samedi 12 septembre 2009

Garde et contrôle - Utilisation du véhicule uniquement comme abris dans l’attente du conducteur désigné

R. c. Summers, 2005 CanLII 8883 (QC C.Q.)

[11] L’article 253 du Code criminel établit que l’accusé peut se retrouver dans l’une des trois situations suivantes :

a) Il conduit ;

b) Aide à conduire ;

c) A la garde ou le contrôle.

[12] Quant au véhicule moteur il peut :

a) Être en mouvement ;

b) Ne pas être en mouvement.

[13] Finalement pour qu’une accusation soit portée, il faut :

a) Que la capacité de conduire de la personne soit affaiblie par l’alcool ou une drogue, ou ;

b) Que son taux d’alcoolémie dépasse la limite légale permise.

[14] C’est donc dire que les scénarios qui peuvent se présenter sont multiples et cette multiplicité est abondamment illustrée par la jurisprudence.

[15] Dans la présente affaire :

a) Le véhicule moteur était immobilisé;

b) L’accusé avait un taux d’alcoolémie supérieur à la limite permise, (1er test 94mg/100ml et 2e test 89mg/100ml) ce qui n’est pas contesté;

c) Il ne conduisait pas, il n’aidait pas à conduire et même s’il était assis à l’intérieur, côté passager et que le moteur était en marche, la défense avance qu’il n’avait pas la garde ou contrôle de son véhicule.

[16] Puisqu’il ne prenait pas place sur le siège du conducteur, la poursuite ne peut pour faire sa preuve, bénéficier de la présomption de l’article 258 (1) du Code criminel.

[17] La jurisprudence établit clairement avec les décisions dans les affaires Ford et Toews que l’intention de mettre le véhicule en mouvement ou en marche n’est pas, aux fins d’établir la garde ou le contrôle, un élément constitutif.

[18] Dans l’affaire Drakes le juge Fish référant entre autre à l’arrêt Ford reprend et écrit :

« The offence is complete if, with an excessive bood-alcohol level, the accused is shown to have been involved in some course of conduct associated with the vehicle which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous.»

[19] C’est donc dire qu’il doit être démontré que l’accusé a posé des gestes qui permettent d’inférer que vu son état, il y avait risque que le véhicule soit mis en mouvement, donc qu’il y avait potentiellement un danger pour la sécurité du public.

[20] Dans l’affaire Hamel le juge Proulx écrit :

« Even if he has no immediate intention of setting it in motion he can at any instant determine to do so, because his judgement may be so impaired that he cannot foresee the possible consequences of his actions.»

[21] Sauf circonstances exceptionnelles, lorsqu’une personne conduit elle a nécessairement la garde ou le contrôle du véhicule, alors que lorsque l’on a la garde ou le contrôle, on ne conduit pas nécessairement et il se peut même que l’on ne se trouve pas dans le véhicule. Par exemple, une personne avec les facultés affaiblies, décide de quitter la résidence, met son moteur en marche avec un démarreur à distance, avise sa conjointe qu’il quitte dans cinq minutes et cette dernière communique avec la police pour les aviser. Ceux-ci arrivent alors qu’il ferme la porte de la résidence pour se diriger vers son véhicule.

[22] Dans l’affaire Olivier la Cour d’appel réaffirme le principe de l’absence d’absolu et que ce sont les circonstances particulières à chaque cas qui doivent être analysées.

[23] Selon ce qui précède, la poursuite doit faire la preuve :

a) Des gestes posés par l’accusé;

b) Que ces gestes démontrent hors de toute doute, qu’à tout moment, l’accusé vu son état, pouvait mettre le véhicule en mouvement, d’où le risque;

[24] Cela peut sembler paradoxal si l’on fait une interprétation littérale de l’article 253, puisque cet article stipule clairement que la garde ou le contrôle n’exige pas que le véhicule soit en mouvement. Donc il suffirait par exemple de se retrouver en état d’ébriété dans un véhicule immobilisé sur lequel on a le contrôle ou la garde pour que l’infraction soit commise.

[25] À compter du moment où l’état de l’accusé est prouvé hors de tout doute raisonnable, il y aurait culpabilité, puisqu’on aurait démontré la possibilité vu son état, qu’il prenne à un moment donné la décision de mettre en mouvement le véhicule. Le risque viendrait de son état d’ébriété, non de l’interprétation de ses gestes, alors qu’il est en état d’ébriété.

[26] Ce qui à première vu n’est pas seulement en accord avec le libellé de l’article 253 mais en accord avec l’objectif visé par le législateur et qui repose sur la prémisse que toute personne qui a les facultés amoindries par l’alcool ou dont le taux d’alcoolémie dépasse la limite permise, représente un risque pour la sécurité du public et commet une infraction dès qu’existe la possibilité qu’elle mette le véhicule en mouvement, alors même qu’il est immobilisé.

[27] Il y a toujours possibilité qu’une personne qui conduit un véhicule avec les capacités affaiblies, porte atteinte à la sécurité du public, à un moment donné pendant qu’elle conduit. Même si elle conduit sans problème pendant 20 ou 30 minutes, existe la possibilité qu’à la trentième minute, elle fasse une manœuvre dangereuse. De même, il y a possibilité qu’une personne qui n’a pas l’intention de conduire, prenne place dans un véhicule, alors qu’elle a les capacités affaiblies par l’alcool et qu’elle change d’intention à un moment donné. Cette possibilité existe parce qu’une telle personne est réputée être une personne dont les facultés qui incluent notamment la décision, le discernement et l’évaluation sont amoindries.

[28] Dans ce contexte, comment concilier la jurisprudence qui lie la culpabilité à l’existence de risque que l’on dégage des circonstances ou gestes de l’accusé avec ce qui précède?

[29] Pour le Tribunal la garde ou le contrôle d’un véhicule est certes une question de faits propre à chaque situation mais si les acquittements reposent sur l’absence de risque que l’accusé mette en mouvement le véhicule, n’est-ce pas du même souffle sous-entendre que le risque n’existe pas ipso facto alors même que l’accusé a les facultés affaiblies et a la garde ou le contrôle du véhicule?

[30] En effet la jurisprudence semble lier garde ou contrôle au risque de mouvement du véhicule, alors que le législateur semble les lier à la consommation d’alcool qu’il associe au risque tout court.

[31] Comment fait-on pour conclure qu’un accusé propriétaire d’un véhicule, qui possède les clefs, qui quitte un restaurant dans le but de se rendre à son véhicule, qui ouvre la portière, qui démarre le moteur, qui prend place du côté passager, qui n’a pas l’intention de conduire et qui s’endort dans son véhicule n’a pas la garde ou le contrôle de son véhicule? Si l’accusé ne l’a pas parce qu’il est démontré qu’il n’y avait aucun risque de le mettre en mouvement, qui l’a?

[32] La seule façon pour un accusé de ne pas avoir, dans un tel contexte, la garde ou le contrôle de son véhicule c’est de déléguer à une tierce partie. Ce que l’accusé a partiellement fait dans la présente affaire, sauf qu’il s’est retrouvé dans son véhicule avant que la tierce partie n’en prenne le contrôle ou la garde.

[33] Le législateur associe le risque aux capacités affaiblies ou au taux d’alcoolémie car tel qu’explicité ci-haut, une personne avec les facultés amoindries par l’alcool est réputée inapte non seulement à conduire mais à assumer la garde ou le contrôle d’un véhicule. Si son taux d’alcoolémie dépasse la limite permise, elle est aussi réputée inapte peu importe ses facultés résiduelles.

[34] Dans la présente affaire, il est démontré que l’accusé n’a jamais changé d’idée et n’a jamais mis le véhicule en mouvement. On a dû faire appel à de l’aide extérieure pour ouvrir la portière car il était impossible de réveiller l’accusé?

[35] Avec ce qui précède comment peut-on concilier l’obligation de considérer les circonstances particulières qui confirme l’absence d’absolu en cette matière.

[36] Pour le Tribunal, la notion de garde ou contrôle ne peut se limiter à une définition restrictive qui aurait pour effet de faire abstraction complète de l’absence d’intention.

[37] Il faut, puisqu’il est question de garde et contrôle, faire la distinction entre avoir la garde et le contrôle et exercer la garde et le contrôle. Si la jurisprudence analyse les gestes et le comportement de l’accusé, ce n’est pas pour déterminer s’il a la garde mais plutôt comment il l’a exercée.

[38] Pour le Tribunal, la poursuite doit démontrer que l’accusé exerçait la garde et le contrôle aux fins de mettre le véhicule immobilisé en mouvement. Les faits et gestes de l’accusé doivent démontrer un actus reus qui fait ressortir une intention générale, même si minimale.

[39] Dans la présente affaire, les faits et gestes de l’accusé entre le départ du bar et son arrestation démontrent qu’il n’a posé aucun geste ou prononcé aucune parole qui démontre une manière d’exercer la garde et le contrôle de son véhicule à moteur de façon à le mettre en mouvement. Donc absence totale de risque.

[40] L’accusé qui avait entrepris toutes les démarches et posé tous les gestes nécessaires pour ne pas conduire ou exercer la garde et le contrôle de son véhicule, l’a utilisé uniquement comme abris dans l’attente du conducteur désigné.

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