R. c. Patrick, 2009 CSC 17
Résumé
Les policiers soupçonnaient P d’exploiter un laboratoire d’ecstasy dans sa maison. À plusieurs reprises, ils ont pris des sacs d’ordures que P avait déposés, en vue de leur ramassage, à l’arrière de sa maison, qui est contiguë à une ruelle. Les policiers n’ont pas eu à pénétrer sur la propriété de P pour s’emparer des sacs, mais ils ont toutefois dû allonger les bras au‑dessus des limites de sa propriété pour le faire. Les policiers ont utilisé des éléments de preuve d’activités criminelles trouvés dans le contenu des ordures de P pour obtenir un mandat les autorisant à perquisitionner dans la maison et le garage de ce dernier.
Analyse
L’attente en matière de respect de la vie privée est de nature normative et non descriptive. L’analyse du droit au respect de la vie privée abonde en jugements de valeur énoncés du point de vue indépendant de la personne raisonnable et bien informée, qui se soucie des conséquences à long terme des actions gouvernementales sur la protection de ce droit
Le tribunal appelé à apprécier le caractère raisonnable de la revendication d’un droit au respect de la vie privée doit considérer « l’ensemble des circonstances », et ce, que la revendication en question comporte des aspects touchant à l’intimité personnelle, à l’intimité territoriale ou à l’intimité informationnelle. Dans bien des cas, les droits revendiqués se chevaucheront. L’appréciation requiert toujours un examen attentif du contexte et porte d’abord sur l’objet ou la nature des éléments de preuve en cause. En l’espèce, P et les policiers considéraient à juste titre que l’objet des éléments de preuve était les renseignements concernant les activités qui se déroulaient à l’intérieur de la maison de P. Le tribunal doit ensuite se demander si l’intéressé possédait un droit direct à l’égard de l’élément de preuve et une attente subjective en matière de respect de sa vie privée relativement au contenu informationnel de cet élément. Le « caractère raisonnable » de cette attente, eu égard à l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée, est examiné seulement dans le cadre du second volet de l’analyse sur le droit au respect de la vie privée, qui porte sur l’aspect objectif.
Le tribunal conclut qu’il y a eu abandon lorsqu’il juge, eu égard à la conduite de la personne invoquant le droit garanti par l’art. 8, que cette personne avait cessé d’avoir une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’élément en cause au moment où celui‑ci a été pris la police ou une autre émanation de l’État. Comme l’abandon est une conclusion tirée du comportement de la personne même qui revendique le droit, cette conclusion doit se rattacher au comportement de cette personne et non aux gestes qu’ont faits ou n’ont pas faits les éboueurs, les policiers ou toute personne participant au ramassage ultérieur et au traitement du « sac d’informations »
Le caractère raisonnable de l’attente en matière de respect de la vie privée varie selon la nature de l’élément à l’égard duquel la protection est revendiquée, le lieu et les circonstances de l’intrusion de l’État, ainsi que l’objet de cette intrusion. En l’espèce, les ordures de P ont été déposées à l’endroit habituel à la limite de la propriété ou à proximité de celle‑ci, en vue de leur ramassage, et aucun signe n’indiquait le maintien du contrôle sur les ordures ou de l’affirmation d’un droit au respect de la vie privée à leur égard. L’intimité territoriale est en cause dans le présent pourvoi parce que les policiers ont étendu les bras au‑dessus de la limite de la propriété de P pour saisir les sacs; toutefois, l’intrusion physique de la police avait un caractère relativement périphérique et, prise dans son contexte, il est préférable de la considérer comme un aspect d’une revendication portant sur l’intimité informationnelle. Ce qui intéressait P c’était le contenu dissimulé à l’intérieur des sacs d’ordures, contenu qui, contrairement aux sacs eux‑mêmes, n’était manifestement pas à la vue du public.
Objectivement parlant, P a renoncé à son droit au respect de sa vie privée à l’égard des renseignements en cause au moment où il a déposé les sacs d’ordures en vue de leur ramassage à l’arrière de sa propriété, à la limite du terrain. Il avait fait tout ce qu’il fallait pour confier ses ordures au système municipal de ramassage. Les sacs n’étaient pas protégés et ils se trouvaient à la portée de quiconque circulait dans la ruelle, notamment les sans‑abri, les ramasseurs de bouteilles, les fouilleurs de poubelles, les voisins fouineurs et les galopins, sans oublier les chiens et autres animaux, ainsi que les éboueurs et les policiers.
Toutefois, jusqu’au moment où les ordures sont placées à la limite du terrain ou à la portée de quelqu’un se trouvant à cette limite, l’occupant conserve une part de contrôle sur la façon dont il en sera disposé. On ne saurait dire qu’il les a abandonnées de façon certaine si elles se trouvent sur une galerie, dans un garage ou à proximité immédiate de la résidence. En l’espèce, l’abandon est fonction à la fois du lieu et de l’intention de P
Comme P avait abandonné ses ordures avant qu’elles soient saisies par la police, il n’avait plus aucun droit au respect de sa vie privée à leur égard lors de la saisie. La conduite des policiers était objectivement raisonnable. Des détails sur le mode de vie et des renseignements d’ordre biographique de P ont été révélés, mais la cause véritable de leur découverte réside dans l’acte d’abandon de P, et non dans une atteinte de la part des policiers à un droit subsistant au respect de la vie privée
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