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mardi 15 août 2023

Résumé et cadre d’analyse pour le rejet sommaire

 R. c. Haevischer, 2023 CSC 11

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[99]                          Bien que la norme de la « frivolité manifeste » en soit au cœur, le cadre d’analyse général pour le rejet sommaire exige une approche souple afin de permettre les différences entre les ressorts quant aux règles de procédure criminelle et de favoriser une approche pratique et axée sur les principes.

[100]                     Dans le cours normal d’un procès criminel, une partie dépose une requête sous‑jacente — qui peut prendre de nombreuses formes et couvrir une myriade de sujets — et la partie adverse peut répliquer en présentant une motion visant le rejet de cette requête. Cela crée un cadre d’analyse en deux volets, selon lequel les juges doivent (1) se prononcer sur la motion en rejet sommaire; et si elle est rejetée, (2) statuer sur le fond de la requête sous‑jacente.

[101]                     Les deux volets posent des questions différentes, et font intervenir des considérations distinctes de même que leurs propres normes juridiques. Au cours du premier volet, lorsque le juge statue sur la motion en rejet sommaire, la question est de savoir si, tenant pour avérés les faits et les inférences allégués, la partie réclamant le rejet sommaire a démontré que la requête sous‑jacente est manifestement frivole. Si l’affaire fait l’objet d’un voir‑dire, les juges doivent alors, pendant le deuxième volet, au terme du voir‑dire, trancher la question ultime de savoir si la requête sous‑jacente est accueillie ou rejetée sur le fond : le requérant s’est‑il acquitté du fardeau de preuve applicable et a‑t‑il établi les faits nécessaires pour répondre à chacune des exigences légales qui sous‑tendent la réparation demandée pour la requête en question?

[102]                     Toutefois, le lien entre ces volets va au‑delà de l’ordre dans lequel ils doivent être examinés car tout au long de l’analyse, les juges devront se demander comment exercer leur pouvoir discrétionnaire et leurs pouvoirs de gestion de l’instance de sorte que justice soit rendue dans les circonstances. Les juges sont maîtres de la salle d’audience et ne sont pas tenus d’instruire toutes les motions ou de tenir des types précis d’audience. Ils peuvent, par exemple, prescrire la façon dont les motions ou le voir‑dire seront instruits, particulièrement s’il convient de le faire sur la base d’un témoignage ou sous une autre forme; décider de l’ordre dans lequel les éléments de preuve sont présentés; restreindre un contre‑interrogatoire qui est indûment répétitif, sans queue ni tête, pointilleux, trompeur ou dépourvu de pertinence; imposer des limites raisonnables aux observations orales; ordonner des observations écrites; et différer des décisions (Samaniego, par. 22; Felderhof, par. 57). Les pouvoirs de gestion de l’instance comprennent aussi la faculté de réexaminer les décisions antérieures en matière de preuve ou de permettre la présentation de nouvelles requêtes en cours d’instance lorsque cela est dans l’intérêt de la justice (R. c. J.J.2022 CSC 28, par. 86). Une motion présentée par un avocat visant l’obtention de directives commande aussi un exercice des pouvoirs de gestion de l’instance (J.J., par. 103‑105).

[103]                     Indépendamment des normes juridiques distinctes appliquées lors des deux volets de ce processus, les juges devront se demander s’ils procéderont même à l’instruction d’une motion en rejet sommaire; de quelle façon la motion en rejet sommaire devrait être instruite; et de quelle façon un éventuel voir‑dire se déroulera. Il s’agit de décisions discrétionnaires prises en vertu de leurs pouvoirs de gestion de l’instance.

[104]                     Lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire quant à savoir s’ils instruiront la motion en rejet sommaire, les juges doivent tenir compte des conséquences et du contexte associés à la requête sous‑jacente, ce qui comprend la question de savoir si elle peut faire l’objet d’un règlement sommaire et la façon dont les droits à un procès équitable du requérant seront touchés par une audience sur le rejet sommaire. De plus, les juges doivent se demander si la tenue d’une audience sur le rejet sommaire représenterait une utilisation efficace du temps du tribunal ou si cette audience retarderait dans les faits le procès. Lorsque, par exemple, l’audience sur le rejet sommaire prendrait presque autant de temps qu’un voir‑dire sur la requête sous‑jacente, il faut se demander si l’équité, l’efficacité et le respect de l’administration de la justice militent plus en faveur de l’utilisation du temps du tribunal pour examiner le fond de la requête sous‑jacente plutôt que de l’affectation de ressources à des questions qui lui sont préliminaires. Sur le plan uniquement de l’efficacité, les juges ne peuvent se voir reprocher d’avoir procédé directement à un voir‑dire lorsque l’instruction de la requête sur le fond prendrait le même temps que la tenue d’une audience sur le rejet sommaire. Les juges ne devraient tenir une audience de type Vukelich que lorsque cela est la meilleure façon de faire en sorte que le procès soit d’une durée proportionnée : un procès qui respecte le droit du requérant d’être entendu, qui sert l’objectif de l’équité du procès, qui économise en fait des ressources et qui évite les délais indus.

[105]                     Si les juges décident d’instruire la motion en rejet sommaire, ils doivent aussi décider de quelle façon ils le feront. Les juges doivent s’assurer que la motion est instruite d’une manière juste et proportionnée.

[106]                     Si le rejet sommaire est refusé, les juges du procès seront aussi appelés à établir de quelle façon le voir‑dire sur la requête sous‑jacente devrait se dérouler, notamment s’il devrait y avoir une audition de la preuve ou si l’affaire peut être instruite uniquement sur le fondement des arguments, d’un exposé conjoint des faits ou d’une combinaison de méthodes. Permettre qu’une requête fasse l’objet d’un voir‑dire n’autorise pas les avocats à plaider la requête comme ils l’entendent. Le temps et la latitude donnés aux avocats pour faire valoir la requête devraient être proportionnés : tout juste suffisants pour que la requête soit traitée équitablement. Au‑delà de ce point, il peut y avoir des délais indus.

[107]                     L’exercice de ces pouvoirs de gestion de l’instance commande non seulement des procédures proportionnées qui mettent en équilibre l’efficacité du procès et l’équité de celui‑ci, mais peut aussi exiger une analyse comparative servant à déterminer l’approche qui répond le mieux aux exigences et au caractère équitable d’une situation donnée. Les juges devraient garder à l’esprit que le pouvoir d’ordonner le rejet sommaire n’est pas le seul outil dont ils disposent pour gérer la requête sous‑jacente et se demander si leurs autres pouvoirs de gestion de l’instance conviennent mieux pour gérer la requête sous‑jacente (SamaniegoCody, par. 38). Les valeurs de l’efficacité et de l’équité du procès pourraient être mieux servies par la tenue d’un voir‑dire sur la requête sous‑jacente qui ne vise, grâce à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire judiciaire, que ce qui est nécessaire pour l’examen équitable de la teneur des allégations. Lorsque les juges exercent leurs pouvoirs de gestion de l’instance de cette façon, ils réalisent les objectifs qui sous‑tendent ceux‑ci : faire en sorte que les procès se déroulent de façon équitable, efficace et efficiente (Samaniego, par. 21).

lundi 14 août 2023

Des indications permettant de déterminer dans quels cas des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à la personne accusée par la Charte

 R. c. Tim, 2022 CSC 12

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[78]                        Notre Cour a donné des indications permettant de déterminer dans quels cas des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à la personne accusée par la Charte, circonstance qui fait entrer en jeu le par. 24(2) :

1.         Les tribunaux appliquent « une approche généreuse et fondée sur l’objet visé » afin de décider si des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui ont violé les droits garantis à l’accusé par la Charte (R. c. Wittwer2008 CSC 33, [2008] 2 R.C.S. 235, par. 21R. c. Mack2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3, par. 38).

2.         Il faut examiner « toute la suite des événements » liés à la violation de la Charte et aux éléments de preuve contestés (R. c. Strachan1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980, p. 1005‑1006).

3.         « La preuve est viciée lorsque l’atteinte et la découverte de la preuve dont l’admissibilité est contestée s’inscrivent dans le cadre de la même opération ou conduite » (Mack, par. 38; voir aussi Wittwer, par. 21).

4.         Le lien entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés peut être [traduction] « temporel, contextuel, causal ou un mélange des trois » (Wittwer, par. 21, citant R. c. Plaha (2004), 2004 CanLII 21043 (ON CA), 189 O.A.C. 376, par. 45). Il n’est pas nécessaire d’établir un lien de causalité (Wittwer, par. 21R. c. Mian2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689, par. 83Strachan, p. 1000‑1002).

5.         Un lien éloigné ou ténu entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés ne sera pas suffisant pour faire entrer en jeu le par. 24(2) (Mack, par. 38Wittwer, par. 21R. c. Goldhart1996 CanLII 214 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 463, par. 40Strachan, p. 1005‑1006). De telles situations doivent être considérées au cas par cas. Il n’existe pas « de règle stricte pour déterminer le moment où les éléments de preuve obtenus par suite de la violation d’un droit garanti par la Charte deviennent trop éloignés » (Strachan, p. 1006).

Voir aussi R. c. Pino2016 ONCA 389, 130 O.R. (3d) 561, par. 72R. c. Lichtenwald2020 SKCA 70, 388 C.C.C. (3d) 377, par. 57R. c. Reilly2020 BCCA 369, 397 C.C.C. (3d) 219, par. 75‑76, conf. par 2021 CSC 38; et Hill, Tanovich et Strezos, § 19:22.

La fouille accessoire à une arrestation

R. c. Tim, 2022 CSC 12

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[45]                        Une fouille sans mandat est à première vue abusive et, de ce fait, contraire à l’art. 8 de la Charte. Il incombe à la Couronne de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’une fouille sans mandat n’était pas abusive (voir R. c. Caslake1998 CanLII 838 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 51, par. 11R. c. Nolet2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, par. 21R. c. Buhay2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 32).

[46]                        Une fouille n’est pas abusive et elle est par conséquent conforme à l’art. 8 de la Charte si les conditions suivantes sont réunies : (1) la fouille est autorisée par la loi; (2) la loi l’autorisant n’a rien d’abusif; et (3) la fouille n’est pas effectuée d’une manière abusive (voir R. c. Collins1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278; Caslake, par. 10R. c. Saeed2016 CSC 24, [2016] 1 R.C.S. 518, par. 36).

[47]                        En l’espèce, les règles de droit susceptibles d’avoir autorisé les fouilles sont les pouvoirs de common law autorisant les fouilles accessoires à l’arrestation (les première et deuxième fouilles), les fouilles accessoires à une détention aux fins d’enquête (la troisième fouille) et les fouilles à nu (la quatrième fouille). Je vais examiner ci‑après chacun de ces pouvoirs potentiels.

[49]                        Pour être valide, une fouille accessoire à une arrestation doit satisfaire à trois conditions : (1) la personne soumise à la fouille a été arrêtée légalement; (2) la fouille est « véritablement accessoire » à l’arrestation, c’est‑à‑dire qu’elle vise un objectif valide d’application de la loi lié aux raisons de l’arrestation; et (3) la fouille n’est pas effectuée de manière abusive (voir Saeed, par. 37R. c. Fearon2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 21 et 27R. c. Stairs2022 CSC 11, par. 6 et 35).

Le pouvoir d’un agent de la paix d’arrêter sans mandat

 R. c. Tim, 2022 CSC 12

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[23]                        Les alinéas 495(1)a) et b) du Code criminel disposent qu’un agent de la paix peut arrêter sans mandat « une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel » ou « une personne qu’il trouve en train de commettre une infraction criminelle ».

[24]                        Le cadre d’analyse applicable à l’égard des arrestations sans mandat été énoncé dans l’arrêt R. c. Storrey1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250‑251. Une arrestation sans mandat requiert l’existence tant de motifs subjectifs que de motifs objectifs. Le policier qui procède à l’arrestation doit posséder subjectivement des motifs raisonnables et probables pour agir, et ces motifs doivent être justifiables d’un point de vue objectif. Cette appréciation objective tient compte de l’ensemble des circonstances connues du policier au moment de l’arrestation — y compris le caractère dynamique de la situation — considérées du point de vue d’une personne raisonnable possédant des connaissances, une formation et une expérience comparables à celles du policier ayant procédé à l’arrestation. Les policiers ne sont pas tenus, avant de procéder à une arrestation, de disposer d’une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité (voir aussi R. c. Feeney1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 24R. c. Stillman1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607, par. 28R. c. Chehil2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 45‑47R. c. MacKenzie2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, par. 73).

dimanche 13 août 2023

La possibilité d’utiliser un appareil téléphonique portable (« cellulaire ») est-elle pertinente à l’évaluation du délai raisonnable avant d’avoir accès à un avocat?

 R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24

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[35]      Cet appel doit échouer. En ce qui a trait à la première question, je suis d’avis que l’appelante veut amener la Cour à intervenir sur une question de fait sous-jacente à la question de droit qu’elle soulève. Comme j’en traiterai plus loin, le juge de la Cour du Québec a conclu, sur la base de la preuve et de l’ensemble des circonstances, qu’un appel téléphonique confidentiel et sécuritaire aurait été possible à la fois dans le véhicule de police et dans le véhicule de l’intimée ou, à tout le moins, que les policiers, dans les  circonstances, devaient envisager cette possibilité. Il s’agit de conclusions de fait qui n’ont rien à voir avec le droit et l’appelante ne peut contester, comme elle le fait, la conclusion du juge selon laquelle les raisons invoquées par les policiers étaient « théoriques » et constituaient donc de simples hypothèses et conjectures.

[39]      Notons d’entrée de jeu que l’importance de ce droit n’est plus à démontrer. Le droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’alinéa 10 b) de la Charte vise à assurer un processus décisionnel et judiciaire équitable aux personnes arrêtées ou détenues en leur donnant la possibilité d'être informées des droits et des obligations que la loi leur reconnaît et, surtout, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits et de remplir ces obligations : Clarkson c. La Reine1986 CanLII 61 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394; R. c. Manninen1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243; R. c. Bartle1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 173.

[40]      Détenue par les représentants de l'État, cette personne est désavantagée dans ses rapports avec celui-ci; privée de sa liberté, elle risque de s'incriminer. Le droit à l’assistance d’un avocat est donc primordial et permet aussi aux personnes ainsi détenues de ne pas se sentir totalement subordonnées au bon plaisir de la police. Comme l’écrit le juge Doherty dans R. v. Rover2018 ONCA 745 :

[45] The right to counsel is a lifeline for detained persons. Through that lifeline, detained persons obtain, not only legal advice and guidance, […] but also the sense that they are not entirely at the mercy of the police while detained. The psychological value of access to counsel without delay should not be underestimated.

[46]      Dans R. c. Taylor2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495, la juge Abella écrit :

[24]      L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention (Suberu, par. 41-42), et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat. Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé. Il incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances (R. c. Luong (2000), 2000 ABCA 301 (CanLII), 271 A.R. 368, par. 12 (C.A.)). La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.

[47]      Par conséquent, non seulement la question de savoir si le délai peut être qualifié de raisonnable est une question de fait, mais en plus, c’est la poursuite qui a le fardeau de le démontrer. Elle doit donc le faire en se fondant sur la preuve, et non en fonction d’une règle immuable voulant que cela ne soit jamais « raisonnablement possible en pratique ».

[48]      Une question de fait s’analyse au regard de la preuve et non en se fondant sur des hypothèses que l’on voudrait étendre à tous les cas. La poursuite ne sera donc en mesure de se décharger de son fardeau qu’en démontrant que l’accès a été facilité à la première occasion raisonnable, selon les circonstances de l’affaire.

[50]      Je conviens que la présence d’un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l’utilisation pour communiquer avec un avocat. Cette technologie ne répond pas dans tous les cas à la question de savoir quand survient la « première occasion raisonnable ». Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question. Comme le rappelle la juge Abella dans Taylor, précité :

[28]      Toutefois, les policiers ont néanmoins l’obligation de donner à une telle personne accès à un téléphone dès que cela est possible en pratique, afin de réduire le risque d’auto incrimination accidentelle, ainsi que l’obligation de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve tant qu’ils ne lui ont pas facilité l’accès à un avocat. L’alinéa 10b) ne crée pas le « droit » d’utiliser un téléphone précis, mais garantit effectivement à l’intéressé l’accès à un téléphone pour qu’il puisse exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable.

[51]      Dans ce même arrêt, qui porte lui aussi sur une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies, la juge Abella rappelle l’importance de considérer l’ensemble des circonstances pour savoir si l’accès a été donné dans un délai raisonnable, certains cas pouvant justifier une attente plus longue :

[31]      […] Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Bartle, les obligations qu’ont les policiers de donner effet aux droits garantis par l’al. 10b) sont nécessairement limitées lors de situations urgentes ou dangereuses. Mais nous ne sommes pas en présence de telles circonstances restrictives en l’espèce. […]

[32]      Les policiers ont l’obligation de permettre l’accès à un avocat dès que la chose est possible en pratique. Le fait de présumer, comme le suggère le juge du procès, qu’il est raisonnable de tarder à donner effet au droit à l’assistance d’un avocat pendant toute la période où l’accusé attend de recevoir un traitement médical à l’urgence d’un hôpital ainsi que pendant toute la durée de ce traitement, et ce, en l’absence de toute preuve des circonstances particulières en cause, compromettrait le respect de l’obligation constitutionnelle relative à l’accès « sans délai » à l’assistance d’un avocat.

[33]      Les cas traités en salle d’urgence ne constituent pas nécessairement tous des urgences médicales telles que les communications entre un avocat et un accusé ne sont pas raisonnablement possibles. Des droits constitutionnels ne sauraient être écartés sur la base de suppositions d’impossibilité pratique. L’existence d’obstacles à l’accès doit être prouvée — et non pas supposée —, et des mesures proactives sont requises pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat.

[52]      De la même manière qu’un passage à l’hôpital n’autorise pas les policiers, dans tous les cas, à attendre la fin des traitements, l’attente, sur le côté de la route, n’autorise pas les policiers, dans tous les cas, à reporter au poste de police l’accès à l’avocat. Il en est de même du cellulaire : la loi n’oblige pas les policiers à en permettre l’utilisation. Elle les oblige plutôt à en tenir compte, comme de toutes les autres circonstances, au moment de prendre leur décision.

[53]      En somme, les hypothèses, les suppositions, telles celles évoquées par l’appelante (comme en a conclu le juge de la Cour du Québec), ne suffisent pas pour qu’elle se décharge de son fardeau qui consiste à prouver l’existence de véritables obstacles, comme une urgence, un danger, une règle de droit : R. c. Suberu2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460; R. c. Strachan1988 CanLII 25 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 980. Encore récemment, dans R. v. La2018 ONCA 830, la Cour d’appel de l’Ontario soulignait qu’il faut une preuve factuelle de circonstances particulières pour justifier un délai, de simples suppositions ne pouvant suffire :

[39] Those concerns must be circumstantially concrete. General or theoretical concern for officer safety and destruction of evidence will not justify a suspension of the right to counsel: R. v. Wu2017 ONSC 1003, 35 C.R. (7th) 101, at para. 78R. v. Patterson2006 BCCA 24, 206 C.C.C. (3d) 70, at paras. 41-42, and R. v. Proulx2016 ONCJ 352, at para. 47. Rather, the assessment of whether a delay or suspension of the right to counsel is justified involves a fact specific contextual determination: Wu, at para. 78.

[54]      Cela faisait d’ailleurs écho aux motifs de la juge Abella aux paragraphes 32 et 33 de Taylor, précités.

[55]      Notre cour a aussi rappelé la nécessité de circonstances « exceptionnelles » pour justifier un délai avant l’accès à un avocat dans R. c. Archambault2012 QCCA 20, paragr. 36, dont une menace à la sécurité des policiers ou du public, ou encore un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou encore qu'une autre opération policière en cours puisse être compromise.

[56]      L’appelante fait grand cas de l’utilisation du terme « sans délai » par le juge de première instance. Je ne comprends pas l’argument. C’est le texte même de l’alinéa 10 b) qui le prévoit : « […] avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat […] / […] to retain and instruct counsel without delay […] ». Évidemment, comme on l’a vu, selon la jurisprudence, « sans délai » signifie « à la première occasion raisonnable », mais je ne vois aucune indication dans le jugement de la Cour du Québec selon laquelle le juge n’aurait pas tenu compte de cette qualification.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le pouvoir d'amender un acte d'accusation ou une dénonciation expliqué par la Cour d'appel de l'Ontario

R. v. K.R., 2025 ONCA 330 Lien vers la décision [ 17 ]        The power to amend an indictment or information under  s. 601(2)  of the  Crim...