lundi 5 octobre 2009

Absolution inconditionnelle accordée alors que l'accusé avait en sa possession 580 grammes de canabis

R. c. Joly, 2005 CanLII 28 (QC C.Q.)

Résumé des faits

1] Jean Joly, ci-après appelé "Joly" a plaidé coupable à l'accusation d'avoir eu, le 25 mai 2004, en sa possession du canabis, soit 580 grammes.

[2] L'accusation est portée par voie sommaire conformément à l'article 4(1)4(b) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[3] La poursuite réclame une amende, alors que la défense désire que le Tribunal, au lieu de condamner l'accusé l'absout inconditionnellement.

LE DROIT:

[9] La loi prévoit que la possession de marijuana peut être poursuivie par acte criminel ou par voie sommaire. La poursuite a privilégié la voie sommaire, de sorte que la peine à laquelle fait face l'accusé est d'une amende maximale de 1 000$ et d'un emprisonnement de six mois ou de l'une de ces peines. La poursuite demande l'imposition d'une amende.

[10] La défense désire que le Tribunal applique l'article 730 du Code criminel et, au lieu de condamner l'accusé, par ordonnance, l'absout d'une façon inconditionnelle, compte tenu que cet article trouve ici application, l'infraction dont l'accusé a plaidé coupable n'est pas l'une pour laquelle la loi prescrit une peine minimum et n'est pas punissable d'un emprisonnement de 14 ans ou plus. Bref, la défense considère qu'il va de l'intérêt véritable de l'accusé, sans nuire à l'intérêt du public, que la Cour ordonne l'absolution, rappelant au Tribunal que la jurisprudence établit que l'absolution ne constitue pas une mesure exceptionnelle.

[11] Même si le Tribunal jouit d'une grande discrétion dans l'imposition de la sentence, il doit respecter les objectifs sententiels prévus par le Code criminel à l'article 718 et en particulier, dans le cas présent, l'objectif de dénonciation et de dissuasion, tout en retenant également le principe que nous retrouvons à l'article 718.1 C. cr. à savoir que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

[12] Finalement, le Tribunal doit se rappeler les observations de notre Cour d'appel dans l'arrêt R. c. Abouabdellah à savoir:

"La règle d'or en la matière est qu'un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n'a aucune mesure avec sa faute."

ANALYSE:

GRAVITÉ DE L'INFRACTION:


[13] En choisissant de poursuivre l'accusé par voie sommaire, la Couronne oblige en quelque sorte le Tribunal à considérer que la gravité de l'infraction est objectivement minime, malgré le fait que la quantité possédée est particulièrement importante. D'ailleurs, conséquente avec elle-même, la poursuite réclame l'imposition d'une amende.

[14] Quant à la gravité subjective de l'infraction, il faut se rappeler que l'accusé a participé à une seule transaction, que les stupéfiants étaient pour sa consommation personnelle et qu'il s'agissait d'une drogue qu'on peut qualifier de douce, par rapport à d'autres drogues beaucoup plus nocives.

[15] L'accusé a, comme il a dit, pris une chance, sachant cependant que le législateur pensait et pense encore légaliser la possession de la marijuana. Or, ce débat socio-politique peut être pris en compte pour atténuer la responsabilité du délinquant, comme l'affirme le juge Richard Grenier dans l'affaire Charles Jr. Jean.

L'INTÉRÊT DE L'ACCUSÉ:

[16] À ce sujet, le juge Béliveau dans Gilbert Rozon dira:

L'intérêt véritable de l'accusé suppose que ce dernier est une personne de bonne moralité, qui n'a pas d'antécédent judiciaire, quoique cela ne soit pas dirimant, qu'il n'est pas nécessaire d'enregistrer une condamnation pour le dissuader de commettre d'autres infractions ou pour qu'il se réhabilite et que cette mesure aurait à son égard des conséquences particulièrement négatives."

[17] En l'espèce, l'accusé, âgé de 27 ans, est propriétaire d'une entreprise qui embauche quatre employés et n'a pas d'antécédent judiciaire. Depuis la saisie des stupéfiants, ce dernier n'a pas consommé et le Tribunal est convaincu qu'une condamnation n'est pas nécessaire pour dissuader l'accusé de commettre d'autres infractions.

[18] Quant aux conséquences particulièrement négatives qu'une condamnation pourrait avoir à son égard, l'accusé a démontré qu'il doit, dans le cadre de son entreprise, se rendre régulièrement aux Etats-Unis. Il est évident qu'un dossier judiciaire et en particulier dans le domaine de la consommation de stupéfiants aura possiblement des conséquences sur la possibilité de se rendre en terre américaine. D'ailleurs, le procureur de la Couronne, dans les questions posées à l'accusé, a clairement laissé ressortir cette possibilité et le juge Béliveau dans l'affaire Rozon affirme qu'il n'est pas nécessaire à l'accusé de prouver les conséquences négatives, mais qu'il suffit de prouver que la possibilité de ces conséquences négatives existe, ce qui est le cas en l'espèce.

[19] Joly a donc convaincu le Tribunal qu'il va de son intérêt véritable de ne pas être condamné.

INTÉRÊT PUBLIC:

[20] Qu'en est-il de l'intérêt public? C'est ici que le Tribunal doit avoir à l'esprit le respect des critères de dissuasion et d'exemplarité.

[21] Or, il appert que l'absolution ne va pas à l'encontre de l'objectif de dénonciation et de dissuasion. La Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Cheung and Chow affirme que l'absolution comporte souvent en soi un caractère punitif adéquat, compte tenu du caractère public de l'audience et de la prise de conscience de l'accusé.

[22] La Cour d'appel de l'Ontario rappelle également dans l'arrêt R. c. Meneses que le fait d'être arrêté et le fait de comparaître constitue en soi une mesure de dissuasion efficace, surtout à l'égard des personnes qui ne sont pas criminalisées, ce qui est le cas en l'espèce, ces dernières étant justement des candidats à l'absolution.

[23] Finalement, la société a intérêt à ce que Joly continue à opérer son commerce pour qu'il demeure un actif dans la société et également un donneur d'ouvrage. Pour ce faire, ce dernier doit mettre toutes les chances sur son côté, ce qui signifie se rendre régulièrement aux États-Unis pour demeurer à la fine pointe des nouvelles technologies.

CONCLUSION:

[24] Considérant que l'infraction reprochée est d'une gravité objective mineure; considérant le débat sociopolitique qui entoure l'infraction reprochée à l'accusé; considérant que l'accusé n'a pas de dossier judiciaire; considérant que l'accusé a reconnu son erreur et qu'il s'est amendé; considérant que l'accusé a versé la somme de 1 000$ à un organisme communautaire impliqué dans la lutte à la drogue; considérant que l'accusé est un actif pour la société; considérant que l'accusé doit se rendre aux Etats-Unis dans l'exercice de sa profession; considérant les objectifs de la sentence, que nous retrouvons à l'article 718 et 718.1 du Code criminel, le Tribunal arrive à la conclusion que l'article 730 du Code criminel trouve ici application et, au lieu de condamner Joly, ordonne qu'il soit absout inconditionnellement.

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