R. c. Lapointe, 2005 CanLII 33594 (QC C.Q.)
[8] Dans l'affaire Appleby, la Cour suprême a statué que pour réfuter cette présomption, l'accusé devait faire plus que de soulever un doute raisonnable : il se doit d'établir selon la balance des probabilités qu'il n'occupait pas cette place dans le but de mettre en marche le véhicule.
[9] Or, s'il était possible de disculper l'accusé dès qu'il convainc le tribunal qu'il n'avait pas l'intention de conduire, le tout serait simple. Mais il est clair en droit qu'on peut aussi avoir la garde et le contrôle d'un véhicule sans le conduire et sans avoir l'intention de le conduire. Telle est la conclusion que l'on doit tirer des décisions Saunders et Ford.
[10] Dans l'affaire Saunders (précitée), l'accusé, en état d'ébriété, était au volant de son véhicule immobilisé dans un fossé, et ne pouvait sortir de là qu'à l'aide d'une remorque. On aurait pu penser, le véhicule étant inutilisable (temporairement), que les risques disparaissant, qu'on ne puisse trouver l'accusé coupable ni de conduite, ni de garde. Mais le plus haut tribunal décrète que la définition de « véhicule à moteur » à l'article 2 renvoie à un genre de véhicule et non à sa faculté de se déplacer et de fonctionner normalement. L'infraction de « garde et contrôle » était donc commise.
[11] Dans l'affaire Ford (précitée), l'accusé avait été trouvé au volant de son véhicule dans un champs lors d'une fête, alors qu'il était en état d'ébriété. Il avait convenu avec un tiers que ce dernier conduirait le véhicule en quittant les lieux. Mais par une décision majoritaire (7-2), la Cour suprême statuait que l'article 237(1)a) (maintenant 258(1)a)) ne fait pas de l'intention de conduire un élément de l'infraction de garde. « La preuve que l'accusé n'a pas pris place dans le véhicule dans l'intention de le mettre en marche n'entraîne pas en soi l'acquittement lorsqu'un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui indiquent que l'accusé avait la garde du véhicule. »
[12] Dans l'affaire Toews le juge McIntyre s’exprime ainsi :
« L'infraction qui consiste à avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur alors que ses facultés sont affaiblies est distincte de celle de conduire avec facultés affaiblies et on peut la commettre que le véhicule soit en mouvement ou non. La mens rea est l'intention d'assumer la garde ou le contrôle d'un véhicule après avoir volontairement consommé de l'alcool ou une drogue et l'actus reus est l'acte d'en assumer la garde ou le contrôle L'absence d'intention de conduire ne constitue pas un moyen de défense. (les soulignés sont de nous ).
[13] On a souvent cité l’affaire Toews (précitée) comme signifiant que si l’accusé se sert de son véhicule pour dormir, l’acquittement s’impose. Telle lecture, en tout respect, nous semble inexacte. Monsieur Toews a été acquitté parce que la présomption ne s’appliquait pas, l’accusé n’étant pas assis au volant. Or, le reste de la preuve sur laquelle se basait la poursuite n’établissait aucun geste de « garde ou de contrôle ». La police avait trouvé l'accusé endormi dans un sac de couchage sur le siège avant d'un camion, la tête près de la portière du côté du passager. La clef de contact était en place et la musique jouait, mais le moteur du camion ne tournait pas et les phares étaient éteints. La preuve n’indiquait pas qui avait mis la clef dans le contact, mais révélait qu’un ami de l'accusé avait été le dernier à conduire le camion. De là l’acquittement.
[14] Ces arrêts ont servi à notre Cour d'appel dans les affaires Nicole Hamel, Alain Rousseau et Francis Rioux. On doit comprendre de chacune de ces décisions que dès que l'accusé exécute certaines opérations sur le véhicule, pose un geste susceptible de mettre en marche le véhicule, ou se place dans une position où il « peut » aisément le mettre en marche, il commet alors l'infraction. Dans l’affaire Rousseau (précitée) le juge Letarte écrira :
« Lorsque l'appelant refuse de remettre à madame Tremblay les clés de sa voiture, il sait qu'il n'est pas en état de conduire, mais décide tout de même de s'y mettre à l'abri. Il pose alors des actes de garde et de contrôle: il déverrouille la portière, s'assoit sur le banc du conducteur, ferme la portière, baisse les glaces latérales par crainte du monoxyde de carbone, s'assure que le levier d'embrayage est à la position « park », lève le levier du frein d'urgence et démarre le moteur et l'appareil de chauffage. Autant d'opérations conscientes et de gestes de sa part qui s'inscrivent dans une certaine logique et qui démontrent que, non seulement il avait la garde du véhicule, mais qu'il exerçait aussi le contrôle de certaines opérations. Qu'il ait sombré dans le sommeil, espérant éliminer l'alcool dans les heures suivantes, cela n'empêche pas qu'il ait exercé la garde et le contrôle de son véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies. ».
[15] Une situation semblable à la nôtre est survenue dans l’affaire R. c. Pilon. Monsieur Pilon, à la sortie d’un bar, avait décidé de dormir dans son véhicule un certain temps. Le juge de première instance accepte le témoignage de l'accusé qui explique ne pas être entré dans son véhicule dans l'intention de le conduire, mais « on the appellant's evidence this meant the immediate intention of driving ». L'accusé avait soutenu qu'il voulait dormir un certain temps pour pouvoir se rendre directement à son logis, puis à son travail lorsqu'il se réveillerait vers cinq heures du matin. La Cour d’appel n’en demandait pas plus pour accepter la thèse du Ministère public :
« The facts as found by the trial judge and admitted by the appellant, show some course of conduct associated with the vehicle which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous. »
[16] Une décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse ira encore plus loin. On confirme le verdict de culpabilité de Monsieur Lockerby. Ce dernier était assis sur le siège du passager, un autre conducteur ayant conduit jusque-là son véhicule. Mais lorsque ce conducteur quitte le véhicule et entre dans un restaurant pour aller chercher d’autres amis du groupe, après un certain temps, l’accusé prend la place du conducteur, ferme le moteur, enlève la clef de l’interrupteur d’allumage dans le but d’entrer au restaurant (naturellement l’intention de conduire était absente).
[17] Par ailleurs certaines décisions des Cours d’appel de d’autres provinces, invoquant le commentaire du juge Lamer dans l’affaire Penno prétendront que si tout risque que le possesseur du véhicule le mette en marche est écarté, qu’alors un acquittement sous l’accusation de garde et contrôle devrait être ordonné (voir liste en bas de page). Avec respect, ces décisions nous semblent irréconciliables avec les décisions Ford et Saunders (précitées) (véhicule inutilisable), et le commentaire plus haut mentionné du juge Lamer n’avait pas d’après nous cette signification, ou cette portée.
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