jeudi 9 janvier 2025

La conduite menaçante au sens de l'article 264(2) Ccr

J.A. c. R., 2024 QCCA 754

Lien vers la décision


[18]      Le juge a conclu ici que l’appelant n’avait pas agi dans le but de faire peur aux plaignants. Cela dit, même en l’absence d’une preuve indiquant que l’appelant souhaitait qu’ils soient informés de ses démarches à l’école, une telle intention subjective n’était pas requise afin d’établir la conduite menaçante[16], comme le décide d’ailleurs le juge en l’espèce.

[19]      Dans Lamontagne, le juge Proulx évalue la conduite menaçante dont il était question à l’aune de la définition de « menace », au sens de l’al. 264.1(1)a) C.cr., formulée par la Cour suprême dans R. c. McCraw : « un moyen d’intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire » (« a tool of intimidation which is designed to instill a sense of fear in the recipient »)[17]. Cette définition a été reprise dans de nombreux arrêts traitant de l’infraction de harcèlement criminel[18]. Or, il ne faudrait pas comprendre de cette définition et des mots « designed to » que la preuve du comportement menaçant suivant l’al. 264(2)d) (une composante de l’actus reus) doit comporter un élément d’intention subjective. La Cour d’appel de l’Ontario, dans R. v. McBride, précise que « [t]o determine whether conduct is designed to instill a sense of fear in the recipient requires focusing “on the effect of the accused’s conduct on a reasonable person in the shoes of the target of the conduct”. »[19].

[20]      Il se peut que les arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario R. v. Sauvé[20] et R. v. McBride[21] aient induit une certaine confusion quant aux éléments à prouver pour établir l’actus reus de cette infraction.

[21]      Dans l’arrêt Sauvé, la Cour d’appel de l’Ontario conclut que puisque l’appelant avait reconnu qu’il savait qu’une lettre menaçante envoyée à une tierce partie serait portée à la connaissance de la plaignante et qu’il le souhaitait, il ne faisait aucun doute que les menaces contenues dans cette lettre étaient destinées à (« à l’égard de / directed at ») la plaignante. Il s’agit cependant d’un très court arrêt qui ne traite que de ces faits particuliers, sans discussion des éléments essentiels de l’infraction en général.

[22]      Dans l’arrêt McBride, la conduite menaçante de l’appelante, qui souffrait d’un trouble obsessionnel, consistait à avoir légalement changé son nom de famille pour celui du plaignant. Lorsqu’elle a informé son employeur de son changement de nom, ce dernier en a avisé le plaignant. La Cour d’appel de l’Ontario, citant l’arrêt Sauvé, conclut que « Threatening conduct can be “directed at” a person where the communication was made to a third party with the knowledge and intent that it would be passed on to the targeted person »[22].

[23]      Dans ces deux arrêts, la preuve établissait que l’accusé savait ou voulait que le plaignant soit informé de sa conduite. Cependant, il serait erroné d’en conclure que cet élément intentionnel doit nécessairement exister afin de prouver l’actus reus du crime.

[24]      Comme mentionné plus tôt, pour déterminer si une conduite est menaçante, l’accent doit plutôt être mis sur le sentiment de crainte que la conduite en question susciterait chez une personne raisonnable placée dans la situation du plaignant. La question de savoir si l’accusé avait l’intention que le plaignant soit informé de sa conduite n’est donc pas pertinente à ce stade.

[25]      Dans l’affaire Sim, l’appelant avait créé un site Web affichant un contenu sexuellement dégradant au sujet de la victime, qui en avait été informée par un tiers. La Cour d’appel de l’Ontario a explicitement rejeté la nécessité de prouver l’intention subjective de l’accusé pour établir l’actus reus[23].

[26]      En l’espèce, le juge ne se trompe pas lorsqu’il conclut que le comportement menaçant (le premier élément de l’actus reus) est établi par la preuve : le comportement menaçant était « à l’égard » des personnes visées – celles qui en étaient l’objet et qui étaient susceptibles de se sentir menacées par cette conduite. Le fait que l’appelant ne se soit pas adressé directement à la plaignante ou à son fils et qu’il ne visait pas à susciter un sentiment de crainte chez eux ne rend pas sa conduite moins menaçante envers eux. Son comportement les visait directement et personnellement.

 

[27]      Quant à la deuxième erreur alléguée, contrairement à ce que soutient l’appelant, c’est à bon droit que le juge a pris en compte toutes les circonstances, notamment son historique conjugal avec la plaignante. Dans Côté c. R.[24], la Cour énonce :

 

[78]         En matière de harcèlement criminel, la crainte de la victime s’évalue dans le contexte de toute l’affaire. La crainte peut naître d’un ensemble de facteurs et la conduite du harceleur, au fil du temps, est l’une des composantes à prendre en considération pour analyser si une personne raisonnable aurait, dans les mêmes circonstances, craint pour sa sécurité. La preuve de la conduite du harceleur est pertinente, même avant la période où la victime commence réellement à craindre pour sa sécurité et même si l’objet du harcèlement était alors une autre personne. En bref, c’est la connaissance qu’a la victime des agissements du harceleur qui permet d’évaluer si sa crainte est raisonnable.

 

[28]      La prise en compte de toutes les circonstances est nécessaire, puisqu’une conduite qui pourrait autrement sembler anodine peut, à la lumière du contexte, se révéler être un moyen d’intimidation susceptible de susciter un sentiment de crainte.

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