet spécifique. En effet, ils semblaient tous avoir un petit air narquois ou gêné en souriant de côté et regardaient moins franchement ou directement le Tribunal, contrairement au reste de leur témoignage lorsque contre-interrogés spécifiquement sur leur intention lorsqu’ils refusaient de quitter ou persistaient à se tenir en groupe.

CLXXXIV. Les décisions R. c. Shorey et R. c. Leesment ne s’appliquent pas au présent dossier puisque au moment où les policiers ont décidé de procéder à la dispersion des manifestants, des méfaits avaient déjà été faits et des projectiles leur avaient été lancés. On ne parle plus de manifestation pacifique à laquelle réfèrent les deux jugements ci-dessus mentionnés.

CLXXXV. On est loin du cas de M. Shorey qui, lors d’une manifestation pacifique, quoique tendue ou houleuse, a fait un sit-in à l’extérieur des périmètres de sécurité. De plus, il n’avait pas entendu ni compris l’avertissement de quitter vu sa non-connaissance du français. Le juge ne pouvait conclure qu’il avait agi sciemment ou volontairement dans le but de défier un ordre de se disperser ou de nuire au travail des policiers.

CLXXXVI. Quant au cas de Mme Leesment, il a été établi que le sit-in pacifique auquel s’était jointe la défenderesse avait été organisé bien avant que les policiers n’entreprennent leur manoeuvre de dispersion à l’extérieur du périmètre de sécurité.

CLXXXVII. De plus, il ressort de la preuve dans le dossier de Mme Leesment que ce groupe de 20 personnes devançait de quelque 150 mètres le reste d’une partie de la foule. Il n’était donc pas prévisible que les policiers désirent disperser la foule à l’arrière d’eux.

CLXXXVIII. De plus, le juge a clairement indiqué que Mme Leesment avait l’obligation de déguerpir si le fait de rester à cet endroit gênait les policiers dans l’accomplissement de leur travail de maintien de l’ordre et de la sécurité publique.

CLXXXIX. Or, dans le présent dossier, les policiers agissaient clairement dans le but de rétablir l’ordre et la sécurité publique tel que prévu à l’article 48 de la Loi sur la police et leurs gestes démontraient clairement qu’ils dispersaient la foule.

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